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Restauration du Buffet d’eau des jardins de Versailles, une grande histoire…

03 octobre 2023 Paru dans le N°464 ( mots)

Pendant près de 20 mois, une trentaine de professionnels des métiers d’artisanat d’art sont restés au chevet de la fontaine emblématique des jardins de Trianon commandée en 1682 par Louis XIV afin de lui redonner son apparence définitive de 1703 et ses multiples effets d’eau. Maçons, tailleurs de pierre, marbriers, chaudronniers et fondeurs, doreurs, fontainiers ont œuvré simultanément dans leurs ateliers ou sur le site, en synergie et dans une véritable interdépendance pour rendre le Buffet d’eau de nouveau visible au public.

Dès sa création, de multiples effets d’eau animent le Buffet d’eau des jardins de Versailles, une fontaine monumentale de 12 mètres de profondeur édifiée en cascade. Étagée en quatre bassins aux parois revêtues de marbre polychrome, la fontaine est ornée de figures en plomb, particulièrement raffinées et dorées. Au sommet de la composition se trouvent Neptune et Amphitrite, soutenant une urne centrale, encadrés de deux lions, et de quatre jeunes tritons s’ébattant sous des vasques. Aux niveaux inférieurs sont placés des bas-reliefs de divinités marines et des guirlandes de fleurs. 

Marie-Caroline Bardy, chargée d’opérations à la direction du patrimoine du château de Versailles

L’eau ruisselle de l’urne sommitale vers les niveaux inférieurs. Chaque degré forme un effet de nappe, alimentant ensuite la série de vasques de marbre blanc située en-dessous. Des jets obliques jaillissent également de quatre masques représentant les vents (Borée, Euros, Auster, et Zéphyr) et ornant la paroi du degré inférieur.

UN BUFFET D’EAU MAL AIMÉ 

«40 ou 50 ans après sa construction, il était déjà fait mention de l’état de dégradation du Buffet d’eau, qui commençait à apparaître tout simplement parce qu’il a été mal construit dès sa conception. Des mentions de fissures apparaissaient sur les marbres, des défauts d’étanchéité généraient des pathologies au niveau des maçonneries, des infiltrations au niveau des galeries, des plombs perdaient leurs ors…» explique Marie-Caroline Bardy, chargée d’opérations à la direction du patrimoine du château de Versailles. 

Jugé démodé sous Louis XVI, quelques projets ont été étudiés entre le XVIIIe et le XXe siècle pour réaliser une restauration mais très peu ont aboutis. Sans doute pour des raisons financières mais aussi pour des questions de proximité. «Situé à près d’1,5 km du château, le Buffet d’eau est un ouvrage qui se mérite, sourit la responsable du chantier. 

La dernière grande restauration date de 1893 et il a fallu attendre l’accompagnement financier suffisamment important d’un mécène, la fondation Bru, pour faire une reprise complète de cet ouvrage architecturé. C’est un projet global de restauration portant sur l’ensemble de la structure de la fontaine, sur ses décors de marbres et de plomb, ainsi que sur le rétablissement de la fontainerie et de l’étanchéité mais aussi des parterres, du treillage, des sujets végétaux et du réseau hydraulique».

UNE COORDINATION AU CORDEAU

Sous la maîtrise d’oeuvre de l’architecte en chef des monuments historiques, Jacques Moulin, la coordination inédite des différents savoir-faire fait partie des images marquantes de la restauration puisque chaque métier dépendait de l’autre. A certains moments, la composition de la fontaine a impliqué que le travail des uns précède nécessairement celui des autres ou que les interventions doivent se réaliser concomitamment pour certaines opérations. 

Ainsi, la repose des marbres de parement n’a pu s’effectuer qu’une fois les tables de plomb assurant l’étanchéité installées. La réinstallation des décors du niveau supérieur portant des sorties d’eau a également mobilisé, en même temps, restaurateurs de sculptures, marbriers et fontainiers afin d’assurer toutes les manoeuvres nécessaires. 

 «L’enchaînement des tâches des différents intervenants a été assez complexe et en même temps assez bien mené pour un chantier qui a été réalisé pour l’essentiel à l’extérieur et avec des produits qui sont un peu capricieux tels que le joint de marbre, les poulies, les patines, la cire et qui demandent qu’on fasse preuve d’un peu de patience, pour les laisser prendre et sécher dans de bonnes conditions», se souvient Marie-Caroline Bardy.

UNE RESTITUTION LA PLUS FIDÈLE POSSIBLE

Après un travail de documentation et de rapprochement de sources historiques, les différents corps de métier ont pu restaurer les bassins de la fontaine et rétablir ses jeux d’eau. «Quand on se lance dans une restitution, on ne le fait pas sans éléments qui permettraient d’asseoir la restauration dans un prolongement historique. On va même jusqu’à faire des comparaisons entre les pièces. Le Buffet d’eau est un ouvrage qui était bien documenté. 

Dans la Fonderie de Coubertin: le plomb est coulé en vue de la restauration des éléments du Buffet d’eau. 

Par exemple, il y a toujours un grand débat en restauration sur ce qui était doré et ce qui ne l’était pas. Grâce aux sources et notamment un document montrant Louis XIV se rendant au Buffet d’eau avec une partie de sa cour, en 1712 ou 1713, on atteste que la fontaine était entièrement dorée à la feuille», poursuit la responsable qui bénéficie d’une solide formation de Maître Artisan en techniques traditionnelles de la dorure à la feuille d’or et de restauration. 

La mise en dorure des figures et ornements en plomb a été effectuée selon la technique traditionnelle de la dorure à la feuille (avec les différentes couches d’apprêt et de mixtion), avec application d’une patine, comme cela était réalisé du temps de Louis XIV par le peintre doreur Jacques Bailly. De même, le bassin inférieur a conservé un radier traditionnel en briques, complété d’une étanchéité par tables de plomb. 

Ainsi près de 260 tonnes de matériaux pour la consolidation des superstructures et 15000 feuilles d’or ont été posées sur les différents ouvrages en 20 mois. «Des sondages ont été réalisés pour vérifier la résistance des différentes couches du sol avant, pendant et après l’opération et pour vérifier le renforcement des fondations par injection de résine qui avait été déterminé lors du diagnostic de 2021». Au final, le contrôle des données structurelles a relevé un mouvement de 2 ou 3 mm, ce qui, pour la spécialiste, est tout à fait acceptable aux vues des différentes interventions réalisées.

L’EXTRÊME PRÉCISION DES FONTAINIERS

Tous les travaux de fontainerie ont été réalisés par le service des eaux et fontaines du château de Versailles sous la responsabilité de Jean-Luc Renard, chef d’équipe des sept fontainiers du domaine. Les interventions ont porté tant sur la réalisation de l’étanchéité disparue de tous les gradins, que sur la restitution des effets d’eau. 

Jean-Luc Renard, chef d’équipe des fontainiers des jardins de Trianon.

Vus les désordres structurels affectant cette partie de la fontaine, un démontage/remontage à l’identique après restauration a été mené. Après la dépose des éléments de margelles du bassin et la dépose des tables de plomb d’étanchéité, un relevé des pièces de l’appareil en briques du radier a été fait. 

 Puis, une nouvelle chape de pose du lit de brique a été mise en œuvre. Le radier restauré a été rétabli, avec remplacement des ouvrages trop dégradés. Une étanchéité, à l’identique de l’origine, en tables de plomb a ensuite été rétablie. 

Enfin, le mur de berge du bassin a été révisé, avant la repose de la margelle en marbre. 10 tonnes de plomb ont été livrées sur le chantier en rouleau d’épaisseur de 3 et 5mm, prêtes à être façonnées à l’aide de ciseaux, à la bonne mesure, puis placées, assemblées et soudées. L’ajustement des feuilles a été réalisé par battage au maillet pour épouser parfaitement le support maçonné. 

Les feuilles ont ensuite été liées entre elles par des soudures à la louche (mélange de plomb et d’étain) et autogènes (liaison plomb-plomb). Pour les nez de gradins et de vasques, une retombée des tables de plomb, avec matage soigné selon le profil des ouvrages, a été réalisée et permet d’assurer les écoulements en nappes régulières. «L’avantage est que le plomb se répare facilement, tandis que la fonte rouillée est inutilisable et doit être obligatoirement changée. 

Ajustement des conduites en plomb au revers de la structure.

Le plomb peut avoir des fuites mais elles peuvent être réparées facilement. On ne fait pas mieux…» confie Jean-Luc Renard, qui a appris le métier sur le tas, à Versailles, depuis 20 ans. «Bien sûr, les interventions requièrent une protection particulière avec des masques, des filtres et une grande surveillance de l’exposition au plomb des fontainiers : une prise de sang est faite avant restauration puis 2 à 3 fois pendant le chantier»

Pour restituer les jeux d’eau, la conduite d’alimentation en fonte du XIXe siècle a été redimensionnée par des soudures traditionnelles à la louche côtelée pour la lier aux robinets de réglage redessinés et aux ajutages. En effet, chaque gradin doit laisser s’écouler un beau voile d’eau transparent, laissant apercevoir les marbres et les décors en plomb ciselés et dorés à la feuille d’or. Ainsi, au début du mois de juin, musique, et jeux d’eau ont de nouveau magnifié le Buffet d’eau. 

Si ordinairement 3500 m3 /heure d’eau permettent au public de retrouver les effets d’eau que Louis XIV admiraient «avec la sécheresse, nous avons réduit les jets à 2000m3 /h pour conserver une marge de manœuvre et produire les Grandes Eaux jusqu’en octobre», indique Jean-Luc Renard. Les yeux rivés sur l’ouvrage, animant en eau chaque samedi et dimanche les 57 fontaines du domaine de Versailles, l’émotion est toujours palpable chez l’ancien plombier devenu artisan d’art. 

 «Fontainier au château de Versailles, c’est un métier atypique, un métier d’art qui ne nécessite aucun prérequis mais qui exige de respecter et de transmettre les gestes et les techniques de générations de fontainiers, toujours avec la même rigueur afin de présenter l’ouvrage au public dans son état optimal». Comme chaque été, plusieurs millions de visiteurs se sont émerveillés devant les richesses et la diversité du domaine de Versailles.

SERVICE DES EAUX ET FONTAINES DU CHÂTEAU DE VERSAILLES, EN CHIFFRE

• 10 fontainiers 

• 35 km de canalisation dont 80% datent du XVIIIe  siècle (90% en fonte et 10% en plomb) 

• 57 fontaines et plus de 600 jeux d’eau 

• Grand canal : 24 hectares 

• Consommation d’eau par heure pour les grandes eaux musicales : 4500 m3 

• 80 vannes sur le circuit hydraulique du parc de Versailles 

• Le domaine national couvre 660 hectares

LES TRAVAUX DE LA FONTAINERIE

Tous les travaux de fontainerie de la restauration du Buffet d’eau ont été réalisés par le service des eaux et fontaines du château de Versailles.

Les interventions ont porté tant sur la réalisation de l’étanchéité disparue de tous les gradins, que sur la restitution des effets d’eau.


Avant les travaux, l’étanchéité du Buffet d’eau était déficiente dans le bassin inférieur : le plomb fissuré remontait le long des parois de marbre et laissait l’eau s’infiltrer à l’arrière ; les gradins supérieurs, une chape de ciment qui avait remplacé le plomb, était hétérogène et fissurée. 10 tonnes de plomb ont été livrées sur le chantier en rouleau d’épaisseur entre 3 et 5 mm, prêtes à être façonnées.


L’ajustement des feuilles est réalisé par battage au maillet pour épouser parfaitement le support maçonné. Les feuilles ont ensuite été liées entre elles par des soudures à la louche (mélange de plomb et d’étain) et autogènes (liaison plomb-plomb).


Pour les nez de gradins et de vasques, une retombée des tables de plomb, avec matage soigné selon le profil des ouvrages, a été réalisée et permet d’assurer les écoulements en nappes régulières.


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