À l’instar de nombreuses villes européennes, Paris connaissait au début du XIXe siècle une croissance démographique importante, en pleine épopée de la révolution industrielle. L’eau, une ressource vitale, faisait alors défaut en quantité comme en qualité, ce qui favorisait la propagation des maladies telles que le choléra. En réponse à l’évolution des besoins en eau de la capitale, c’est dans ce contexte de modernisation urbaine que furent construits les réservoirs de Passy, au 26 rue Copernic, dans le 16ème arrondissement. Plus que de simples structures de stockage, ces réservoirs demeurent encore aujourd’hui un exemple emblématique de l’ingénierie hydraulique de Paris et de l’excellence architecturale de l’époque haussmannienne.
Napoléon III, sous l’impulsion de son préfet de la Seine, Georges Eugène Haussmann, lança un vaste programme de travaux publics, visant à moderniser Paris en profondeur à l’aube d’un siècle nouveau. L’amélioration de l’approvisionnement en eau était l’une des priorités de ce vaste plan de transformation urbaine. Eugène Belgrand, ingénieur des Ponts et Chaussées et grand architecte du système d’eau parisien, fut chargé de concevoir un réseau d’adduction capable de répondre aux besoins de la population. Les réservoirs de Passy, inaugurés en 1866, s’inscrivaient au cœur de cette dynamique. Ils faisaient partie d’un ensemble de réservoirs et d’aqueducs destinés à améliorer la distribution de l’eau, notamment grâce à leur position élevée sur la colline de Chaillot, qui permettait une distribution gravitaire naturelle.
UN OUVRAGE EMBLÉMATIQUE DE L’AVENTURE HAUSSMANNIENNE
La construction des réservoirs de Passy débuta en 1858, sous la direction d’Eugène Belgrand. Leur position stratégique sur les hauteurs de Passy, à proximité du Trocadéro, fut retenue dans le but de maximiser la pression de distribution par gravité. La conception des réservoirs s’inspirait des techniques les plus modernes de l’époque, notamment celles utilisées sous l’Empire romain, où les aqueducs et les réservoirs étaient déjà des éléments centraux de l’approvisionnement en eau des grandes villes.
Les réservoirs ont été conçus pour stocker l’eau provenant principalement de la Seine, mais aussi, à partir de 1874, des aqueducs acheminant de l’eau de sources plus pures, comme celles du Dhuis et de la Vanne. Leur fonction était double: fournir de l’eau potable aux habitants et répondre aux besoins de la ville pour ses usages publics, comme l’irrigation des jardins, l’alimentation des fontaines et le nettoyage des rues.
LA STRUCTURE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE DES RÉSERVOIRS
Les réservoirs de Passy constituent un ouvrage impressionnant de par leur taille et leur conception. Ils comprennent deux bassins principaux, construits en pierre de taille et en béton, avec une capacité de stockage totale de plus de 100000 m³. Ces deux bassins, indépendants l’un de l’autre, permettaient une gestion de l’eau flexible pour l’époque, notamment en cas de maintenance ou de travaux sur l’un des bassins. Chaque bassin se divise en différents compartiments, et la conception en voûtes de l’ensemble assure une résistance supportant les fortes pressions exercées par l’eau. La voûte en berceau, typique des ouvrages de Belgrand, permet à la fois de garantir la solidité et la durabilité de la structure.
L’étanchéité des bassins, élément crucial pour éviter les pertes d’eau, était assurée par une technique de jointoiement particulièrement innovante pour l’époque, utilisant un mortier de ciment hydraulique. Le réservoir est enterré, pour minimiser son impact visuel sur l’environnement urbain tout en le protégeant des variations climatiques. De plus, les conduites reliant les réservoirs aux différents quartiers de Paris ont été conçues précisément pour assurer une distribution homogène de l’eau, aussi bien pour les immeubles résidentiels que pour les bâtiments publics. Outre les deux grands bassins souterrains, les réservoirs de Passy comprennent également des bassins supérieurs, construits au-dessus du sol et visibles depuis les immeubles environnants.
Ces bassins en hauteur ont été conçus pour répondre à des besoins spécifiques d’optimisation de la distribution d’eau, notamment dans les zones les plus élevées de Paris. L’une des caractéristiques notables de ces bassins est leur imposante structure en maçonnerie, qui, tout en assurant son rôle fonctionnel, s’intègre harmonieusement dans l’architecture du quartier. Leur apparence sobre contrastant avec l’élégance des bâtiments haussmanniens alentour, les murs extérieurs des réservoirs ont pu être recouverts de végétation à certaines époques depuis la construction des réservoirs.
UNE PRÉSENCE DISCRÈTE MAIS ANCRÉE DANS LE PAYSAGE DU QUARTIER
Visibles sur les photos aériennes et depuis les étages supérieurs des immeubles environnants, les réservoirs situés en hauteur jouent un rôle essentiel dans la régulation du débit et de la pression de l’eau distribuée dans le 16ème arrondissement et les zones limitrophes. À l’inverse des bassins souterrains qui stockent de grandes quantités d’eau, les bassins supérieurs sont davantage utilisés pour gérer les variations de la demande au quotidien. Ils assurent un approvisionnement constant en eau potable, même durant les périodes de forte consommation, et permettent de compenser les éventuelles baisses de pression provenant des réservoirs principaux.
La structure de ces réservoirs visibles a été pensée pour supporter les énormes volumes d’eau qu’ils contiennent. Une conception qui tient compte non seulement des contraintes mécaniques, mais aussi des conditions climatiques, avec des systèmes de ventilation pour éviter la stagnation de l’eau et des dispositifs d’entretien qui permettent de maintenir leur fonctionnalité tout en respectant les standards modernes de qualité de l’eau. Leur silhouette massive, visible depuis certains immeubles, rappelle la place centrale que l’eau occupe dans la vie quotidienne des Parisiens. Si leur vocation initiale est purement fonctionnelle, ces bassins supérieurs ont acquis au fil du temps une certaine identité symbolique pour les habitants du quartier, et demeurent toujours une source de curiosité.
UN OUVRAGE HISTORIQUE TOUJOURS D’ACTUALITÉ
Si les réservoirs de Passy ne jouent de toute évidence plus le même rôle qu’au XIXe siècle, ils demeurent un maillon important du système d’approvisionnement en eau de Paris. Aujourd’hui, ils sont intégrés dans un réseau beaucoup plus vaste et sophistiqué, qui comprend plusieurs réservoirs de grande capacité répartis dans la capitale. Toutefois, leur rôle dans la distribution gravitaire reste, surtout dans les arrondissements ou quartiers situés à une altitude plus élevée, où une pression supplémentaire est nécessaire pour fournir l’eau aux habitations. Au fil des années, des travaux de modernisation ont été réalisés pour adapter les réservoirs aux normes de sécurité et d’hygiène actuelles. Des systèmes de filtration plus sophistiqués et des systèmes de gestion informatisée ont été ajoutés, tout en respectant l’intégrité architecturale des structures d’origine. L’accès à ces réservoirs est désormais restreint, principalement pour des raisons de sécurité et de préservation, mais ils sont toujours opérationnels et stockent une partie de l’eau qui alimente les habitants du 16ème arrondissement et d’autres quartiers de l’ouest parisien.
PRÉSERVER LE PATRIMOINE HYDRAULIQUE PARISIEN
Les réservoirs de Passy, en plus de leur rôle premier, représentent un véritable pan du patrimoine historique de la ville, imaginé par les ingénieurs et les architectes du XIXe siècle, qui ont su répondre aux défis de l’urbanisation rapide tout en anticipant des besoins à long terme. Conçus dans le cadre des grands travaux du Second Empire, les réservoirs de Passy continuent donc aujourd’hui à jouer un rôle important dans la gestion de l’eau potable à Paris. Leur structure, leur capacité d’adaptation à travers le temps et leur intégration dans un réseau hydraulique moderne en font un exemple d’ingénierie urbaine. Ils s’inscrivent ainsi dans le temps long et dans l’histoire de Paris, au-delà de la vocation initiale qui était la leur.