Quand la Méditerranée n’était qu’un désert de sel…
07 juillet 2020Paru dans le N°433
à la page 126 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Vestige de l’ancienne Thétys, la Méditerranée aurait pu se transformer en désert. Il y a 5,6 millions d’années environ, le détroit de Gibraltar s’est refermé et la Méditerranée s’est retrouvée coupée de l’océan. Moins de 300.000 ans ont suffit pour l’assécher presque totalement et la transformer en un gigantesque désert de sel.
L’histoire commence il y a 5,6 millions d’années. Jusqu’alors reliée à l’océan Atlantique par deux détroits situés au sud de ce qui constitue actuellement l’Espagne et au nord du continent Africain, la « mer au milieu des terres » s’en trouve brutalement séparée par la remontée de la plaque tectonique africaine vers la plaque eurasienne. Commence alors un épisode qui va durer de 300.000 à 400.000 ans et que les géologues nommeront bien plus tard la « crise de salinité messinienne ». Il va conduire progressivement à un quasi assèchement de la mer Méditerranée.
Un quasi assèchement de la mer Méditerranée
Sous l’effet de la tectonique des plaques, ce qui ne constitue pas encore le détroit Gibraltar se comprime et prive la mer Méditerranée de toute alimentation. Cette interruption de courants profonds en provenance de l’Atlantique va peu à peu conduire à une rétention d’eaux nettement plus salées. Dès les premiers stades de l’augmentation de salinité, les récifs coralliens cessent de se développer, les stromatolithes, des dépôts bio-sédimentaires dans l’élaboration desquels interviennent des organismes microbiens (cyanophycées et bactéries) occupent rapidement une niche écologique laissée vacante par la disparition de nombreux autres organismes dépendants du milieu marin. C’est le début d’une crise écologique majeure qui va voir la disparition temporaire ou définitive, en Méditerranée, de très nombreux organismes.
Mais plus grave, cet isolement va progressivement provoquer l’évaporation et le quasi-assèchement de la mer Méditerranée, dont les eaux vont baisser de 1.500 à 2.700 mètres par rapport à leur niveau actuel. La mer Méditerranée ressemble alors, à une échelle beaucoup plus vaste, à ce que sont aujourd’hui la mer Morte ou le lac Assal.
Cette crise de salinité se traduit dans un premier temps par une succession de phases évaporitiques entrecoupées de périodes de remplissage marin. Au cours de plusieurs dizaines de millénaires, s’accumulent dans les parties plus profondes de la mer des couches importantes de halite, un composant de roches évaporitiques. Puis se dépose une alternance cyclique de marnes et de gypse sur une épaisseur dépassant parfois 300 mètres. Cette succession de phases de remplissage marin s’explique par des remontées épisodiques du niveau océanique d’une amplitude suffisante pour permettre aux eaux de l’Atlantique de submerger les seuils qui isolent la Méditerranée. Des traces de ces épisodes seront mises au jour en août 1970, au large des îles Baléares. Une campagne de carottage menée par des équipes française, allemande, italienne et américaine à bord du Glomar Challenger permettra de découvrir, à 1.000 mètres sous le plancher marin, des traces de gypse, une roche sédimentaire précurseur du sel qui se forme au cours de l’évaporation de lagunes d’eau de mer. Cette crise de salinité et le quasi assèchement de la Méditerranée sera confirmée par la découverte de profondes incisions dans le lit des fleuves qui ont creusé le socle rocheux pour continuer à se jeter dans la mer. Autre preuve de ces profondes incisions, plusieurs gigantesques canyons aujourd’hui sous-marins ont par ailleurs été observés aux abords des côtes méditerranéennes. Les coupes du sous-sol réalisées lors de la construction, après guerre, d’une série de centrales nucléaires le long du Rhône, montreront que le fleuve a creusé un immense canyon dans le socle rocheux, aujourd’hui rempli de sédiments. Les travaux du barrage d’Assouan, sur le Nil, mettront en évidence un phénomène analogue.
150.000 ans plus tard, et durant seulement 100 à 200.000 ans, la Méditerranée va connaître une nouvelle évolution hydrologique avec la généralisation de milieux faiblement salés ou d’eau douce, en lieu et place des milieux hyper-salins qu’elle connaissait. Une inversion progressive du bilan hydrique, due à la fermeture définitive des communications avec l’Atlantique résultant des effets conjugués de la tectonique et de l’abaissement du plan d’eau océanique à la fin du Miocène. Les fleuves qui se déversaient alors en Méditerranée, notamment les précurseurs du Rhône, de l’Ebre, du Pô et du Nil, fournissaient alors l’essentiel des eaux parvenant au bassin qui évoluait lentement vers un environnement de type lacustre.
Mais un évènement tectonique va soudainement mettre un terme à cette évolution. Vers 5,3 millions d’années, un effondrement brutal du détroit de Gibraltar va provoquer une invasion soudaine des eaux de l’océan Atlantique dans la Méditerranée. Cette remontée des eaux en provenance de l’océan va recréer les conditions environnementales que nous lui connaissons aujourd’hui et qui en feront, bien plus tard, le berceau de notre civilisation occidentale.
Une irruption soudaine des eaux de l’Atlantique dans la Méditerranée
Les mouvements des plaques tectoniques et l’énorme pression des eaux de l’Atlantique qui vont progressivement éroder le socle rocheux sur plusieurs kilomètres vont finir par faire sauter le verrou de Gibraltar. La différence de niveau entre l’Atlantique et la Méditerranée va entraîner le déversement de l’océan dans la mer, entraînant une remise en eau étalée sur plusieurs dizaines de milliers d’années.
C’est du moins ce que pensaient les géologues jusqu’à ce qu’une étude approfondie des couches géologiques situées sous le détroit de Gibraltar dans le but de construire un tunnel ferroviaire ne révèle les traces d’un canal sous marin de 200 kilomètres de long, s’étendant de l’ouest à l’est du détroit. C’est alors un scénario totalement nouveau qui se profile et qui impose un réexamen du processus de remplissage de la Méditerranée. Un réexamen dont les conclusions seront finalement publiées fin 2009 dans la revue Nature. Tout a commencé par un effritement progressif de l’isthme de Gibraltar qui, érodé par les eaux océaniques, va ouvrir la voie à un canal qui permettra à la mer méditerranée de regagner très progressivement environ 10 % de ses eaux. Mais un affaissement soudain du socle rocheux dû à un épisode sismique va modifier la donne et créer un phénomène d’une violence inouïe en permettant aux eaux de l’Atlantique de s’engouffrer à la vitesse de 300 km/heure dans la cuvette méditerranéenne… Pour se faire une idée de l’ampleur de ce cataclysme, il faut se représenter un flot gigantesque, charriant plus de 100 millions de m3 d’eau par seconde, soit plus de mille fois le débit de l’Amazone ! Il entraînera une remontée du niveau de la mer de plus de 10 mètres par jour… En moins de deux ans seulement, une fraction de seconde à l’échelle des temps géologiques, ce sont 90 % du volume actuel des eaux de la Méditerranée qui vont transiter par un chenal qui démarre à quelques dizaines de kilomètres à l’intérieur de l’Atlantique et se poursuit en perdant graduellement en altitude jusqu’au centre de la mer d’Alboran en Méditerranée. Un événement d’une violence inouïe, qui dépasse l’entendement humain, et qui aura pour effet d’abaisser le niveau global des océans de 6 mètres en deux ans ! Le niveau de la Méditerranée, en s’élevant à nouveau, remontera dans les canyons creusés par les fleuves lors de la phase d’abaissement. Des sédiments comportant des traces de plantes caractéristiques de bord de mer seront découverts lors de forages, jusqu’à la ville de Beaune, en Bourgogne. Cette découverte sera ensuite confirmée par l’étude de sédiments marins qui montrera un profond changement entre l’épisode Messinien, marqué par un appauvrissement de la faune marine, et la période immédiatement postérieure, caractérisée par l’apparition d’un très grand nombre d’espèces issues de l’océan Atlantique…
Ce phénomène peut-il se reproduire ? Si l’on en croit les chercheurs et dans l’hypothèse d’une nouvelle fermeture du détroit, la mer Méditerranée pourrait se retrouver isolée et son niveau baisser d’un mètre par an avec des conséquences gravissimes sur les écosystèmes environnants. Cependant, cette hypothèse n’est pas à prévoir avant longtemps car la mer atteint actuellement 900 mètres de profondeur à l’endroit du détroit, et aucun mouvement sismique n’est capable de compenser une telle dénivellation sur une courte période.
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le