Les performances de l’ultrafiltration (UF) ont déjà été présentées pour l’élimination de certains agents pathogènes de l’huître creuse, la culture de microalgues, la gestion d’un bloom algal et la production d’une eau traitée adaptée à la fécondation en écloserie. Dans la suite de ces résultats, cet article présente trois nouvelles applications. Il s’agit d’abord de l’élimination par UF du norovirus dans l’eau de mer, agent pathogène pour l’homme, accumulé dans les huîtres et connu pour être responsable de fermetures de sites de production sur tout le littoral français. Il s’agit ensuite de la purification de l’eau de mer par UF pour la culture de microalgues dans le cas d’une production industrielle de phytoplancton fourrage. Enfin, le procédé d’UF a été éprouvé en sortie de fermes aquacoles afin de fournir une eau purifiée réutilisable en interne pour les élevages de naissains en cas de pollution extérieure. Le colmatage, limite inhérente aux procédés membranaires a été contrôlé de manière efficace par la réalisation de rétrolavages classiques mais également essorés. Ces applications de l’UF sont très prometteuses.
INTRODUCTION
Le procédé d’ultrafiltration est largement utilisé pour les applications en eau de mer et saumâtres, notamment pour le prétraitement d’eau de mer avant potabilisation de l’eau par osmose inverse. Dans cet article, ce sont les applications aquacoles qui seront présentées et particulièrement l’intégration de l’ultrafiltration dans les productions conchylicoles. En effet, l’efficacité du procédé à éliminer bactéries et virus, abattre la turbidité et produire une eau de qualité constante quelle que soit la qualité de l’eau en amont du procédé sont des avantages non négligeables dans ce domaine.
Dans un précédent article, les performances de l’ultrafiltration avaient été présentées dans le cas : (i) de l’élimination d’agents pathogènes de l’huître creuse C. gigas (virus OsHV-1 et bactérie Vibrio aestuarianus), (ii) de l’apparition d’un bloom algal dans l’eau alimentant des installations d’élevage d’un bloom algal, (iii) de la culture de microalgues et (iv) de la production d’une eau traitée adaptée à la fécondation en écloserie, une des étapes les plus sensibles du cycle de vie de l’huître creuse. Dans cet article, la purification par ultrafiltration est appliquée (i) à l’élimination du norovirus, agent pathogène pour l’homme, accumulé dans les huîtres et connu pour être responsable de fermetures de sites de production sur tout le littoral français, (ii) à la culture de microalgues dans le cas d’une production industrielle de phytoplancton de fourrage, (iii) enfin, le procédé d’ultrafiltration a été éprouvé en sortie de fermes aquacoles afin de fournir une eau purifiée réutilisable en interne pour les élevages de naissains.
Le colmatage, limite inhérente aux procédés membranaires, accentué par la filtration d’une eau de mer naturelle, a été contrôlé de manière efficace par la réalisation de rétrolavages classiques mais également essorés. Cette procédure innovante consiste en une réinjection d’air dans les fibres creuses afin de les sécher suivie d’un rétrolavage classique.
ÉLIMINATION DES NOROVIRUS
Les microorganismes pathogènes et les norovirus menacent les productions ostréicoles de deux manières : par l’infection des coquillages eux-même ou bien, par leur accumulation au sein des huîtres et, sans les impacter, être pathogènes pour les humains avec pour conséquence l’interdiction de vente de ces bivalves. C’est le cas des norovirus (Desdouits et al., 2022). L’objectif est ici d’évaluer les performances de rétention des norovirus par l’ultrafiltration.
Pour des raisons de quantité de virus et de nécessité de travail en conditions confinées, les essais présentés ont été réalisés à échelle laboratoire (surface membranaire: 0,20 m²) et une pré-étude a été réalisée avec un virus substitut du norovirus : le virus de Tulane reconnu pour avoir des propriétés similaires au norovirus mais sans être pathogène pour l’homme et facilement cultivable (Farkas, 2015; Taligrot et al., 2022).
Les deux études amènent des résultats similaires en termes de rétention que l’on calcule la rétention globale ou la rétention moyenne, cette dernière prenant en compte l’évolution de la concentration en amont lors de la phase de filtration. Les résultats en amont de la membrane mettent en avant une rétention entre 1 et 5 log, plus la solution à traiter est concentrée plus la rétention est élevée (Figure 1).
Cette évolution s’explique notamment par l’agrégation des virus lorsque leur concentration augmente, facilitant ainsi la rétention par exclusion stérique (Jacquet et al., 2021; Taligrot et al., 2022). L’UF permet donc de bons abattements des norovirus et le virus de Tulane est confirmé être un bon substitut en termes de comportement vis-à-vis de UF. La prochaine étape consistera à dépurer des lots contaminés par des norovirus afin d’étudier l’impact de l’utilisation d’une eau dépourvue de virus sur la dépuration des animaux.
CULTURE DE MICROALGUES
La production de microalgues fourrages est essentielle dans les écloseries conchylicoles pour apporter les nutriments aux coquillages tout au long de leur cycle de production. Leur culture nécessite des précautions afin d’éviter l’introduction de parasites ou microorganismes pouvant perturber la sécurité des bivalves et la culture de phytoplancton elle-même.
L’eau ultrafiltrée a déjà montré ses performances en termes de croissance et de protection sur la culture de Tetraselmis suecicca et Isochrysis galbana affinis Tahiti (T-iso) (Cordier et al., 2020). L’étude présentée a pour objectif de valider ces résultats avec T-iso au sein d’une écloserie/nurserie professionnelle (Vendée Naissain) et de s’attarder sur le cycle de croissance de cette microalgue pour des volumes successifs de 250 mL, 2 L et 30 L (Figure 2).
Comme lors de la première étude, un gain en termes de protection de la culture vis-à‑vis de parasites mais aussi un gain sur la mobilité est observé avec l’eau UF, en conservant un bon aspect de la culture par rapport à l’eau témoin (Figure 3) (Eljaddi et al., 2021). La culture en eau ultrafiltrée présente également une croissance plus rapide avec une phase de croissance exponentielle plus courte (25%), permettant une réduction des cycles de croissance et limitant la verrerie et le temps de repiquage quotidien.
Le procédé est actuellement confronté à la production annuelle de microalgues pour d’autres applications (production pour biocarburant,) sur des volumes plus importants (de 250 mL à 400 m3 ) et à partir de qualités d’eau de mer plus contraignantes (réutilisation d’eau, eau de forage…).
RÉUTILISATION D’EAU AU SEIN D’UNE PRODUCTION CONCHYLICOLE
Les écloseries et nurseries conchylicoles ont généralement un accès illimité à une eau de mer naturelle en continu, mais la notion de réutilisation des eaux devient indispensable pour limiter l’impact de ce secteur sur son environnement littoral et contribuer aux objectifs d’une aquaculture durable. Cette configuration peut aussi être intéressante en cas de dégradation de la qualité de l’eau alimentant les élevage (pollution hydrocarbure par exemple).
C’est dans ce cadre que se positionne cette étude. Le pilote d’ultrafiltration habituellement alimenté avec une eau de mer préfiltrée à 20 µm, est alimenté par une eau en sortie d’élevage d’huîtres adultes chargée en fèces, microalgues non consommées et bactéries. L’objectif est de savoir si le procédé est capable de délivrer une qualité d’eau adaptée à la croissance d’huîtres juvéniles notamment en termes de concentration bactérienne et matières en suspension (MES).
Ainsi, la configuration présentée Figure 4 a été mise en place et les performances hydrauliques ont été suivies en continu. Les conditions de filtration ont été adaptées de façon à limiter le colmatage des membranes. Ainsi, un flux de 60 L.h-1.m-2. bar-1 et un temps entre deux rétrolavage de 60 min ont été appliqués. La qualité d’eau produite a été validée par (i) le suivi de croissance d’un élevage de naissain et la comparaison avec un lot d’huître témoin alimenté par une eau traitée par les procédés standards et (ii) un suivi de la qualité d’eau (paramètres physico-chimiques, MES, flore totale et bactéries Vibrio) tout au long des 2 mois de l’étude.
Le suivi de la perméabilité met en avant un colmatage prononcé des membranes en comparaison à la filtration d’eau de mer. Cependant, les procédures de nettoyage, notamment les rétrolavages essorés présentes dans cet article, ont montré leur efficacité, avec un maintien de la perméabilité sur la durée de l’étude et des conditions économiquement viables puisqu’un nettoyage chimique était en moyenne nécessaire que toutes les 12 h.
Concernant l’eau produite, les résultats mettent en avant une qualité adaptée à l’application étudiée avec (i) des paramètres physicochimiques similaires entre l’eau UF et l’eau témoin sur 2 mois (ii) un abattement des MES et des bactéries jusqu’à des valeurs inférieures aux limites de détection (Tableau 1) malgré une eau en amont significativement chargée en matière organique et (iii) une croissance en taille et poids des juvéniles similaire sur les deux qualités d’eau (Figure 5) (Cordier et al., 2019a).
La réutilisation des eaux au sein des installations conchylicoles en conditions contrôlées est envisageable par ultrafiltration. La prochaine étape est de travailler en circuit fermé ou semi-fermé, configuration plus contraignante que la présente étude.
LES RÉTROLAVAGES ESSORÉS POUR LE CONTRÔLE DU COLMATAGE
Les rétrolavages essorés (RLess) sont automatiquement opérés par le pilote d’ultrafiltration utilisé pour ces études. Cette procédure de nettoyage consiste en une injection d’air comprimé au sein des membranes pour évacuer l’eau et sécher le colmatage, suivie d’un rétrolavage classique (RL), l’injection d’eau traitée dans le sens inverse à la filtration.
Afin de quantifier l’efficacité de ce nettoyage par rapport aux RL, la perméabilité et la pression transmembranaire (PTM) ont été suivies au cours du temps. La figure 6 présente le gain de pression transmembranaire généré après les deux nettoyages (RL et RLess) pour différentes conditions de flux et de temps de filtration.
Plus ce gain est élevé, plus le nettoyage est efficace. On remarque ici que pour toutes les conditions, sauf pour la condition « la plus douce », le RLess entraine un meilleur nettoyage de la membrane que le RL classique (Cordier et al., 2020; Cordier et al., 2018). Ces résultats, obtenus pour la filtration d’eau mer, ont été validés sur différentes matrices : effluent d’élevage d’huîtres contenant fèces et microalgues (Cordier et al., 2019a), effluent conchylicole chargé en matériel biologique (gamètes) (Cordier et al., 2019b) ou encore eau usée urbaine en sortie de station d’épuration (Yang et al., 2021).
L’intérêt de cette procédure est que l’amélioration du nettoyage des membranes permet de diminuer la fréquence de nettoyages chimiques qui posent deux principaux problèmes : (i) la génération d’un effluent contenant les réactifs (chlore, soude et acide somme toute à faibles concentrations) et (ii) une dégradation des membranes à long terme qui a pour conséquence une diminution de leur durée de vie (Rabiller-Baudry et al., 2021).
Ces rétrolavages essorés ont également un impact sur l’intégrité du matériel biologique accumulé sur les membranes. En effet, l’étude sur la rétention de gamètes d’huîtres possiblement présents dans les effluents d’écloseries conchylicoles a mis en avant un impact sur les spermatozoïdes, devenus immobiles après RLess, et les ovocytes dont la membrane est dégradée (Figure 7). Ainsi, dans le cas du traitement des effluents, en plus de la maitrise du colmatage, les RLess offriraient une simplification de la gestion des concentrats générés, par la dégradation des espèces retenues par la membrane (Cordier et al., 2019b).
CONCLUSION
Les études présentées dans cet article exposent les performances du procédé membranaire pour (i) la production d’une qualité d’eau de mer adaptée à de nombreuses applications conchylicoles avec un abattement des bactéries, virus et parasites qui pourraient menacer les élevages et (ii) l’efficacité de traitement d’effluents spécifiques et variés avec la possibilité de réutiliser les effluents produits au sein des installations.
Concernant la principale limite des procédés membranaires, le colmatage, ces différentes études et les données accumulées ont fait ressortir les conditions de filtration (flux et temps de filtration, fréquence et types de nettoyages, nature et concentration des réactifs chimiques) adaptées aux matrices traitées, allant de l’eau de mer prétraitée aux effluents d’élevages, en restant économiquement viable.
L’utilisation des RLess notamment, offre une maitrise du colmatage et limite la fréquence des nettoyages chimiques. La définition de ces conditions de traitement, très variables selon le type d’eau à traiter pourrait être extrapolée pour d’autres applications en eau de mer. Les nombreux résultats présentés précédemment (Cordier et al., 2021) et dans cet article laissent entrevoir d’autres applications potentielles des procédés membranaires en aquaculture, que ce soit sur d’autres coquillages, des poissons (Jiaqi et al., 2023), d’autres souches de microalgues (Ragueneau et al., 2023) ou macroalgues,… avec les objectifs de produire une qualité d’eau adaptée, constante, exempte d’agents pathogènes ou de traiter les effluents avec un impact limité sur l’environnement.
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le