30 mars 2018Paru dans le N°410
à la page 96 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Les Grecs le savaient bien?: l’eau et le feu, quand ils se déchaînent, génèrent des forces colossales et sont responsables de cataclysmes majeurs. L’histoire de l’actuelle Santorin, autrefois dénommée Théra, est une histoire d’eau et de feu marquée par leur brutale et soudaine rencontre il y a 3.500 ans. Elle a mis fin à l’une des civilisations les plus avancées de l’antiquité.
Nous sommes en 1626 avant J.-C., sur l’ile de Théra, au nord de la Crète, à quelque 75 km au sud-est de la Grèce continentale.
Théra, l’île des Dieux, est alors une île de forme circulaire au centre de laquelle trône un volcan visible loin en mer, dont le sommet culmine à plus de 1.000 mètres d’altitude. Le socle de l’île dont la circonférence est évaluée à 18 km repose sur un arc volcanique situé au beau milieu de la mer Egée. Un arc qui résulte de la tectonique des plaques, la plaque africaine plongeant sous la plaque eurasienne à raison de 2 cm par an. Bien entendu, l’état des connaissances de l’époque ne permet pas aux habitants d’avoir une quelconque conscience du fait que leur île constitue le centre volcanique le plus actif de l’arc égéen.
D’ailleurs, Théra qui abrite depuis plusieurs siècles les avants-postes de la culture minoenne, jouit d’une grande prospérité. Car l’empire minoen, d’essence essentiellement maritime, s’appuyait principalement sur la Crète, l’île majeure, mais aussi sur plusieurs îles des Cyclades, parmi lesquelles Théra qui fût, croit-on, l’île sacrée de la civilisation minoenne, du fait de sa beauté et surtout de son immense sommet volcanique qui culminait haut dans le ciel, tout près des dieux.
Bien plus tard, lorsque le destin de Théra aura basculé, les archéologues découvriront les vestiges d’une cité appelée Akrotiri, du nom du village aujourd’hui situé à proximité. On doit la découverte des premiers vestiges d’Akrotiri, « la Pompéï de l’âge du Bronze », à l’ouverture d’une carrière à l’occasion des travaux du canal de Suez. En effet, les pierres ponces de l’île avaient été choisies par les ingénieurs de Ferdinand de Lesseps pour réaliser les parois du canal.
À Akrotiri, les maisons comptaient jusqu’à trois étages et les pièces étaient décorées de vastes et riches fresques décrivant de luxuriantes scènes de la vie quotidienne. Les fouilles permettront de mettre à jour les vestiges d’une cité de 800 mètres de long sur 150 mètres de large, traversée par une artère principale et des ruelles secondaires. Les rues sont pavées et surtout, chose extrêmement rare pour l’époque, elles recouvrent un système très élaboré d’évacuation des eaux usées. Les archéologues mettront également à jour un système ingénieux de récupération des eaux de pluie sur les toits des habitations fort probablement complété par un système permettant d’alimenter la ville en eau, comparable à celui que l’on peut encore observer de nos jours à Pétra (voir E.I.N. n° 299). Plusieurs bassins de stockage et canaux ont été mis à jour. Ils se situaient probablement aux extrémités d’un vaste réseau de canalisations qui drainait les flancs du volcan et captait ainsi l’eau nécessaire à la cité et à ses habitants. Un système qui traduit une parfaite maîtrise technique de l’hydraulique.
De toutes ces découvertes, les archéologues concluront que Théra était au centre de la civilisation minoenne. L’île possédait sa propre culture et le commerce avait apporté à tous aisance et prospérité.
Mais revenons à cette fameuse année 1626 avant J.-C. qui, si elle ne fournit pas forcément le point de départ exact des phénomènes qui vont survenir à Théra, fournit un point de référence pour étalonner la chronologie du IIe millénaire av. J.-C. dans le monde Egéen. Les scientifiques s’accordent en effet sur cette date à ± 20 ans pour dater ce qui est considéré comme l’un des plus grands cataclysmes de l’antiquité.
L’un des plus grands cataclysmes de l’antiquité
Les découvertes effectuées sur les bâtis des habitations mises au jour à Akrotiri et les techniques de constructions sismo-résistantes employées de manière préventives par les Minoens montrent que ceux-ci avaient une réelle connaissance du risque sismique que présentait leur région. Pourtant, à partir de 1634 avant J.-C., survient une série de tremblements de terre précurseurs assez puissants pour effrayer la population et l’inciter à évacuer l’île. En fouillant Akrotiri, on a observé que des murs s’étaient lézardés, que des plafonds s’étaient effondrés et tout ceci antérieurement à l’éruption elle-même ce qui ne pouvait résulter que de ces prémices sismiques qui ont précédé le cataclysme final d’une dizaine d’années environ, peut-être moins.
Les tremblements de terre s’étant provisoirement calmés, les habitants de Théra revinrent momentanément sur leur île. Mais ils n’eurent pas le temps de réparer tous les dommages avant le réveil du volcan qui s’effectua progressivement. Les archéologues ont ainsi relevé plusieurs couches successives de cendres d’une épaisseur totale de 1,50 mètre environ témoignant ainsi de plusieurs séquences éruptives. Les habitants quittèrent alors définitivement Théra. C’est la raison pour laquelle on n’a retrouvé aucun reste humain et presque aucun objet de valeur sur l’île : elle était déjà déserte lorsque la conflagration finale eut lieu.
Aujourd’hui encore, les scientifiques ignorent s’il y a eu une unique et gigantesque explosion ou une série de d’éruptions de moindre ampleur. Mais tous conviennent que l’explosion du volcan de Théra, suivie d’un gigantesque tsunami et de perturbations climatiques perceptibles sur une bonne partie de la planète, fut l’un des cataclysmes les plus importants de l’antiquité. Son ampleur dépasse toutes les éruptions que l’homme ai jamais connu et ses conséquences ont largement dépassé les limites du monde méditerranéen.
Des conséquences qui ont largement dépassé les limites du monde méditerranéen
On a longtemps cru que l’éruption projeta des pierres ponces et des cendres sur environ 80 mètres d’épaisseur autour du volcan et jusqu’à 900 km au sud et on estima le volume de ponces éjectées lors de cette explosion à 39 km3. En réalité, une équipe d’exploration océanographique gréco-américaine menée au printemps 2006 conclut, sur la base d’observations terrestres des dépôts de cendres trouvés en Crète, Turquie et même en Égypte, que l’éruption fut encore plus gigantesque qu’on ne l’avait imaginé jusqu’à présent. Elle aurait généré 60 km3 de magma (6 fois plus que l’éruption du Krakatoa en 1883 !). L’exploration sous-marine a identifié un anneau de dépôts volcaniques haut 80 mètres et large de 30 km tout autour de Santorin ! L’éruption, de type plinienne (en référence à Pline le Jeune qui décrira bien plus tard la fameuse éruption du Vésuve), créa un panache de cendres qui monta à près de 38 km d’altitude jusque dans la stratosphère…
Mais le cataclysme qui survint à Théra ne se limita pas à cette gigantesque éruption. L’explosion et l’effondrement du volcan provoquèrent un gigantesque tsunami de plus de 100 mètres de haut (2 fois plus important que celui qui se produisit en 1883 au Krakatau, en Indonésie, qui causa la mort de 30.000 personnes). Ce tsunami ravagea l’ensemble des côtes méditerranéennes causant de nombreux dégâts aux cités installées sur le littoral. Certains chercheurs soutiennent même que la disparition soudaine de la civilisation minoenne serait directement imputable à ce tsunami géant. Elle aurait été engloutie sous une série de vagues géantes dévastant le littoral sur une bande de près de 50 kilomètres. D’autres, moins catégoriques, ne lui attribuent qu’un rôle indirect : le tsunami aurait totalement détruit la flotte minoenne, facilitant ainsi l’invasion des belliqueux Mycéniens qui seraient ainsi les responsables directs de la disparition de la civilisation Minoenne.
Quoi qu’il en soit, l’effondrement final du volcan sur lui-même créa une caldeira (un cratère d’effondrement) large de près de 15 km et profonde de 400 mètres. Le cœur de l’île, grand comme Paris intra-muros, s’effondra dans la caldeira dont les abords sont encore visibles aujourd’hui à 300 mètres au-dessus le niveau de la mer. Cet effondrement explique la disposition circulaire actuelle des îles de Théra et de Thérasia en forme de croissant et l’ilot Aspronisi qui sont les seuls vestiges de l’île telle qu’elle était avant l’éruption. Au centre de la caldeira, se trouvent deux autres îles qui sont postérieures à la catastrophe : Nea Kameni et Palea Kameni. Sur Nea Kameni dont le sol est entièrement constitué de scories noires, des fumerolles et des sources chaudes témoignent encore aujourd’hui de l’intense activité du site.
Quant aux retombées de cendres volcaniques, elles ensevelirent Akrotiri sous plus de 60 mètres de pierres ponces stérilisant durablement le sol et provoquant la fin de la société qui s’était développée sur Théra. Le nuage de poussières et de cendres se dispersa ensuite dans toute l’atmosphère terrestre, faisant partiellement obstacle au rayonnement solaire. L’étude des dépôts de cendres dans les carottes prélevées au Groenland et la dendrochronologie (étude des anneaux de croissance des arbres) indiquent que l’année 1626 av. J.-C. fut bien plus froide que la normale : la croissance des plantes s’en trouva nettement ralentie en Europe et en Amérique du Nord. Un froid inhabituel qui fut certainement provoqué par le nuage de cendres qui suivit ce cataclysme.
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