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La loi Oudin-Santini, dix ans d’application

28 octobre 2016 Paru dans le N°395 à la page 97 ( mots)
Rédigé par : André PAULUS

La loi Oudin-Santini de 2005 autorise les collectivités et les agences de l’eau à consacrer jusqu’à 1% des recettes de leurs services d’eau et d’assainissement (des déchets ménagers depuis 2014) à des actions de solidarité internationale en faveur de ces mêmes secteurs. En 2014, elle a mobilisé 20 M€ (millions d’euros) dont 8 M€ des agences de l’eau et 12 M€ des collectivités sur un potentiel estimé à 120 M€. L’article analyse les effets de la loi et leur évolution sur les dix ans de son application.

La France est connue pour son attachement à une tradition de générosité envers les démunis y compris en période de vaches maigres. Cette disposition se traduit dans le domaine de l’eau par des mesures en faveur de l’égalité d’accès à l’eau, une volonté politique de plafonner les tarifs, des facilités financières aux abonnés à faibles ressources et, c’est à la fois moins courant et moins connu, par des actions de coopération des collectivités françaises en faveur de leurs homologues des pays pauvres encouragées et facilitées par une loi qui vient de fêter dix ans d’application, dont on peut donc dresser un premier bilan, la loi Oudin-Santini de 2005.

Quelques chiffres en préambule : pas d’eau potable pour un milliard d’êtres humains, pas de système d'assainissement pour deux à trois milliards, rejet sans traitement de 90 % des eaux usées des pays en développement, deux à trois millions de morts par an du fait des pollutions de captages par les eaux usées. 

Situation aggravée d’année en année par la croissance démographique : les besoins en eau sont en augmentation constante (+ 64 milliards de mètres cubes mondialement entre 2007 et 2008 du fait notamment de l’engouement des pays riches pour une agriculture « bio », plus exigeante en eau) et la couverture en systèmes d’épuration fiables, stationnaire à l’échelle mondiale, est en régression dans les pays pauvres.

 Juridiquement

Les collectivités territoriales sont autorisées par les lois de décentralisation de 1992 et la loi Thiollière de 2007 à mener des actions de coopération internationale, en particulier à conclure des conventions de partenariat avec des autorités locales étrangères et à leur consacrer une partie non limitée de leurs ressources. 

Depuis juillet 2014, la loi Développement et Solidarité internationale dispense de convention formalisée « toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». Cela s’appelle la « coopération décentralisée » et cela fonctionne. Peu mais bien. Le dispositif est complété dans le secteur de l’eau et de l’assainissement par une loi Oudin-Santini de 2005 qui autorise les collectivités et les agences de l’eau à y consacrer jusqu’à 1% des recettes de leurs services correspondants.

Le projet de Tamatave


Les ONG Protos et Practica construisent à Tamatave, « capitale économique » et deuxième ville de Madagascar, en partenariat avec la Ville, une unité de traitement de boues de vidange par filtre planté de roseaux destinée à dépolluer et composter les boues accumulées dans les latrines privées ou collectives et collectées par un réseau de vidangeurs professionnels encadrés… par Protos et Practica. Le projet est financé conjointement, outre le gouvernement belge, par l’agence de l’eau Adour-Garonne et trois collectivités de son territoire : la communauté de communes terrasse et vallées de l’Aveyron-CCTVA de Nègrepelisse dans le Tarn-et-Garonne, le syndicat mixte départemental des déchets du Tarn-et-Garonne-SMDD et le syndicat intercommunal d’assainissement du Luy-en-Béarn-SIA de Serres-Castet dans les Pyrénées-Atlantiques. Pourquoi cet assemblage hétéroclite, géographiquement du moins ? Parce que ces trois collectivités sont liées historiquement par leurs échanges autour d’une technique de dissipation d’eaux usées traitées… qui n’est pas appliquée à Tamatave !

L’agence contribue à hauteur de 320 000 € en deux dossiers portant l’un sur les études et l’autre sur la réalisation, les collectivités à hauteur de 17 000 € (c’était avant la règle des 10 %). Avantages pour les collectivités : la contribution peut être constituée en partie de prestations de leurs personnels techniques et étalée sur plusieurs années.

Situation sanitaire à Madagascar en 2015, selon l’Unicef : pas d’accès correct à l’eau pour 48 % de la population (65 % en milieu rural, 18 % en milieu urbain) ; pas d’assainissement pour 88 % de la population (91 % en milieu rural et 82 % en milieu urbain). Situation en déclin du fait de la croissance démographique, là comme ailleurs. Aucun espoir par exemple de développer la capacité de traitement à Tamatave au même rythme que les naissances. Mais il en faut plus pour freiner la motivation d’une ONG.

Les collectivités c’est-à-dire principalement les communes (une commune sur trois résiste aux incitations à mutualiser son eau potable, deux sur trois son assainissement) et bientôt les EPCI par l’obligation faite aux communes, au travers de la loi NOTRe, de se défaire de leurs compétences traditionnelles sur l’eau au profit de communautés de communes ou de syndicats élargis.

 Bilan

Une fois n’est pas coutume, l’application de la loi Oudin-Santini peut être contrôlée ou du moins suivie au travers des publications du Programme Solidarité Eau-PSEau disponibles sur son site www.pseau.org. Ainsi sait-on que les collectivités et agences de bassin ont mobilisé sur la période 2006-2014 un total d’environ 200 M€ (millions d’euros) pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en développement dont 80 % (151 M€ précisément) via la loi Oudin-Santini, dont 61% en provenance des agences de l’eau (93M€ soit un peu plus de 10 M€ par an) et 39 % des collectivités (59 M€). Sachant que les collectivités interviennent également à hauteur de 41 M€ sur leur budget général, leur contribution totale se monte à 100 M€ sur 9 ans ou un peu moins de 10 M€ par an. Soit un total annuel d’environ 20 M€ an (10M€ pour les collectivités et 10 M€ pour les agences de l’eau) à comparer au potentiel de 65 M€ par an (45M€ pour les collectivités et 20 M€ pour les agences de l’eau). Ou 120 M€ en appliquant le 1% également sur la part des recettes versée aux délégataires, pourquoi pas ? Soit un taux d’application de 30 % sur les neuf premières années de la loi avec un pic de 36 % en 2013, année record précédant le léger recul de 2014.

Le tableau général cache une forte hétérogénéité des acteurs, les contributions de 2014, par exemple, provenant à 86 % (21,5 M€) de 25 organismes engageant chacun plus de 75 000 € dont 7 engagés sur plus d’1 M€ chacun. Ce qui n’enlève rien ni au mérite ni à l’importance des contributions plus modestes dans la mesure où elles permettent de mobiliser par effet levier des cofinancements importants, particulièrement de la part des agences de l’eau.

Il faut savoir en effet que les agences de l’eau coordonnent et harmonisent leurs actions en faveur des pays pauvres au travers d’une charte commune qui impose notamment d’adosser toute opération à une participation d’une ou plusieurs collectivités à hauteur de 10 % au moins de la contribution de l’agence. Une contribution d’un euro de la collectivité permet donc de mobiliser dix euros conjointement avec l’agence, vingt euros pour deux collectivités participantes, etc.

Enfin, l’effort par abonné est plus élevé pour les petites collectivités avec une contribution proche de 10 € par habitant par an pour des communes de moins de 5000 habitants contre 0,01 € pour certaines grosses voire très grosses villes. Sauf exception, l’incidence de la coopération décentralisée sur le budget des communes ou sur la facture d’eau de leurs abonnés se situe dans une fourchette comprise entre 1 et 2 € par habitant et par an, soit environ 1 % de la dépense annuelle par habitant au titre de l’eau et de l’assainissement.

 Les agences de l’eau

Les agences de l’eau accordent depuis les années 1990 des aides à la réalisation de travaux d'alimentation en eau ou d'assainissement au bénéfice de populations non ou mal desservies, principalement en Afrique. 

Chaque agence a ses propres règles et priorités d’attribution, adaptées à celles de ses partenaires locaux et des organismes de financement sollicités parallèlement, en cohérence toutefois avec des principes communs : implication de la collectivité bénéficiaire, conformité aux objectifs d'accès à une eau saine (alimentation et assainissement), fiabilité technique, adaptation aux besoins réels des populations, pérennité du projet, sensibilisation et éducation des populations au bon usage des équipements créés, mise en place de moyens d'exploitation, d'entretien et de renouvellement des installations, contrôle des opérateurs privés dans l'intérêt des populations.

les objectifs du millénaire


La Déclaration du Millénaire, adoptée par 191 États membres de l’ONU lors du « Sommet du Millénaire » en l’an 2000, précise les objectifs à l’échéance 2015 en matière de réduction de la pauvreté, des maladies, de l’analphabétisme, des atteintes à l’environnement et de discrimination contre les femmes, dont une réduction de moitié entre 2000 et 2015 du pourcentage de la population mondiale dépourvue d’un approvisionnement en eau de boisson « salubre ». Pourquoi 2015 ? Parce que c’est l’année emblématique de clôture de la Décennie internationale d’action « L’eau, source de vie ». Le Sommet de Johannesburg en 2002 a étendu solennellement cet objectif à l’accès à un assainissement « amélioré ». Et le 3ème Forum de l’eau tenu au Japon 2003 a relevé la barre en présentant l’eau et l’assainissement pour tous, et non pour la moitié de l’humanité, comme un objectif raisonnable du Millénaire, « un rêve accessible » et « une tâche exaltante ».

Les décomptes ne sont pas terminés mais il semble que les pourcentages de la population mondiale dépourvue respectivement d’une eau de boisson « salubre » et d’un assainissement « amélioré » étaient fin 2015 ce qu’ils étaient en 2000 à quelque chose près, la croissance démographique gommant les effets des quelques opérations lancées à grand bruit par les agences internationales de financement, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. On comparera cette culture de l’affichage triomphaliste avec la pratique un peu moins médiatisée des petites organisations non gouvernementales-ONG qui s’impliquent sur le terrain pour mettre en place dans des conditions difficiles pour ne pas dire extrêmes, au coude à coude avec les autochtones, des équipements simples, rustiques, compatibles avec le niveau local de la technologie. Discrètement (en général), sans déclaration tapageuse. Avec les fonds mobilisés, entre autres, au travers de la loi Oudin-Santini.

La participation de collectivités locales est requise par toutes les agences et ce n’est pas la moindre des difficultés pour les demandeurs. Les grosses collectivités et les syndicats d’eau potable et d’assainissement des métropoles sont mobilisés depuis plusieurs années mais accaparés par les projets lourds qui correspondent à leurs moyens. Et les promoteurs de projets plus modestes, à l’échelle des communautés villageoises des pays pauvres, n’ont ni les contacts ni les moyens de sensibiliser les petites collectivités qui financeraient leurs petits projets. La preuve : la loi Oudin a mobilisé moins de 500 collectivités en dix ans d’exercice et en 2014 moins de 230 collectivités, syndicats et EPCI sur les 40 000 de France. 230 sur 40 000, c’est peu.

  L’effet de levier

Au-delà des sommes qu’elle mobilise, la loi Oudin projette dans l’actualité les problématiques universelles d’inégalité d’accès à l’eau et de l'assainissement, au travers notamment de l’information locale et nationale (dans les bulletins municipaux, les magazines des agences de l’eau, les sites web des grands donateurs…) sur les projets financés et sur les fonds de soutien dédiés à l’eau créés par des collectivités comme le Grand Lyon, la ville de Paris, la région Franche-Comté… Elle contribue aussi à pérenniser une pratique de participation au travers de financements récurrents ou étalés sur la durée de vie du projet soutenu, à susciter des échanges et des visites croisées entre donateurs et bénéficiaires, à multiplier les occasions de débattre des enjeux de l’eau et d’y sensibiliser le public.

Ces effets s’ajoutent pour les collectivités territoriales à l’impact principal de la loi qui est de susciter un mouvement de solidarité avec les démunis avec l’avantage d’un abondement aux versements des grands bailleurs de fonds régionaux (les agences de l’eau surtout), nationaux (l’Agence française pour le développement, la Direction générale du trésor et de la politique économique…) ou internationaux (la BIRD, la FAO, la Banque mondiale, l'Office de coopération Europe-Aid, le Fonds européen de développement…). Au prix toutefois d’une lourdeur administrative qui favorise des grosses opérations et les collectivités XXL dans la mesure où l’aide est attribuée sur présentation d’un dossier qui argumente chacun des nombreux critères d’attribution.

1 % de la facture d’eau, ce n’est jamais que 2 ou 3 euros par famille et par an. Et pourtant, les collectivités françaises qui font cet effort minuscule sont rares, il faut le savoir. Les fonds levés sont en progression (6 M€ en 2006, 17 M€ en 2007, 20 M€ en 2008… 28 M€ en 2013, 25 M€ en 2014) mais faibles encore par rapport au potentiel (120 M€ environ). 

Faute sans doute d’une information suffisante car le Français ne s’est pas départi tout à fait d’une tradition de soutien aux démunis et ses élus ne manqueraient pas de donner suite aux courriers dans ce sens qu’ils recevraient de leurs électeurs. 1 % de la facture d’eau, ce n’est pas le bout du monde ! 1 % de la facture d’eau française, c’est assez pour mettre en place chaque année une centaine d’installations de la taille de Tamatave (voir l’encadré).

 Tendance

Les engagements pour l’exercice 2014 s’élèvent à 24,9 M€ dont 12,3 M€ mobilisés par 230 collectivités locales (y compris syndicats d’eau et/ou d’assainissement et EPCI) et 12,6 M€ par les agences de l’eau, soit une baisse de 3,4 M€ par rapport à 2013 (- 12 %) succédant à la croissante continue observée depuis 2007. Ce fléchissement résulte principalement d’une diminution des contributions des agences de l’eau (- 2,8 M€ soit - 18 %) suite au détournement inopiné de leurs recettes par l’Etat en application bien sûr de sa politique et de ses déclarations tapageuses en faveur du rétablissement de la qualité des cours d’eau. Les agences ne tiendront pas leur engagement de 2012 d’atteindre leur 1 % et de mobiliser 20 M€ par an à partir de 2015. La contribution des collectivités est en baisse également, mais beaucoup moins. Elle passe de 12,9 M€ en 2013 à 12,3 M€ en 2014 (- 0,7 M€), soit une réduction de 5,5 % que l’observatoire PSEau attribue à des facteurs conjoncturels liés notamment  aux cycles de projets, aux calendriers des appels à projets, aux élections municipales en France et aux contextes politiques dans les pays d’intervention : réforme du découpage administratif au Sénégal, insurrection populaire et le remplacement des maires par des délégations spéciales au Burkina, insécurité à Madagascar, guerre au Mali…

La coopération internationale en Europe


L’UE a mis en place des mécanismes de solidarité décentralisés-MSD dont l’objectif est de rassembler et de mettre à disposition des institutions sous-nationales des pays en développement des ressources financières et des compétences techniques favorisant l’accès à l'eau potable et aux services d'assainissement et une plateforme Solidarité Eau Europe qui coordonne la plateforme européenne 1% sur la solidarité dans le domaine de l'eau et fonctionne comme un réseau de coopération et de solidarité pour l'eau en Europe, regroupant des partenaires, des expertises, des expériences, des outils, des informations par pays, etc. afin de stimuler et de faciliter la mise en place de ces mécanismes. La Belgique, la France, l’Italie, les Pays-Bas ont montré leur capacité à les utiliser à leur avantage.

Certains de nos voisins ont adopté parallèlement des dispositifs similaires à celui de la loi Oudin-Santini, en particulier l’Italie, le Royaume-Uni, les trois entités de la fédération belge. A noter dans ce cas l’opposition répétée du conseil constitutionnel aux projets de loi qui imposent le 1 % : prélèvement sur la facture du consommateur, oui ; obligation de prélever pour le propriétaire du réseau, non. 


On constate aussi, au fil des années, un fléchissement des investissements sur travaux au profit d’assistances aux maîtres d’ouvrage et aux services publics qui mobilisent les agents techniques des gros donateurs et diversifient leurs occupations. Pas vraiment à l’avantage des bénéficiaires si on admet qu’ils sont plus demandeurs d’équipements que de conseils d’experts sur des équipements dont ils sont dépourvus.

La baisse va-t-elle s’accentuer dans les années qui viennent ? Ce n’est pas impossible. Les agences de l’eau mettront un peu de temps en effet à éponger les ponctions de l’Etat dans leurs recettes. Et les collectivités entrent avec la loi NOTRe d’août 2015 dans une phase de turbulences et de navigation à vue peu propice à l’altruisme et à la générosité désintéressée. Se défaire en quelques mois d’une compétence séculaire sur l’eau, ce n’est pas une mince affaire. Et cette obligation s’ajoute à toutes celles que la loi impose aux élus communaux à l’échéance de 2018 (2020 pour certaines).












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