Le canal de Briare, ouvert à la navigation en 1642, fut le premier canal de jonction à alimentation artificielle en Europe. Véritable exploit technique, il est aussi l’expression d’une logique historique qui fut la première étape d’un plan de développement de la France grâce aux canaux.
Approvisionner Paris
Faciliter les transports
Au début du 17ème siècle, le transport par route est à la fois long et coûteux. Une voiture attelée de six chevaux et conduite par deux hommes, véhicule quotidiennement 1.500 kg de charge sur une distance d’environ 50 km alors qu’un bateau transporte 30 tonnes sur la Loire. La voie d’eau est bien moins chère que la voie terrestre. Elle offre aussi des avantages plus grands de sécurité et de conservation des marchandises transportées. L’emplacement de Briare fut dicté par la possibilité d’aménager la Trézée. Se jetant dans la Loire, près de Briare, cette rivière servit de ligne directrice au tracé du canal de jonction en direction du Loing, affluent de la Seine. Déjà, au 14ème siècle, Charles V avait songé à un « canal de Loire en Seine », mais, du rêve à la réalité, le concept mettra deux siècles à devenir techniquement crédible. Il est l’œuvre d’un Tourangeau de génie, Hugues Cosnier.
L’inventeur du canal de Briare : Hugues Cosnier
Le 17 janvier 1604, devant le roi en son château du Louvre, deux soumissionnaires seulement dont Hugues Cosnier, sont présents. Déçu par le petit nombre de candidats, Henri IV décide de reporter l’adjudication au 5 février. Quatre hommes se retrouvent en lice, dont Hugues Cosnier toujours, qui finira par l’emporter avec une offre de 505.000 livres « à l’extinction de la chandelle, sans qu’il se soit trouvé quelqu’un qui ait voulu moins dire ». Il est donc déclaré adjudicataire aux conditions stipulées au contrat. Les travaux doivent être exécutés dans un délai de trois ans. La somme convenue sera réglée en six paiements égaux, de 6 mois en 6 mois. A titre de garantie, Cosnier doit fournir un cautionnement de 84.166 livres pour les avances qui lui sont consenties, et de 40.000 livres pour l’achèvement des travaux.
La construction du canal de Briare : une épopée de 37 ans
Pendant près de vingt ans, le canal de Briare est laissé à l’abandon. La disgrâce de Sully, consécutive à la mort d’Henri IV, porte un coup terrible à l’entrepreneur qui ne désarme pas, et parvient à intéresser le marquis d’Effiat, surintendant des Finances. On établit de nouveaux plans, mais la mort de Cosnier, en 1629, puis celle du marquis d’Effiat en 1632 mettent provisoirement un terme au projet de canal de Loire en Seine.
En 1635 trois candidats à la reprise des travaux se présentent : trois bourgeois de l’administration des finances. Guillaume Boutheroue est receveur des aides et tailles, son frère François est un bourgeois d’Orléans. Le troisième, Jacques Guyon, est également un receveur des aides et tailles. Ensemble ils imaginent un montage financier audacieux pour terminer les travaux « à leurs frais et dépends ». Par lettres patentes, Louis XIII, en 1638, agrée leur offre en limitant le délai d’achèvement à quatre ans. Les trois associés deviennent propriétaire du canal et de toutes ses dépendances avec faculté de l’exploiter à leur bénéfice exclusif. Parallèlement, le roi leur consent des lettres de noblesse « pour eux et leurs descendants en considération des services qu’ils promettent de rendre au royaume ».
L’inauguration du canal de Briare a lieu en septembre 1642. Mais à cette époque un court transit subsiste à Briare entre les écluses des Mantelots point de contact avec le canal latéral et les Combles porte d’accès au canal de Briare. Cette traversée de la Loire qui va durer jusqu’à la construction du pont canal, s’effectue par un chenal établi en travers du fleuve sur un kilomètre. Deux levées submersibles canalisent l’eau en période d’étiage. Cette traversée est très délicate.
Le pont-canal de Briare : l’un des plus beaux pont-canal métallique d’Europe
D’autre part, l’enfoncement des bateaux est porté à 1,80 mètre alors que la hauteur d’eau entre les écluses des ombles et Mantelot s’établit en moyenne à 1,50 mètre. Le projet d’un pont-canal au-dessus de la Loire devient donc indispensable. Léonce Abel Mazoyer, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées est chargé d’en établir les plans. L’importance des crues de Loire impose un ouvrage puissant dans ses fondations mais une structure souple et légère afin d’accueillir une voie d’eau contenue dans une cuvette devant franchir la Loire sur plusieurs centaines de mètres. Nous sommes à la fin du 19ème siècle et les ingénieurs des Ponts et Chaussées connaissent une créativité qui fait évoluer l’architecture et les structures mêmes de leurs ouvrages. Les travaux commencent en 1890, par l’adjudication à l’entreprise Eiffel. Ils se poursuivent jusqu’en 1896 où l’on procède, à titre d’essai, au remplissage des biefs de dérivation raccordant le pont canal au canal de Briare et au canal latéral à la Loire, ainsi qu’au pont-canal lui-même. Ces essais donnant satisfaction, le mouillage est porté à 2 mètres, puis à 2,20 mètres. La longueur de l’ouvrage au-dessus de la Loire est de 600 mètres à une hauteur de 11 mètres, mais sa longueur totale, y compris le franchissement de l’ancien canal est de 662,69 mètres. Il comprend 14 piles, 2 culées et 15 travées de 40 mètres. Le point fixe est sur la 8ème pile, le pont se dilatant de part et d’autre. La partie métallique pèse 3.053 tonnes et le poids de l’ouvrage en eau s’élève à 13.680 tonnes. Le pont-canal fut ouvert à la navigation le 16 septembre 1896 à 8 heures du matin.
Rogny-les-7-écluses : l’exploit de Cosnier
Pour franchir le plateau du Rondeau établissant la ligne de partage des eaux entre Loire et Seine, les erreurs de calcul des experts rendaient impossible le passage de cet obstacle naturel qui n’avait encore jamais été effectué. Immédiatement Cosnier proposa sa solution. Au lieu de suivre la Trézée, le canal se dirigerait vers le plateau du Rondeau où Cosnier avait imaginé un escalier d’écluses alimentées en eau grâce à la présence de plusieurs étangs. Ce tracé modifiait complètement la conception initiale du canal. En effet, les experts avaient seulement envisagé de canaliser la Trézée et le Loing, puis de joindre ces deux rivières par un canal reliant leurs parties les plus rapprochées. Cosnier, lui, proposait « des canaux neufs le long des collines pour permettre aux grands bateaux de Loire d’y pouvoir passer ». Ce nouveau tracé, plus court, fut agrée par le Conseil du Roi le 30 décembre 1604. Ces écluses accolées longues de 35 mètres et larges de 5,15 mètres allaient permettre de réaliser des économies importantes, le nombre de portes étant réduit de moitié. D’autre part, ces ouvrages étaient plus solides, car ils s’épaulaient les uns les autres. L’état de conservation actuelle le prouve. En revanche, le croisement des bateaux était impossible. Mais, au 17ème siècle, les croisements étaient en nombre infime, puisque 90 % des bateaux se dirigeaient vers Paris ou ils étaient déchirés, leurs coques et structures étant notamment réutilisés en bois de chauffage.