30 novembre 2018Paru dans le N°416
à la page 113 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Immergée entre la côte de la Sicile et la Tunisie, l’île Julia est sur le point de remonter à la surface pour la cinquième fois en deux mille ans. À l'heure actuelle, il ne s'agit encore que d'un mont sous-marin dont le sommet n'est qu'à quelques mètres en dessous de la surface de la Méditerranée. Mais dans le passé, des éruptions l'ont déjà fait surgir plusieurs fois au-dessus du niveau de la mer avant qu’elle ne soit à nouveau submergée.
Nous sommes le 10 juillet 1831. À bord de la Teresina, un bateau de commerce génois, le capitaine Giuseppe Corrao n’en croit pas ses yeux. Il se trouve alors à 37° 6' de latitude Nord et 12° 42' de longitude Est, à 21 miles au sud de la ville sicilienne de Sciacca à mi-chemin entre la Sicile et l'île italienne de Pantelleria. Or, à cet endroit, les cartes sont formelles, rien ne mentionne la présence de l’îlot rocheux, haut de 65 mètres d’une superficie approximative de 4 km² qu’il aperçoit.
Le capitaine Corrao vient tout simplement d’assister à la naissance d’une île, qui sera successivement baptisée Nérita, Ferdinandea, Gaem, Hotham, Corrao puis Julia. Naissance ? Pas vraiment. Car sous la pression du magma, l'île Julia a déjà surgi des abysses à quatre reprises avant de replonger à nouveau. Il s‘agit en fait d’un volcan sous-marin, situé à la limite des plaques africaine et eurasienne. Lorsque la tension entre ces deux plaques augmentent, il entre en éruption et son sommet qui ne se trouve qu’à quelques mètres sous la surface de la mer émerge, jusqu’à ce qu’une nouvelle secousse sismique l’engloutisse à nouveau.
En 1831, c’est au moins la quatrième fois que l’Ile Julia émerge des flots. Les plus anciennes mentions d'éruptions sous-marines dans la zone remontent à la première guerre punique (entre 264 et 241 av. J.-C.) et depuis, il semble que le volcan ait au moins fait surface deux fois entre le xviie siècle et le xixe siècle.
Reste qu’en 1831 pour les géologues, les sociétés savantes mais aussi les amirautés, l’événement est de première importance.
L’île Julia, une situation stratégique
Car l'apparition de l’île intéresse au plus haut point les amirautés. Sa situation apparaît stratégique. Le Royaume-Uni est la première nation à en revendiquer la souveraineté et la nomma île Graham après avoir planté un drapeau britannique sur l'île le 2 août. Le roi de Naples et de Sicile, Ferdinand II de Bourbon, envoya alors des navires vers l'île afin de contester cette revendication et la dénomma île Ferdinandea. Le 29 septembre 1831, un détachement venu de France à bord de la Flêche plante le drapeau français sur l'île et la nomma île Julia.
Voici comment le géologue Constant Prévost, qui s’est porté volontaire pour cette mission relate l’évènement.
« Nous dépassâmes l’île Maretimo, et le soir, sur les cinq heures, la vigie placée dans les mâts signala une terre de laquelle s’élevait de la fumée. Étant monté sur les hunes, nous aperçûmes en effet distinctement l’île qui avait assez bien la forme de deux pitons réunis par une terre plus basse. Nous étions à 18 milles, et nous voyions par moment des bouffées d'une vapeur blanche qui s’élevaient du côté du Sud, principalement à une hauteur double de celle de l’île ; à plusieurs reprises et lorsque nous étions sous le vent, nous sentîmes une odeur sulfureuse plus analogue à celle de la lignite pyriteuse en combustion qu’à celle de l’hydrogène sulfuré (…). Le 28 au matin, nous pûmes cependant approcher jusqu'à deux milles, et voir alors distinctement que la vapeur s’élevait, non seulement de la mer, mais encore d’une cavité séparée de celle-ci, par un bord très mince, du côté du Sud. À midi la mer était un peu tombée, le capitaine voulut bien faire mettre un canot à notre disposition. En moins d’une heure, nous arrivâmes sur les brisants ; L’eau vert-jaunâtre dans laquelle nous étions et qui était couverte d’une énorme écume rousse, avait une saveur sensiblement acide, toutefois moins amère que celle de la grande mer. Sa température était aussi plus élevée, mais de quelques degrés seulement, de 21 à 23°. Nous sondâmes à environ 30 brasses du rivage, et nous trouvâmes le fond à 40 ou 50 brasses. Nous nous étions dirigés vers le seul point où, de la surface de l’île, on peut descendre par une pente douce vers la mer (…). Les marins pensèrent, d’un commun accord, qu’il y aurait imprudence à tenter le débarquement dans ce moment. Nous n’étions qu’à 40 brasses de l’île, je pus bien à cette distance me convaincre qu’au moins pour la partie que nous avions sous les yeux, l’île était formée de matières meubles et pulvérulentes (cendres, lapilli, scories), qui étaient retombées, après avoir été projetées en l’air pendant les éruptions. Je n’aperçus aucun indice de roches solides soulevées ; mais je reconnus bien distinctement l’existence d’un cratère ou entonnoir presque central, duquel s’élevaient d’épaisses colonnes de vapeur, et dont les parois étaient enduites d’efflorescences salines blanches. Deux marins gagnèrent l’île à la nage, et s'élevèrent jusqu’au bord du cratère, marchant sur des cendres et des scories brûlantes, et au milieu des vapeurs qui s’exhalaient du sol ; ils nous annoncèrent que le cratère était rempli d’une eau roussâtre et bouillante, formant un lac d’environ 80 pieds de diamètre. Parmi les morceaux rapportés, je trouvai un fragment de calcaire blanc, ayant tous les caractères de la dolomie. Dans la nuit du 28 au 29, nous fûmes portés par des courants vers les côtes de Sicile, et nous trouvâmes le matin à plus de 6 milles du volcan, sans pouvoir en approcher davantage. Le calme étant survenu, un canot fut de nouveau mis à la mer vers dix heures ; j’avais fait mes préparatifs, fait disposer des bouteilles, des flacons, des boîtes de fer-blanc, nous prîmes des thermomètres, et une machine faite à bord pour puiser l’eau à différentes profondeurs (….). À un mile de distance, nous commençâmes à traverser des courants d’au jaunâtre, dont je remplis quelques bouteilles et pris la température. Des courants de pareille couleur semblaient partir, comme des rayons, d’une zone semblable qui entourait l’île. La sonde nous donna 40, 50 et 60 brasses dans les eaux, en approchant de l’île jusqu’à 200 pieds des bords. À un mille, on trouvait 100 brasses. Abordés à une heure et demie, nous nous distribuâmes les rôles (…).
Je me mis en devoir de parcourir tous les points de notre îlot pour rechercher surtout si en quelque endroit des matières appartenant au fond de la mer, n’auraient pas été soulevées ou projetées. Après avoir gravi la plus haute cime au milieu des scories brûlantes, après avoir deux fois fait le tour entier des falaises, je fus assuré que ce monticule dont la base était peut-être à 5 à 600 pieds dans la mer était entièrement composé, comme je l’avais présumé le 28 de matières pulvérulentes, de fragments de scories de toutes les dimensions, jusqu’à celle de 2 pieds cubes au plus ; je trouvai quelques blocs dont le centre très dur avait l’aspect et la consistance de la lave, mais ces masses globulaires avaient été projetées. Enfin, l’îlot entier me parut être, comme tous les cratères d’éruption, un amas conique autour d’une cavité également conique, mais renversée. En effet, examinant les parois intérieures du cratère, on voit que celles-ci ont une pente d’environ 45° et dans les coupes latérales produites par les éboulements, on distingue que la stratification est parallèle à cette ligne de pente, tandis que du côté extérieur les mêmes matériaux sont disposés dans un sens opposé. Quant à la coupure à pic des falaises, il est facile de voir qu’est l’effet postérieur des éboulements causés, soit par des secousses imprimées au sol, soit plus probablement par l’action des flots qui, entraînant les matières meubles accessibles à cette action, ont successivement miné les bords ; ceux-ci se trouvant en surplomb sont tombés ; tous les jours ils se dégradent ; et c’est déjà aux dépens des éboulements qu’il s’est formé autour de l’île, une plage, sorte de bourrelet de 15 à 20 pieds de largeur qui se termine brusquement en pente dans la mer. D’après cette manière de voir, il est facile de reconnaître que les éboulements continuant à avoir lieu par la cause qui les produit tous les jours, l’île s’abaissera graduellement, jusqu’à ce qu’une grosse mer venant à enlever tout ce qui restera au-dessus de son niveau, il n’y aura plus à la place qu’un banc de sable volcanique, d’autant plus dangereux qu’il sera difficile d’en avoir connaissance à quelques distances ».
Constant Prévost n’était pas très loin de la vérité. Après avoir atteint 63 mètres de hauteur, l’Ile disparu à nouveau quelques mois plus tard. Entretemps, plusieurs pays dont la France avaient annexé l’éphémère territoire. Ce n’est d’ailleurs que l’engloutissement soudain de l’île qui évita une bataille navale devenue inéluctable. Après une dernière éruption en 1863, on n’entendit plus parler de l’Ile Julia jusqu’en 1986, lorsqu’un avion américain qui l’avait pris pour un sous-marin libyen la bombarda…
En 1999, une augmentation de l'activité sismique dans la zone de Ferdinandea conduisit des scientifiques à spéculer sur une réapparition de l'île. De fait, la profondeur du sommet du volcan sous la surface de l’eau passa de 8 mètres en 1999 à 5 mètres en 2002. Plusieurs journaux britanniques et italiens réactivèrent le différent diplomatique, si bien que des plongeurs italiens scellèrent une plaque sur le sommet du volcan afin d’être prêt au cas où il émergerait.
Cependant, en 2017, aucune activité volcanique n'était enregistrée et le sommet plafonnait toujours à 7,50 m sous le niveau de la mer.
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