Dans le quartier Saint-Clair, à Caluire-et-Cuire, commune du Grand Lyon, existe un ensemble unique et remarquable du patrimoine industriel lyonnais?: la pompe de Cornouailles et les bassins filtrants de l’usine des eaux.
En 1837, la Compagnie du Chemin de Lyon à Saint-Etienne, animée par Marc Seguin, peut enfin assurer à l’industrie lyonnaise un approvisionnement en charbon sûr et économique de ses machines à vapeur, seul moyen en ce début du XIXe siècle de fournir de l’énergie mécanique à ses industries. De toutes les régions de France, cela va en faire globalement la plus puissante et la plus diversifiée. Textiles certes, mais aussi forges et fonderies, verrerie, machines à vapeur, machines outil, navires de rivière, automobiles sans compter le pôle chimique que l’on sait. Cela n’aurait été rien sans le formidable esprit d’entreprise des gens de la région.
En 1853, le maire de Lyon signe un traité avec une toute jeune compagnie qui sera la Compagnie Générale des Eaux. Il prévoit, entre autres dispositions, que trois pompes à vapeur, fabriquées par les Établissements Schneider du Creusot, alimenteront la presqu’île en eau pure, l’eau provenant de grands bassins filtrants souterrains en partie conservés. Décision qui engendrera un énorme miracle social à Lyon : l’eau sur l’évier ! Mais qui, de ces machines, connaît le cursus exemplaire de leur inventeur James Watt ?
Il naît en 1736 à côté de Glasgow. Son père, malencontreux en affaires, va s’installer à Londres. James n’est pas un élève brillant, mais il témoigne d’un intérêt sur toutes choses, associé à une extraordinaire capacité de mémorisation. Bonnes études primaires, puis apprentissage chez un fabricant et réparateur d’appareils de physique.
A 17 ans, sa famille revient à Glasgow. L’Université l’embauche. Il y entretiendra les instruments de physique dont usent ses professeurs. Fort habile, d’un caractère avenant et curieux, il se fait nombre d’amis dans ce milieu savant. En 1763 on lui apporte un modèle réduit des « pompes à feu » mises au point en 1715 par son compatriote Newcomen, à partir des principes de notre Denis Papin, dans le but de le faire fonctionner. Les pompes à feu sont alors des engins rustiques qui, à grand renfort de charbon, servaient depuis 48 ans au pompage des eaux qui tendent à noyer les mines anglaises, alors en plein essor, du Duché de Cornouailles. On notera que les besoins spéciaux de pompage de l’eau, qui ont ponctuellement motivé les recherches sur l’emploi de la vapeur, ont conduit paradoxalement à la révolutionnaire et universelle machine à vapeur rotative.
Il y parvient et s’intéresse au fonctionnement de l’engin d’un point de vue théorique. La condensation de la vapeur dans son cylindre y engendre du vide que la pression atmosphérique tend à compenser en poussant sur son piston. La vapeur est utilisée pour fabriquer du vide par condensation et non pour obtenir de la pression (principe des pompes de Newcomen). Par l’intermédiaire d’un balancier, on peut mouvoir une pompe.
Encouragé par les universitaires, Watt observe, réfléchit, et surtout calcule. En 1765 lui vient à l’idée de condenser la vapeur hors du cylindre dans une chambre froide qu’il nomme « condenseur ». La consommation de charbon en est divisée par 4. Il prend un brevet mais, sans moyen, il ne peut ni l’exploiter ni le protéger.
Cela ne le rebute pas. Il conçoit alors un cylindre dans lequel la force expansive de la vapeur s’ajouterait à l’effet atmosphérique, brevet déposé en 1785. Il entreprend de construire une machine… et se ruine, ainsi que sa famille ! Désespéré, il quitte l’université. Heureusement, ses amis professeurs lui trouvent un industriel fortuné (disons un capitaliste) du nom de Boulton. Il peut enfin réaliser une pompe qui, conformément à ses calculs, divisera encore par 4 la consommation de charbon (Boulton a fait fortune en fabriquant des boucles pour les ceintures, les harnais, les chapeaux et les souliers !).
La machine de Lyon reprend 95 % du prototype de Watt, complétée par son fameux parallélogramme (encore utilisé sur les voitures de courses pour maintenir les roues perpendiculaires à la route). C’est une machine « à piston libre », sans volant. Elle doit son qualificatif « de Cornouailles » aux perfectionnements apportés vers 1820 par l’ingénieur Trevithick.
Enfin, en 1799, James Watt qui, maintenant, peut travailler sereinement, sort sa « Steam rotating machine », machine à vapeur « à piston attelé » à un volant ou à une roue, modèle classique qui sera utilisé sur les locomotives.
Dès 1793 la société Boulton & Watt règne sur le marché des pompes, des soufflantes pour haut-fourneaux et autres machines rotatives. Énorme succès, profits scandaleux. La machine à vapeur de Watt met à la disposition de toutes les activités humaines une énergie mécanique régulière, par tous les temps et à peu près en tout lieu. Appliquée aux transports maritimes, peu après aux terrestres, elle ouvre une voie royale aux échanges mondiaux. A charge pour ses successeurs d’appliquer les principes de son invention à la multitude des moteurs thermiques à venir…
Le moins que l’on puisse dire c’est que, pour James Watt, le chemin de la réussite ne fut pas une voie royale. En 1819, âgé de 82 ans, James Watt meurt riche et comblé d’honneurs. L’eau sur l’évier nous paraît chose naturelle, presque un dû. Il n’en est rien et toutes les multiples machines que nous utilisons quotidiennement non plus. Elles ne sont qu’ingéniosité et travail.
Aux détails près, le destin de ceux qui les créent reste comparable à celui de James Watt. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Entreprise fort hasardeuse que celle de la créativité industrielle. S’il est souhaitable mais difficile d’encourager des inconscients qui, eux-mêmes, ne savent pas très bien où ils veulent aller, au moins ne leur multiplions pas les obstacles.
La pompe de Cornouailles de Lyon représente l’aboutissement ultime d’une technologie et l’une des plus monumentales jamais construite pour l’alimentation en eau d’une ville. Cette pompe se trouve à Caluire-et-Cuire, quartier de Saint-Clair, et constitue, avec les 3,800 m2 de bassins souterrains et ses bâtiments d’époque très bien conservés, avec des fermes Polonceau, un ensemble remarquable de notre patrimoine industriel.