Lors des travaux de terrassement et de construction, l’eau constitue généralement une gêne, voire un obstacle contre lequel il est difficile de lutter. L’eau s’écoule à la surface du sol (l’eau est alors l’objet d’étude de l’hydrologie) et à l’intérieur du sol (elle est l’objet d’étude de l’hydrogéologie). Dans cet article, Christian Archambault et Francis Bardot s’intéressent exclusivement à l’hydrogéologie, en retraçant d’abord le cycle naturel de l’eau. Ils décrivent ainsi cette eau en circulation permanente, depuis des milliards d’années, entre ciel et terre. Puis, les deux auteurs nous présentent grâce à un bref rappel historique l’hydrogéologie française, une science qui s’est développée, dans son acception moderne, à la fin du siècle dernier en même temps que l’essor de la gestion des ressources d’eau (réalimentation des nappes, bassin versant...). Enfin, Christian Archambault et Francis Bardot exposent les lois d’écoulement de l’eau dans le sol, en s’intéressant notamment aux mesures de la perméabilité ou aux propriétés des sols vis-à-vis de l’eau.
« L’eau coule de ville en ville, les bateaux la labourent, elle rend la terre fertile et, sous le soleil brûlant, tu te jettes dans ses bras et elle apaise ta soif. Elle sait aussi tuer avec une sûreté infaillible. Insaisissable et changeante, l’eau est à l’image de la vie : elle est cruelle comme elle et enchanteresse comme elle » ¹.
¹ La création du monde, Jean d’Ormesson.
Les techniques de captage mises en œuvre
Les techniques de captage de l’eau amie
L’homme s’est toujours installé là où il y avait de l’eau disponible en permanence, que ce soit en surface ou dans le sol, autour de « points d’eau » naturels ou créés par lui. Il a commencé par utiliser les sources et les résurgences naturelles. Puis, il a cherché et capté l’eau souterraine. Il a aménagé de simples puits creusés à la main dans la nappe phréatique (ou nappe des « puits ») immédiatement accessible et peu profonde. Au cours des millénaires, il a appris à maîtriser les eaux de ces nappes avec le creusement de galeries drainantes, amenant l’eau souterraine vers la surface au niveau des champs ainsi irrigués de manière gravitaire, et autorisant le développement de l’agriculture (spécialement dans les zones arides et semi-arides) et l’apparition de civilisations avancées.
Ce n’est que tardivement, au XIXe siècle, dans les temps modernes, que les techniques de forage actuelles ont fait leur apparition et ont permis de faire appel aux nappes d’eau quelle que soit la profondeur à atteindre : nappes phréatiques de surface et nappes plus profondes libres ou captives (c’est-à-dire en charge sous d’importants terrains de recouvrement peu perméables). Et ceci est devenu réalisable quelle que soit la nature des terrains à traverser pour trouver la zone aquifère. Grâce à la maîtrise de l’énergie, il est devenu possible d’exécuter de tels ouvrages de captage sophistiqués, mais également de mettre en œuvre des systèmes de pompage performants (pompes à axe vertical puis pompes immergées électriques), ce qui était inimaginable et impossible autrefois.
Demain, grâce à la maîtrise croissante des techniques et surtout avec la baisse du coût de l’énergie, le dessalement de l’eau de mer apportera certainement une solution pour satisfaire les besoins en eau dans de très nombreuses régions arides ou semi-arides du globe, en complément ou en remplacement de ressources en eau souterraine ou de surface insuffisantes ou inexistantes. Il est, en outre, fort probable que l’augmentation constante des rendements favorisera l’utilisation de l’énergie solaire pour dessaler l’eau de mer, opération très énergivore, et que les régions arides de bord de mer seront alors privilégiées.
Les techniques de captage anciennes : puits manuels et khettaras
En Afrique, on prélève encore parfois l’eau domestique à la mare voisine dans certaines régions pauvres. De tout temps, l’eau de surface a été utilisée par l’homme. Ce n’est que lorsqu’il s’est sédentarisé qu’il a commencé à utiliser l’eau souterraine pour les usages domestiques puis pour l’agriculture… il y a environ 10 000 ans.
Les puits d’eau
De simples puits creusés à la main permettaient d’avoir recours aux ressources d’eau souterraine, généralement pérennes, des nappes phréatiques.
Le monde rural continue de réaliser de tels ouvrages sommaires dans les pays les moins développés.
Creuser un puits sur le terrain avec une pelle et une pioche est la technique la plus simple et la plus ancienne. C’est aussi la plus fatigante mais la moins coûteuse et souvent la seule financièrement accessible aux populations rurales qui vivent essentiellement de l’agriculture. Elle nécessite que le sol soit relativement meuble et la nappe phréatique peu profonde. Ces puits sont souvent bordés par des pierres pour les renforcer et les empêcher de s’effondrer, mais ils sont aussi parfois cuvelés avec des anneaux de béton coulés en place au fond du puits ou préfabriqués sur place avec des moules.
Les puits creusés ne sont pas très profonds : entre 5 et 20 m le plus souvent, exceptionnellement 30 à 40 m. Certains ouvrages atteignent même parfois la profondeur de 100 m, ce qui représente de réels exploits encore réalisés par des « puisatiers » dans certaines régions (Maroc, pays du Sahel…) ; la plus importante difficulté réside dans l’aération en fond de puits durant le creusement (air comprimé envoyé au fond). Les diamètres sont de l’ordre de 1,20 à 2 m, de sorte que les puisatiers puissent descendre et manœuvrer au fond du puits.
On continue de créer ce type d’ouvrages, mais on utilise désormais des moyens moins rustiques (treuils, explosifs et marteaux-piqueurs) de creusement pour diminuer les efforts physiques importants.
L’eau peut être prélevée selon les moyens traditionnels par simple puisage à l’aide de seaux au bout d’une corde manœuvrée manuellement, avec ou sans poulie ou treuil, parfois par traction animale. Le fait de pouvoir puiser l’eau avec un simple seau fait souvent préférer ces puits de grand diamètre aux forages modernes dont la section limitée n’autorise que le pompage à l’aide de pompes manuelles ou entraînées mécaniquement. Ceci sans oublier la fonction sociale du point d’eau autour duquel se réunissent les villageois, ou plutôt les villageoises… si l’on maintient l’exhaure traditionnelle de l’eau dans un puits !
Les khettaras ou galeries drainantes
La technique des galeries drainantes a donc permis de maîtriser les eaux de manière plus élaborée depuis les temps immémoriaux.
On les appelle qanats ou Khettaras, galeries drainantes souterraines qui captent l’eau des nappes et l’amènent au niveau du sol plus loin en aval.
Terrain et nappe ont des pentes en général à peu près identiques, de l’ordre de 0,1 à 1 %. La pente de la galerie drainante doit être inférieure à celle du toit de la nappe et la galerie doit donc pénétrer dans celle-ci pour pouvoir capter l’eau. Il s’agit de creuser une galerie souterraine qui, par simple effet de gravité, prélève les eaux de la nappe phréatique et les conduit jusque dans les périmètres de culture, parfois à des distances très importantes puisque certaines galeries ont une longueur de 10 à 20 kilomètres, voire bien davantage.
Il s’agit d’une technique ancestrale d’irrigation, particulièrement utilisée depuis des millénaires pour irriguer les oasis. Elle nécessite le creusement de puits intermédiaires (tous les 10 à 50 m) qui permettent l’accès et l’évacuation des matériaux durant la réalisation de ces importantes constructions souterraines, dans lesquelles on doit en outre pouvoir ensuite circuler pour l’entretien. La profondeur est de quelques mètres, et elle atteint rarement la dizaine de mètres. Les déblais sont laissés sur place autour des puits d’accès. Une piste longe la khettara.
Cette technique des khettaras est considérée comme l’un des plus vieux systèmes de gestion des eaux de culture, puisqu’on fait remonter ses origines à la Perse antique (Babylone), il y a plus de 3 000 ans, et même sans doute au VIe millénaire avant notre ère.
En Afghanistan on les appelle « kiraz », en Iran « quanat », au Yemen « aflaj », en Chine « karez », en Syrie « kanawat », plus près de nous en Algérie on les nomme « foggara », et au Maroc « khettara » (Marrakech).
Des débits importants pouvaient être ainsi véhiculés vers des territoires mis en culture avec de l’eau parvenant gravitairement, sans pompage, dans les champs, les jardins et les palmeraies.
De grandes civilisations successives se sont développées grâce à cet ingénieux système d’irrigation dans les régions arides ou semi-arides.
La figure 10 ci-avant illustre le fonctionnement d’une khettara classique.
Ce système est toujours utilisé. Mais il est désormais souvent en concurrence avec les techniques actuelles de captage par forages qui, en surexploitant les nappes d’eau et en rabattant fortement la surface, assèchent complètement ces galeries drainantes d’autrefois. Les khettaras sont alors abandonnées. Ce phénomène se généralise partout. Seuls demeurent alors le long de ces ouvrages les puits d’accès, secs, et les pistes qui les desservaient et qui sont transformées en routes modernes.
Les techniques de captage modernes : forages et… puits
À noter que les hydrogéologues utilisent en général le terme de puits pour des ouvrages de captage de grand diamètre et relativement peu profonds, réalisés à la main ou à la benne preneuse, et cuvelés en béton. Le terme de forage est plutôt réservé aux ouvrages de captage ou de recherche d’eau, réalisés « en aveugle », à l’aide d’instruments travaillant en profondeur hors la vue du foreur, et équipés en acier ou en PVC.
Avec la mise en œuvre des moyens mécaniques modernes, les techniques de forage sont devenues de plus en plus performantes, et autorisent la recherche et l’exploitation de tous types de nappes, et en particulier des nappes profondes, autrefois inconnues et inaccessibles. Ceci a représenté une avancée extraordinaire dans l’approche de la gestion de l’eau souterraine partout dans le monde.
Le fameux « puits de Grenelle » a été réalisé avenue de Breteuil à Paris, au milieu du XIXe siècle. Il a été le premier « forage » à atteindre, à 600 mètres de profondeur, la nappe captive des sables albiens. L’eau artésienne jaillit le 28 février 1841 avec une forte pression (jet de plus de 40 m de haut) et à un débit important (5 000 m3/jour) d’une eau très douce à 28 °C (le gradient géothermique est d’environ 3 °C pour 100 m).
Depuis cette époque, les recherches d’eaux profondes ne se sont jamais arrêtées. Aujourd’hui, on découvre encore des aquifères profonds importants, même si cela devient de plus en plus rare !
La géothermie profonde sollicite de plus en plus les nappes d’eaux chaudes, profondes et souvent très salées, donc corrosives et difficiles à exploiter (70 °C du Dogger du bassin parisien, et des températures parfois encore beaucoup plus importantes à plus grande profondeur). La demande très forte en doublets de forages géothermiques profonds a toutefois diminué ; de même que celle des plus petites installations domestiques de géothermie de surface. La baisse du prix de l’énergie a fortement ralenti la demande de ces techniques peu polluantes en CO2.
Les diverses techniques de captage d’eau modernes
Voici ci-contre (figure 11) la coupe théorique d’un de ces forages d’eau peu profonds (quelques dizaines de mètres), tels qu’on les réalise habituellement si on respecte les règles de l’art, et qui représente le mode de forage de captage d’eau le plus répandu.
Les techniques de captage d’eau actuelles sont essentiellement :
- pour les forages profonds et très profonds : technique du rotary à la boue (rotation d’un train de tiges avec un tricône), dans tous types de terrains ;
- pour les forages moins profonds en terrains durs : foration au battage-soupape, au trépan (percussion au bout d’un câble) ;
- pour les forages peu profonds en terrains tendres : creusement à la benne preneuse (Benoto : tubage provisoire en acier), à la tarière.
Citons aussi :
- les « pointes filtrantes » constituées de tubes métalliques crépinés (avec ouvertures pour le passage de l’eau) à leur base, de petit diamètre et de faible profondeur, sont mises en place par percussion ou par lançage hydraulique ;
- les puits « havés » de quelque 5 à 30 m de profondeur : de lourds cuvelages en béton armé coulés sur place (voire parfois des buses préfabriquées) sont descendus par havage (on affouille le terrain au fond et au milieu des parois en béton, à l’aide d’une benne) dans les terrains meubles (alluvions), des ouvertures (barbacanes) sont aménagées dans la paroi du cuvelage ;
- la technique des puits à drains rayonnants : des drains horizontaux peuvent être foncés, depuis l’intérieur vers l’extérieur du cuvelage havé en béton ;
- la technique récente du marteau « fond de trou » qui a singulièrement modifié la recherche et la mise en exploitation des ressources en eau peu profonde partout dans le monde depuis quelques décennies.
Parmi ces diverses techniques, et à titre d’illustration, deux types de captages d’eau sont exposés ci-après : le forage au « marteau fond de trou » désormais très répandu partout dans le monde, et les puits à drains rayonnants exploitant les ressources des nappes alluviales à des débits importants.
Les autres techniques de forages d’eau modernes mais plus classiques sont toujours utilisées et elles demeurent toutes indispensables car adaptées aux conditions hydrogéologiques locales et au but recherché.
Le forage au « marteau fond de trou » en tous terrains et hydraulique villageoise
Depuis les années 1975-1980, le développement de la technique dite du marteau fond de trou a permis la réalisation de forages en petit diamètre (de 4 à 6 pouces équipés de tubages en PVC) qui s’est généralisée.
Cette technique de forage utilise l’air comprimé (des dizaines de m³/h, sous des pressions de 5 à 30 bars) mettant en œuvre de gros compresseurs.
L’air comprimé alimente une sorte de perforateur (marteau) qui percute le terrain au fond du « trou », et qui réduit la roche en poudre. La poudre est évacuée vers l’extérieur du trou en transitant dans l’ « espace annulaire » situé à l’extrados de la tige (constituée d’éléments métalliques filetés) qui a véhiculé l’air comprimé vers le marteau. L’air sert donc à actionner le marteau perforateur, puis à évacuer hors du trou les débris des terrains traversés. L’intérêt de cette méthode très performante réside en grande partie dans le fait que dès que l’on atteint la nappe d’eau, le foreur en est informé car l’eau est évacuée avec les « cuttings » (débris de roches) ; et quand l’eau sort du « trou » en abondance, on peut arrêter (ou poursuivre encore) la foration : le but est atteint.
Il s’agit de la seule méthode qui permette de connaître le débit d’un forage avant de l’arrêter. Les autres méthodes obligent à arrêter la foration puis à procéder à l’équipement (tubage définitif) du forage, et enfin à contrôler ensuite les capacités de l’ouvrage à l’aide d’un pompage d’essai. En cas d’insuccès, la reprise pour approfondissement du forage ainsi testé et équipé n’est plus guère possible. Ceci explique le succès de ce type de forage.
Ces forages au « marteau fond de trou » sont également réalisés dans des diamètres beaucoup plus importants et à des profondeurs considérables permettant de capter de forts débits dans des aquifères profonds.
Ces forages, de quelques dizaines de mètres de profondeur, peuvent être réalisés en une journée, et sont relativement très peu onéreux. Ils remplacent désormais les puits creusés à la main d’autrefois, dans nos campagnes de pays avancés (dans nos fermes en particulier) mais aussi partout dans le monde, aussi bien pour satisfaire les besoins en eau potable que ceux industriels et agricoles.
Ils sont utilisés non seulement dans des terrains cohérents mais aussi en terrain meuble (ils sont alors provisoirement tubés en tête).
Dans les pays en voie de développement, ils ont fait et font l’objet de campagnes de plusieurs centaines et parfois de milliers d’ouvrages, financées par les organismes internationaux ou dans le cadre de l’aide bilatérale entre États. C’est ce que l’on a appelé l’« hydraulique villageoise », qui a permis de fournir de l’eau saine à de très nombreux villages en milieu rural, en toute saison. Le départ de cette véritable révolution s’est fait en Afrique.
Seuls les moyens de pompage modernes sont utilisés pour l’extraction de l’eau dans ces ouvrages de faible diamètre qui interdisent le puisage de l’eau avec un seau : ce sont généralement des pompes à main, parfois des pompes à moteur thermique ou électrique, et de plus en plus des pompes mettant en œuvre l’énergie électrique d’origine solaire grâce à des panneaux photovoltaïques.
Ces forages permettent de fournir une eau de nappe généralement satisfaisante au plan sanitaire. L’eau ainsi fournie pour les besoins domestiques peut par ailleurs être suffisamment abondante pour permettre d’irriguer des jardins maraîchers essentiels à l’économie locale.
Les puits à drains rayonnants en milieu alluvionnaire
On peut évoquer une technique extrêmement performante en milieu aquifère alluvial puissant pour capter des débits très importants.
Les puits à drains rayonnants permettent en effet l’exhaure de centaines de m³/h, et parfois de milliers de m³/h dans les nappes alluviales d’accompagnement de grands fleuves.
Ils sont peu connus, d’un coût élevé mais d’une durée de vie extrêmement importante car peu sensibles au colmatage et aisément décolmatés en cas de colmatage. Leur usage est réservé aux très gros consommateurs d’eau, industriels et syndicats d’alimentation en eau potable, à condition d’être situés en bordure de rivières accompagnées de puissantes nappes alluviales. Ci-dessus (figure 13) est donné l’exemple d’un tel ouvrage, réalisé en bordure du Rhône, avec sa coupe technique et la courbe caractéristique du pompage d’essai sur cet ouvrage.
Le captage des eaux souterraines en milieu alluvionnaire par puits à drains rayonnants permet donc d’obtenir des débits considérables ponctuellement. Cette technique a permis de satisfaire, grâce à plus de 500 ouvrages réalisés en France, de nombreuses agglomérations importantes. L’exemple présenté est celui de la Voulte-sur-Rhône (Ardèche). La technique a été développée aux États-Unis. La ville de New Delhi est alimentée par de tels puits avec des cuvelages de dimensions considérables.
Un puits à drains est constitué d’un cuvelage en béton armé de 10 à 20 m de profondeur, d’au moins 3 m de diamètre intérieur et de 3,80 m de diamètre extérieur. À partir de ce cuvelage, on fonce des drains horizontaux en acier inoxydable de 200 ou 300 mm de diamètre, sur des longueurs de quelques dizaines de mètres, à l’aide de presses hydrauliques puissantes.
Les avantages du puits à drains rayonnants horizontaux sont :
- • des rendements hydrauliques considérables ;
- • une durée de vie très importante ;
- • une possibilité de capter, sur un front de nappe étendu, des horizons parfois peu épais, en profondeur.
La régénération de ces ouvrages s’effectue très aisément à partir de méthodes bien éprouvées et, en général, l’éventuel colmatage des drains n’intervient que tardivement, du fait d’une très forte surface de captage et donc d’une faible vitesse de l’eau à travers les ouvertures des drains (ce qui limite la turbulence et le déséquilibre physico-chimique de l’eau, et donc le dépôt de sels et le colmatage). En outre, les traitements de ces ouvrages permettent habituellement de restituer le débit d’origine.
Les techniques de captage de l’eau ennemie
Le drainage agricole et le drainage des talus
La mise en valeur des terres agricoles et leur entretien nécessitent souvent un drainage des sols, dans la mesure où il ne se fait pas de manière naturelle. Le drainage ne consiste pas seulement à évacuer les excès d’eau dans les sols, mais également, lorsque l’on irrigue, à extraire les sels qui s’accumulent sur place alors que l’eau disparaît du fait de l’évapotranspiration. Ceci est d’une importance extrême dès lors que l’on irrigue en abondance, avec des eaux qui sont toujours chargées d’une quantité minima de sels dissous, et plus particulièrement dans les régions les plus chaudes du globe.
Le drainage a toujours été pratiqué, pour évacuer l’eau trop abondante et à ce titre « ennemie » de l’agriculteur, mais aussi pour drainer le sel et donc les eaux salées qui sont de bien pires « ennemies » encore de l’agriculteur. Les sels dissous dans les eaux d’irrigation proviennent du lessivage des sols et des roches sur lesquels ou dans lesquels l’eau circule avant d’être mobilisée pour l’irrigation. Sur les continents, il n’existe pratiquement pas d’eau totalement exempte de sels (même l’eau de pluie contient des sels mobilisés avec des embruns d’eau de mer entraînés par les nuages).
Les drains étaient autrefois mis en place au fond de tranchées creusées manuellement ou avec le soc de la charrue derrière un animal de trait. Les tranchées étaient équipées à leur base d’éléments tubulaires poreux ou ajourés, en terre cuite ou en grès, ou bien elles étaient remblayées partiellement par des matériaux perméables (gravier sableux). On procédait ensuite au comblement des tranchées avec les matériaux extraits des tranchées.
Dans les temps modernes, le principe reste le même, mais le terrassement des tranchées est réalisé à l’aide d’engins mécaniques, et le drainage est souvent plus profond, donc plus efficace. Les drains sont davantage espacés car le rayon d’action de chaque drain augmente avec la profondeur. Ils sont équipés de tubes annelés en PVC ajouré de quelques centimètres de diamètre.
La protection anti-contaminante parfois préconisée (avec un matériau du genre tissu non tissé), au-dessus ou autour des drains, est peu recommandée car elle est en fait rapidement colmatée par les fines qu’elle est censée retenir, et elle devient alors un film imperméable, ce qui n’était évidemment pas le but recherché.
L’eau des terres ainsi drainées est dirigée gravitairement vers les points bas alentour, dans la mesure où la topographie l’autorise, pour être évacuée vers les fossés et ruisseaux. Parfois, dans les zones marécageuses plates, il faut procéder par relevage de l’eau de drainage vers un exutoire extérieur.
Le drainage des terres irriguées a parfois été négligé, entraînant l’accumulation des sels (contenus dans toutes les eaux d’irrigation) dans les champs et dans les nappes phréatiques, et provoquant de véritables catastrophes avec la stérilisation progressive des terres agricoles. Les sels emportés par les eaux d’irrigation doivent être évacués à l’aval vers les rivières. Il faut laisser à celles-ci un « débit sanitaire » minimum, de sorte qu’un flux suffisant d’eau puisse véhiculer les sels dissous jusqu’à la mer et les éliminer définitivement.
Ainsi, lors de très grands projets de la fin du XXe siècle, cette évidence n’a pas été suffisamment prise en compte, et les terres irriguées à partir de l’eau de barrages, même récents, ont été peu à peu envahies par les sels et sont devenues peu productives voire stériles. Ce fut le cas bien connu de certaines parties de la vallée du Nil, à l’aval du barrage d’Assouan. Le lessivage de ces terres, autrefois fertiles, a dû être effectué après coup, une fois le mal fait, avec la mise en place tardive d’un système de drainage performant pour évacuer les sels et les eaux chargées de ces sels.
Le retour à la situation antérieure est toujours très long, plus long que ne l’aura été la période de contamination et d’accumulation de ces sels nocifs. La réhabilitation est plus longue que le temps de la pollution. Il y a encore, dans le monde, d’immenses secteurs irrigués pour lesquels la prise de conscience ne s’est toujours pas faite et où on continue de stériliser chaque année davantage sols et nappes. Le retour à un état d’origine demandera parfois plusieurs décennies, et il restera toujours des traces des effets dommageables de ce type de pollution irraisonnée.
Les murs des constructions doivent être également protégés des eaux de ruissellement. Les sous-sols doivent aussi être parfois mis à l’abri de possibles remontées d’eau de nappe. Les mêmes dispositifs de drainage que ci-dessus sont alors employés. Des normes précises ont été mises au point par les organismes concernés au sein des professions du bâtiment. Elles n’excluent pas, bien entendu, le recours à des spécialistes hydrogéologues et géotechniciens pour toutes les situations particulières et pour les opérations importantes. Il en est de même pour les travaux de génie civil complexes.
Le drainage des talus et déblais est, en particulier, parfois nécessaire pour éviter des glissements de terrains gorgés d’eau. Ainsi, lors des travaux routiers, on crée des tranchées importantes pour ouvrir une route ou une autoroute, spécialement en zone montagneuse. Il y a lieu de pratiquer le drainage de ces nouveaux talus, souvent instables, à titre préventif, pour éviter des glissements de terrain (comme nous le montrerons dans la troisième partie de cet article). Étant donné la topographie des lieux la réalisation de drains forés s’impose souvent. On exécute alors des drains subhorizontaux (pente de 1 à 5 %), forés selon la technique du marteau fond de trou avec tubage provisoire à l’avancement pour maintenir le trou ouvert dans les terrains instables traversés ; ou à l’aide de techniques de forage comparables. L’équipement du forage se fait à l’aide de tubes en PVC crépinés de faible diamètre. Les autoroutes alpines ont effectué de nombreux talus qui ont pu être stabilisés de cette façon, avec des milliers de mètres de drains ainsi mis en place, en particulier dans des formations glaciaires puissantes et toujours très hétérogènes. Le colmatage de ce type de drains est peu fréquent dans la mesure où on évite d’entourer les tubes des drains en PVC de ces matériaux soi-disant anti-contaminants mais qui, en fait, se colmatent très rapidement avec les fines du terrain (et avec les dépôts de carbonates) et qui deviennent alors rapidement imperméables ; le drainage devient inefficace et le talus glisse… alors qu’on le croyait définitivement stabilisé et qu’on ne le surveillait plus guère alors.
Les divers procédés de rabattement de nappe
Les pointes filtrantes
Le long de tranchées réalisées en particulier en milieu urbain pour passer câbles et canalisations, il y a lieu de travailler au sec en fond de fouille et donc de pomper l’eau si la nappe est présente. Dans les terrains peu cohérents, le simple pompage est interdit car les parois ne seraient pas stables, sauf à réaliser des parois coûteuses. Il faut donc rabattre la nappe alentour. Dans les terrains peu perméables, le rayon d’action d’un ouvrage de captage est très limité (quelques mètres), ce qui oblige à multiplier le nombre de ces ouvrages et à les rapprocher de la future tranchée, et les débits pompés sont faibles.
La formule la plus adaptée consiste alors à réaliser de nombreux petits forages de faible diamètre (2 pouces en général) et peu profonds (5 à 10 m), la seule base du tube en acier étant crépinée (sur au moins 1 m). Ces petits forages sont mis en place de part et d’autre de la tranchée, et parfois sur un seul côté. C’est la technique dite des « pointes filtrantes », parfaitement adaptée aux sols fins et peu perméables pour des tranchées pouvant atteindre 4 à 5 m, voire 6 m de profondeur, en consolidant les sols fins ainsi asséchés.
Les pointes filtrantes doivent rabattre la nappe au-delà du fond de la tranchée, et leur profondeur doit donc dépasser de quelques mètres celle de la tranchée. Ces pointes filtrantes sont mises en place très rapidement par lançage hydraulique.
Une pompe de surface unique permet de prélever l’eau de l’ensemble des pointes par aspiration. Les débits en jeu sont peu importants (quelques m3/h), les terrains concernés ayant une faible perméabilité. L’extraction des pointes en fin de chantier est également très rapide. Les pointes sont souvent réutilisables.
Les tranchées drainantes
Un rabattement par tranchées drainantes est envisageable lorsque les terrains recoupés sont suffisamment cohérents, et qu’ils sont peu ou très peu perméables, et lorsque la profondeur de la tranchée est assez faible (3 à 4 m au maximum). Un drain est déposé au fond de la tranchée et recouvert d’un matériau drainant. Une pompe à vide est reliée au drain.
On peut également utiliser cette technique des tranchées drainantes pour des rabattements dans des fouilles de grande surface, même pour rabattre dans des formations plus perméables, ou même très perméables comme des alluvions graveleuses, pour obtenir des rabattements peu importants de l’ordre de 0,50 m à 1 m, voire davantage. Les parois des tranchées (provisoires) ont tendance à s’effondrer, ce qui n’est pas un handicap si on a de la place pour travailler, et que l’on procède rapidement à leur équipement (mise en place d’un drain en PVC), puis au remblaiement des tranchées. Les débits peuvent être importants (des dizaines et même centaines de m3/h), ce qui n’est pas une difficulté si on a des pompes d’épuisement adaptées mises en place dans des puisards en fond de fouille récupérant l’eau à l’extrémité des drains. L’intérêt de la méthode est double : d’une part, elle est rapide et très facile à mettre en œuvre ; et d’autre part, on peut recommencer l’opération sur le nouveau fond de fouille obtenu et asséché après le premier terrassement, et rabattre à nouveau plus bas sur une hauteur de 0,50 à 1 m. De telles opérations ont été menées avec succès dans des terrains très perméables en trois phases successives, permettant de rabattre l’eau en fond de fouille sur 1 à 2 m, avec des débits de plusieurs centaines de m3/h. Lorsqu’elle est possible techniquement, la mise en œuvre de cette méthode très rapide s’avère très compétitive dans les alluvions très perméables.
Les pompages par forages
Mais, d’une manière générale, les rabattements importants, surtout en milieu urbain, demandent la mise en œuvre d’une autre technique pour les ouvrages de génie civil et pour la construction de bâtiments importants avec sous-sols, particulièrement dans les formations très perméables, comme les alluvions. Nous présenterons dans la troisième partie de cet article, l’exemple des fouilles profondes dans la ville de Lyon.
On peut en effet procéder par pompage dans des forages de forts diamètres (de 200 à 600 mm) à l’aide de puissantes pompes immergées. Ces forages sont souvent exécutés préalablement à tous les autres travaux, et en principe avant tout terrassement. L’entreprise de forages précède tous les autres intervenants sur ce type de chantiers.
Les hauteurs de rabattement sont fréquemment de plusieurs mètres, mais elles peuvent être de plusieurs dizaines de mètres. Et les débits exhaurés atteignent des centaines et même des milliers de m3/h. Ce sont souvent des opérations importantes.
Le nombre et la disposition des forages sont calculés de sorte que le rabattement soit suffisant en fond de fouille, et que l’on n’entraîne pas de fines (avec un risque de déstabilisation du terrain, et un risque pour les installations ou égouts qui recevront les eaux exhaurées).
De même, il faut veiller à ce que les avoisinants ne subissent pas les effets néfastes du rabattement (ne pas assécher les forages des voisins et ne pas provoquer des tassements), et que les coûts de rejet ne soient pas prohibitifs (taxes locales de rejet à l’égout, taxes de prélèvement par les agences de l’eau).
Ceci amène souvent à réaliser des enceintes étanches autour de la fouille (comme nous le montrerons dans la troisième partie de cet article), ou à en modifier la géométrie lorsqu’elles sont nécessaires par ailleurs, de sorte que les débits prélevés à l’intérieur de la fouille soient limités. L’idéal est alors de pouvoir réaliser ces enceintes (parois moulées) sur toute la hauteur de l’aquifère jusqu’au niveau de base moins perméable inférieur s’il n’est pas trop profond !
Dans ce cas, on peut également réaliser des forages de réinjection à la nappe à l’extérieur de l’enceinte étanche, et restituer à la nappe l’eau préalablement pompée à l’intérieur de la fouille. Ceci permet d’éviter de « consommer » de l’eau inutilement, l’eau étant seulement recyclée. Un inconvénient majeur est que les parkings et caves des immeubles voisins peuvent être inondés, car on crée un « cône d’injection » qui correspond à une remontée locale de la nappe pouvant provoquer un ennoyage des soussols des voisins.
Pour prévenir ces diverses difficultés, et pour définir la meilleure formule de rabattement de nappe par forages, il faut impérativement effectuer une étude hydrogéologique préalable, éventuellement accompagnée de forages d’essai préliminaires, et en intégrant les divers paramètres relatifs au voisinage, ce qui n’est pas toujours aisé ni bien perçu.
(Dans la troisième partie de cet article - à lire dans le prochain numéro - les deux auteurs pré- senteront les sinistres ou dysfonctionnements liés à l’hydrogéologie)