Jusqu’au 19ème siècle, la Loire est au centre d’une intense activité économique. Le plus long fleuve de France est depuis longtemps un axe important pour le commerce, malgré une navigabilité difficile due à son régime irrégulier et à ses multiples bancs de sable.
C’est
difficile à croire et pourtant : la Loire a été, jusqu’à une époque
récente, le cours d'eau le plus navigué de notre pays. De nombreux documents
l’attestent : jusqu’au milieu du 19ème siècle, la navigation
sur la Loire fut intense. Avec un bassin recouvrant près du cinquième du
territoire français, les hommes ont compris très tôt tout le parti qu’ils
pouvaient tirer du fleuve. Dès la préhistoire, on trouve une trace de son
importance pour la circulation des hommes et des marchandises. Jules César
lui-même comprit l’importance stratégique de la navigation sur la Loire :
les romains l’utilisèrent beaucoup. Sous Philippe le Bel, vers 1300, il
existait déjà une communauté des marchands et mariniers très structurée qui
travaillait sur la Loire. Vers 1500, les “ nautoniers ” deviennent “
mariniers ” puis au milieu du 16ème siècle “ voituriers par
eau ” et finalement “ bateliers ” vers 1600. La batellerie
fluviale, qui connut ses heures de gloire du 17ème jusqu'à la moitié
du 19ème siècle, fut un moyen de transport très important dans la
France d'autrefois. Un arrêt du conseil d'État du mois de février 1661
l’atteste : “ La rivière de Loire estant le plus grand fleuve et
le plus important du Royaume ”, fait “ la meilleure part du
commerce de France ”. Les villes, les châteaux, les cultures et les
industries se sont lentement constitués sur les bords du fleuve, en étroite
relation avec la navigation fluviale.
Pour
le comprendre, il suffit de regarder la carte. Car ici comme ailleurs,
l’histoire, c’est d’abord la géographie : par sa longueur et son tracé, la
Loire, le plus long fleuve de France, forme un trait d'union entre les ports de
l'Atlantique, le centre et le sud du Bassin parisien, le Massif central et
l'axe rhodanien. Elle permet de relier l’Atlantique à la Méditerranée, la
France de l’ouest et du nord à celle du centre et du midi. Le trafic sur le
fleuve a donc rythmé la vie des cités qui le bordent malgré une navigabilité
difficile due à de multiples bancs de sable et à un régime irrégulier et
dangereux.
Un fleuve au régime irrégulier et dangereux
La Loire est le seul cours d'eau d'Europe qui
puisse être remonté à la voile sur près de 400 kilomètres. Son orientation,
opposée à celle des vents dominants d'ouest, permet de naviguer au portant
jusqu’à Orléans. Là, sa nouvelle orientation Sud-nord ne facilite plus la
remontée à la voile, sinon avec des vents du Nord. D'autre
part, à partir de Roanne, terminus de la navigation montante, le lit de la
Loire interdit toute remontée, même par le halage. On naviguait donc à la voile
de Nantes à Orléans. A l’amont d'Orléans, le vent n'étant plus portant, on
remontait au halage, humain le plus souvent.
Malgré cette orientation favorable, la navigation sur la
Loire n’était pas de tout repos. Car le fleuve, hier comme aujourd'hui, n'a
jamais été autre chose qu'un cours d’eau instable, au lit encombré de bancs de
sables et d'Îlots. L'état de son lit
n'était pas très différent de ce qu’il est d'aujourd'hui : peu profond, il
se déplace au hasard de crues aussi fréquentes que subites. De plus, la Loire
se caractérise par un régime très irrégulier. Elle peut passer d'un extrême à
l'autre, de la grande crue soudaine à l'étiage qui assèche ses bras jusqu'à les
réduire à de minces filets d'eau se perdant au milieu des sables. La navigation
doit s'adapter aux conditions naturelles du fleuve et faire face à de
nombreuses embûches : faible profondeur, instabilité, irrégularité, forts
courants, engravement et ensablement. La profondeur n’excède un mètre trente
que 186 jours en aval de la Vienne et seulement 118 jours en amont d’Orléans.
Le fond est capricieux et irrégulier, des rochers affleurent la surface, les
trous d’eau sont nombreux et profonds. Pour faciliter la navigation, le fleuve
fait l’objet dès le moyen âge d’un travail d’entretien et de balisage. Des
cantonniers sont chargés de curer, nettoyer et baliser les passages difficiles.
Les balises qui limitaient le chenal côté nord conservaient une flèche droite.
Celles qui signalaient le chenal côté sud étaient au contraire cassées. Pour
maintenir un chenal navigable, des épis immergés et des duys (levées en pierre)
sont édifiés dans le lit. Malgré cela, il faut chaque jour
“ chevaler ” le lit du fleuve avec une planche de 8 à 9 pieds de
large pour dégager le sable du chenal.
Les
hautes eaux sont l'époque où la navigation est la plus dangereuse. Mais quand
arrive la décrue, d'autres dangers guettent. Les chalands s'échouent dans les
sables. Il faut descendre dans l'eau, dégager le fond du bateau et parfois le
délester de son chargement quand l'échouage est du au manque de profondeur.
La
navigation se pratiquait “ à la descente ”, de Roanne, Digoin et
Cosne vers Orléans et Nantes. Les chalands, sans mât ni voile, dévalaient le
courant, pilotés à l'aide de “ bâtons de quartiers ”.
Pour
la navigation “ à la remonte ”, les chalands ou gabares étaient
attelés en train, du plus gros en tête, au plus petit en queue de convoi pour
ne pas se déventer. On naviguait à la voile de Nantes à Orléans puis, lorsque
le vent n'était plus portant, on remontait au halage.
A la
descente, selon l'état du fleuve, on mettait de 4 à 8 jours pour aller de
Roanne à Briare. Le trajet Orléans-Nantes nécessitait de 5 à 16 jours. A la remonte, ces durées étaient au moins
multipliées par trois.
Des bateaux à fonds plats
Pour
naviguer, les bateliers utilisaient des embarcations qui n'avaient rien de
comparable avec celles que nous connaissons. Les bateaux de Loire se
distinguent par leur fond plat, adapté au lit irrégulier du fleuve. Leurs
bordées à clins, leur long gouvernail et leur voilure carrée portée par un mât
amovible pour pouvoir passer sous les ponts assurent aux gabares ou chalands
une silhouette reconnaissable entre toutes. Sur le pont était parfois aménagé
un abri de planches, une sorte de “ carré ”, où le batelier et son équipage
pouvaient dormir.
Ces
embarcations faites de chêne, de sapin ou de frêne portaient le nom de “
salembardes ”, de “ monistrots ”, de “ toues ” ou de “ chalands ”. Elles
arpenteront inlassablement le fleuve jusqu’au début du 19ème siècle.
Chacune avait ses caractéristiques propres. Ainsi de “ la sapine ”
qui ne naviguait que dans le sens du courant et qui, à l'arrivée, était le plus
souvent déchirée au terme d’un unique voyage. Ce bateau qui pouvait
mesurer jusqu'à 40 mètres de long était déchargé de sa cargaison avant
d’être déchiré, les planches étant récupérées pour servir de bois de
chauffage ou être utilisées dans le bâtiment. La gabarre ou le chaland
permettait en revanche de naviguer avec ou contre le courant car il comportait
mâts et voiles.
En 1820 apparaissent les premiers bateaux à vapeur de Nantes à Angers, puis Saumur, Tours et Orléans…Ils facilitent beaucoup la remontée du courant et jouent bientôt un rôle important dans le développement économique de la région.
En 1843, quatre Compagnies sillonnent la Loire de Nevers à Nantes, avec 150 000
voyageurs transportés et près de 400.000 tonnes de marchandises par an. A
l’époque, plus de 10.000 bateaux à voile ou à vapeur naviguent sans
interruption sur le fleuve. Chaque ville ou village dispose de son port et de
son embarcadère.
Marinier sur la Loire : un métier risqué
On
imagine difficilement l'activité engendrée par la navigation sur le fleuve. Et
pourtant, le transport de marchandises donne naissance à une multitude
d’activités nouvelles : fabricants de voiles, de mâts, voituriers,
marchands de vins, de grains, de charbons, vinaigriers, collecteurs d’impôts,
cordiers, tonneliers, d’est en ouest et d’ouest en est on transporte toutes
sortes de marchandises. Des denrées périssables telles que le vin, le poisson,
le blé, les huîtres le sel ou le sucre. Le transport de ces marchandises était
suspendu à l’arrivée d’un moment propice. Ainsi de ce batelier qui, au milieu
du 17ème siècle, s'engage à charger et à conduire du vin “ à la
prochaine crue d'eau qui viendra ” ! Bois de chauffage, charbon,
pierres d'Apremont, poteries du Nivernais, toiles de coton ou tonneaux étaient
acheminés “ à la descente ” vers Nantes. Les bateaux transportaient
“ à la remonte ” le sel ou encore les produits du commerce des îles
arrivés à Nantes, les ardoises d'Angers, ou encore vers Roanne, les vins
et les vinaigres d'Orléans.
Les
mariniers étaient des hommes rudes, souvent pauvres, ne sachant ni lire, ni
écrire, ni même nager. Réputés bagarreurs, voleurs, ivrognes et grossiers, ils
exerçaient en réalité un métier difficile, ingrat et toujours dangereux. Les
mariniers sont d’abord des nomades. A eux seuls, ils constituent un monde à
part avec ses règlements, ses codes et ses coutumes. Le métier se transmet
souvent de père en fils. Mais la profession est très hiérarchisée : le garçon
marinier, simple employé, vit au jour le jour ; le voiturier par eau,
propriétaire de son bateau, transporte le fret pour des marchands. Quant au
marchand-voiturier par eau, il a de l'argent et possède souvent plusieurs
bateaux. Il achète des marchandises qu'il transporte puis revend ensuite.
Jusqu'à
la seconde moitié du 19ème siècle, la Loire sera donc la source
directe d'une intense activité économique.
Mais
l'inauguration, en 1843, de la première ligne de chemin de fer entre Paris et
Orléans et l'avancée inexorable du transport par le rail, sonnent le début du
déclin de la marine de Loire. En 1847, le prolongement du chemin de fer vers
Tours et Bourges condamnera la navigation ligérienne à une rapide et définitive
disparition. Dès 1914, il ne restera plus que quelques quais et anneaux
d’amarrage pour rappeler que pendant plusieurs siècles la navigation sur la
Loire a joué un rôle clé dans le développement de notre pays.