C’est un avatar du rêve américain. L’histoire bien improbable d’une cuvette désertique devenue par accident l’une des stations balnéaires les plus riches et les plus prisées de Californie avant de se muer en l’un des pires désastres écologiques des États-Unis.
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Jusqu’au début du 20ème siècle, la cuvette de Salton, entièrement asséchée, n’est qu’une simple expression géographique. Car si l’on en croit les géologues, son origine découle d’une ancienne expansion du golfe de Californie que le développement du delta du Colorado aurait peu à peu comblé. Sans les sédiments charriés par le Colorado depuis plus d’un million d’années, l’océan serait déjà là. Sous un climat humide, cette vaste dépression aurait été occupée tout entière par une mer intérieure. Mais l’évaporation intense résultant du climat californien n’y permit, au fil des siècles, que la formation d’une mare temporaire d’eau vaguement saumâtre.
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L’inondation durera deux ans ! Deux années d’une bataille colossale entre la nature et l’homme au cours desquelles ce dernier essaie désespérément de renvoyer le fleuve dans son lit originel. Cinq tentatives seront menées au cours de la seule année 1905 pour refermer la brèche. Toutes échoueront. Rien n’arrêtera la montée inexorable des eaux : peu à peu le bassin de Salton se remplit, inondant cultures, fermes, lignes de télégraphes, menaçant même les villes de Calexico et de Mexicali. La ligne de chemin de fer de la South Pacific, bâtie à grands frais, sera submergée sur plus de 240 km. On estime que 20.000 hectares de terres fertiles, occupées par 12.000 à 15.000 habitants seront envahies par les eaux bouillonnantes du Colorado.
Une oasis surgie par accident en plein désert
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Puis un premier café suivi de plusieurs hôtels et de sociétés de location de bateaux ouvrent leurs portes sur le pourtour du rivage. En 1926, sous l’impulsion de Gus Eilers et de son associé John Goldthwaite, la physionomie de la région change véritablement. Tombés sous le charme de la région, les deux hommes entreprennent de fonder une première communauté nommée Date Palm Beach. Une ville est créée sur les rivages nord, des routes sont tracées, des plages sont aménagées, des motels et des cottages sont construits. Pour favoriser l’essor touristique, un golf et un casino sont ouverts et des courses de bateau à moteurs sont organisées. Un temps ralenti par la crise de 1929, l’essor de la région ne se dément pas. En 1935, on ne dénombre pas moins de 35.000 bateaux sur la mer de Salton qui devient l’une des destinations les plus prisées de Californie. Au début des années 50, alors que la ville de Salton elle-même sort de terre, la région accueille déjà plus de touristes que le parc national de Yosemite. Chaque été les gardes forestiers ne parviennent plus à canaliser le flot de campeurs venus profiter de ce nouvel Eldorado. Située à moins de 3 heures de Los Angeles, Salton Sea devient le lieu de rendez-vous des stars de Hollywood qui viennent y passer leurs vacances dans de luxueuses marinas. De nombreuses stars du Show-biz des années 1950 comme Johnny Weissmuller ou les Beach Boys y ont leur pied à terre attitré. Le succès est tel que Salton Sea, surnommée la « La Riviera de l’Ouest » est en passe de faire de l’ombre à sa voisine Palm Springs !
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Et pourtant dès cette époque les phénomènes qui vont transformer en quelques années cet éden en un gigantesque désastre écologique sont déjà en marche.
Un gigantesque désastre écologique
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Du coup, le milieu aquatique souffre d’eutrophisation, provoquant de graves perturbations écologiques et surtout la mort massive de milliers de poissons. Très vite, le désastre apparaît dans toute son ampleur, chassant touristes et vacanciers. Rapidement, cette mer artificielle devient mer pestilentielle. Sur ces rives flottent régulièrement des milliers de poissons morts et gonflés avec lesquels les oiseaux s’intoxiquent en s’en nourrissant. La mer de Salton n’attire plus que des curieux de passage, fascinés par la beauté d’un désastre. Au début des années 1980, la mer meurt d’asphyxie minée par les ruissellements d’eaux d’irrigation. Son taux de salinité est alors supérieur de 35 % à celui de l’océan. Le désert reprend peu à peu ses droits et plus personne ne vient à Salton Sea dont les rivages tombent en déshérence. Pourtant, une poignée d’irréductibles résiste encore et cherche à redonner vie à cet écosystème dévasté. Certains biologistes proposent de cultiver des micro-algues pour capter les nutriments et extraire de la mer les 10.000 tonnes d’engrais déversées chaque année par les canaux qui drainent les cultures. Mais la solution n’est pas à la hauteur du niveau de la pollution. Une solution un temps évoquée consiste même à construire un canal du Golfe de Californie à la mer de Salton pour favoriser les échanges. Mais outre son coût exorbitant, cette option rendrait nécessaire l’approbation du gouvernement mexicain et un nouveau partage de l’eau. Impensable. En 2006, la Salton Sea Authority a présenté un projet de réhabilitation de la mer prévoyant l’aménagement d’un dispositif complexe d’irrigation des terres pour empêcher la dissémination des sables et des nutriments. La mise en œuvre de ce plan nécessiterait un investissement global de 4,4 milliards d’euros sur une durée de 75 ans. Le prix à payer pour réhabiliter la mer de Salton…