31 octobre 2024Paru dans le N°475
à la page 112 ( mots)
À l’instar de nombreuses villes européennes, Paris connaissait au début du XIXe siècle une croissance démographique importante, en pleine épopée de la révolution industrielle. L’eau, une ressource vitale, faisait alors défaut en quantité comme en qualité, ce qui favorisait la propagation des maladies telles que le choléra. En réponse à l’évolution des besoins en eau de la capitale, c’est dans ce contexte de modernisation urbaine que furent construits les réservoirs de Passy, au 26 rue Copernic, dans le 16ème arrondissement. Plus que de simples structures de stockage, ces réservoirs demeurent encore aujourd’hui un exemple emblématique de l’ingénierie hydraulique de Paris et de l’excellence architecturale de l’époque haussmannienne.
Napoléon III, sous l’impulsion de son
préfet de la Seine, Georges Eugène
Haussmann, lança un vaste programme
de travaux publics, visant à moderniser
Paris en profondeur à l’aube d’un siècle
nouveau. L’amélioration de l’approvisionnement en eau était l’une des
priorités de ce vaste plan de transformation urbaine. Eugène Belgrand, ingénieur des Ponts et Chaussées et grand
architecte du système d’eau parisien, fut
chargé de concevoir un réseau d’adduction capable de répondre aux besoins de
la population. Les réservoirs de Passy,
inaugurés en 1866, s’inscrivaient au cœur
de cette dynamique. Ils faisaient partie
d’un ensemble de réservoirs et d’aqueducs destinés à améliorer la distribution
de l’eau, notamment grâce à leur position élevée sur la colline de Chaillot, qui
permettait une distribution gravitaire
naturelle.
UN OUVRAGE
EMBLÉMATIQUE
DE L’AVENTURE
HAUSSMANNIENNE
La construction des réservoirs de Passy
débuta en 1858, sous la direction d’Eugène Belgrand. Leur position stratégique
sur les hauteurs de Passy, à proximité
du Trocadéro, fut retenue dans le but
de maximiser la pression de distribution par gravité. La conception des
réservoirs s’inspirait des techniques les
plus modernes de l’époque, notamment
celles utilisées sous l’Empire romain, où
les aqueducs et les réservoirs étaient
déjà des éléments centraux de l’approvisionnement en eau des grandes villes.
Les réservoirs ont été conçus pour
stocker l’eau provenant principalement de la Seine, mais aussi, à partir de
1874, des aqueducs acheminant de l’eau
de sources plus pures, comme celles du Dhuis et de la Vanne. Leur fonction
était double: fournir de l’eau potable aux
habitants et répondre aux besoins de la
ville pour ses usages publics, comme l’irrigation des jardins, l’alimentation des
fontaines et le nettoyage des rues.
LA STRUCTURE
INTÉRIEURE
ET EXTÉRIEURE
DES RÉSERVOIRS
Les réservoirs de Passy constituent un
ouvrage impressionnant de par leur taille
et leur conception. Ils comprennent
deux bassins principaux, construits en
pierre de taille et en béton, avec une
capacité de stockage totale de plus de
100000 m³. Ces deux bassins, indépendants l’un de l’autre, permettaient une
gestion de l’eau flexible pour l’époque,
notamment en cas de maintenance ou
de travaux sur l’un des bassins.
Chaque bassin se divise en différents
compartiments, et la conception en
voûtes de l’ensemble assure une résistance supportant les fortes pressions
exercées par l’eau. La voûte en berceau,
typique des ouvrages de Belgrand, permet à la fois de garantir la solidité et la
durabilité de la structure.
L’étanchéité
des bassins, élément crucial pour éviter
les pertes d’eau, était assurée par une
technique de jointoiement particulièrement innovante pour l’époque, utilisant
un mortier de ciment hydraulique.
Le réservoir est enterré, pour minimiser
son impact visuel sur l’environnement
urbain tout en le protégeant des variations climatiques. De plus, les conduites
reliant les réservoirs aux différents
quartiers de Paris ont été conçues précisément pour assurer une distribution
homogène de l’eau, aussi bien pour les
immeubles résidentiels que pour les
bâtiments publics.
Outre les deux grands bassins souterrains, les réservoirs de Passy
comprennent également des bassins
supérieurs, construits au-dessus du sol
et visibles depuis les immeubles environnants.
Ces bassins en hauteur ont
été conçus pour répondre à des besoins
spécifiques d’optimisation de la distribution d’eau, notamment dans les zones les
plus élevées de Paris. L’une des caractéristiques notables de ces bassins est leur
imposante structure en maçonnerie, qui,
tout en assurant son rôle fonctionnel,
s’intègre harmonieusement dans l’architecture du quartier. Leur apparence
sobre contrastant avec l’élégance des
bâtiments haussmanniens alentour, les
murs extérieurs des réservoirs ont pu
être recouverts de végétation à certaines époques depuis la construction
des réservoirs.
UNE PRÉSENCE DISCRÈTE
MAIS ANCRÉE DANS LE
PAYSAGE DU QUARTIER
Visibles sur les photos aériennes
et depuis les étages supérieurs des
immeubles environnants, les réservoirs situés en hauteur jouent un rôle
essentiel dans la régulation du débit et
de la pression de l’eau distribuée dans
le 16ème arrondissement et les zones
limitrophes. À l’inverse des bassins
souterrains qui stockent de grandes
quantités d’eau, les bassins supérieurs
sont davantage utilisés pour gérer les
variations de la demande au quotidien. Ils assurent un approvisionnement
constant en eau potable, même durant
les périodes de forte consommation,
et permettent de compenser les éventuelles baisses de pression provenant
des réservoirs principaux.
La structure de ces réservoirs visibles a
été pensée pour supporter les énormes
volumes d’eau qu’ils contiennent.
Une conception qui tient compte non seulement des contraintes mécaniques, mais aussi des conditions
climatiques, avec des systèmes de ventilation pour éviter la stagnation de
l’eau et des dispositifs d’entretien qui
permettent de maintenir leur fonctionnalité tout en respectant les standards
modernes de qualité de l’eau.
Leur silhouette massive, visible depuis
certains immeubles, rappelle la place
centrale que l’eau occupe dans la vie
quotidienne des Parisiens. Si leur
vocation initiale est purement fonctionnelle, ces bassins supérieurs ont acquis
au fil du temps une certaine identité
symbolique pour les habitants du quartier, et demeurent toujours une source
de curiosité.
UN OUVRAGE
HISTORIQUE TOUJOURS
D’ACTUALITÉ
Si les réservoirs de Passy ne jouent
de toute évidence plus le même rôle
qu’au XIXe siècle, ils demeurent un
maillon important du système d’approvisionnement en eau de Paris.
Aujourd’hui, ils sont intégrés dans un
réseau beaucoup plus vaste et sophistiqué, qui comprend plusieurs réservoirs de grande capacité répartis dans
la capitale. Toutefois, leur rôle dans la
distribution gravitaire reste, surtout
dans les arrondissements ou quartiers
situés à une altitude plus élevée, où une
pression supplémentaire est nécessaire
pour fournir l’eau aux habitations.
Au fil des années, des travaux de modernisation ont été réalisés pour adapter
les réservoirs aux normes de sécurité
et d’hygiène actuelles. Des systèmes de
filtration plus sophistiqués et des systèmes de gestion informatisée ont été
ajoutés, tout en respectant l’intégrité
architecturale des structures d’origine.
L’accès à ces réservoirs est désormais
restreint, principalement pour des raisons de sécurité et de préservation,
mais ils sont toujours opérationnels et
stockent une partie de l’eau qui alimente
les habitants du 16ème arrondissement et
d’autres quartiers de l’ouest parisien.
PRÉSERVER
LE PATRIMOINE
HYDRAULIQUE PARISIEN
Les réservoirs de Passy, en plus de leur
rôle premier, représentent un véritable pan du patrimoine historique de
la ville, imaginé par les ingénieurs et
les architectes du XIXe siècle, qui ont
su répondre aux défis de l’urbanisation
rapide tout en anticipant des besoins à
long terme. Conçus dans le cadre des
grands travaux du Second Empire, les
réservoirs de Passy continuent donc
aujourd’hui à jouer un rôle important
dans la gestion de l’eau potable à Paris.
Leur structure, leur capacité d’adaptation à travers le temps et leur intégration
dans un réseau hydraulique moderne en
font un exemple d’ingénierie urbaine.
Ils s’inscrivent ainsi dans le temps long
et dans l’histoire de Paris, au-delà de
la vocation initiale qui était la leur.
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