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Les spirilles : interprétation, évaluation et numération

26 avril 2017 Paru dans le N°401 à la page 105 ( mots)
Rédigé par : Bernard VEDRY de Editions et Sandrine PAROTIN de OIEAU

Des Spirilles sont souvent rencontrés lors de l’observation des boues activées à l’état frais. Leur présence est classiquement expliquée comme étant un indice de carence chronique en oxygène dans les boues activées. Cette explication très générale n’est pas suffisante, elle est même souvent contradictoire avec la présence simultanée de microorganismes indiscutablement bioindicateurs de teneur convenable en oxygène dissous. L’équipe d’analyse des biomasses épuratrices de l’OIEAU s’est penchée sur la question des Spirilles dans les boues activées et propose une interprétation de leur présence, une méthodologie d’évaluation quantitative de leur effectif, c’est-à-dire un Indice Spirille (I.S.).

Lors d’un examen des boues activées à l’état frais contenant des Spirilles, et si possible au microscope à contraste de phase, on constate les successions de faits suivants :

La plupart des microorganismes Protozoaires et Métazoaires des boues sont immédiatement visibles dès la présentation de la préparation à l’état frais sous l’objectif du microscope. Ils sont soit localisés autour des flocs, soit nageant dans le liquide interstitiel, soit dans le floc ou étroitement fixés sur le floc.

Les Spirilles, par contre, ne sont pas visibles les premières secondes de l’observation, voire la première minute. Après un certain temps d’observation de la préparation, on commence à voir les Spirilles sortir du floc en nombre de plus en plus grand et toujours serpentant, jusqu’à un moment où on ne perçoit plus d’augmentation du nombre des Spirilles, moment qui est de quelques minutes et qui correspond à l’apparition des premiers signes de dessèchement de la préparation microscopique.

En effet, au cours d’une observation à l’état frais, les flocs de boue activée subissent sous la lamelle de discrets changements :

  • ils tendent à décanter c’est-à-dire, dans les conditions de contraintes spatiales auxquelles ils sont soumis,
  • ils tendent à se tasser sur le fond de la lame et simultanément
  • l’eau interstitielle tend à s’évaporer par les bords de la lamelle.

On sait qu’on ne peut pas observer une préparation plus de 10 minutes sans voir se former des plages de rétraction du liquide interstitiel due à la dessiccation de la préparation.

Figure 2 : après plusieurs minutes sous l’éclairage du microscope, les Spirilles se déplacent vers le liquide interstitel.

Dans le cas des Spirilles (présentés dans les figures 1 et 2) que l’on voit sortir du floc, on remarque par ailleurs une migration vers le haut des Spirilles. Ils tendent tous à se coller, se plaquer contre la lamelle en gardant leurs mouvements serpentoïdes ou parfois en diminuant leur mobilité voire en s’arrêtant de bouger. Ce qui est remarquable c’est la disposition plane dans un même plan horizontal qui signifie qu’ils se plaquent contre la lamelle (figure 1). C’est d’ailleurs à partir de ce moment qu’il est commode de procéder au comptage puisqu’ils sont faciles à observer étant pratiquement immobiles et que les migrations ascendantes sont terminées.

Figure 3 : Mise au point sur le floc - Spirilles non visibles.

Une disposition analogue est connue chez les bactéries filamenteuses Microthrix qu’on définit comme hydrophobes. C’est probablement le même mécanisme qui intervient chez les Spirilles, l’hydrophobie s’ajouterait à la mobilité ascendante pour expliquer leur position flottante, plaquée contre la lamelle (figure 4). On pourrait parler avec certains arguments en sa faveur d’un géotropisme négatif¹. Une autre hypothèse de cette montée vers la lamelle est que ces bactéries contiennent des bulles de gaz qui les font flotter.

 ¹ Géotropisme : Réaction locomotrice de certaines espèces animales, provoquée et orientée par la pesanteur. (On parle de géotropisme positif lorsque les animaux se dirigent vers le bas comme c’est le cas pour les animaux terricoles fouisseurs, et de géotropisme négatif lorsqu’ils se dirigent vers le haut comme chez de nombreux insectes.) Dictionnaire Larousse.

Avec certaines espèces de Spirilles, autres que les précédentes, on assiste à un curieux ballet : le mot « ballet » nous semble convenir parce qu’évoquant la très grande agilité et l’élégance des ondulations en rythme de chaque organisme dans un ensemble apparemment parfaitement chorégraphié et contrôlé.

Figure 4 : Mise au point sur les Spirilles dans un plan horizontal - Flocs moins nets.

Quelques minutes après la pose de la lamelle sur la préparation, les Spirilles migrent sur les bords de la lamelle et forment une frange vibrillonnante tout autour de la lamelle, frange qui est stationnaire à une certaine distance du bord de la lamelle, à distance respectueuse d’un facteur qui limite et interdit aux Spirilles d’avancer jusqu’au bord de la lamelle. C’est l’oxygène de l’air qui est le facteur limitant de la migration des Spirilles et dont la concentration est maximale aux bords de la lamelle, l’intérieur par contre de la lamelle est anoxique, l’oxygène étant consommé par la respiration endogène des flocs de la boue activée. Cette remarquable migration des Spirilles à la fois rapide et parfaitement délimitée dans l’espace, que nous appelons l’oxytropisme électif* des Spirilles nous apprend l’évidence que certaines espèces de Spirilles sont aérobies, ils sont avidement attirés par certaines concentrations d’oxygène mais repoussés par des concentrations trop fortes telles que celles régnant dans l’air ou dans les bulles d’air injectées dans les boues activées. Nous ne connaissons pas les valeurs de l’oxygène régnant dans la frange colonisée par les Spirilles mais des recherches pourraient le préciser. 

Figure 5 : Mise au point sur le floc - Spirilles non visibles.

Cette concentration serait probablement de l’ordre de 0,5 à 1 mg/l en O2, car la diffusion de l’oxygène de l’air à travers la mince épaisseur de liquide sous la lamelle, qui est centripète vers le centre de la lamelle, est forcément lente. Et d’autre part, la respiration endogène consomme en permanence à taux constant l’oxygène se trouvant dans la boue au moment de la préparation. Ce sont deux cinétiques opposées, qui aboutissent à un équilibre de concentration en oxygène stable à quelques millimètres du bord de la lamelle. On a donc affaire à une recherche par les Spirilles de leur zone élective de concentration en oxygène, pas n’importe laquelle mais celle qui permet leur activité optimale. Ceci démontre l’activité microaérobie des Spirilles, au moins de certaines espèces. Cet oxytropisme* électif est rencontré chez d’autres bactéries mobiles et n’est donc pas spécifique d’une espèce de Spirille.

Figure 6 : Mise au point sur les Spirilles et un filament hydrophobe - Flocs moins nets.

Interprétation de la niche écologique des Spirilles

Les observations précédentes nous font entrevoir la niche écologique des Spirilles. Ils vivent dans la subsurface des flocs puisqu’il leur faut un certain temps pour sortir des flocs. Ils ne vivent pas dans le liquide interstitiel puisqu’on ne les rencontre pas dans les eaux épurées.

Ils se déplacent dans la subsurface des flocs grâce à leurs mouvements vrillés, probablement explorant les substrats nutritifs et exploitant la zone subsurfacique où la concentration d’oxygène est faible mais acceptable car ce sont des organismes microaérophiles. L’intérieur du floc n’est pas leur habitat à cause de l’anaérobiose régnante.

Figure 7 et 8 : Illustration que les Spirilles et les filaments hydrophobes se trouvent sur le même plan - Géotropisme négatif.

Un floc anaérobie par exemple après décantation prolongée de la boue entraîne sortie des Spirilles des flocs de la zone subsurfacique et passage dans le liquide interfloc, qui a toujours un potentiel d’oxydoréduction un peu supérieur à celui de l’intérieur profond du floc.

Les substrats nutritifs des Spirilles qui sont des bactéries hétérotrophes microaérobies sont les composés organiques solubles assimilables sont susceptibles de se trouver dans la zone subsurfacique. Ce sont idéalement les composés de la fermentation anaérobie produits par les bactéries de l’intérieur du floc en situation anaérobie, c’est-à-dire des acides gras volatils mais aussi des résidus protéiques de la lyse des bactéries aérobies strictes, détruites dans les conditions anaérobies de l’intérieur du floc. Ces bactéries se trouvaient initialement en surface des flocs, mais la croissance centrifuge des colonies aérobies facultatives, avec lesquelles elles cohabitaient, a fait qu’elles ont été recouvertes et reléguées dans l’intérieur du floc. Les substrats des Spirilles sont donc endogènes à la boue, mais il est possible que des substrats exogènes à la boue provenant de la DBO5 adsorbée à la surface des flocs participent à la nutrition des Spirilles. Il faudrait dans ce cas que les substrats se trouvent accessibles dans la zone subsurfacique des flocs, ce qui est en principe possible grâce à la diffusion des substrats dans le gel d’exopoymère des bactéries surfaciques et subsurfaciques et notamment lors de fortes charges régulières en DBO5 appliquées sur la station. Ainsi peut s’expliquer la présence des Spirilles dans les boues de laiteries et fromageries, mais aussi dans les boues de stations recevant des effluents fermentés, tels que matières de vidange issues de l’assainissement non collectif (ANC), lixiviats de décharge, retours en tête fermentés issus de la file boue de la station. Des dépôts de boue dans les réacteurs biologiques sont aussi des lieux de production d’acides gras volatils. Cette dernière remarque peut s’appliquer à l’ensemble des bassins où des dépôts peuvent se former (dessableur, bassin tampon…).

Figure 9 : présence de Spirilles dans le liquide interstitiel, et proche d’une poche d’air, résultant de l’assèchement de la préparation - Présence d’un protozoaire Trachelophyllum.

Représentation schématique des niches écologiques d’un floc de boue activée

Un floc est un gel d’exopolymère sécrété par les différentes colonies bactériennes, qui le peuplent. Le gel adsorbe les molécules organiques dissoutes de l’eau brute et les suspensions de l’eau s’y collent. Les nutriments organiques qui entretiennent la croissance des bactéries agglomérées dans les flocs arrivent dans le floc par l’extérieur des flocs. Un gradient de matière organique adsorbée, décroissant vers l’intérieur du floc, s’établit dans le floc avec la concentration la plus élevée en surface, lieu par conséquent de la croissance des bactéries du floc qui métabolisent ce substrat d’autant plus vite que la concentration d’oxygène dissous est, elle aussi, maximale en surface des flocs. Immédiatement après la première couche de bactéries en surface du floc, la concentration d’oxygène chute, résultat de deux réactions simultanées : d’une part baisse de diffusion de l’oxygène gazeux des bulles d’air insufflées dans le gel des flocs et d’autre part consommation de l’oxygène dissous par la respiration des bactéries. On distingue dans le floc plusieurs strates ou couches successives de bactéries agglomérées, au nombre de trois :


Figure 10 : Représentation en coupe d’un floc.
SF Surface du Floc
CSF Couche bactérienne en Surface du Floc
ZSF Zone Subsurfacique du Floc
ZIF Zone «Intérieur du Floc » ASP Aspidisca
TRA Trachelophyllum
VOR Vorticella
SPI Spirilles
AM Amibes
ARC Arcella
COCH Cochliopodium
EUG Euglypha
Chlamydophrys
  • La première couche de d’adsorption des nutriments et de l’oxygène dissous de quelques bactéries d’épaisseur est la couche surfacique (CSF, figure 10).
  • La deuxième couche ou zone subsurfacique (ZSF, figure 10) à très faible teneur en oxygène et en nutriment exogène adsorbé. Cette zone est d’épaisseur variable parce qu’influencée par de nombreux facteurs, propriétés d’adsorption de l’exopolymère, temps d’anoxie imposé sur la station, forme des flocs (lacuneux, denses, tête d’épingle etc…) et sans doute bien d’autres. Cette couche subsurfacique a un potentiel d’oxydoréduction positif mais très faible, assurant toutefois la croissance de microorganismes adaptés à ces conditions, précisément celles des Spirilles, bactéries microaérophiles. Dans le cas des boues activées dites stabilisées ou encore d’aération prolongée ou de grand âge des boues, c’est-à-dire dont l’intérieur du floc a un potentiel d’oxydoréduction positif mais faible et proche de zéro, les propriétés de la zone subsurfacique sont prolongées sur une grande épaisseur de floc.
  • Enfin, la troisième couche en profondeur du floc ou zone interne du floc (ZIF, figure 10). Le potentiel d’oxydoréduction tombe à zéro et s’inverse dans des valeurs négatives. On est alors dans des couches bactériennes où le métabolisme anaérobie est dominant. Il concerne les bactéries aérobies facultatives qui sont la majorité des bactéries du floc. Lorsque le potentiel reste autour de zéro ou un peu négatif, les souches aérobies strictes, par exemple les bactéries nitrifiantes ou nitritifiantes, survivent en état de latence mais ne sont pas détruites par ce milieu hostile. Elles sont par contre détruites et lysées avec émission de sucs cellulaires dans le floc lorsque le potentiel d’oxydoréduction est nettement inférieur à zéro. On remarque que l’anaérobiose profonde correspond à une émission de substrat endogène dans la boue, substrat qui diffuse vers l’extérieur du floc et rencontrera dans sa diffusion centrifuge la couche subsurfacique aérobie où il produira des effets tels qu’assimilation par les bactéries de la zone en question, diminution des traces d’oxygène dans cette zone et déplacement de la zone subsurfacique vers l’extérieur du floc à la recherche de l’oxygène.

Examen des microfaunes adaptées aux zones subsurfaciques et intérieurdu floc

On sait que l’examen des microfaunes contenues dans des boues peut être réalisé par voie microscopique, à l’état frais. Cela permet de diagnostiquer leur état biologique et, grâce à un certain nombre de corrélations connues et vérifiées, d’établir le potentiel épuratoire de ces biomasses mais aussi, éventuellement de suggérer les mesures à prendre par l’exploitant pour corriger ou prévenir les dysfonctionnements annoncés par lesdites microfaunes.

Figure 11 : Métazoaire Rotifère Lecane - objectif x40.

Parallèlement à la zonation du floc en termes de potentiel d’oxydoréduction dont nous avons parlé plus haut, on peut définir une sorte de zonation des niches écologiques de la microfaune des boues activées.

Le liquide Interstitiel

On distingue les espèces dont la niche écologique est le liquide interstitiel. Ces espèces sont nageuses, prédatrices de proies libres elles-mêmes nageuses. Il existe des nuances entre espèces inféodées strictement au liquide interstitiel et d’autres, quoique nageuses, qui exploitent le liquide interstitiel plus proche de la surface des flocs. Ces derniers microorganismes étant prédateurs de bactéries du floc, décrochées du floc par d’autres espèces ou par bioturbage (le bioturbage est l’agitation et l’abrasion des flocs par des mouvements et chocs de Métazoaires des boues tels que Rotifères, Nématodes. Ceci aboutit à décrocher des bactéries du floc et à les éjecter dans le liquide interstitiel où elles deviennent des proies des Protozoires bactériophages).

Figure 12 : Métazoaire Nématode - objectif x10.

La surface du floc

À la surface du floc se trouvent les espèces bactériennes en pleine croissance dont l’exopolymère est en cours de sécrétion et par conséquent l’agglomération au floc est fragile. Ces bactéries sont la proie des espèces inféodées à la couche superficielle du floc, par exemple Aspidisca ou Trachelophyllum.

La couche subsurfacique du floc

Les espèces dont la niche écologique est la couche subsurfacique des flocs sont les Spirilles, mais aussi les Amibes de petite taille et les Thécamibes.

Figure 13 : Petite Amibe dans le liquide interstitiel 30 µm - objectif x40.

Les petites Amibes sont capables de pénétrer dans le floc par leurs mouvements et de choisir le site convenant à leur métabolisme. Elles sont principalement organotrophes mais aussi bactérivores et détritivores. Organotrophe signifie qu’elles ingèrent les molécules organiques à travers leur membrane cellulaire et c’est ce qui leur fait rechercher les sites où de la matière organique existe sous forme de molécules dissoutes. Les Amibes des boues sont aérobies strictes. Elles fréquentent donc des sites aérobies mais tolèrent les faibles valeurs de potentiel d’oxydoréduction. Elles sont sujettes à migration hors du floc lorsque l’oxygène disparaît, tout comme le font les Spirilles, mais étant moins mobiles et sans la propriété de coller sur la lamelle, on les voit moins et on les compte plus difficilement.

Figure 14 : Grande Amibe dans le liquide interstitiel - objectif x40.

Les Thécamibes sont des Amibes à carapace. Plusieurs espèces de tailles fort différentes existent dans les boues. Elles ont la propriété de rester à la surface des flocs qu’elles ne peuvent pénétrer à cause de leur carapace, mais elles ont des pseudopodes extensibles parfois très longs et très fins, qui sont principalement organotrophes. Les Thécamibes exploitent grâce à leurs pseudopodes la couche subsurfacique des flocs et la couche profonde anoxie, voire anaérobie. Les Thécamibes sont d’excellents bioindicateurs de boue activée stabilisée, c’est-à-dire non fermentaire anaérobie, de boue activée nitrifiante et dénitrifiante. Du fait que les Thécamibes ont des tailles très différentes de carapace mais aussi de pseudopodes, elles exploitent des couches à différentes profondeurs dans le floc. C’est pourquoi on regarde les Thécamibes comme étant des organismes vidangeurs ou « éboueurs » des composés organiques présents ou produits à l’intérieur du floc. Ceci conduit à des boues stabilisées moins susceptibles de fermenter ou, en tout cas, générant moins d’odeurs de produits de la fermentation que des biomasses jeunes, moins stabilisées.

Figure 15 : Spirille au microscope à contraste de phase.

En somme, Amibes et Thécamibes partagent la couche ou zone subsurfacique avec les Spirilles mais ne sont pas systématiquement présentes en même temps du fait de leurs besoins en oxygène différents.

Figure 16 : Spirille au microscope à contraste de phase.

Les autres microorganismes habituellement présents dans les boues, Protozoaires et Métazoaires qui ne partagent pas la niche écologique des Spirilles, ne sont donc pas leurs concurrents. On peut donc rencontrer en même temps que des Spirilles les espèces fréquentes des boues activées. Les Spirilles apportent une information limitée à la couche ou zone subsurfacique des flocs. Les espèces habituelles hôtes des boues apportent des informations sur leur zone d’habitation, leur niche écologique, on dit aussi sur leur compartiment d’habitation.

Interprétation des Spirilles dans la boue activée

Les Spirilles signent les conditions suivantes prévalentes dans les flocs :

  • Possible anaérobiose à l’intérieur des flocs accompagnée de production de substrats organiques solubles.
  • Possible apport massif de DBO5 par l’eau brute qui sature les surfaces des flocs et diffuse dans les zones subsurfaciques, habitat des Spirilles.
  • Zone subsurfacique, zone limitrophe d’une zone de surface des flocs aérobie et d’une zone profonde du floc anaérobie ou anoxie. Dans cette ligne de front métabolique, les Spirilles peuvent proliférer ajustant par leur déplacement leur besoin en microconcentration d’oxygène et leur quête du substrat nutritif (substrat organique soluble).
Figure 17 : Protozoaires Vorticelles - objectif x40 - bioindicateur d’oxygénation suffisante.

Ce tableau écologique est d’autant plus prononcé que les Spirilles sont nombreux. Il en découle que la numération des Spirilles est indispensable pour évaluer l’état de la boue activée c’est-à-dire pour reconnaître le degré d’importance dans la boue activée des trois indications écologiques ci-dessus énoncées.

Interprétons trois cas théoriques de concentration de Spirilles :

 Quelques rares Spirilles observés en présence de bioindicateurs de concentration d’oxygène dissous favorable à l’épuration. Ils signifient que le floc est pourvu en oxygène dissous et que l’intérieur du floc est discrètement anaérobie. Ceci suppose que les colonies bactériennes du floc sont en voie de stabilisation.

Figure 18 : Protozoaire Vaginicola - objectif x40 - bioindicateur d’oxygénation suffisante.

 Pas de Spirille du tout mais présence de microorganismes bioindicateurs de concentration d’oxygène dissous favorable à l’épuration (Vorticelles, Vaginicola…). Dans ce cas, il y a confirmation que l’oxygène dissous pénètre dans la zone subsurfacique et même dans l’intérieur du floc, conditions pour une stabilisation des boues et bonne épuration.

 Beaucoup de Spirilles, avec rares bioindicateurs d’oxygène dissous. Dans ce cas, la boue se trouve à la limite de son fonctionnement : pas de nitrification, bactéries libres dans l’eau épurée. Ceci signifie que :

  • l’intérieur des flocs est anaérobie et produit des substrats d’origine fermentaire,
  • l’oxygène dissous moyen dans la boue activée est faible, tout en étant suffisant pour entretenir ou maintenir dans le liquide interstitiel une microfaune aérobie rare,
  • la surface des flocs est pratiquement saturée en DBO5 adsorbée. La zone subsurfacique elle-même reçoit du substrat exogène (DBO5 de l’eau brute), ce qui stimule la croissance des Spirilles.

Ces trois cas extrêmes, entre lesquels se situent les boues activées, montrent qu’il est nécessaire de connaître la démographie des Spirilles pour interpréter l’état des boues activées. Pour évaluer la concentration des Spirilles et donc l’état oxymétrique dans la zone subsurfacique de la boue, nous proposons le Test Spirille = le T.S.

Indice Spirille

La numération des Spirilles pose dans les boues activées un problème particulier à savoir que le comptage de microorganismes d’habitude est habituellement exprimé en nombre d’individus par millilitre (ml) de boue activée bien mélangée, et représentative du bassin. Mais cette façon de compter dans le cas des Spirilles n’est pas suffisamment informante ou plutôt informe sur autre chose que ce que l’analyste recherche. Rappelons que l’analyste cherche à savoir si les flocs contiennent beaucoup ou peu de Spirilles pour en déduire l’état physiologique en rapport avec l’oxymétrie subsurfacique du floc. Or une boue peut être très concentrée ou au contraire peu concentrée en MES, contenir beaucoup ou peu de gros flocs ou bien peu ou beaucoup de petits flocs. En somme, toutes les combinaisons sont possibles en termes de tailles et de concentrations des flocs.

Comme les Spirilles sont hôtes des flocs, flocs pouvant être soit absents, soit peu nombreux, soit très nombreux, la numération des Spirilles en nombre par ml de boue n’est pas suffisante, pas assez informante sur l’effectif de Spirilles réel dans le floc. Cependant, il s’agit de la seule information utile en ce sens que c’est elle qui indique le degré de colonisation spirillaire des flocs ; et donc sur l’état du floc en termes d’oxygénation et de charge organique adsorbée.

Nous avons dit que ce qui est souhaité, c’est le nombre de Spirilles par floc et non le nombre par millilitre (nb/ml). Pour approcher ce renseignement, nous avons pensé que le plus facile serait de compter le nombre de Spirilles par unité de longueur de bord de floc sachant que les Spirilles colonisent la subsurface des flocs, c’est-à-dire le bord interne des flocs. Comment mesurer les bords de floc dans des flocs de tailles variables, et est-ce une unité plausible de quantification ?

Nous pensons que c’est une excellente unité parce que dans le cas des Spirilles localisés le long des bords de flocs, nous obtiendrons des comptages de Spirilles très contrastés indépendamment de la concentration en flocs. Un floc riche en Spirilles dans une boue peu concentrée en M.E.S. a une signification différente qu’un floc pauvre en Spirilles dans une boue à forte concentration en M.E.S., alors qu’un comptage classique des Spirilles exprimé en nombre par ml de boue aurait donné dans les deux cas la même valeur.

La méthode de comptage naturelle, disons classique en nb/ml (nombre par millilitre), pour une concentration identique de Spirilles au niveau du bord de floc dans deux boues, sous-évalue les conditions anoxiques de la boue lorsque sa concentration en M.E.S. est faible et au contraire la surévalue dans le cas d’une forte concentration en M.E.S.

Méthodologie de l’Indice Spirille = indice I.S.

Principe de la numération à la base de l’I.S.

Il s’agit d’un comptage des Spirilles dans leur niche consistant à compter les Spirilles par unité linéaire de bord de floc au grossissement global x400 au contraste de phase. Pour cela, nous faisons dix comptages successifs dans la préparation de l’échantillon examiné. Le nombre dix comptages a été choisi pour et pour s’affranchir quelque peu de la variabilité des mesures individuelles tout en ayant une moyenne raisonnable mais également pour que le comptage reste relativement court, une des conditions nécessaires pour un examen de terrain. La longueur de bord de floc soumise au comptage est choisie ainsi :

  • On prend un champ au grossissement global x400 fois dont environ la moitié est occupée par un floc et l’autre moitié par l’eau interstitielle. Ceci veut dire que la longueur de bord de floc examiné est, en gros, égale au diamètre du champ. Dans notre cas pour le microscope utilisé, le diamètre est de 400 µm. Nous disons « en gros » parce que le bord de floc n’est jamais parfaitement linéaire.
  • C’est donc en observant le bord de floc que nous attendons l’apparition des Spirilles qui sortent en effet après quelques minutes et qui migrent à la verticale contre la lamelle.
  • Au bout d’un certain temps - disons cinq minutes - on n’observe plus de Spirilles sortant des flocs ni plus de migration ascendante des Spirilles, c’est le moment de les compter. Ils sont très visibles car plaqués contre la lamelle dans un même plan.
  • Il faut compter sans attendre car la lame peut commencer à se dessécher et gêner le comptage à cause des mouvements des flocs dus à la rétraction de l’eau et formation de bulles d’air dans la préparation.
  • Nous comptons dix champs différents en respectant le protocole de la moitié du champ occupé par un ou des flocs et l’autre étant de l’eau interstitielle.
  • On calcule la moyenne des valeurs et c’est cette moyenne qui est l’Indice Spirille I.S.

Quelques remarques pratiques d’exécution de l’Indice Spirille I.S. :

  • Lorsque les flocs sont moyens ou gros, leur taille remplit la moitié du champ du microscope (400 µm), il n’y a alors aucun problème de comptage et d’interprétation du protocole.
  • Par contre, lorsque les flocs sont petits, inférieurs à 400 µm, il faut choisir des champs sur la préparation où les flocs, côte à côte, réalisent une ligne à peu près continue d’une longueur de 400 µm diamètre du champ.
  • Si l’on n’arrive pas à en trouver, c’est que la boue est très peu concentrée et de plus contient des petits flocs ceux qu’on appelle « tête d’épingle ».
  • Alors on refait une préparation en ne mélangeant pas les flocs mais en laissant un côté de la préparation plus concentrée en MES que l’autre. On trouve ainsi des flocs suffisamment rapprochés pour réaliser la ligne continue de 400 µm du protocole nécessaire à la réalisation du test.

Valeurs concrètes de l’I.S.

Dans les boues que nous avons rencontrées, l’I.S. varie de 0 à 110 - il peut vraisemblablement atteindre des valeurs supérieures 110 mais les cas sont évidemment rares. Les valeurs les plus fréquentes sont comprises entre 5 et 30.

Exemple de cinq boues activées avec outre l’Indice Spirille I.S., les filaments bactériens dominant, la microfaune. Les Amibes et Thécamibes, qui partagent la zone subsurfacique des Spirilles.

Les espèces de Spirilles connues : morphologies, impacts sur la santé

Espèces du genre Spirillum, gram négatif, à multi spires et deux touffes de flagelles apicaux, existantes dans les milieux aquacoles.

    • Spirillum volutans
    •      ″                 undulans
    •      ″        serpens
    •      ″        muris
    •      ″        itersonii
    •      ″                kolkwitzii
    •      ″                virginianum
    •      ″        kutscheri
    •      ″        lipoferum
  • Spirillum muris est pathogène pour l’homme, son habitat normal est la cavité buccale du rat qui contamine par morsure directe et occasionne les maladies des éboueurs, des abattoirs, etc…. 
  • La contamination peut avoir lieu par contact de la peau avec des déchets mordillés par des rats. Les milieux aquatiques, dans lesquels vivent des rats, sont donc dangereux, c’est pour cela qu’il est nécessaire de porter des gants quand on manipule les boues.

Le nom de genre Spirillum a été créé par le célèbre naturaliste Ehrenberg en 1830. Le nom de Spirille a, par la suite, été donné à quantité de bactéries plus ou moins en forme de spirale.

Figure 20 : Leptospira au microscope électronique à balayage.

Spirillum a été longtemps le nom de bactéries apparentées au Vibrion du choléra, qui n’est pourtant pas une bactérie à multi-spires mais une bactérie simplement en forme de virgule. Ainsi on a connu les pittoresques Spirilles de Gennevilliers, de Courbevoie, de Saint Cloud, du Point du Jour lors de la pandémie de choléra de la belle époque en 1892. Elles n’ont aucun rapport avec les Spirilles des boues activées si ce n’est qu’elles pourraient bien en cas d’épidémie survivre dans ces boues.

Pour aller plus loin - Autre bactérie spiralée différente des Spirilles dans les boues activées : Leptospira

Le bactériologiste allemand Adolf Weil (1886) décrit et nomme la bactérie Leptospira ainsi que la jaunisse qu’elle provoque. Cette bactérie fit des ravages en 14/18 sous le nom de fièvre des tranchées, souche Verdun. Aujourd’hui, on la rencontre dans tous les milieux aquacoles.

Les Leptospires sont de très longues bactéries unicellulaires formées d’un tube cellulaire, appelé encore « cylindre protoplasmique » entouré d’une enveloppe lipido-protéïque. Ce long corps présente un grand nombre de spires (de 10 à 100) identiques. Une touffe de fibrilles contractiles appelée axostyle se trouve le long du tube cellulaire et commande les mouvements de la déformation du corps de la bactérie. Les Leptospires sont des Saprophytes, Gram négatif, aérobies strictes. La mobilité des Leptospires se fait par :

  • Translation.
  • Inflexion.
  • Déploiement.
  • Repliement.
  • Parfois enroulement.

L’origine des Leptospires dans les milieux aquacoles et même dans les boues de stations d’épuration semble être la contamination par les urines d’animaux porteurs des germes, pour eux non pathogènes, rats, insectivores, batraciens.

Les égouts sont le lieu de choix pour leur dispersion.

Les liquides riches en matière organique sont la niche écologique des Leptospires libres, vases d’étangs, boues de lagunage, rizières, boues activées dans certains cas. Les Leptospires libres (hors de l’animal hôte) se cultivent sur milieu contenant des composés organiques gras. Pour cette raison, on suspecte dans les boues activées contenant des Leptospires des déversements d’origine industrielle, abattoirs, laiteries, etc, qui sont susceptibles de contenir des acides gras.

Les Leptospires ne colonisent pas l’intérieur des flocs de boue activée comme font les Spirilles, mais le liquide interstitiel, et plus précisément la surface des flocs, susceptible d’absorber des acides gras. Deux espèces de Leptospires sont fréquemment rencontrées dans les milieux aquacoles, Leptospira interrogans qui est pathogène pour l’homme et qui est plus rare, et Leptospira biflexa, qui est l’espèce non pathogène des boues activées et la plus fréquente dans les boues. Mais le risque de rencontrer l’agent pathogène Leptospira interrogans impose l’utilisation des gants lors de contacts avec les boues activées.

Conclusions

Les Spirilles sont des marqueurs de matière organique adsorbée sur les biomasses bactériennes subsurfaciques du floc.

Cette information implique en pratique les éléments suivants :

  • Présence de substrat nutritif dans le floc qui a pour effet d’entretenir une respiration donc entraîne localement une chute d’oxygène dissous.
  • Croissance des bactéries dans le sens centrifuge au floc en direction de la concentration élevée d’oxygène donc vers l’extérieur du floc. Cette croissance implique une sécrétion d’exopolymère jeune non encore solidifié.
  • Une tension d’oxygène faible au niveau de la zone subsurfacique = conditions microaérophiles.
  • Prédation de la croissance bactérienne par des prédateurs adaptés aux bactéries agglomérées : Aspidica, Trachelophyllum, Microthorax.
  • La présence de Spirille indique une charge organique soluble dans la zone subsurfacique. La présence de cette matière organique peut être liée à :
    • L’arrivée de matières organiques hydrolysées par action fermentaire : fermentation des eaux usées dans le réseau, dans un bassin d’orage ou dans un bassin tampon, dépotage de matières de vidange issues de l’ANC, lixiviats de décharge, retours en tête septiques issus du traitement des boues, dépôts de boues dans les bassins.
    • L’arrivée d’eaux usées industrielles contenant des matières organiques solubles, éventuellement hydrophobes du type laiterie, abattoir.
    • L’apport insuffisant d’oxygène pour que la biomasse arrive à dégrader l’ensemble des matières organiques. Ce manque d’aération peut être lié à un équipement non performant (diffuseurs membranaires colmatés, pâles des turbines usées), des réglages inadaptés dans l’approvisionnement de l’oxygène (cadence/durée d’aération insuffisante, écueil dans le paramétrage des seuils hauts et bas des sondes ou analyseurs du type oxymètre, rédoxmètre, ammonium, nitrate), défaut d’entretien ou d’étalonnage des sondes ou analyseurs.










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