Au cœur du 7e arrondissement de Paris, la place de Breteuil est un théâtre de l’histoire qui conjugue art, science et technique. Sur cette esplanade, le monument à Pasteur, érigé en 1908, représente un jalon important dans l’évolution urbaine parisienne. Sa présence sur un piédestal richement orné fait écho à l’honorabilité du savant, témoignage de la reconnaissance d’une société pour ses découvertes majeures en bactériologie, notamment le vaccin contre la rage. La représentation d’un couple de bovins est un clin d’œil subtil à l’une de ses réussites les plus salutaires.
Pourtant, ce site n’a pas toujours été dédié à la science médicale. Avant l’ère de Pasteur, la place revêtait déjà un caractère novateur avec la tour en fonte, commandée par l’astronome et physicien François Arago, alors maire de Paris. Le projet innovant de la fontaine artésienne de Grenelle incarnaitla réussite technique de l’époque, stimulée par l’enthousiasme lié à la maîtrise de l’eau sous-terraine. C’était en 1841 et la tour, d’une hauteur précise de 42 mètres, se distinguait par son architecture et ses fonctions multiples, offrant également un panorama spectaculaire pour les visiteurs qui bravaient l’étroit escalier intérieur. Le débit initial du forage de Grenelle était de 1100 mètres cubes sur une période de 24 heures, signe flagrant de l’importance de cette prouesse pour la ville de Paris et ses habitants.
Cependant, ce succès fut graduellement érodé, passant à 900 mètres cubes journaliers en 1856, à 775 mètres cubes en 1861, pour finalement atteindre un modeste 410 mètres cubes par jour en 1903,témoignage d’une défaillance technique devant l’usure et les défis de la gestion des eaux souterraines. Malgré ce déclin, l’esprit d’innovation de Georges Mulot, l’ingénieur derrière cette réalisation, demeure célébré dans l’espace urbain à travers une place et une fontaine qui portent son nom. La place dédiée à Georges Mulot, située non loin de la place de Breteuil, est un hommage à cet ingénieur de renom, né en 1792 et décédé en 1872. En plus de son buste imposant, la fontaine comporte trois autres profils emblématiques qui ont marqué l’histoire de la capitale par leurs contributions dans divers domaines.
Ainsi, on peut contempler, en parcourant la fontaine, les médaillons de Rosa Bonheur (1822-1899), artiste peintre de renom, de Valentin Hauy (1745-1822), fondateur de l’Institut des Jeunes Aveugles et précurseur dans l’éducation spécialisée, et du Docteur E. Bouchut(1818-1891), médecin innovateur à l’hôpital des enfants malades. Malgré les recherches effectuées, le lien unissant ces quatre personnalités dans la mémoire collective de ce lieu demeure énigmatique. Aucun document ne dévoile les critères ayant présidé à cette cohabitation sur une même fontaine. Peut-être ces choix se résument-ils à un désir d’illustrer un pan varié de l’excellence française de l’époque ou à une volonté d’encourager les générations futures à la multiplicité des talents et des réussites. La place où se situe la fontaine, encerclée par des immeubles haussmanniens typiques, a une histoire riche, ayant été le foyer de l’abattoir de Grenelle construit entre 1810 et 1818.
C’est dans ce contexte industriel que le premier forage artésien de Paris vit le jour, sous l’impulsion inventive de Georges Mulot. Le succès de ce forage, qui ne se limitait pas à un puits mais exploitait une technique avancée, marqua un tournant dans la manière de concevoir le captage des eaux profondes et leur utilisation dans la ville en pleine expansion. La percée significative du Puits artésien de Grenelle se produit dans un contexte scientifique etindustriel naissant, caractérisé par une synergie entre le savoir théorique et l’application technique. La contribution à l’ouvrage «Les forages profonds du Bassin de Paris», parue en 1939, offre une explication détaillée des mécanismes et des personnalités qui ont joué un rôle pivot dans cette avancée historique. Le puits de Grenelle, officiellement commencé à la fin de l’année 1833, a servi de modèle expérimental quant aux questionnements entourant les puits artésiens.
C’est un projet scientifique d’avant-garde, où chaque étape de forage était l’occasion d’un apprentissage sur la composition souterraine de la capitale française. Arago, dans une projection géologique visionnaire, a estimé la profondeur nécessaire à atteindre les Sables verts albiens sous Paris, et ses calculs se révélèrentincroyablement précis, ne déviant que de quelques mètres de la réalité. S’appuyant sur des notions de stratigraphie encore rudimentaires pour l’époque, Arago a évalué correctement la hauteur de forage, à l’époque une véritable prouesse géologique et un témoignage de la précision scientifique de l’époque. Le financement alloué par l’Administration de la Ville de Paris pour le lancement du forage de deux puits s’élève à 18.000 francs en 1833. Mais suite à une réévaluation des risques potentiels sur le niveau statique des nappes sparnaciennes, l’ampleur du projet est revue à la hausse avec une dotation budgétaire supplémentaire significative: un crédit municipal de 260.000 francs est consacré à un sondage unique, cette fois d’une prévision de 400 mètres de profondeur.
L’ingénieur Mulot accepte l’audacieux défi. Avec un matériel de sondage consistant en une chèvre de 18 mètres de haut et un appareil moteur muni de treuils actionnés par des hommes puis par des chevaux, le forage débute dans un dispositif rustique mais efficace. Il est à noter que quelques décennies plus tôt, Mulot avait déjà fait ses preuves, notamment à Épinay sur Seine et à Suresnes où, en 1827, il avait foré jusqu’à 200 mètres. L’aventure grenelloise mène à terme à un résultat époustouflant. Les profondeurs atteintes dépassent celles initialement escomptées, avec une jonction avec les Sables verts à la cote -506 mètres et la découverte de la nappe artésienne à -547 mètres.
C’est donc après près de huit ans de travaux ardus que l’eau jaillit le 26 février 1841, établissant un jaillissement continu et d’autant plus spectaculaire de par la température élevée de cette ressource souterraine. La consécration de Mulot et de ses pairs est retentissante, et le puits est par la suite équipé de colonnes de captage en cuivre dont les diamètres varient entre 0,170 m en bas et 0,235 m en haut, assurant une structure performante et fiable pour le captage de cette source, avec un espace annulaire qui a pour fonction de se remplir progressivement de sable afin de stabiliser le flux d’eau. Ce puits de Grenelle, désormais célèbre pour avoir défié les pronostics et montré la fiabilité du savoir géologique du XIXème siècle ainsi que l’ingéniosité de l’ingénierie de l’époque, est un emblème de l’histoire parisienne des grandes structures d’approvisionnement en eau.
Il illustre l’importance de la compréhension et de la gestion des ressources en eau dans le développement urbain et la civilisation moderne, une page riche d’enseignements pour la science et la technique. La quête incessante de l’eau dans le sous-sol parisien ne s’est pas arrêtée à l’exploit de Georges Mulot avec le forage de Grenelle. La découverte des veines charbonneuses à Oignies par Mulot en 1842 n’était qu’une prémisse des avancées majeures qui allaient suivre. Ces progrès techniques et scientifiques allaient marquer d’une empreinte indélébile l’histoire de l’exploitation de l’eau dans la capitale française. Tirant parti des innovations et des avancées technologiques de l’époque, divers projets de forage ont vu le jour. Les autorités, conscientes des besoins croissants de la population parisienne en eau de qualité, et encouragées par les succès techniques, notamment ceux de Mulot, se sontlancées dans de nouveaux défis.
Sous le règne de Napoléon III, la capitale a ainsi continué sa quête pour maîtriser les eaux de l’Albien, une nappe phréatique située à plusieurs centaines de mètres sous la ville. L’un des projets emblématiques de cette époque a été le puits des anciennes carrières de Passy, creusé entre 1855 et1861. Après de longs travaux, l’eau fut découverte à la profondeur remarquable de 586 mètres. Cette quête ne s’est pas arrêtée là, et le 19 juin 1863, le préfet Haussmann autorise le forage de plusieurs autres puits artésiens dans des quartiers élevés et en manque d’eau. Parmi ces projets, nous pouvons citer les forages de la place Hébert et de la Butte aux Cailles.
Le forage de la place Hébert avait pour objectif d’alimenter en eau le quartier de la Chapelle. Ce projet colossal, qui a nécessité onze années de travaux, a été marqué par un éboulement qui a imposé un curage du puits. C’est en 1883 que l’eau a été atteinte à 719 mètres, une profondeur considérable qui a permis d’alimenter une piscine municipale construite en 1895. Le puits, par sa profondeur et ses dimensions, était alors considéré comme exceptionnel pour son temps. Au fil des ans, la gestion des eaux de Paris a évolué et s’est modernisée. Eaux de Paris a entamé en 1996 la rénovation des forages en commençant par celui de Passy, ainsi que la restauration de la fontaine qui trônait dans le square Lamartine. Ces sites historiques ont été remis en valeur, et le but principal de ces rénovations était de sécuriser une alimentation en eau potable d’ultime recours en cas de crise pour l’ensemble de la ville.
Ainsi, si l’édicule de Passy a été préservé, pour d’autres sites tels que la place Hébert, où le forage était devenu inexploitable, et un forage a vu le jour en 2000 dans le square de la Madone. La réalisation de cette fontaine place l’innovation et la technologie au premier plan. Les concepteurs ont veillé à intégrer des dispositifs de livraison d’eau commandés par détecteurs temporisés et un design alliant l’acier inoxydable et l’opalit bleu pastel. Le texte sérigraphié sur cette paroisse relate brièvement l’histoire du forage et rassure les citoyens sur la pureté de l’eau puisée à 740 mètres, à l’abri des pollutions modernes. Quant au forage de la Butte aux Cailles, un changement de destination fut acté avec le temps. Malgré l’arrêt des travaux en 1872 et leur reprise des années plus tard, l’eau jaillit finalement en 1903 à une température idéale pour la baignade. L’établissement balnéaire de la Butte aux Cailles, construit en 1924, constitue un témoignage de cette époque, alliant la fonctionnalité hygiéniste et les plaisirs de l’eau. Malgré les vicissitudes liées à l’évolution de la ville etla couverture progressive de la Bièvre, le forage a conservé son importance.
À l’instar de la fontaine contemporaine du square de la Madone, celle du square PaulVerlaine dispose d’un dispositif similaire et d’une plaque explicative de l’histoire du site, témoignant de la continuité et de la reconversion des oeuvres liées à l’exploitation de l’eau. Comme l’édicule de Passy etle forage du square de la Madone, le nouveau forage géothermique à Saint-Germain-en-Laye en2022 représente l’engagement continu de la région parisienne vers une gestion de l’eau plus durable et responsable. Tout en valorisant un élément patrimonial et en répondant à un besoin fonctionnel, ce forage pionnier fait un pas de plus en exploitant une ressource d’énergie renouvelle sous-utilisée, ce qui reflète une initiative guidée par des préoccupations environnementales impérieuses.
En plus de sécuriser l’approvisionnement en eau, la SEMOP Caliti a ouvert
la voie à une stratégie globale d’utilisation efficiente des ressources naturelles
(voir encadré).
Désormais l’utilisation de l’eau de l’Albien
ne se limite pas à l’approvisionnement
en eau potable; elle s’étend à la valorisation thermique, exploitant la température naturelle de l’eau pour la production
de chaleur. Cette approche multidimensionnelle s’inscrit parfaitement dans
l’évolution observée à Paris et dans ses
alentours, où la prise en compte de la
durabilité et de la résilience constitue
désormais une priorité affirmée pour
les services d’eau et d’énergie.
Les Parisiens ont ainsi, presque
deux siècles après les avancées de Mulot,
redécouvert une ressource en eau qui,
loin d’être anecdotique, contribue de
manière significative à l’autonomie et
à la sûreté hydrique de leur ville. Ces
innovations technologiques et ce riche
héritage historique ne manquent pas
de susciter l’admiration et contribuent
à enrichir le patrimoine de la ville, et
ce, malgré les nuisances temporaires
que peuvent représenter les travaux
de forage.