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L’aqueduc Saint-Clément (dit des Arceaux), à Montpellier

28 novembre 2024 Paru dans le N°476 à la page 69 ( mots)

L’approvisionnement en eau a toujours déterminé l’histoire de l’urbanisation et du développement des territoires, notamment dans les zones où la rareté de cette ressource constitue une priorité, comme dans les régions au climat méditerranéen. À Montpellier, l’aqueduc Saint-Clément, communément appelé aqueduc des Arceaux, a été érigé au XVIII? siècle pour assurer cette fonction vitale.

Monument emblématique de la ville de Montpellier, cet ouvrage impressionnant construit entre 1753 et 1765 relie la source du Boulidou, située à SaintClément-de-Rivière, au château d’eau du Peyrou, une autre fierté architecturale de la ville. Près de trois siècles après sa construction, cet aqueduc laisse encore aujourd’hui la trace d’un héritage durable dans le paysage urbain et culturel de la ville.

UNE VILLE EN QUÊTE D’EAU

Vue générale de Montpellier, lithographie, 1835. 

Aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, la ville de Montpellier, mue par son dynamisme commercial et réputée pour ses universités, notamment en médecine, attire de plus en plus d’habitants et de visiteurs. Dans ce contexte d’expansion, les sources locales, comme celle de Saint-Lazare, qui alimentaient jusqu’alors les fontaines publiques et répondaient à certains besoins domestiques, sont rapidement devenues insuffisantes face à l’accroissement de la population. Les périodes estivales, souvent synonymes de sécheresses importantes, renforçaient encore un peu plus cette tension hydrique.

Pour répondre à ces problématiques, les Consuls de Montpellier ont approuvé en 1751 un projet ambitieux visant à assurer un approvisionnement en eau suffisant pour les habitants, en canalisant les eaux de la source du Boulidou, à 14 kilomètres au nord, et ce jusqu’au cœur de la ville. En 1753, après des années de débats et de préparation, les travaux ont enfin débuté sous la supervision de l’ingénieur Henri Pitot, Directeur des travaux publics du Languedoc depuis 1740. Notamment célèbre pour son invention du tube de Pitot (un dispositif utilisé pour mesurer la vitesse des fluides), il conçoit ce projet aux dimensions impressionnantes, dont les travaux dureront douze ans.

LES ARCEAUX, DES ÉLÉMENTS ESTHÉTIQUES ET FONCTIONNELS

L’Aqueduc et les jardins du Peyrou, carte postale de 1900. 

Le projet de l’aqueduc Saint-Clément avait vocation à répondre à des enjeux multiples, à commencer par celui de transporter l’eau sur une distance importante, mais aussi traverser les reliefs dangereux de la région, et fournir un débit constant et suffisant à la ville. La solution adoptée est celle d’un aqueduc à ciel ouvert, combinant des canaux souterrains et des structures en hauteur pour franchir les vallées et dénivellations. Au fil des 14 kilomètres du tracé, la section la plus célèbre est celle située dans le quartier des Arceaux, à l’entrée ouest de Montpellier. La double rangée d’arches, achevée en 1765, est constituée de deux niveaux d’arches superposées, permettant de suivre le tracé tout en maintenant une pente régulière pour l’écoulement de l’eau. 

Sur cette portion de l’aqueduc, la structure mesure près de 800 mètres de long, avec des arches atteignant jusqu’à 22 mètres de hauteur. La conception et l’aspect de l’aqueduc rappellent les ouvrages de la Rome antique, tels que le Pont du Gard, dont Henri Pitot s’est directement inspiré, tout en s’adaptant aux contraintes de l’époque et aux spécificités locales. Quant aux matériaux utilisés, l’aqueduc est construit avec des pierres de taille provenant des carrières locales, ce qui permet de garantir la solidité tout en veillant à son aspect esthétique. L’ingéniosité de l’aqueduc réside dans la précision des calculs, assurant un débit maîtrisé et constant. 

Vue aérienne de l’aqueduc et du château d’eau du Peyrou. 

La pente, ajustée à moins de 1%, permet à l’eau de couler naturellement sans stagnation ni débordement. En moyenne, l’aqueduc pouvait transporter plusieurs centaines de mètres cubes d’eau par jour, soit un véritable défi technique pour l’époque. L’eau acheminée par l’aqueduc aboutissait au château d’eau du Peyrou, une magnifique structure conçue pour stocker l’eau et la redistribuer vers les fontaines publiques de la ville. Situé au cœur des jardins du Peyrou, ce château d’eau peut lui-même être considéré comme un ouvrage d'art, avec ses colonnades et sa situation dominante offrant une vue panoramique sur les environs.

UN OUVRAGE CHAMBOULÉ AU XIXᵉ SIÈCLE

À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, l’aqueduc Saint-Clément n’est plus en mesure d’assurer sa fonction première. L’industrialisation et les progrès réalisés en matière d’ingénierie hydraulique rendent possible la mise en place de réseaux souterrains plus modernes et efficaces. Dans les années 1860, un prolongement vers les sources du Lez est réalisé, avant l’arrivée dans les années 1930 d’une nouvelle conduite entièrement souterraine, appelée «la Mille», qui double l’aqueduc depuis la source du Lez jusqu’à Montpellier. 

L’aqueduc photographié en 2020. 

Bien que ne «remplissant» plus sa fonction initiale, l’aqueduc reste toutefois profondément ancré dans l’identité et l’histoire de la ville de Montpellier. Dans le quartier des Arceaux, ses abords sont devenus un lieu de vie et de rassemblement. Chaque semaine, un marché se tient sous ses arches, attirant de nombreux producteurs locaux; le monument sert également de décor à des événements culturels et artistiques, tels que des jeux de lumières projetés sur sa façade.

UN HÉRITAGE DURABLE QUI DOIT ÊTRE ENTRETENU

Si l’aqueduc Saint-Clément peut encore être admiré aujourd’hui, un soin tout particulier devra y être apporté afin qu’il puisse continuer à marquer les générations futures : l’ouvrage requiert des travaux de rénovation et d’entretien importants et réguliers, à la mesure des efforts qui ont été entrepris pour le faire sortir de terre il y a trois siècles. À partir des années 1980, l’ouvrage a progressivement cessé d’être entretenu correctement, plusieurs tronçons se retrouvant par ailleurs menacés par l’urbanisation accélérée de la ville. 

Depuis la fin de son exploitation en 1983, l’aqueduc s’est en effet dégradé ou a été obstrué à différents endroits, sous les effets cumulés de l’usure du temps, de la nature, et parfois de dégradations causées par l’Homme. Soucieux de le préserver autant que possible, des bénévoles ont commencé à remettre en état ses environs et ses voies d’accès dans les années 1990, afin de lui redonner sa visibilité initiale. Sur certaines portions, la majorité du parcours était recouvert par la végétation. Fort heureusement, le célèbre pont «Arceaux de la Lironde», a pu quant à lui être inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1994. 

Au-delà de sa seule dimension historique, l’aqueduc Saint-Clément constitue un modèle de durabilité, tant par sa longévité que par sa capacité à magnifier le paysage sans le dégrader. Cet ouvrage d’inspiration antique garde ainsi tout son sens dans un début de XXIe siècle marqué par les bouleversements climatiques et l’intensification des sécheresses, et met en lumière les efforts déployés par les générations précédentes pour acheminer l’eau.