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Histoire de l’eau à Paris : l’Aqueduc Médicis et la maison du fontainier

04 juillet 2024 Paru dans le N°473 à la page 92 ( mots)

En plein Paris, à proximité de l’observatoire, se trouve la Maison du Fontainier, dernier regard de l’Aqueduc Médicis et habitation du fontainier du roi. Voici quelques éléments de l’histoire de l’aqueduc et son rôle dans la distribution de l’eau à Paris.

Au début du XVIIe siècle, la rive droite de la Seine est bien desservie en eau et possède, depuis le XIIe siècle, son propre réseau hydrologique: «les Sources du Nord» alimentées par les eaux issues des hauteurs de Belleville, de Ménilmontant et du Pré Saint Gervais. Compte tenu de la forte croissance démographique qui était alors enregistrée, ce réseau ne permettait pas d’apporter suffisamment d’eau à toutes les fontaines de Paris. Pour remédier à ce problème, le roi Henri IV (1553-1610), soucieux d’alimenter les Parisiens en eau (et tout particulièrement d’alimenter les résidences royales du Louvre et du Palais des Tuileries), fit construire la pompe de la Samaritaine sur la rive droite du pont Neuf. Celle-ci fut mise en service en 1608. 

Arcueil. Coupe de la galerie de l’aqueduc Médicis en 1782.

La rive gauche (au sud de la Seine) était cependant particulièrement mal approvisionnée en eau. Aussi, Henri IV chargea son ministre Sully de retrouver le tracé de l’aqueduc romain qui alimentait notamment les ternes de Cluny et qui tomba dans l’oubli à la suite des invasions barbares, aux alentours du IVe siècle, avec l’idée de remettre en service l’antique canalisation. Connu sous le nom d’«Aqueduc de Lutèce» il prenait sa source entre Wissous et Rungis et cheminait sur 16 km, en souterrain sur la plus grande partie du trajet, avec cependant un pont-aqueduc traversant la vallée de la Bièvre à Arcueil, dont il ne reste aujourd’hui qu’une arche écroulée. Mais le roi Henri IV fut assassiné sans pouvoir mener ce projet à son terme. La reine mère et régente Marie de Médicis reprit le projet, qui l’intéressait d’autant plus qu’elle projetait la construction du palais du Luxembourg sur la rive gauche, dont il faudrait alimenter les fontaines et les jeux d’eau. L’Aqueduc de Lutèce étant cependant en trop mauvais état pour pouvoir réutiliser les infrastructures existantes, un nouvel aqueduc reprenant sensiblement le trajet de l’ancien fut construit à partir de 1613.

LE PLUS ANCIEN ÉDIFICE DU 14e ARRONDISSEMENT

Mis en service en 1623, l’aqueduc Médicis amène à Paris les eaux des sources captées à Rungis. Après un parcours de 13 km, principalement souterrain, hormis le pont-aqueduc qui traverse la vallée de la Bièvre à l’emplacement même où se trouvait l’aqueduc romain. Marie de Médicis profita cependant peu des fontaines du Jardin du Luxembourg, puisque son fils, Louis XIII, la condamna à l’exil en 1630. L’aqueduc est composé d’une galerie construite en meulière et moellons liés par du mortier, surmonté d’une voûte, avec des tronçons en pierre de taille tous les 4 mètres environ. La hauteur de la clef de voûte est de 1,80m, pour environ un mètre de large, permettant ainsi la circulation sur les banquettes de part et d’autre de la cunette, où circule l’eau, d’une profondeur d’environ 45 cm sur autant de large.

Arrivée de l’Aqueduc dans le bassin central.

Il est jalonné de 26 regards (soit environ tous les 500 m) et 258 cheminées d’aération (tous les 50 m environ) avant que l’eau n’arrive dans les soussols de la «Maison du Fontainier» qui constitue le vingt-septième et dernier regard de l’aqueduc. L’ouvrage en pierre de taille, construit entre 1619 et 1623, reste aujourd’hui le plus vieil édifice du 14e arrondissement. Ce bâtiment remarquable, classé monument historique, constituait le logement du fontainier du roi, responsable de l’aqueduc, en charge de la répartition des eaux entre les trois principaux bénéficiaires : le roi, la ville, les communautés religieuses. La répartition entre les différentes parties prenantes était opérée par l’intermédiaire de trois bassins de profondeurs différentes d’où partaient des canalisations en plomb de diamètres différents permettant ainsi de donner la priorité à la part royale. Le contrat initial prévoyait que l’entrepreneur qui réalisait l’ouvrage s’engageait à distribuer 18 pouces1 d’eau au roi et 12 pouces à la ville, se réservant l’excédant qu’il pouvait revendre à sa guise. 

Cela est à l’origine de l’appellation des 3 bassins répartissant les eaux, d’ouest en est: le bassin du roi, le bassin de l’entrepreneur (ou des carmélites) et le bassin de la ville. Outre les jardins du Luxembourg, l’aqueduc alimentait les carmélites et les capucines du faubourg Saint-Jacques, le Val-de-Grâce, les chartreux et les célestins, quatorze fontaines publiques et diverses concessions privées attribuées lors de la construction de l’ouvrage et au fil du temps. À la mort de Louis XIII (en 1643), la régente, Anne d’Autriche et son fils Louis XIV s’installent au Palais-royal (rive droite) qu’ils alimentent avec l’eau de l’aqueduc, la faisant traverser la Seine en passant par le Pont-Neuf, ce qui permis en outre d’alimenter 2 nouvelles fontaines publiques sur la rive droite. 

LES BOULEVERSEMENTS DU LIEU AU XIXe SIÈCLE

Les trois bassins du XVIIe et le réservoir du XIXe siècle Extrait de «Les travaux souterrains de Paris - Tome 3, p. 208 - Eugène Belgrand, Dunod 1877».

En 1845, un réservoir d’eau souterrain voûté, à double rangée de colonnes, est réalisé par les ingénieurs Louis-Charles Mary et Francisque Lefort, afin de stocker l’eau durant la nuit dans les sous-sols de la maison du fontainier. Ce dernier n’est pas resté longtemps en fonction, puisqu’en 1865, dans le cadre des grands travaux confiés par Napoléon III au Baron Haussmann, le creusement de l’avenue Reille, dans le 14e arrondissement, vient couper la galerie de l’aqueduc entre les regards 22 et 23. Les travaux entrepris alors par Eugène Belgrand mettent fin au rôle de distribution des eaux de la Maison du Fontainier. L’ingénieur Belgrand souhaite envoyer directement l’eau de l’aqueduc vers les réservoirs du Panthéon, également construits par Lefort et Mary en 1843, sur la montagne Sainte-Geneviève. 

Alimentés par le puits artésien de Grenelle et des pompes qui puisent l’eau en Seine, ils permettent de desservir par gravité une bonne partie de la rive gauche. Ils se trouvent cependant à une altitude supérieure à celle du réservoir actuel. Les eaux sont donc canalisées dans une conduite forcée en fonte au niveau du regard 10 afin de remonter, suivant le principe des vases communicants, jusqu’au Panthéon. La partie parisienne de l’aqueduc est alors désaffectée, la conduite quittant l’ancienne galerie voûtée à l’entrée de la ville, au niveau du regard 21, pour se diriger vers le Panthéon. 

L’AQUEDUC TOMBÉ PROGRESSIVEMENT EN DÉSUÉTUDE

Réservoir souterrain datant de 1845. 

Le débit de l’aqueduc à son apogée peut être évalué entre 800 et 1500 m³ par jour. Mais la mise en service de l’aqueduc de la Dhuis, en 1865, avec un débit moyen de 22000 m³/jour et celui de la Vanne, en 1874, avec un débit maximum de 145000 m³/jour, ont rendu négligeable la quantité d’eau amenée par l’aqueduc Médicis. Le manque d’entretien des captages et des ouvrages, les fuites et les divers soutirages clandestins pratiqués le long du parcours, et plus récemment, les bouleversements du sous-sol induits par l’urbanisation à proximité des sources de Rungis, ont réduit ce débit au fil du temps. Il est aujourd’hui de quelques dizaines de mètres cube par jour. Exploité par Eau de Paris et classé monument historique, l’aqueduc Médicis est toujours en service. Depuis 1904 l’eau de l’aqueduc alimente le lac de Montsouris.

BIBLIOGRAPHIE

• «L’Aqueduc Médicis, des sources de Rungis aux fontaines de Paris» Karine Berthier & Pierre Housiaux Ed. Somogy éditions d’art, 2013. (Coll. Parcours du patrimoine, n°382) - https://fr.calameo.com/ read/0022023623d79dd4fd6df 

• «À la découverte de la Maison du Fontainier» Pierre Housieaux & Yvonne Poulle, Association pour la Sauvegarde et la Mise en valeur du Paris historique, 1995 

• «Tommaso Francini et le chantier de l’aqueduc Médicis : état de la question» Karine Berthier, Bulletin Monumental, tome 175, n°4, année 2017 - https://www.persee.fr/issue/ bulmo_0007-473x_2017_num_175_4 

• «Les travaux souterrains de Paris» - Tome 3, «Les Anciennes Eaux», Eugène Belgrand, Dunod 1877 - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k9686104b 

• «Histoire physique, civile et morale de Paris», Jacques Antoine Dulaure, 1837 (p.427) - https://books.google.fr/ books?id=ag1BAAAAcAAJ&hl