31 janvier 2022Paru dans le N°448
à la page 85 ( mots)
Rédigé par : Ghislain MARSILY (DE)
L’eau sur Terre est pour l’essentiel salée, et c’est l’évaporation de cette eau sur les océans qui alimente majoritairement le grand cycle de l’eau, par évaporation, condensation et précipitation, dont le moteur thermique est le rayonnement solaire. Ce cycle alimente en eau les continents et se décompose en eau bleue qui coule dans les rivières et dans les nappes, et eau verte, qui est stockée dans les sols après la pluie et est reprise et transpirée par la végétation. Ces flux sont presque entièrement utilisés par les écosystèmes naturels continentaux et côtiers, la vie s’étant partout développée jusqu’aux limites des ressources disponibles. A l’échelle du globe, la part de cette ressource que consomme l’humanité est encore modeste : 7 % de l’eau bleue et 9 % de l’eau verte, mais la répartition spatiale de cette humanité n’est pas cohérente avec la répartition spatiale de la ressource en eau : 21,5 % de l’humanité se concentre dans les steppes et les zones arides avec seulement 2 % des ressources en eau bleue de la planète… De plus, les besoins en eau augmentent du fait de la croissance démographique et des modifications des habitudes alimentaires, alors que les ressources en eau sont affectées par le changement climatique. Comment résoudre ce défi d’équilibrer en 2050, et a fortiori en 2100, l’offre et la demande, en évitant, si faire se peut, les pénuries, les famines, les conflits sanglants et les migrations ?
Combien d’eau avons-nous ?
La planète Terre était, lors de sa formation, initialement anhydre ou pauvre en eau, celle-ci s’étant accumulée dans les planètes Joviennes, plus loin du soleil, et dans les ceintures de comètes (nuage de Oort et ceinture de Kuiper) ; la Terre a reçu l’essentiel de son eau au cours des premières centaines de millions d’années de son existence, et est proportionnellement la plus riche en eau des planètes telluriques (Mercure, Vénus, Terre et Mars). Une origine cométaire de cette eau, initialement favorisée, est aujourd’hui sérieusement mise en doute, en particulier depuis la mission Rosetta de l’Agence spatiale européenne, qui a envoyé le 12 novembre 2014 la sonde Philae (voir Figure 1) se poser sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko et mesurer en particulier la teneur en Deutérium de sa glace : deux fois plus riche en cet isotope de l’hydrogène que l’eau de la Terre ; ce type de comètes (au moins) ne peut donc pas être à l’origine de l’eau terrestre, les regards se tournent plutôt vers un bombardement par des astéroïdes rocheux ou ferreux contenant aussi un peu d’eau.
L’eau sur Terre est à 97 % salée, c’est son évaporation par le rayonnement solaire qui alimente le grand cycle de l’eau, par condensation et précipitation. Ce sont 113 000 km³/an qui sont ainsi apportés aux continents, un volume énorme (1 270 fois le volume du lac Léman) que l’on décompose en eau bleue, celle qui tombe puis s’écoule dans les rivières et les nappes (32 %), en eau verte (voir figure 2), celle stockée dans les sols après la pluie, reprise par les racines et transpirée par la végétation (65 %) et 3 % en eau de fusion des icebergs (Hoekstra et Mekonnen, 2012). Notre ressource en eau, c’est pour l’essentiel ces apports du grand cycle de l’eau.
Le réchauffement climatique (lire La machine climatique) va accélérer ce cycle et en moyenne augmenter les précipitations tout en déplaçant les zones climatiques vers les pôles, entraînant une aridification des latitudes Méditerranéennes : 110 millions d’hectares (ha) cultivables dans ces latitudes devraient être perdus, mais 160 millions d’ha devraient être gagnés dans les latitudes nordiques (Canada, Sibérie) par réchauffement. La fréquence des événements extrêmes (crues, sécheresses) devrait aussi augmenter. En France, une baisse de 10 à 20 % des précipitations est attendue d’ici la fin du siècle, principalement en été.
L’eau que nous utilisons
Les Hommes consomment actuellement 7 % du flux d’eau bleue, mais les prélèvements sont plus importants (13 %), la partie consommée (principalement l’eau d’irrigation) s’évapore et retourne à l’atmosphère ; la partie non consommée reste liquide, s’infiltre et retourne dans les nappes et les rivières. Nous utilisons 9 % de l’eau verte pour l’agriculture, le reste alimente les écosystèmes naturels (forêts, savanes, zones humides). Nous prélevons aussi un peu d’eau fossile sur les stocks contenus dans les grands aquifères de quelques pays (Inde, États-Unis, Chine, Pakistan, Iran, Mexique) au rythme d’environ 100 km³/an (Döll et al, 2014), mais cette situation n’est pas durable, les stocks de ces aquifères seront épuisés en quelques décennies, nécessitant d’aller chercher de l’eau par canaux dans les grands fleuves Himalayens (Yang Tse, Gange…) ou dans d’autres sites riches en eau. La fusion des glaciers de haute montagne du fait du réchauffement suralimente en eau certains fleuves issus des Alpes, Himalaya, Rocheuses, et surtout de la Cordillère des Andes, où des villes comme La Paz et la côte pacifique du Pérou vivent pour l’essentiel aujourd’hui sur ces eaux de fusion, qui se seront taries d’ici moins de 30 ans.
La quantité d’eau domestique, dont une définition peut être trouvée sur la figure 2, utilisée va de 20 à 500 l/j par personne, en moyenne 300 l/j, soit 110 m³/an par personne. En France, on l’estime à 150 l/j. En 2050, la population mondiale devrait passer à 9,5 milliards (Gerland et al., 2014) et à 11 milliards en 2100, avec une croissance inquiétante principalement en Afrique (1 milliard en 2000, 2,5 milliards en 2050 et 4,2 milliards en 2100…).
Avec 250 l/j, la quantité totale d’eau nécessaire pour la planète en 2050 représenterait 870 km³/an, soit 0,8 % des précipitations, ou 2,4 % de l’eau bleue. L’eau domestique n’est donc pas un problème de quantité, mais seulement de transport et de qualité, donc d’infrastructures d’adduction et de traitement. La planète n’aura jamais de pénurie d’eau domestique, si elle construit à temps ces infrastructures. La Ville de Windhoek (350 000 habitants) par exemple, capitale de la Namibie en plein désert, est alimentée en eau depuis 30 ans par un barrage et une conduite de 800 km de long, ainsi que par le recyclage de ses eaux usées retraitées, qui sont réinjectées dans la nappe locale… !
Pour l’eau industrielle, nous utilisons chacun environ 1 300 m³/an. Mais cette eau n’est consommée qu’à 10 % ; elle est rejetée à 90 % dans le milieu, parfois réchauffée (eau de refroidissement) ou polluée, si elle n’est pas traitée.
L’eau agricole est le terme dominant (Griffon, 2006 ; Agrimonde, 2010 ; Leridon et al., 2011 ; Marsily (et al.), 2006, 2015a, 2015b). Quelques 10 000 km³/an d’eau sont nécessaires pour nourrir aujourd’hui 7,2 milliards d’habitants : 6 500 km³ d’eau verte tombant sur 1,5 milliards d’ha d’agriculture pluviale et 3,2 milliards d’ha de terres en pâtures. De plus, 3 500 km³ d’eau bleue (dont 50 % se perdent) sont prélevés dans les rivières et nappes pour arroser 280 millions d’ha irrigués. C’est donc 8 000 km³/an en définitive qu’il faut pour nourrir les hommes, soit 1 150 m³/an pour chacun (dix fois plus que l’eau domestique). Pourtant, et c’est scandaleux, 1 milliard d’habitants sont encore sous-alimentés, en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud-Est, dans des zones très arrosées, et non pas dans la zone aride ; cette situation est due au sous-développement (production agricole inefficace et insuffisante, très faible utilisation d’intrants, absence d’aménagement : barrages, périmètres irrigués…) ; voir carte 1. De nombreux pays sont de plus incapables de produire la nourriture qu’il leur faut, par manque de terres cultivables ou d’eau : leur nombre d’habitants a dépassé la capacité du pays à les nourrir à partir des ressources locales, et les habitudes alimentaires ont évolué ; ils doivent importer de la nourriture depuis les pays aux productions excédentaires (Amérique du Nord et du Sud, Australie, Thaïlande, France). Plus de 30 % de la nourriture produite sur la planète est ainsi transportée aujourd’hui d’un pays à un autre, surtout en bateau ; on la désigne sous le nom d’eau virtuelle, car les pays en déficit hydrique équilibrent ce déficit non pas en important de l’eau, mais de la nourriture, qui a nécessité de l’eau pour être produite.
Les pays importateurs, pour payer ces importations, vendent des matières premières énergétiques ou minérales, ont des activités industrielles ou tertiaires, du tourisme, ou encore ont des retours financiers par la diaspora émigrée.
Certains pays exportent des produits agricoles à haute valeur (café, cacao, coton) et importent de la nourriture. Mais les pays importateurs sont alors dépendants, avec risques de pressions politiques et de tensions sur les prix en cas de pénurie globale. Aujourd’hui l’autonomie alimentaire est impossible à atteindre pour tous les pays de la zone aride (Afrique du Nord, Moyen-Orient) et demain pour toute l’Asie, faute de terres cultivables. On voit des pays comme la Chine acheter des territoires cultivables importants dans des pays en développement (surtout Afrique et Amérique du Sud) pour y cultiver eux-mêmes puis importer chez eux la nourriture dont ils ont besoin. La Jordanie dépend ainsi pour 70 % d’eau virtuelle venant de l’étranger, Djibouti pour plus de 90 %. La figure 4 permet de distinguer les régions du globe en fonction de leur ressource ou de leur besoin en eau bleue.
L’eau de demain
En 2050, pour alimenter tout le monde au régime alimentaire actuel, il faudrait 11 000 km³ d’eau par an, ce qui est possible si les pays déficitaires ont les moyens d’acheter leur nourriture auprès des pays exportateurs, et si ceux-ci acceptent de produire au-delà de leurs propres besoins. Si la consommation de viande s’accélère, il faudra 13 000 km³/an. La consommation de viande a un très gros effet sur les besoins en eau : il faut en effet 13 000 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf nourri au grain, soit 13 fois plus que pour 1 kg de blé !
Ces 11 000 à 13 000 km³/an se répartiront entre agriculture pluviale et irriguée : on va devoir partout augmenter les rendements ainsi que les surfaces cultivées. Mais qui dit plus d’agriculture pluviale dit défrichement et qui dit plus d’irrigation dit construction de barrages. La construction de barrages ou le défrichement auront nécessairement des conséquences environnementales délétères, mais si la population de la planète ne cesse d’augmenter, ne faut-il pas tenter de la nourrir, et ce de la façon la moins néfaste possible ? Le dessalement de l’eau de mer a un coût de l’ordre de 0,7 €/m³, et une consommation électrique de 2 à 4 kWh/m³ : c’est environ dix fois trop pour de l’eau d’irrigation, mais acceptable pour l’eau domestique.
Il semble hélas que nous puissions à nouveau connaître des famines mondiales. En 1998, une forte sécheresse en Asie du Sud-Est (Chine et Indonésie) a entraîné des achats massifs de céréales sur les marchés mondiaux, avec forte réduction des stocks, qui auraient été insuffisants si la sécheresse s’était prolongée (Rojas et al. 2014 ; Lizumi et al. 2014). Or les stocks sont passés de 10 mois de consommation mondiale il y a 20 ans à 2 mois aujourd’hui… Ces années de forte sécheresse en zone de mousson sont liés à des événements El Niño très intenses, qui se produisent en moyenne deux fois par siècle, selon les statistiques établies d’après les registres paroissiaux en Amérique du Sud (Orltieb, 2000), et ont été observées par exemple en 1876-1878 et 1896-1900 au 19ème siècle, entraînant chaque fois environ 30 millions de morts (Sen et Drèze, 1999) ; au 20ème siècle, elles se sont produites en 1940 et 1998. L’effet du changement climatique sur la fréquence et l’intensité des événements El Niño est actuellement l’objet de débats.
A cette image inquiétante des besoins de production agricole future, on peut opposer tout d’abord la réduction des gaspillages, car aujourd’hui environ 30 % de la nourriture achetée est jetée dans les pays riches, ou perdue par mauvaise récolte ou mauvaise conservation dans les pays pauvres ; on peut opposer aussi la sobriété des régimes alimentaires, car la quantité d’eau nécessaire pour nourrir un terrien varie de 600 à 2 500 m³/an selon les pays, la consommation de produits animaux étant le facteur principal de variation : les pays riches consomment environ deux fois trop de produits animaux par rapport aux besoins nutritionnels, les pays émergents sont en moyenne au bon niveau, et les pays pauvres en moyenne un tiers en dessous des besoins. Mais pour satisfaire les besoins alimentaires des pays en déficit hydrique, il n’y a que trois options : transférer de l’eau par grands canaux, comme a décidé de le faire la Chine (ou devrait se décider à le faire l’Inde), transférer de l’eau virtuelle sous forme de nourriture, ou en dernier ressort accepter la migration des populations des pays déficitaires vers les pays riches, chassés de chez eux par des conflits sanglants et des émeutes de la faim, dont l’histoire récente a donné des exemples sinistres (voir le focus associé à cet article). Le problème des migrants que nous rencontrons aujourd’hui n’est que le début d’une longue histoire, qui va s’intensifier avec les changements climatiques, la croissance démographique et l’augmentation de la consommation de produits animaux…
Article publié le 18 avril 2021 par L’Encyclopédie de l’environnement [en ligne ISSN 2555-0950] https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/existe-il-risque-penurie-eau/.
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