Les capacités locales d’approvisionnement en eau ont souvent conditionné la naissance et le développement des industries minières et métallurgiques. Les recherches historiques et archéologiques conduites sur les sites miniers anciens de la Haute-Vallée de la Moselle, dans le massif des Vosges, permettent d’appréhender de manière satisfaisante une grande partie des méthodes utilisées par les mineurs pour maîtriser et utiliser l’eau, du xvie au xviiie siècles. En effet, la bonne conservation des vestiges a permis une étude approfondie des structures et des machines liées à l’utilisation de l’eau par les mineurs
La recherche et l’exploitation des minerais argentifères et cuprifères commencent en 1550 et se développent rapidement autour de Bussang, St Maurice, Fresse, Le Thillot et Ramon-champ, villages du baillage des Vosges au Sud du duché de Lorraine. L’activité durera deux siècles, perturbée momentanément par la profonde désorganisation de l’économie lorraine due à la guerre de trente ans.
Dans un contexte géographique de moyenne montagne, les filons minéralisés étagés de 600 à 1200 m d’altitude, sont subverticaux dans le cas des mines d’argent ou pentés à environ 50° dans celui des mines de cuivre. Dès les premiers temps de l’exploitation, l’eau est perçue de deux manières différentes, tout d’abord, l’eau gênante qui noie les fonds de puits et qu’il faut épuiser, et l’eau utile et même indispensable pour laver et concentrer les minerais, pour fournir l’énergie mécanique nécessaire au fonctionnement des soufflets des forges et des fonderies, des scieries à eau et des boccards à minerai. Avec le développement en profondeur des mines, les besoins en énergie hydraulique pour assurer l’exhaure des eaux souterraines s’accroissent fortement.
L’eau propre à ces divers usages est celle des cours d’eau de fond de vallée ou celle des ruisseaux de pente, les “gouttes” et les “rupts”, plus difficile à maîtriser. La stratégie d’implantation des installations est déterminée par plusieurs facteurs liés en partie à l’eau et à la possibilité d’un emplacement à distance de la source de matière première à traiter. La nature et l’importance de l’installation qui s’accorde ou non des contraintes spatiales, de pente, d’accès et de dégagements gouvernent donc l’implantation… Les scieries et la fonderie principale, exemples d’installation “lourdes” qui nécessitent en espace plat, d’accès aisé, de grande surface et un approvisionnement en eau constant, sont situées près des ruisseaux affluents de la Moselle dans les vallées secondaires, à proximité de l’axe principal de circulation près du village de St Maurice. La fonderie utilise par dérivation l’eau du ruisseau de la “colline des charbonniers”. Son implantation en 1560 a résulté des réflexions d’un groupe de mineurs experts. Elle se trouve à proximité d’une route de commerce Flandre-Italie, par le col de Bussang, au cœur du district minier dans un espace suffisamment dégagé pour ne pas subir les stagnations de fumées toxiques des fours de fonte et au cœur d’un vaste domaine forestier ducal de 2000 hectares où les charbonniers élaborent l’indispensable charbon de bois. Ce choix de proximité des zones de production de charbon de bois est dû à la différence des coûts de transport entre minerai et charbon “les fondeurs suivent la forêt”.
Le minerai qui arrive à la fonderie est déjà enrichi et prêt à fondre, les mineurs en effet, lorsqu’ils le peuvent évitent le transport de minerai brut. Pour ce faire, les installations de traitement mécanique des minerais, concassage, lavage, enrichissement sont, elles localisées à proximité des mines. La plupart de ces mines sont à des altitudes plus importantes. L’eau nécessaire ne peut alors être que celle qui circule sur des pentes, c’est-à‑dire celles des gouttes et des rupts. Le cours rapide de ces ruisseaux est caractérisé par une grande variabilité de débits et la maîtrise en est plus difficile. Le choix de la localisation n’est donc pas des plus aisé.
Mais les consommations d’eau les plus importantes sont liées aux besoins en énergie et surtout à la nécessité d’alimenter les roues hydrauliques des machineries de pompage qui autorise le travail au fond des mines en assurant l’épuisement des eaux souterraines. Ces techniques d’exhaure mises en œuvre au cours des xvie , xviie et xviiie siècles dans les mines du Thillot ont fait l’objet d’études archéologiques et archivistiques particulières. Elles sont assez bien connues dans leur conception et leur fonctionnement.
Le problème principal à résoudre aux mines du Thillot était la relative pénurie d’eau utilisable à proximité des mines. Bien que très bien pourvu en précipitations assez bien réparties sur l’année (deux mètres annuels), ce secteur de moyenne montagne appartenant au massif du Ballon d’Alsace et du Ballon de Servance est paradoxalement dans le secteur des mines du Thillot, pauvre en eaux de surface. De ce fait, les mineurs au fur et à mesure de leurs besoins ont dû modifier à leur profit la circulation de l’eau sur un vaste territoire.
En exploitant les rares possibilités du relief, les mineurs ont optimisé les possibilités offertes sur le bassin versant du seul ruisseau proche des mines et pour ce faire, ils ont construit 6 étangs. Le premier “l’Étang sur la place” a été réalisé en barrant par une chaussée de terre un fond de vallon.
Cet étang est le plus proche des mines et est le seul réservoir de pente qui dispose d’un bassin versant conséquent de 1 km2 . Les autres sont des aménagements d’endroits marécageux de type tourbières situés plus en altitude sur les zones sommitales les plus proches. Ainsi sur “la Tête des Noirs Étangs”, quatre étangs dénommés “le Petit”, “le Grand”, “le Neuf” et “le Noir” Étangs constituent un ensemble groupé de 13500 m2 qui exploite la moindre dépression de terrain sur la crête. À l’écart de cet ensemble, on trouve plus à l’Ouest et à une altitude intermédiaire, l’étang de Froideville (6000 m2 ).
Ces cinq étangs de crête qui ne sont alimentés chacun que par l’eau collectée sur de faibles superficies sont pratiquement localisés sur la limite de partage des eaux Mer du NordMéditerranée. Tous les étangs sont barrés de digues en terre avec parements de moellons. Chaque digue est équipée d’une vidange de fond et d’un déversoir de trop plein. Les étangs supérieurs ne constituent que des réserves en cas de pénurie. De l’étang collecteur inférieur, “l’Étang sur la Place” qui ne représente que 2000 m2 , l’eau est conduite par un canal aménagé qui décrit une trajectoire en courbe sur la pente afin de maîtriser la vitesse de l’eau vers le site d’utilisation principal. Ce canal de 1 m de large et de 300 m de longueur est selon les accidents du relief soit encaissé dans le terrain, soit rehaussé latéralement avec une levée de terre, soit encore creusé dans la roche. Il est garni de parements de moellons sur la plus grande partie de son parcours. À l’aval de ce canal, la fouille archéologique du fond d’une “cascade” a permis après évacuation de plusieurs centaines de mètres cubes de roche et alluvions diverses, de mettre au jour les restes d’une construction en pierres. Cette bâtisse de 10 m de long pour 2 m de large est prolongée du côté aval par un canal de fuite de 4 m couvert de dalles de granit qui permet à l’eau de regagner le thalweg.
Du côté amont, la paroi rocheuse présente une dénivellation de 12 m jusqu’au plancher de la bâtisse dégagée. Cette construction a été identifiée comme étant les vestiges d’une chambre de roue, une “Rades-toube” pour les mineurs. Les archives ducales conservées à Nancy permettent de confirmer l’existence de roues hydrauliques de fort diamètre (10 m) aux mines du Thillot.
La roue hydraulique, les tirants ou “perches d’engins” qui transmettaient le mouvement créé par la manivelle de la roue vers les pompes, c’est toute cette machinerie de bois que les mineurs du Thillot qualifiaient “d’engin”. Cette machine hydraulique était conçue, réalisée et entretenue par un personnel spécialisé appartenant à cette communauté très particulière des mineurs de cette époque, particularité se traduisant par une hiérarchie poussée, par des spécialités techniques différenciées, par une solidarité effective et une technicité reconnue. Le savoir-faire de ces techniciens trouvait sa reconnaissance à travers un certain nombre d’avantages accordés par les souverains à travers toute l’Europe, tels que la dispense d’impôts, la franchise de recherche de filons, une justice corporative, une priorité d’achat au marché du samedi, créée pour eux, une libre circulation dans le duché de Lorraine, etc. Le responsable de ce personnel technique chargé de l’exhaure était généralement un charpentier ; ce “maître des engins” qui était considéré comme officier des mines avait autorité sur les “valets d’engins”.
L’étude archéologique des zones profondes de la mine Saint Thomas et surtout de la mine Saint Charles qui développe environ 3 km de puits, chantiers (dépilages) et galeries a contribué à la connaissance des techniques d’exhaure en usage au Thillot dans la phase terminale de l’exploitation, dans la première moitié du xviiie siècle. En effet, de 1994 à 1996, ont été découvertes, en zone noyée, trois grandes pompes hydrauliques avec les systèmes de transmission qui les actionnaient ainsi qu’un ensemble intact de cinq pompes manuelles. L’étude de ce matériel a donc permis de collecter des informations sur sa conception, son installation, son entretien et son fonctionnement.
Les pompes mécaniques trouvées sont constituées d’un corps de pompe en fonte, qui remplace au xviiie siècle le cuivre, cité dans les textes du xviie siècle, de 1,60 m de long pour un diamètre intérieur de 20 cm. Dans ce cylindre est actionné le piston en bois percé de trous. Ce piston fixé à l’extrémité d’une tige de fer et de bois est surmonté de rondelles de cuir fort, formant soupape qui obturent les trous du piston à la remontée permettant ainsi l’ascension de la colonne d’eau dans la pompe. La tige du piston de chaque pompe était reliée au train de perches par un dispositif d’accouplement qui permettait les opérations d’entretien comme le remplacement du piston ou de réparation de soupapes.
À la partie inférieure du corps de pompe, sous le piston, un clapet de cuir lesté de métal, ouvert à la remontée du piston, obture la lumière du premier tuyau d’aspiration en bois, lors de la descente du piston, afin de forcer le passage de l’eau à travers les trous du piston et autour des soupapes de cuir retroussées par la pression. Au Thillot, en raison de la configuration des travaux, ces pompes fonctionnaient inclinées de 30 à 50° selon le pendage des filons, elles pouvaient mesurer une quinzaine de mètres de long. En fonction de l’approfondissement des travaux, il était possible de rallonger la partie inférieure de la pompe en rajoutant des tuyaux d’aspiration, l’assemblage conique des tuyaux permettait en outre une petite latitude de changement d’angle suffisante pour épouser les irrégularités de la roche. Deux types de pompes coexistaient au xviiie siècle selon la présence ou non de tuyaux de bois au-dessus du corps de pompe. Plusieurs pompes pouvaient fonctionner en relais, actionnées par le même train de tirants. L’un des problèmes technique à résoudre était de transmettre le mouvement créé par la roue à un endroit imposé par le relief et l’hydrographie, jusqu’aux lieux d’utilisation au fond des puits.
Ceci était
réalisé par un système de tirants assemblés en une tringlerie rigide qui tout
en conservant l’amplitude de la course
alternative du mouvement devait pouvoir s’adapter à toutes les contraintes
du trajet. Ces tirants mis en mouvement
par la manivelle de la roue hydraulique,
étaient supportés de place en place par
des balanciers ancrés au sol, leur parcours en surface pouvait représenter
plusieurs centaines de mètres en suivant tous les accidents du relief. Leur
passage en galerie et dans les puits forçait les mineurs à réaliser des aménagements ingénieux pour emprunter les
passages possibles jusqu’aux pompes au
fond du puits.
Les pompes à bras trouvées sont toutes
de conception très simple et fonctionnent suivant le même principe
d’aspiration que les grosses pompes
mais le diamètre intérieur du corps de
pompe est adapté à la force humaine,
il ne mesure que 8 ou 9 cm, la traction
est directe par une double poignée à
l’extrémité de la tige du piston.
Les pompes trouvées conservées par
l’eau ont été étudiées en détail et l’une
d’entre elles a été démontée puis stabilisée dans un laboratoire spécialisé dans
la conservation des bois gorgés d’eau.