La loi Oudin-Santini de 2005 autorise les collectivités et les agences de l’eau à consacrer jusqu’à 1% des recettes de leurs services d’eau et d’assainissement (des déchets ménagers depuis 2014) à des actions de solidarité internationale en faveur de ces mêmes secteurs. En 2014, elle a mobilisé 20 M€ (millions d’euros) dont 8 M€ des agences de l’eau et 12 M€ des collectivités sur un potentiel estimé à 120 M€. L’article analyse les effets de la loi et leur évolution sur les dix ans de son application.
La France est connue pour son
attachement à une tradition de générosité envers les démunis y compris en
période de vaches maigres. Cette disposition se traduit dans le domaine de
l’eau par des mesures en faveur de l’égalité d’accès à l’eau, une volonté
politique de plafonner les tarifs, des facilités financières aux abonnés à
faibles ressources et, c’est à la fois moins courant et moins connu, par des
actions de coopération des collectivités françaises en faveur de leurs
homologues des pays pauvres encouragées et facilitées par une loi qui vient de
fêter dix ans d’application, dont on peut donc dresser un premier bilan, la loi
Oudin-Santini de 2005.
Quelques chiffres en préambule : pas d’eau potable pour un milliard d’êtres humains, pas de système d'assainissement pour deux à trois milliards, rejet sans traitement de 90 % des eaux usées des pays en développement, deux à trois millions de morts par an du fait des pollutions de captages par les eaux usées.
Situation aggravée d’année en année par la
croissance démographique : les besoins en eau sont en augmentation
constante (+ 64 milliards de mètres cubes mondialement entre 2007 et 2008 du
fait notamment de l’engouement des pays riches pour une agriculture
« bio », plus exigeante en eau) et la couverture en systèmes
d’épuration fiables, stationnaire à l’échelle mondiale, est en régression dans
les pays pauvres.
Les collectivités territoriales sont autorisées par les lois de décentralisation de 1992 et la loi Thiollière de 2007 à mener des actions de coopération internationale, en particulier à conclure des conventions de partenariat avec des autorités locales étrangères et à leur consacrer une partie non limitée de leurs ressources.
Depuis juillet 2014, la loi
Développement et Solidarité internationale dispense de convention formalisée
« toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération,
d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». Cela s’appelle la
« coopération décentralisée » et cela fonctionne. Peu mais bien. Le
dispositif est complété dans le secteur de l’eau et de l’assainissement par une
loi Oudin-Santini de 2005 qui autorise les collectivités et les agences de
l’eau à y consacrer jusqu’à 1% des recettes de leurs services correspondants.
Les collectivités c’est-à-dire
principalement les communes (une commune sur trois résiste aux incitations à
mutualiser son eau potable, deux sur trois son assainissement) et bientôt les
EPCI par l’obligation faite aux communes, au travers de la loi NOTRe, de se
défaire de leurs compétences traditionnelles sur l’eau au profit de communautés
de communes ou de syndicats élargis.
Une fois n’est pas coutume,
l’application de la loi Oudin-Santini peut être contrôlée ou du moins suivie au
travers des publications du Programme Solidarité Eau-PSEau disponibles sur son
site www.pseau.org. Ainsi sait-on que les collectivités et agences de bassin
ont mobilisé sur la période 2006-2014 un total d’environ 200 M€ (millions
d’euros) pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les pays en
développement dont 80 % (151 M€ précisément) via la loi Oudin-Santini, dont 61%
en provenance des agences de l’eau (93M€ soit un peu plus de 10 M€ par an) et 39
% des collectivités (59 M€). Sachant que les collectivités interviennent
également à hauteur de 41 M€ sur leur budget général, leur contribution totale se monte à 100 M€ sur 9 ans ou un peu moins de
10 M€ par an. Soit un total annuel d’environ 20 M€ an (10M€ pour les
collectivités et 10 M€ pour les agences de l’eau) à comparer au potentiel de 65
M€ par an (45M€ pour les collectivités et 20 M€ pour les agences de l’eau). Ou 120
M€ en appliquant le 1% également sur la part des recettes versée aux
délégataires, pourquoi pas ? Soit un taux d’application de 30 % sur les neuf premières années de
la loi avec un pic de 36 % en 2013, année record précédant le léger recul de
2014.
Le tableau général cache une forte hétérogénéité des acteurs, les contributions de 2014, par exemple, provenant à 86 % (21,5 M€) de 25 organismes engageant chacun plus de 75 000 € dont 7 engagés sur plus d’1 M€ chacun. Ce qui n’enlève rien ni au mérite ni à l’importance des contributions plus modestes dans la mesure où elles permettent de mobiliser par effet levier des cofinancements importants, particulièrement de la part des agences de l’eau.
Il faut savoir en effet que les agences de l’eau coordonnent
et harmonisent leurs actions en faveur des pays pauvres au travers d’une charte
commune qui impose notamment d’adosser toute opération à une participation
d’une ou plusieurs collectivités à hauteur de 10 % au moins de la contribution
de l’agence. Une contribution d’un euro de la collectivité permet donc de
mobiliser dix euros conjointement avec l’agence, vingt euros pour deux
collectivités participantes, etc.
Enfin, l’effort par abonné est plus
élevé pour les petites collectivités avec une contribution proche de 10 € par
habitant par an pour des communes de moins de 5000 habitants contre 0,01 € pour
certaines grosses voire très grosses villes. Sauf exception, l’incidence de la coopération
décentralisée sur le budget des communes ou sur la facture d’eau de leurs
abonnés se situe dans une fourchette comprise entre 1 et 2 € par habitant et
par an, soit environ 1 % de la dépense annuelle par habitant au titre de l’eau
et de l’assainissement.
Les agences de l’eau accordent depuis les années 1990 des aides à la réalisation de travaux d'alimentation en eau ou d'assainissement au bénéfice de populations non ou mal desservies, principalement en Afrique.
Chaque agence a ses propres règles et priorités d’attribution, adaptées à
celles de ses partenaires locaux et des organismes de financement sollicités
parallèlement, en cohérence toutefois avec des principes communs : implication
de la collectivité bénéficiaire, conformité aux objectifs d'accès à une eau
saine (alimentation et assainissement), fiabilité technique, adaptation aux
besoins réels des populations, pérennité du projet, sensibilisation et
éducation des populations au bon usage des équipements créés, mise en place de
moyens d'exploitation, d'entretien et de renouvellement des installations,
contrôle des opérateurs privés dans l'intérêt des populations.
La
participation de collectivités locales est requise par toutes les agences et
ce n’est pas la moindre des difficultés pour les demandeurs. Les grosses
collectivités et les syndicats d’eau potable et d’assainissement des métropoles
sont mobilisés depuis plusieurs années mais accaparés par les projets lourds qui
correspondent à leurs moyens. Et les promoteurs de projets plus modestes, à
l’échelle des communautés villageoises des pays pauvres, n’ont ni les contacts
ni les moyens de sensibiliser les petites collectivités qui financeraient leurs
petits projets. La preuve : la loi Oudin a mobilisé moins de 500 collectivités en dix ans d’exercice et en 2014 moins
de 230 collectivités, syndicats et EPCI sur les 40 000 de France. 230 sur
40 000, c’est peu.
Au-delà des sommes qu’elle mobilise, la
loi Oudin projette dans l’actualité les problématiques universelles d’inégalité
d’accès à l’eau et de l'assainissement, au travers notamment de l’information locale et nationale (dans
les bulletins municipaux, les magazines des agences de l’eau, les sites web des
grands donateurs…) sur les projets financés et sur les fonds de soutien dédiés
à l’eau créés par des collectivités comme le Grand Lyon, la ville de Paris, la
région Franche-Comté… Elle contribue aussi à pérenniser une pratique de
participation au travers de financements récurrents ou étalés sur la durée de
vie du projet soutenu, à susciter des échanges et des visites croisées entre
donateurs et bénéficiaires, à multiplier les occasions de débattre des enjeux
de l’eau et d’y sensibiliser le public.
Ces effets s’ajoutent pour les
collectivités territoriales à l’impact principal de la loi qui est de susciter
un mouvement de solidarité avec les démunis avec l’avantage d’un abondement aux
versements des grands bailleurs de fonds régionaux (les agences de l’eau
surtout), nationaux (l’Agence française pour le développement, la Direction
générale du trésor et de la politique économique…) ou internationaux (la BIRD,
la FAO, la Banque mondiale, l'Office de coopération Europe-Aid, le Fonds
européen de développement…). Au prix toutefois d’une lourdeur administrative qui
favorise des grosses opérations et les collectivités XXL dans la mesure où l’aide
est attribuée sur présentation d’un dossier qui argumente chacun des nombreux
critères d’attribution.
1 % de la facture d’eau, ce n’est jamais que 2 ou 3 euros par famille et par an. Et pourtant, les collectivités françaises qui font cet effort minuscule sont rares, il faut le savoir. Les fonds levés sont en progression (6 M€ en 2006, 17 M€ en 2007, 20 M€ en 2008… 28 M€ en 2013, 25 M€ en 2014) mais faibles encore par rapport au potentiel (120 M€ environ).
Faute sans doute d’une
information suffisante car le Français ne s’est pas départi tout à fait
d’une tradition de soutien aux démunis et ses élus ne manqueraient pas de
donner suite aux courriers dans ce sens qu’ils recevraient de leurs électeurs.
1 % de la facture d’eau, ce n’est pas le bout du monde ! 1 % de la facture
d’eau française, c’est assez pour mettre en place chaque année une centaine
d’installations de la taille de Tamatave (voir l’encadré).
Les engagements pour l’exercice 2014
s’élèvent à 24,9 M€ dont 12,3 M€ mobilisés par 230 collectivités locales (y
compris syndicats d’eau et/ou d’assainissement et EPCI) et 12,6 M€ par les
agences de l’eau, soit une baisse de 3,4 M€ par rapport à 2013 (- 12 %)
succédant à la croissante continue observée depuis 2007. Ce fléchissement
résulte principalement d’une diminution des contributions des agences de l’eau
(- 2,8 M€ soit - 18 %) suite au détournement inopiné de leurs recettes par
l’Etat en application bien sûr de sa politique et de ses déclarations tapageuses
en faveur du rétablissement de la qualité des cours d’eau. Les agences ne
tiendront pas leur engagement de 2012 d’atteindre leur 1 % et de mobiliser 20
M€ par an à partir de 2015. La contribution des collectivités est en baisse
également, mais beaucoup moins. Elle passe de 12,9 M€ en 2013 à 12,3 M€ en 2014
(- 0,7 M€), soit une réduction de 5,5 % que l’observatoire PSEau attribue à des
facteurs conjoncturels liés notamment aux
cycles de projets, aux calendriers des appels à projets, aux élections municipales
en France et aux contextes politiques dans les pays d’intervention :
réforme du découpage administratif au Sénégal, insurrection populaire et le
remplacement des maires par des délégations spéciales au Burkina, insécurité à
Madagascar, guerre au Mali…
On constate aussi, au fil des années, un
fléchissement des investissements sur travaux au profit d’assistances aux maîtres d’ouvrage et aux services publics qui mobilisent les agents techniques des
gros donateurs et diversifient leurs occupations. Pas vraiment à l’avantage des
bénéficiaires si on admet qu’ils sont plus demandeurs d’équipements que de
conseils d’experts sur des équipements dont ils sont dépourvus.
La baisse va-t-elle s’accentuer dans les
années qui viennent ? Ce n’est pas impossible. Les agences de l’eau
mettront un peu de temps en effet à éponger les ponctions de l’Etat dans leurs
recettes. Et les collectivités entrent avec la loi NOTRe d’août 2015 dans une
phase de turbulences et de navigation à vue peu propice à l’altruisme et à la
générosité désintéressée. Se défaire en quelques mois d’une compétence
séculaire sur l’eau, ce n’est pas une mince affaire. Et cette obligation
s’ajoute à toutes celles que la loi impose aux élus communaux à l’échéance de
2018 (2020 pour certaines).