26 septembre 2019Paru dans le N°424
à la page 137 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
L’examen de sédiments lacustres contenus dans plusieurs carottes extraites du fond de la baie d’Hudson suggère qu’il y a environ 8.000 ans, s’est produit un retour soudain à une mini-période glaciaire. A l’origine de ce phénomène aussi appelé «?8.2 ka event?» par les scientifiques, un événement qui a inspiré les réalisateurs du film «?Le jour d’après?»?: le déversement brutal dans l’Atlantique Nord d’un gigantesque lac glaciaire, le lac Agassiz-Ojibway.
Tout commence il y a 8.200 ans alors que la Terre sort à grand peine d’une longue ère glaciaire. Les températures remontent progressivement et aux pôles, les calottes de glace commencent à fondre. Le Sahara est alors une région humide et verdoyante. Sur le continent européen, il fait chaud, très chaud : trois à quatre degrés de plus en moyenne qu’aujourd’hui. La limite des arbres dans les Alpes est de 200 à 300 mètres plus élevée que celle que nous connaissons actuellement. Mais alors que tout concourt à un radoucissement progressif du climat, une baisse soudaine de 4 à 6 degrés survient brusquement, il y a 8.200 ans. Les causes de ce phénomène qui affectera le climat de toute l’Europe et une partie de l’Asie durant 300 ans sont longtemps demeurées obscures pour les scientifiques. Certains d’entre-eux émettront bien plusieurs hypothèses mais sans jamais pouvoir les étayer. Jusqu’à l’analyse, au cours de l’année 2005, de nombreuses données géophysiques et de plusieurs carottes de sédiments recueillies par le navire océanographique canadien NGCC Amundsen dans le cadre du projet ArcticNet. Que révèlent les données recueillies au cours de cette fameuse campagne ? Elles mettent en évidence, sur le plancher de la baie d’Hudson, les traces d’un véritable cataclysme : la débâcle brutale dans l’Atlantique Nord de l’intégralité d’un gigantesque lac glaciaire, le lac Agassiz-Ojibway.
Le lac Agassiz-Ojibway : un gigantesque lac glaciaire
Formé il y a environ 12.000 ans par le retrait du glacier qui recouvrait alors le nord des États-Unis et le Canada, le lac couvrait une grande partie du Manitoba, la partie occidentale de l’Ontario, une partie du Minnesota et du Dakota du Nord. Au total, il mesurait environ 1.500 km de longueur sur plus de 1.200 km de largeur et atteignait une profondeur de 220 mètres. Plusieurs chercheurs avaient évoqué l’existence de ce lac, baptisé du nom du géologue suisse Louis Agassiz (1807-1873) qui, le premier, établit son origine glaciaire. En se basant sur la topographie des lieux mais aussi d’après les nombreux fossiles et sédiments retrouvés dans la région.
Malgré la complexité de ses évolutions dues aux mouvements successifs de l’inlandsis qui modifiaient périodiquement les niveaux du lac et ses systèmes de drainage, plusieurs émissaires et une trentaine de crêtes de plages de différents niveaux ont été clairement identifiées. Certaines d’entre elles, comme par exemple la crête de Campbell, au Manitoba, peuvent être suivies sans interruption sur plusieurs centaines de kilomètres donnant ainsi une idée de l’immensité de ce lac qui couvrait une surface de 25 % supérieure à l’actuelle mer caspienne ou encore de neuf fois la Suisse ! En fait, les recherches menées par les scientifiques ont révélé d’importantes variations du niveau du lac.
Il y a 8.500 ans environ, les glaciers reculèrent rapidement et le lac Agassiz rétrécit, en couvrant encore les plaines au sud de la baie d’Hudson. Ses eaux étaient alors drainées vers le Mississippi par l’intermédiaire de la rivière Minnesota. Puis, lorsque le retrait vers le nord s’est accentué, la vallée du fleuve Saint-Laurent a constitué un exutoire plus aisé pour les eaux du lac qui se sont ensuite dirigées vers la baie d’Hudson, drainant l’ensemble des eaux dans l’Atlantique Nord. Le drainage complet du lac aurait exigé plusieurs siècles croyait-on initialement. En fait, ce que révèle la campagne de l’Amundsen, c’est que le phénomène s’est produit très rapidement, en l’espace d’à peine quelques mois…
Une débâcle brutale et rapide
Les traces de ce cataclysme sont toujours présentes au fond de la baie. Leur analyse a permis de mieux comprendre la violence et la rapidité du phénomène. Des gigantesques balafres causées par les icebergs déplacés comme de vulgaires glaçons montrent que l’énorme quantité d’eau contenue dans le lac a littéralement soulevé le glacier pour se frayer un chemin jusqu’aux eaux libres. Ces balafres en forme d’arcs sont toutes orientées dans la même direction. Seul un courant d’une violence inouïe, estimé à 5 millions de m³/s, a pu déplacer ces énormes icebergs et creuser ces balafres aussi spectaculaires. Plus de 900 kilomètres de dunes de sédiments d’une hauteur moyenne de trois mètres ont également été recensées. Leur orientation, identique à celle des balafres, ne correspond pas aux courants dominants actuels dans la baie.
Selon les scientifiques, ce sont plus de 10.000 kilomètres cubes d’eau douce qui se seraient brutalement déversées dans les eaux salées de l’Atlantique Nord, provoquant, en quelques mois à peine, une modification des courants marins sous-jacents à la bonne circulation du Gulf Stream. Le scénario, reconstitué d’après l’étude des sédiments tapissant la baie d’Hudson, serait à peu de choses près celui-ci : suite à une rupture de la calotte glaciaire, un afflux massif d’eau douce en provenance du lac Agassiz se serait déversé dans la baie d’Hudson puis dans l’Atlantique nord. Cet afflux massif aurait drainé l’eau salée vers le fond de l’océan entrainant du même coup avec lui le courant d’eaux chaudes du Gulf Stream. Privé de cet apport d’eaux chaudes, le climat de l’ensemble de l’hémisphère Nord, à commencer par l’Europe, se serait brutalement refroidi d’environ 5 à 6 degrés. Ce processus, qui se serait déroulé sur quelques décennies à peine, aurait donc profondément modifié le climat européen durant 200 à 300 années avant que le Gulf Stream ne reprenne du service.
Mais bien que de nombreux indices concordants accréditent cette hypothèse, tous les scientifiques ne sont pas d’accord sur ce scénario. Si l’existence du gigantesque lac Agassiz tout comme le principe d’une débâcle brutale et violente font l’objet d’un large consensus, tous les chercheurs ne sont cependant pas d’accord pour relier cet évènement à un phénomène de refroidissement climatique. Nombre d’entre-eux contestent le fait qu’un apport d’eau douce dans les milieux océaniques, aussi important soit-il, puisse avoir des effets climatiques sur l’ensemble du globe. Pour eux, le coup de froid enregistré il y a 8.200 ans n’a pas été causé par les courants marins, mais plutôt par les courants atmosphériques. Le débat, plus important qu’il n’y parait, conditionne notre futur : aujourd’hui, le glacier du Groenland s’est mis à fondre sous l’effet du réchauffement climatique. Le déversement de grandes quantités d’eaux de fonte, des eaux douces, dans le nord de l’Atlantique affectera-t-il le climat comme cela se serait produit il y a 8.200 ans ?
Pour le savoir, d’autres campagnes de recherches et d’autres recoupements seront nécessaires.
Le lac Agassiz-Ojibway, quant à lui, a laissé place à de vastes terres parmi les plus fertiles de l’Amérique du nord…. Seuls subsistent de cette ancienne mer intérieure quelques vestiges comme le lac Winnipeg ou le lac Manitoba.
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