30 decembre 2019Paru dans le N°427
à la page 141 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
On l’imaginait placide et sans danger. L’histoire sédimentaire du plus grand lac d’Europe occidentale livre un portrait finalement assez différent. Périodiquement sujet à de brutales sautes d’humeur, l’histoire du lac Léman montre que les tsunamis en milieu lacustre constituent un risque géologique majeur à ne pas sous-estimer. Plongée dans les eaux d’un lac pas si tranquille, qui a connu pas moins de six tsunamis en 3.500 ans. Et qui en connaîtra encore, selon certains scientifiques…
Nous sommes au printemps 2010. Trois limno-géologues de l’Université de Genève embarquent pour cinq jours à bord de « La Licorne », le bateau amiral du département des sciences de l’environnement de l’université de Genève. L’objectif ? Réaliser des campagnes d’échantillonnage sur le lac Léman pour en sonder les sédiments et rechercher les traces de crues anciennes. Une campagne somme toute assez classique qui ne doit pas poser de problèmes particuliers.
Mais dès les premiers relevés, c’est la stupéfaction. Les limno-géologues détectent au milieu du lac et par 300 mètres de fond une gigantesque couche de sédiments gisant sur plusieurs kilomètres carrés. Le volume de cette couche est évalué, au minimum, à 250 millions de mètres cubes, l’équivalent de ce que pourrait contenir une benne de près de 1.000 mètres de large sur 250 mètres de hauteur !
D’où vient cette masse gigantesque et comment est-elle arrivée là ? Pour le savoir, les limno-géologues effectuent plusieurs carottages. Rapidement, une datation au carbone 14 des échantillons récupérés livre un premier résultat : les sédiments analysés indiquent une fourchette temporelle allant de 381 à 612 après J.-C.
Aussitôt, nos chercheurs se mettent à la recherche d’un événement susceptible d’expliquer le phénomène observé. Ils tombent sur le récit d’une catastrophe survenue au début du Moyen-Âge, en l’an 563, la catastrophe du Tauredunum, un village situé dans le Valais Suisse.
La catastrophe du Tauredunum
La chronique de cette catastrophe et la date à laquelle elle est survenue sont connues de façon précise grâce au récit qu’en firent plusieurs témoins comme par exemple Marius d’Avenches, premier évêque de Lausanne, dans les années 580.
Selon son récit, un pan entier de La Suche, une montagne située à l’entrée du Valais, glissa dans le lac en l’an 563 dans un fracas épouvantable, dévastant sur son passage le village du Tauredunum ainsi que plusieurs bourgs situés aux alentours. Cet effondrement massif, provoqua un gigantesque tsunami qui ravagea les rives du lac, tuant sur son passage hommes et troupeaux, détruisant totalement forts, maisons et églises. Après avoir dévasté les rives, la vague terminera sa course dans la ville de Genève passant par-dessus les murailles et détruisant la plupart des habitations de la basse-ville en provoquant de nombreuses victimes ainsi que des dégâts considérables.
L’historien Grégoire de Tours, contemporain de Marius d’Avenches, en livra cependant un récit différent. Pour lui, c’est un pan entier d’une montagne situé en surplomb du bourg de Tauredunum, qui, en s’écroulant dans le Rhône un peu en amont de l’actuelle Saint-Maurice, aurait provoqué pendant plusieurs jours une obstruction du fleuve. Cette obstruction aurait entraîné la formation d’un barrage naturel de 25 à 30 km de longueur sur une largeur moyenne de 2 km et une profondeur de 25 à 30 mètres. En quelques jours, la pression serait devenue telle qu’en cédant, les sédiments se seraient déversés brutalement dans le lac Léman, provoquant le tsunami dévastateur décrit par Marius d’Avenches.
Après avoir relié cette catastrophe avec la découverte du gisement sédimentaire, les limno-géologues se mirent au travail pour tenter de reconstituer les circonstances précises de ce phénomène. A l’issue de deux années de recherches, ils en livreront une description détaillée dans la revue Nature Geosciences reprise ensuite sur de nombreux blogs scientifiques. Selon leurs conclusions, l’éboulement est parti du sommet de La Suche dans le massif du Grammont au-dessus des Evouettes. Le glissement de la masse rocheuse tombée dans la plaine du Rhône, gigantesque, aurait frôlé les 30 millions de m3. Le choc de ce glissement fût tel, qu’en se répercutant sur le socle rocheux, il provoqua le glissement de près de 250 millions de m3 de sédiments déposés par le Rhône à son embouchure vers le centre du lac. C’est ce second glissement de sable et de boue vers le fond du lac à la vitesse de 46 km/h pendant trente minutes qui serait à l’origine d’un gigantesque Tsunami.
La vague, évaluée à 13 mètres de hauteur, aurait ainsi dévasté les rives du lac à une vitesse de 100 km/h avant de balayer 70 minutes plus tard, encore haute de 8 mètres, la ville de Genève.
Bien que très rare, cette catastrophe n’est pas la première à s’être produite sur le lac Léman. Plusieurs autres tsunamis d’ampleur comparable ont été formellement identifiés en –30, en –235, en –700 et –1730 avant J.-C.
Un nouvel événement de ce genre est-il à exclure ?
Une chose est certaine : il aurait des conséquences autrement incalculables.
Des conséquences autrement incalculables
Quelles seraient, aujourd’hui, les conséquences d’un tsunami d’une ampleur comparable à celui survenu en 563 s’il venait à se reproduire ? Difficile de le savoir sans pouvoir localiser précisément l’origine du phénomène : aujourd’hui encore, pas moins de cinq ou six localités revendiquent d’être le théâtre de la fameuse catastrophe. Il faudrait ensuite procéder à une modélisation numérique précise de l’onde de la vague et pouvoir déterminer dans quelle mesure les ouvrages construits depuis sur le Rhône seraient capables de freiner – ou non - le phénomène.
Une inquiétude affleure cependant du côté des autorités suisses, comme des autorités françaises.
Car au-delà des conséquences sur les abords immédiats du lac Léman sur lequel vivent aujourd’hui plus d’un million de personnes, l’onde provoquée par un tsunami comparable, et a fortiori supérieure, pourrait se propager bien au-delà de la ville de Genève, en traversant les vallées encaissées du Rhône. Jusqu’à venir toucher les centrales du Bugey, voire de Saint-Alban, en aval de Lyon ?
L’hypothèse est hardie mais pas totalement incrédible.
Pour protéger les centrales situées le long du Rhône des inondations exceptionnelles et de certains risques comme ceux liés à des ruptures de barrages, des marges de sécurité importantes ont été intégrées aux ouvrages dès leur conception. Plusieurs de ces centrales ont ensuite fait l’objet de mesures de renforcement. Mais la catastrophe de Fukushima l’a montré, ces marges, lorsque survient l’imprévisible, peuvent rapidement devenir insuffisantes…
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