Les exploitants des stations d’épuration, qu’elles soient urbaines ou industrielles, sont tenus de trouver une première solution permanente et une seconde, alternative de secours, pour traiter et évacuer leurs boues résiduaires. Plusieurs solutions éprouvées s’offrant à eux pour traiter (déshydratation sur filtre ou centrifugeuse, compostage, incinération…) puis pour évacuer (centre d’enfouissement technique, valorisation agricole, recyclage…) ces déchets, il est apparu de nouveaux besoins d’ordres méthodologiques et technologiques pour trouver la filière optimale tant technique qu’économique. Quel que soit le choix opéré, cet optimum impose une bonne déshydratation de la boue. Si un séchage complémentaire est envisagé, se pose la question légitime de connaître le degré de siccité à atteindre avant d’amener la boue au séchoir : faut-il déshydrater au maximum ou bien existe-t-il une siccité optimale qui limite les problèmes d’exploitation du séchoir (rhéologie, collage…) ?
La bibliographie scientifique et industrielle n’apportant pas de réponse à la question, une recherche a été engagée par l’IFTS (Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives) d’Agen et le LGPP (Laboratoire de Génie des Procédés de Pau) pour identifier les paramètres caractéristiques d’une boue qui permettent de suivre son comportement à la fois pendant un pressage mécanique et pendant un séchage thermique.
D’abord simuler le pressage pour l’optimiser
La déshydratation par filtration sous pression met en jeu deux processus physiques successifs :
• la filtration est la formation d’un gâteau par dépôt des solides de la boue sur une toile support,
• la compression est l’extraction de l’eau du gâteau sous l’action d’une contrainte mécanique qui en réduit le volume.
Les lois classiques de la filtration sous pression constante (équation 1) ont été validées sur une grande variété de boues :
[Photo : Figure 1 : Cellules de filtration-compression traditionnelles]
[Photo : Figure 2 : Cellules de filtration-compression-lavage-séchage informatisées]
t μ α W μ Rₘ
— = ——————— + ————
V 2 A² ΔP A ΔP
où :
V : volume de filtrat (m³) écoulé en temps t (s)
μ : viscosité du filtrat (Pa·s)
α : résistance spécifique du gâteau (m·kg⁻¹)
W : masse de gâteau sec déposée par unité de volume de filtrat (m·kg⁻³)
A : surface filtrante (m²)
ΔP : pression appliquée (10⁵ Pa)
Rₘ : résistance du support (m⁻¹)
Des essais en cellule de filtration-compression classique (figure 1) permettent de déterminer la résistance spécifique (α) à différentes pressions puis le coefficient de compressibilité (n) de la boue :
α = α₀ ΔPⁿ
De nouvelles cellules équipées de capteurs enregistrant en continu les paramètres de l’essai, y compris la hauteur du gâteau (figure 2), permettent de prédimensionner un filtre-presse avec un minimum d’essais, donc rapidement, et ce dans une large gamme de pressions (0,5 à 20 bar) et de températures (-5 à +130 °C). Leur conception permet en outre l’étude des opérations de lavage des gâteaux et de leur séchage à l’air.
De nouveaux logiciels ont été écrits pour traiter en ligne les données ainsi obtenues. La figure 3 illustre l’application à l’optimisation de l’épaisseur des chambres d’un filtre-presse en fonction de la quantité de boues à traiter et de la pression appliquée.
[Photo : Figure 3 : Optimisation de l’épaisseur des chambres d’un filtre-presse en fonction de la quantité de boues à traiter et de la pression appliquée]
Ensuite sécher la boue déshydratée
L’étude du comportement d’une boue au séchage par convection peut être réalisée sur une boucle classique (figure 4) dont l’ensemble des paramètres opératoires est contrôlé et enregistré en continu.
La courbe caractéristique de séchage de la boue (figure 5, qui se lit de droite à gauche) illustre les trois phases du processus, à savoir : le réchauffement du matériau et de l’eau interstitielle ; la phase isenthalpe, qui traduit l’évaporation à vitesse constante de l’eau interstitielle ; puis la phase de ralentissement, avec ou sans changement de pente, selon que les solides sont hydroscopiques ou non. Elle correspond à la perte de l’eau liée par évaporation et à l’entraînement de la vapeur par l’air chaud qui balaie la surface du gâteau.
Le point de transition entre les phases isenthalpe et d’évaporation est une caractéristique de la courbe de séchage. Avant, le séchage est contrôlé par les conditions d’environnement de la boue (par exemple en séchage convectif : température, humidité relative et vitesse de l’air) tandis qu’après, ce sont les propriétés de transfert du produit qui le contrôlent.
L’humidité à ce point (X₁) est dite « critique ». Elle dépend à la fois du matériau à sécher et des conditions de séchage.
L’humidité à l’équilibre (Xₑ) représente l’humidité résiduelle minimale susceptible d’être atteinte.
Tableau 1 : nature des boues
Minérale |
• Composition : support de catalyseur (alumino-silicate)• Taille des particules : 5 μm• Densité des solides : 3 000 kg/m³• Conditionnement : polyélectrolytes cationiques |
Organique |
• Composition : latex de PVC• Taille des particules : 10 μm• Densité des solides : 1 750 kg/m³• Conditionnement : polyélectrolytes anioniques |
Biologique |
• Composition : boues activées• Taille des particules : μm – mm• Densité des solides : 1 600 kg/m³• Conditionnement : polyélectrolytes cationiques |
[Photo : Boucle de séchage convectif
1- balance ; 2- thermohygromètre ; 5- résistances de chauffe ; 6- anémomètre ; 7- thermohygromètre ; 8- humidificateur]
atteinte dans les conditions industrielles ainsi simulées.
Comment le pressage influe-t-il sur le séchage ultérieur ?
Cette question est importante car la réponse mécanique n’affecte pas la cinétique de séchage.
En fin d’étape de filtration-compression, du fait des différences de pressions appliquées, les gâteaux n’ont pas la même teneur en eau parce que leur porosité (volume de vide rapporté au volume apparent) et leur humidité résiduelle diffèrent. Cependant leur séchage s’effectue avec le même flux évaporatoire.
conditionne l’optimisation du procédé industriel. De plus en plus de stations cherchent à éliminer leurs boues sous forme sèche et des enjeux énergétiques considérables sont sous-tendus par ces deux procédés.
Plusieurs types de boues résiduaires (tableau 1) ont été soumises à déshydratation sous différentes pressions puis à séchage en conditions identiques. La figure 6 montre l’allure caractéristique de l’évolution de l’humidité du gâteau, différenciant clairement les trois processus complémentaires que sont la filtration, la compression et le séchage.
Trois paramètres clefs d’une déshydratation mécanique (pression, durée de la compression et conditionnement) ont été étudiés.
Influence de la pression
Les trois courbes de la figure 7 ont été obtenues par filtration sous différentes pressions mais toutes pendant 60 minutes afin d’atteindre toujours la siccité limite de la boue. Elles montrent clairement que la pression appliquée pendant la phase de déshydratation n’est pas le facteur limitant : le séchage est contrôlé par les conditions d’environnement (température, humidité et vitesse de l’air). Quand la période de décroissance commence, le flux massique dépend du transfert de l’eau à travers le matériau et donc de la distribution des tailles et de l’organisation des pores. Les résultats montrent que la cinétique de séchage est la même quel qu’ait été la pression.
Pendant cette période à flux constant, la migration de l’eau dans le matériau (qui dépend normalement de la porosité) n’est pas le facteur limitant : le séchage est contrôlé par les conditions d’environnement.
[Photo : Courbe d’évolution de la teneur en eau d’une boue en couplage déshydratation/séchage]
[Photo : Courbes de séchage après déshydratation sous différentes pressions de boues minérales (7a), organiques (7b) et biologiques (7c)]
[Photo : Cinétique classique de séchage]
[Photo : Figure 8 : Cinétique de séchage d’une boue de bentonite]
Les mesures de porosité (par porométrie au mercure jusqu’à 2000 bar) sur les échantillons secs révèlent, pour une boue donnée, une seule distribution des diamètres de pores, indépendamment de la pression appliquée pendant la déshydratation mécanique.
La structure du gâteau sec n’a donc pas été influencée par la porosité en fin de compression ni par la pression appliquée.
Influence du temps de compression
La durée du pressage est un paramètre très important d'une déshydratation de boues résiduaires par filtration. Il conditionne directement la productivité de l’unité et les coûts d’immobilisation.
Si le filtre est ouvert juste en fin de phase de filtration, le gâteau contient trop d’eau. Il n’est pas consolidé et colle aux plateaux. À l’inverse, s’il reste longtemps en compression, il se tiendra mieux et son humidité sera réduite à une valeur asymptotique fonction de la pression, mais l’énergie consommée risque de l’avoir été pour rien.
Les essais menés avec les trois types de boues pendant des temps de compression variant de 0 jusqu’à atteindre la siccité limite ont donné des résultats analogues : la cinétique de séchage est indépendante de la durée de la compression.
Cette observation peut être faite aux deux extrêmes en comparant le comportement d’une boue synthétique (bentonite) non pressée et pressée à 10 bar (figure 8).
Influence du conditionnement
La plupart des boues d’épuration et des boues industrielles gagnent en résistance mécanique, en cohésion et globalement en aptitude à la déshydratation après un conditionnement chimique.
[Photo : Figure 9 : Cinétique de séchage d'une boue de bentonite pour différents conditionnements]
La figure 9, bien que moins claire que les précédentes, illustre qu’une boue de bentonite additionnée de polymères en différentes proportions, alors qu’elle change de résistance spécifique (figure 10), sèche de la même manière.
[Photo : Figure 10 : Courbes de filtration-compression de la boue de bentonite pour différents conditionnements]
L’optimum du couplage est le couplage des optima
Ce travail original mené depuis trois ans en associant des spécialistes de la déshydratation mécanique et des spécialistes du séchage de produits industriels variés (agro-alimentaire, pharmacie, agriculture) montre clairement que les deux procédés de filtration-compression et de séchage (convectif) sont découplés lorsqu’ils sont associés en traitement de boues résiduaires — qu’elles soient de nature minérale, organique ou biologique. Puisque la filtration sous pression est moins énergivore que le séchage thermique, il est dans la plupart des cas recommandé de rechercher la meilleure déshydratation de la boue avant de l’introduire dans le sécheur. L’optimum technique et économique de l’association « déshydratation par pressage mécanique + séchage thermique » résulte donc de l’optimisation de chacun des deux procédés séparément.
Les nouvelles cellules de filtration-compression informatisées facilitent grandement l’optimisation du premier. Par contre, il est prématuré d’étendre ces conclusions à la déshydratation par centrifugation. En effet, la structure du sédiment sortant d’une centrifugeuse est significativement différente de celle d’un gâteau de filtre-presse.
Remerciements
Les auteurs remercient l’ADEME, l’IFTS et le groupe Elf-Atochem pour leur contribution financière à ces travaux.
[Encart : Références bibliographiques
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• Mackensie R., Combined dewatering/ drying of sewage and sludges, The South African Mech. Engin., n° 44, p 23-27 (1994)
• Nadeau J-P. et Puiggali J-R., Séchage : des processus physiques aux procédés industriels, Technique et Documentation Ed. Lavoisier (1995)
• OTV, Traiter et valoriser les boues, Technique et Documentation Ed. Lavoisier (1997)
• Peuchot C. et Trassaert C., Perspectives d’évolution des procédés de déshydratation des boues résiduaires urbaines et industrielles, Récents Progrès en Génie des Procédés, Ed. Lavoisier, n° 9, p 9-15 (1995)
• Vaxelaire J., Bongiovanni J-M. et Puiggali J-R., Mechanical dewatering and thermal drying of residual sludge, Environ. Technol., n° 20, p 29-36 (1999)]