30 mai 2021Paru dans le N°442
à la page 107 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
C’est un avatar du rêve américain. L’histoire bien improbable d’une cuvette désertique devenue par accident l’une des stations balnéaires les plus riches et les plus prisées de Californie avant de se muer en l’un des pires désastres écologiques des États-Unis.
A 87 mètres sous le niveau de la mer, c’est l’un des points les plus bas des États-Unis. Il se trouve à proximité de la fameuse faille de San Andreas, dans le désert du Colorado, à l’Ouest du cours inférieur du fleuve éponyme.
Jusqu’au début du 20ème siècle, la cuvette de Salton, entièrement asséchée, n’est qu’une simple expression géographique. Car si l’on en croit les géologues, son origine découle d’une ancienne expansion du golfe de Californie que le développement du delta du Colorado aurait peu à peu comblé. Sans les sédiments charriés par le Colorado depuis plus d’un million d’années, l’océan serait déjà là. Sous un climat humide, cette vaste dépression aurait été occupée tout entière par une mer intérieure. Mais l’évaporation intense résultant du climat californien n’y permit, au fil des siècles, que la formation d’une mare temporaire d’eau vaguement saumâtre.
De temps à autre, une partie des crues les plus importantes du Colorado refluent dans cette cuvette. Mais on ne s’en inquiète pas outre mesure. Car les autorités on bien compris tout l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de la proximité de ce grand fleuve, encore indompté à cette époque, en créant un canal d’irrigation pour mettre en valeur des terres. Au début du 20ème siècle, grâce à l’irrigation, le désert du Colorado se transforme au fil des années en une contrée hautement productive, baptisée Impérial Valley et où prospèrent de nombreux colons. Dès 1901, The California Development Company cherche à optimiser le potentiel agricole de l’Imperial Valley en creusant des canaux d’irrigation à partir du fleuve. Mais les débits deviennent vite insuffisants ce qui incite les ingénieurs à créer un canal plus important pour permettre aux eaux du Colorado d’atteindre la basse vallée. En 1905, c’est la catastrophe. Cette année là, lors d’une crue massive, le Colorado, suivant en partie l’amorce de ce canal vers Yuma, rompt les digues de protection et envahit la dépression de Salton.
L’inondation durera deux ans ! Deux années d’une bataille colossale entre la nature et l’homme au cours desquelles ce dernier essaie désespérément de renvoyer le fleuve dans son lit originel. Cinq tentatives seront menées au cours de la seule année 1905 pour refermer la brèche. Toutes échoueront. Rien n’arrêtera la montée inexorable des eaux : peu à peu le bassin de Salton se remplit, inondant cultures, fermes, lignes de télégraphes, menaçant même les villes de Calexico et de Mexicali. La ligne de chemin de fer de la South Pacific, bâtie à grands frais, sera submergée sur plus de 240 km. On estime que 20.000 hectares de terres fertiles, occupées par 12.000 à 15.000 habitants seront envahies par les eaux bouillonnantes du Colorado.
A la fin de l’année 1906, plusieurs millions de dollars de l’époque ont été dépensés pour remettre le Colorado dans son lit. Sans résultat. Finalement, en 1907, grâce à un déversement massif de blocs de roches dans la partie méridionale de la nouvelle mer on parvient, en érigeant une levée plus haute et plus massive que les précédentes, à ralentir puis arrêter le flot. Dans la région, c’est la consternation. De nombreux colons, ceux dont les terres ont été submergées par les eaux, ruinés, quittent la région. Ceux qui restent, appauvris, mettront plusieurs années à comprendre tout le parti qu’ils peuvent tirer de cette nouvelle oasis, surgie par accident en plein désert.
Une oasis surgie par accident en plein désert
Lorsque le combat contre le Colorado est enfin gagné, on pense un moment qu’une rapide décrue permettra un retour à la situation antérieure. Mais quelques mois suffisent pour constater la stabilisation du niveau de ce qu’il faut bien appeler la mer de Salton. En 1908, les eaux s’abaissent d’environ sept pieds, puis de cinq en 1909 avant de se stabiliser l’année suivante. Dès 1910, il apparaît clairement que la mer s’est installée pour longtemps. En 1912, les colons dont les fermes n’ont pas été submergées commencent, de mauvaise grâce, à aménager les bords de ce qu’il faut bien considérer comme une nouvelle mer. En 1913, plusieurs variétés de poissons sont introduites dans la mer de Salton.
Puis un premier café suivi de plusieurs hôtels et de sociétés de location de bateaux ouvrent leurs portes sur le pourtour du rivage. En 1926, sous l’impulsion de Gus Eilers et de son associé John Goldthwaite, la physionomie de la région change véritablement. Tombés sous le charme de la région, les deux hommes entreprennent de fonder une première communauté nommée Date Palm Beach. Une ville est créée sur les rivages nord, des routes sont tracées, des plages sont aménagées, des motels et des cottages sont construits. Pour favoriser l’essor touristique, un golf et un casino sont ouverts et des courses de bateau à moteurs sont organisées. Un temps ralenti par la crise de 1929, l’essor de la région ne se dément pas. En 1935, on ne dénombre pas moins de 35.000 bateaux sur la mer de Salton qui devient l’une des destinations les plus prisées de Californie. Au début des années 50, alors que la ville de Salton elle-même sort de terre, la région accueille déjà plus de touristes que le parc national de Yosemite. Chaque été les gardes forestiers ne parviennent plus à canaliser le flot de campeurs venus profiter de ce nouvel Eldorado. Située à moins de 3 heures de Los Angeles, Salton Sea devient le lieu de rendez-vous des stars de Hollywood qui viennent y passer leurs vacances dans de luxueuses marinas. De nombreuses stars du Show-biz des années 1950 comme Johnny Weissmuller ou les Beach Boys y ont leur pied à terre attitré. Le succès est tel que Salton Sea, surnommée la « La Riviera de l’Ouest » est en passe de faire de l’ombre à sa voisine Palm Springs !
Et pourtant dès cette époque les phénomènes qui vont transformer en quelques années cet éden en un gigantesque désastre écologique sont déjà en marche.
Un gigantesque désastre écologique
Lorsqu’en 1906 le Colorado reprend son cours, ce qui constitue désormais la mer de Salton n’est que la résultante de l’écoulement du fleuve Colorado. Autrement dit, c’est une eau douce. Mais rapidement la salinité augmente. D’abord parce que les parties inférieures de la dépression de Salton ont jadis contenu de grandes quantités de sel. Les eaux se mettent à absorber le sel contenu dans les terres qu’elle a submergées. En 1920, les eaux sont si salées que les poissons introduits quelques années plus tôt sont déjà morts. On choisit de repeupler la mer avec des espèces marines. A cette époque, la mer dont la teneur en sel est déjà supérieure de 25 % à celle de l’océan, est principalement alimentée par des canaux d’irrigation, compensant ainsi l’évaporation due à des températures souvent proches de 50 degrés. Mais le sud-ouest des États-Unis est en plein boom et le développement de villes comme San Diego, Los Angeles, Las Vegas ou encore Phoenix nécessite de grosses quantités d’eau. On la puise dans le Colorado, ce qui réduit d’autant le débit des canaux et assèche progressivement la mer qui souffre également de l’activité agricole. Son niveau varie suivant les précipitations, les drainages et les volumes d’eau déversés par ses maigres affluents. Ces derniers y rejettent également chaque année plus de 10.000 tonnes d’azote, de phosphates et de potassium, issus des fertilisants agricoles.
Du coup, le milieu aquatique souffre d’eutrophisation, provoquant de graves perturbations écologiques et surtout la mort massive de milliers de poissons. Très vite, le désastre apparaît dans toute son ampleur, chassant touristes et vacanciers. Rapidement, cette mer artificielle devient mer pestilentielle. Sur ces rives flottent régulièrement des milliers de poissons morts et gonflés avec lesquels les oiseaux s’intoxiquent en s’en nourrissant. La mer de Salton n’attire plus que des curieux de passage, fascinés par la beauté d’un désastre. Au début des années 1980, la mer meurt d’asphyxie minée par les ruissellements d’eaux d’irrigation. Son taux de salinité est alors supérieur de 35 % à celui de l’océan. Le désert reprend peu à peu ses droits et plus personne ne vient à Salton Sea dont les rivages tombent en déshérence. Pourtant, une poignée d’irréductibles résiste encore et cherche à redonner vie à cet écosystème dévasté. Certains biologistes proposent de cultiver des micro-algues pour capter les nutriments et extraire de la mer les 10.000 tonnes d’engrais déversées chaque année par les canaux qui drainent les cultures. Mais la solution n’est pas à la hauteur du niveau de la pollution. Une solution un temps évoquée consiste même à construire un canal du Golfe de Californie à la mer de Salton pour favoriser les échanges. Mais outre son coût exorbitant, cette option rendrait nécessaire l’approbation du gouvernement mexicain et un nouveau partage de l’eau. Impensable. En 2006, la Salton Sea Authority a présenté un projet de réhabilitation de la mer prévoyant l’aménagement d’un dispositif complexe d’irrigation des terres pour empêcher la dissémination des sables et des nutriments. La mise en œuvre de ce plan nécessiterait un investissement global de 4,4 milliards d’euros sur une durée de 75 ans. Le prix à payer pour réhabiliter la mer de Salton…
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