Au-delà de la classique supervision, la masse de données de toute nature récoltée par les collectivités, correctement analysée, peut fournir des informations précieuses. Il existe de multiples soutions répondant à des besoins variés. Avec différents niveaux de complexité – et de coût…
L e monde de l’eau tend aujourd’hui à rejoindre l’industrie dans l’utilisation d’outils numériques de plus en plus sophistiqués, allant bien au-delà de la classique supervision. Hypervision, «couche métier», valorisation des données, toutes ces expressions recouvrent une vaste réalité: un ensemble d’outils et de services exploitant les données internes ou externes pour établir des diagnostics, faire des prévisions voire piloter les installations en temps réel. De plus, ce que l’on appelle le «petit cycle» de l’eau est en fait lié au fonctionnement du bassin versant et aux usages de l’eau sur le territoire.
Une réalité que les évènements récents (sécheresse, inondations, pénurie…), imputables au changement climatique, se chargent aujourd’hui de souligner. Les nouveaux outils numériques peuvent aussi aider à prendre en compte cette perspective. Deux grands types d’acteurs interviennent sur ce marché: d’une part des sociétés spécialisées en informatique industrielle (start-ups, éditeurs de logiciels, distributeurs), d’autre part les grands délégataires du service public de l’eau qui développent leur propre solution - en partenariat ou non avec les premières.
DES OUTILS POUR QUOI FAIRE ?
Différents «étages» existent, comportant différents niveaux de complexité algorithmique – avec les coûts et les exigences en termes de temps et de compétences que cela suppose. Cela va de l’édition de tableaux de bord et la synthèse d’indicateurs jusqu’à l’anticipation du comportement de l’installation (STEP, usine d’eau potable, réseau…), voire son pilotage optimisé en temps réel. Les données enregistrées sont aussi une mine de renseignements sur des évènements passés afin d’en comprendre la cause, d’améliorer les installations ou les procédures.
«En assainissement, qui est plutôt notre marché, la plupart des MOA utilisent les modèles pour, d’une part, établir le diagnostic permanent et, d’autre part, avec leur bureau d’études, faire évoluer leurs installations. C’est encore la base aujourd’hui. Avant d’aller vers la gestion opérationnelle, il faut déjà construire un modèle vivant, c’est-à‑dire informé en permanence des modifications et du fonctionnement des installations, avec des connexions fiables vers diverses bases de données, puis l’entretenir. Aller vers le pilotage en temps réel représente une marche très haute, et il est un peu utopique actuellement d’espérer y arriver rapidement » estime Malo Lambert, Ingénieur Technico-Commercial, Responsable du pôle Hydro chez Geomod, société qui commercialise en France les logiciels d’Autodesk. Il existe cependant d’ores et déjà dans le monde de l’eau des solutions sophistiquées, capables de piloter les installations en temps réel, de manière optimisée, en fonction de données aussi bien externes (météo, demande, coût de l’énergie…) qu’internes.
Ces véritables «Formule 1» sont généralement développées au cas par cas pour des collectivités importantes. La plus connue reste la suite logicielle Aquadvanced, de Suez Smart Solutions, mais d’autres arrivent sur le marché français. «Le vrai sujet est la démocratisation: rendre la construction de modèles vivants accessible aux villes moyennes» estime cependant Malo Lambert. Geomod se positionne tout de même dans cette perspective puisque Autodesk est en train de développer une solution «avancée»: Info360 Insight.
QUEL SYSTÈME POUR QUEL UTILISATEUR ?
Moyens financiers et humains, compétences nécessaires, multiplication des capteurs : il semblerait logique que seules les grosses collectivités se lancent dans l’hypervision, sauf en cas d’enjeu local important. La réalité est cependant plus contrastée. «ll y a quelques années, cela concernait au minimum un département ou une grosse agglomération.
Depuis deux ans, dans les salons, beaucoup de communautés de communes plus petites se renseignent sur l’hypervision. Elles sont en DSP et aimeraient avoir un retour sur ce qui se passe. Même sans personnel dédié, sans service informatique propre, elles peuvent utiliser des tableaux de bords pour avoir une vision de leur système et faire appel à des ressources extérieures pour l’analyse. Par exemple, un client commence à suivre des indicateurs et, une fois par an, fait appel au BRGM ou à un bureau d’études hydrogéologiques pour éditer les bulletins, comprendre ce qui s’est passé au niveau des ressources et définir un plan pour l’année suivante» cite ainsi Stéphane Barthon, président d’Aquasys. Pour cela, Aquasys a conclu des protocoles d'échanges de données avec plusieurs fournisseurs d'acquisition et de gestion des données comme Areal, Codra, Lacroix, Ijinus, Paratronic et SDEC.
Purecontrol intervient aussi auprès de collectivités de toutes tailles. «Nous développons nos systèmes pour qu’ils soient totalement «diffusables». Le plus petit ouvrage utilisant nos solutions est une STEP de 1500 Eh, le plus gros une STEP d’un million d’Eh. L’idée est d’exploiter au maximum l’existant: nous ne plaçons pas de capteurs, ne changeons pas les automates… Dans la quasi-totalité des cas, on peut déjà faire beaucoup de choses sans rien installer» revendique Loïc Croissant, directeur développement & Innovation chez Purecontrol. «Plus un système est complexe plus l’hypervision devient intéressante, que ce soit pour la modifier après une analyse rétrospective ou pour améliorer sa performance en temps réel. C’est pourquoi elle concerne plutôt les grosses installations : elle n’a pas de sens pour un lit planté de roseaux» estime tout de même Jean-Emmanuel Gilbert, directeur du développement chez Aquassay.
En tant que délégataire, Saur intervient majoritairement auprès de petites et moyennes collectivités. «Notre offre de base est conçue pour desservir n’importe quel type de collectivité, même avec peu de moyens informatiques. Notre architecture repose sur une plateforme centralisée recueillant des données de toutes sortes et de toutes provenances. A partir de là, nous proposons des services à la carte, avec actuellement plus de 70 applications métier» affirme Philippe Bovagnet, directeur adjoint des Services informatiques chez Saur. Selon Louis Larsen, Business Development Manager chez Veolia, «ce type d’outils numériques ne s’adresse pas forcément à un profil déterminé d’utilisateurs. Cela va de très grosses entités comme le Siaap à de petites collectivités novatrices. Certains MOA sont déjà très avancés, d’autres entament leur «voyage» au-delà de la supervision. La tendance actuelle, dans le monde de l’eau, est à des projets informatiques énormes, impliquant de l’intelligence artificielle, etc., qui demandent des mois voire des années de corrélation entre de multiples paramètres avant de donner leur potentiel, sans que l’on sache ce qui va en sortir. Or il est aussi possible de faire du numérique de façon pragmatique, sans forcément chercher la complexité!».
Pour Antonin Fradin, chargé du développement Smart Water & Environment chez Suez Smart Systems, «ce qui était réservé il y a 10-15 ans à de très grandes collectivités atteint aujourd’hui les collectivités moyennes, voire petites. Même des solutions complexes comme le pilotage optimisé en temps réel leur sont aujourd’hui accessibles. Aquadvanced évolue aussi en ce sens.»
UNE OFFRE VARIÉE
Spécialistes du numérique ou grands délégataires ont développé des solutions à partir de leur propre point de vue: une compétence informatique particulière ou une vision du métier de l’eau.
Il en résulte une pléthore d’offres pour différents besoins. Une large gamme de solutions et applications mises en œuvre par Aveva, Birdz, Calasys pour ne citer qu’eux, permet de satisfaire ce type de besoins. Après s’être surtout attaché au marché industriel, Aquassay propose de plus en plus sa solution E-Water Efficiency pour les usines d’eau potable ou les STEP. «A partir de données de toutes provenances - automates, scadas, laboratoires externes, météo … - et de toutes natures – quantitatives, signalements d’évènements ou d’intervention, … - notre solution analyse en temps réel les performances de la succession des systèmes mis en œuvre dans un procédé. In fine, il s’agit soit de transformer un flux de données «temps réel» en action, soit d’analyser un historique long pour identifier les causes de tel ou tel type d’incident» résume Jean Emmanuel Gilbert. Aquasys a également commencé sa démarche en s’attaquant au problème de l’agrégation de données de multiples sources. «Aujourd’hui notre outil peut intégrer une quarantaine de sources différentes en open data (plus évidemment les données internes): BRGM, ARS, Aires captage.fr, images satellites du CNES, météo, littoral… Puis nous avons développé des modules spécialisés «métier» : eau potable, assainissement, environnement, risque inondation, etc.» explique Stéphane Barthon. La gamme comprend aujourd’hui six outils spécialisés, comme par exemple seQoia pour la sécurisation et suivi de l’approvisionnement en eau potable ou acycliQ pour la gestion préventive des inondations et des risques d’étiage. «Ces outils ont été créés avec les utilisateurs et évoluent régulièrement via des rencontres avec eux» souligne Stéphane Barthon. La plateforme d’hypervision Xylem Vue powered by GoAigua permet également aux utilisateurs de conserver leurs modules existants tout en bénéficiant d’une plateforme pour centraliser les données, les uniformiser, les croiser et les valoriser au quotidien. Installée en Europe sur quelques 300 sites, elle a permis notamment à la ville de Valence (Espagne) de réduire la NRW (non revenue Water) dans la production d’eau potable en identifiant 35 points de rendements de réseaux. L’offre de Geomod repose quant à elle sur la modélisation hydraulique. «Notre outil le plus connu, InfoWorks ICM, modélise tous les écoulements à surface libre : assainissement, fluvial et pluvial.
C’est le plus réputé sur le marché français» affirme Malo Lambert. Geomod propose aussi un outil destiné à l’eau potable mais, selon Malo Lambert, il est peu utilisé en France car le logiciel gratuit Epanet, pour la modélisation et le dimensionnement des réseaux sous pression, reste très apprécié. Les grandes collectivités en régie (Strasbourg, Bordeaux, Lille, Rennes, Nantes, Brest, Lyon …) utilisent InfoWorks ICM pour le diagnostic permanent ou les études d’aménagement ou de modification de leur système d’assainissement. Au-delà de la simple distribution du logiciel, Geomod se positionne désormais comme intégrateur (paramétrage, connexion aux bases de données, formation du personnel). «Nous mettons nos compétences à la disposition de villes moyennes pour les aider à construire leurs modèles et les rendre vivants» souligne Malo Lambert. Purecontrol propose, sous forme de SAAS, une plateforme connectée aux automates internes et reliée à différentes sources externes comme par exemple la météo ou le fournisseur d’électricité. «Elle analyse les données pour faire du diagnostic (performance, problèmes, administration) mais aussi du pilotage et de l’optimisation des installations. Elle utilise pour cela des capacités d’apprentissage automatique, c’est pourquoi il faut 2 ou 3 mois d’autoconstruction initiale des algorithmes, qui d’ailleurs se perfectionnent encore avec le temps et la survenue d’évènements plus rares» explique Loïc Croissant.
C’est cette solution que Rennes Métropole utilise pour optimiser l’autoconsommation d’électricité solaire de sa STEP de Laillé, en fonction des prévisions météorologiques. Eau de Valence Romans Agglo y recourt pour diminuer la consommation de ses pompes d’eau potable, en ajustant les périodes de fonctionnement aux tarifs horaires de l’électricité et en modulant les scénarios de pompage. Eau du Ponant (Brest) l’utilise également pour l’optimisation énergétique, alors que Nantes Métropole s’en sert pour la gestion dynamique de son réseau d’assainissement (ajustement des niveaux dans les postes de relevage en fonction des prévisions d’orage). A partir de sa plateforme de recueil des données, Saur peut développer des capacités spécifiques à la demande de chaque client.
«Nous essayons d’utiliser au maximum des solutions du commerce pour ne pas rendre les collectivités dépendantes. Nous avons choisi la GMAO Carl Source avec son module Carl Maps qui assure l’intégration au SIG, et SalesForce pour la planification. Pour l’optimisation énergétique des STEP, nous nous tournons vers Purecontrol. Nous avons également des applications propres pour définir, par exemple, un objectif de consommation et suivre au long cours la réalisation de ce plan» énumère Philippe Bovagnet. Saur travaille sur des solutions «avancées» faisant appel à des jumeaux numériques ou reliant l’hypervision au BIM. «Notre branche industrielle, Nijhuis Saur Industries, déploie déjà ces solutions et nous avons pour objectif de les «tirer» vers le monde municipal de l’eau pour les généraliser, même si certaines localités les utilisent déjà» annonce Philippe Bovagnet. Tous les outils et services numériques de Veolia, qu’ils soient récents ou aient été développés il y a plusieurs années, sont maintenant réunis sous la même marque: Hubgrade. Il en résulte une très vaste gamme. Ainsi, en Irlande du nord, une STEP de 45000 Eh a-t-elle commencé sa transition vers l’hypervision par un service de base. «Les modules Hubgrade Performance Plant & Sewer sont des solutions numériques qui optimisent les stations d’épuration et les réseaux d’assainissement. Ils agrègent en temps réel les données de l’usine ou du réseau et utilisent des algorithmes pour conformer aux normes de traitement, réduire l’empreinte environnementale et réaliser des économies. Nous avons installé un algorithme mélangeant expertise métier et IA pour l’optimisation en temps réel de l’aération et un point de mesure dans le réseau, afin de débuter une intégration plus holistique des réseaux et de la STEP. C’est une façon simple de voir des choses à améliorer, avec une valeur ajoutée concrète dès le début, montrant jusqu’à 45% d’économie par m3 d’eau traité dans le premier mois d’implémentation» explique Louis Larsen. A l’autre extrêmité du spectre, Veolia a fait appel au bureau d’ingénierie suisse Hydrique Ingénieurs pour mettre en place la gestion dynamique en temps réel du réseau d’assainissement de Saint Chamond (Loire, voir EIN 455). Une installation similaire au Danemark a permis d’économiser d’énormes investissements en diminuant de plus de moitié la construction d’un bassin prévu de 6000 m3 , économisant plus de 2M€ à la collectivité. «Ce type d’outils numériques s’adresse à tout type d’utilisateur. Hubgrade Performance Plant & Sewer permettent après une installation facile de bénéficier rapidement de premiers résultats.» affirme Louis Larsen. Suez Smart Solutions poursuit le développement d’Aquadvanced, qui peut rendre différents types de services. «Un des enjeux pour une collectivité est par exemple d’arbitrer entre différents objectifs : économies d’énergie, impact sur le milieu, achats d’eau….
On ne peut plus demander à un exploitant de choisir lui-même ses priorités car les paramètres sont trop nombreux. C’est pourquoi Aquadvanced fait de l’optimisation sous contrainte » illustre Louis Larsen. C’est cet aspect qu’a choisi Milan sur sa plus grosse station d'épuration (1.25million d’eH), pour optimiser en temps réel entre autres l’aération, le pompage, le dosage des réactifs alors que Mulhouse l’utilise pour la gestion dynamique de son réseau d’assainissement afin de réduire l’investissement en bassins de stockage. L’évolution de la suite logicielle se poursuit, par exemple pour suivre les avancées des technologies de mesure. « Il existe maintenant des capteurs mesurant la pression jusqu’à 128 fois par seconde. Cela permet d’appréhender les transitoires, qui sont une des principales causes du vieillissement et de la rupture des collecteurs. Aquadvanced peut désormais traiter et hiérarchiser ce type d’information pour proposer des modulations de pression adaptées, de façon à «calmer» le réseau» explique Louis Larsen.
LE « PETIT CYCLE »…. …ET AU-DELÀ
A l’évidence, la responsabilité de l’eau potable ou de l’assainissement, comme la compétence Gemapi, supposent une vision plus large que celle des seules installations. C’est à l’échelle du territoire, du bassin versant qu’il faut penser. Là encore, les spécialistes s’organisent. C’est en ce sens qu’Altereo repense son organisation en créant une nouvelle entité Altereo ID qui utilise les technologies phares du groupe (HpO notamment) et se veut capable de supporter les territoires avec des outils de valorisation des données pouvant leur rendre des services dans leurs grandes transitions. La gamme Aquasys comprend des outils de surveillance du milieu, permettant par exemple aux institutions responsables de prévoir les inondations, décider quand passer des arrêtés sécheresse, suivre les étiages ou l’état des lieux de baignade…. « Lorsque nous entamons l’étude d’un territoire, pour la mise en place d’un outil comme seQoya, acycliQ ou myliaQ (gestion des milieux aquatiques), nous utilisons un moteur de recherche «maison», Aquadb. fr, qui trouve tout ce qui est disponible en open data pour un territoire, classé par thématiques. Ensuite nous injectons les données privées (scada, automates, stations de mesure…). Cela permet un suivi opérationnel du territoire et, depuis quelques années, nous incluons des algorithmes prévisionnels pour prédire l’évolution des ressources, des masses d’eau, etc.
Cette année nous implémentons la possibilité de construire des scénarios à six mois, par exemple pour suivre la recharge hivernale des nappes en prévision de l’été » explique Stéphane Barton. Outre les outils d’exploitation des données, Aquasys peut déployer des observatoires pour remettre les informations à disposition des DDT, ARS, collectivités, départements… Grâce à ces outils, le syndicat Eau 35 récupère les données ouvertes, ainsi que celles provenant des exploitants et des collectivités du territoire pour publier la situation des ressources du département. Eau 17 utilise un système Aquasys permettant, grâce à la connaissance de la ressource, de moduler les interconnections entre différentes parties de son territoire. La Communauté d’agglomérations de la Riviera française (CARF, à Menton) a aussi choisi Aquasys pour suivre la production d’eau potable dans la vallée de la Roya. Cette ressource étant partagée entre la France et l’Italie, le système permet aux deux parties d’en visualiser l’évolution en toute transparence. Pour exercer sa compétence Gemapi, le Parc naturel régional du Haut-Jura utilise l’application open source GeoRivière développée par Makina Corpus. L’application affiche les données de surveillance des cours d’eau et enrichit les données des APIs Hub’eau sur une carte.
Température, qualité des cours d’eau, paramètres physico-chimiques, suivi hydrométriques sont autant d’informations visualisables en temps réel qui facilitent l’analyse et la prise de décision. Sur place, «un technicien du Parc régional du Haut Jura peut désormais identifier un dysfonctionnement sur le terrain et faire remonter l’information directement sur GeoRivière. Il précise les éventuels travaux à réaliser, les éléments essentiels à l’intervention ainsi que les aspects administratifs. Les informations sont partagées avec les gestionnaires et partenaires des cours d’eau», décrit Thomas Magnin-Feysot, chargé de mission SIG, Informatique, Évaluation du Parc. A terme, le Parc envisage d’ouvrir l’application à un réseau plus large d’usagers, le grand public ou les associations de pêche notamment. Purecontrol vient pour sa part de soumettre à la Commission européenne, dans le cadre du programme Interreg, un projet de R&D pour faire du pilotage dynamique du système de traitement des eaux usées en tenant compte de la capacité d’acceptation du milieu. Rennes Métropole et Aquafin (un délégataire belge pour l’assainissement), entre autres, sont partenaires. «Il s’agit de «régler» en continu les rejets en azote et phosphore en fonction de l’état réel du milieu récepteur (quantitatif et qualitatif) plutôt que se conformer à des normes fixes ou saisonnières, comme actuellement. D’autant que celles-ci sont rendues obsolètes par le changement climatique…» souligne Loïc Croissant. Le système reposera sur un modèle dynamique du milieu récepteur. «A terme, il sera important de savoir qui fait quoi avec l’eau: industrie, agriculture, collectivités, différents usages ici ou là. Cela suppose un diagnostic permanent des flux, usages et traitements à l’échelle du territoire» estime Jean Emmanuel Gilbert, d’Aquassay. Il imagine la possibilité de croiser ces données d’usage avec celles de la météo et de la surveillance satellitaire, pour obtenir une analyse systémique de l’eau à l’échelle d’une région ou d’un bassin versant. «C’est compliqué car les données sont hétérogènes et dispersées. Il existe plusieurs projets académiques, ou provenant de grands opérateurs, allant dans ce sens. Il faut partir des questions et besoins concrets du territoire, recenser les données existantes, éventuellement envisager d’en produire d’autres… Cela peut prendre plusieurs années mais les régions en tension pour l’eau ne pourront pas en faire l’économie» estime-t-il.
Aquassay monte pour sa part un dossier initié par un grand groupe industriel. «Nous voulons mettre autour de la table l’agence de l’eau, les pôles de compétitivité, la DREAL, les collectivités du territoire, le milieu agricole…» énumère Jean-Emmanuel Gilbert Saur tire pour cela parti de sa plateforme unique. «Nous appelons ça «hypervision». Les données centalisées nous donnent une vision de tout ce qui se passe sur un territoire donné, au moins au niveau des installations que nous opérons. Nous intégrons aussi des données sur la qualité de la ressource provenant de notre filiale ImaGeau (grâce à leur outil EMI d’analyse des ressources), ainsi que celles de MétéoFrance. Et rien n’empêche d’intégrer d’autres types d’informations, provenant par exemple des responsables des espaces verts. Il existe aujourd’hui beaucoup de données en open data. Nous pouvons exploiter tout cela avec des outils cartographiques, « zoomer» sur les points problématiques. Avec des algorithmes appropriés, nous pouvons aussi anticiper des évolutions» explique Philippe Bovagnet. L’inscription dans le territoire est également un axe d’évolution d’Aquadvanced (Suez Smart Solutions). « Nous avons étendu la gamme avec Aquadvanced « ressources » et Aquadvanced « milieux aquatiques », pour aborder à l’échelle des bassins versants des problématiques d’inondation, d’étiage, de niveau des nappes, de qualité des eaux de baignade ou du milieu récepteur… Le produit est prêt, les derniers modules achèvent leur développement, et nous avons déjà quelques références » affirme Antonin Fradin. La ville de Pau, par exemple, surveille ainsi les risques d’inondation et d’étiage dans son bassin versant.
DES OBSTACLES À SURMONTER
«Un des premiers enjeux pour l’hypervision est de repérer qui produit les données et de s’assurer de leur qualité» affirme Jean-Emmanuel Gilbert (Aquassay). «Cela reste un sujet sous-évalué, même si les collectivités mûrissent aussi de ce point de vue. Sur notre plateforme, nous avons des tableaux de bord pour suivre en temps réel la qualité des données. Nous essayons d’aligner tout le monde sur un bon niveau, c’est indispensable pour pouvoir développer des services» confirme Philippe Bovagnet (Saur). «En France, les taux d’instrumentation sont maintenant bons : il existe peu de réseaux non instrumentés, d’usines sans capteurs. En revanche, la qualité des données, leur validation, reste une problématique générale. Par exemple les capteurs ne sont pas maintenus, ils dérivent. Traiter de grosses quantités de données demande des outils et des compétences» souligne également Antonin Fradin (Suez). Louis Larsen, pour Veolia, voit «un intérêt grandissant de l’importance de cette question».
Autre limite: l’acceptation de ce type
d’outils. «Nous parlons beaucoup de
technologie mais l’enjeu est surtout
humain. Les opérateurs craignent le
«remplacement», s’imaginent que l’intelligence artificielle va prendre leur place,
alors qu’elle réalise justement des tâches
qu’on ne peut pas demander à un opérateur humain. Nous avons besoin de pédagogie pour instaurer la confiance. Il faut
rendre ces outils transparents, montrer ce
qu’ils font et ne font pas. Nous vivons la
même chose que ce qui s’est produit dans
le passé avec l’automatisme industriel»
souligne Loïc Croissant (Purecontrol).
Dans le même ordre d’idées, Louis
Larsen rappelle l’importance de la
connaissance du métier. «De nombreux purs spécialistes du traitement
des données sont entrés sur ce marché.
C’est positif car cela pousse tout le monde
à améliorer les solutions mais le métier ne
se limite pas aux données, les problèmes
ne se résolvent pas simplement par optimisation mathématique. Travailler avec
des acteurs possédant le savoir-faire
du monde de l’eau demeure essentiel»
insiste-t-il. Chez Endress+Hauser, les
fonctionnalités avancées de la technologie Heartbeat vont dans ce sens, rapporte le fabricant. Elles permettent de
visualiser et d’exploiter toutes les données occultées mais aussi de contrôler le
bon fonctionnement de l’instrumentation en place pour organiser les actions
préventives visant à optimiser le process
industriel.