Sites et sols pollués : voyage en terre d’absurdie ?
02 juin 2022Paru dans le N°452
à la page 54 ( mots)
Rédigé par : Jérôme PANTEL de CANOPEE & PARTNERS
Cet article fait un point de l’état et de l’étendue de l’activité nationale des sites et sols pollués à travers les outils normatif et certificatif en vigueur. Il tente de donner un éclairage différent de l’approche communément admise. Il questionne sur les orientations souhaitées et souhaitables de cette activité. Sans imposer de vérités, il espère susciter l’échange.
Une vision étriquée de l’activité ?
Le voyage pourrait commencer par « Notre pays, caractérisé par une riche histoire industrielle et minière, compte plus de 320 000 anciens sites d’activités industrielles ou de services, et près de 3 000 anciens sites miniers. » (rapport d’information n° 700 (2019-2020) de la commission d’enquête sur la pollution des sols du Sénat).
Le rapport est riche en enseignements. Cet élément introductif est déjà une vision restreinte de la problématique. Ce nombre (320 000 sites) certes correct concerne la base des anciens sites d’activités industrielles ou de services (BASIAS) bâtie pour l’essentiel à partir d’archives publiques (départementales, municipales, …) renseignant les activités ayant pour la plupart été déclarées (en Préfecture) soit des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE). Le commissariat général au développement durable avançait dans son magazine Le Point sur (n° 142 de septembre 2012) le nombre de 257 000 en 2012. Considérant l’évolution du nombre de ces sites pollués ou potentiellement pollués au cours du temps et selon l’appréciation de beaucoup de professionnels des sites et sols pollués (SSP) que les ICPE ne sont pas l’essentiel des dossiers sur lesquels ils interviennent, un nombre largement supérieur à 500 000 voire au-delà du million est peut-être à considérer.
Par ailleurs la démarche nationale dite de risque selon l’usage n’apporte, de fait, qu’une vision partielle de la portée de la problématique des sites et sols pollués : un site pollué ou potentiellement pollué auquel l’on n’attribue pas d’usage dédié (site non identifié notamment) risque fortement de ne pas être intégré dans une démarche de gestion.
La taille du marché des SSP en France reste difficile à appréhender. L’union des Professionnels de la Dépollution des Sites (UPDS) annonce, par exemple, que le chiffre d’affaires global de ses adhérents, au nombre de 48, est de 500 M€ en 2022. Elle retient aussi que cela représente entre la moitié et les deux-tiers du marché national estimé. Le marché des SSP serait alors de l’ordre de 750 M€ à 1 000 M€. Mis en perspective des études de marché déjà anciennes de 2008 (BCG) et de 2012 (EY) ce nombre varie respectivement vers 2010 de plus de 1 000 M€ à seulement 470 M€.
Les prestataires ne sont pas tous identifiés. En 2022 l’UPDS compte 48 adhérents. L’Union des Consultants et Ingénieurs en Environnement (UCIE) en compte environ 68. Le Laboratoire National d’Essais (LNE) a certifié 69 sociétés depuis 2011. Certains prestataires sont présents dans les trois structures. Reprenant les données précédentes, si 48 sociétés représentent la moitié à deux-tiers du marché qu’en est-il du tiers à la moitié restante ?
La répartition en nombre de salariés des sociétés certifiées et des adhérents UPDS (figure 1) montre qu’en 2022 près des trois-quarts des certifiés ont plus de 20 salariés et que côté adhérents UPDS ce taux grimpe à plus de 90 %. Aucun certifié ni aucun adhérent n’a moins de 3 salariés. Les sociétés les plus petites y sont donc peu ou pas du tout représentées (consultants indépendants en particulier). Considérant qu’il est peu probable que ne soient pas identifiées sur le marché des SSP des sociétés importantes en effectifs (par exemple de 10 salariés ou plus) il ressortirait alors qu’un tiers du marché ou plus serait réalisé par des structures de taille très modeste et que ces dernières seraient plus nombreuses qu’attendues (une société de 10 salariés réalisant peu ou prou 1 M€ de CA ; à 250 M€ correspond ainsi 250 sociétés, pour 5 salariés le nombre devient 500 sociétés, …).
Ces éléments sont cohérents avec les données de l’étude XERFI de 2020 (Les perspectives du marché de la dépollution des sols à l’horizon 2023) qui base son étude sur environ 200 sociétés et dont ses experts estiment qu’entre 2009 et 2014, le nombre d’établissements recensés dans le secteur ‘Dépollution et autres activités de gestion des déchets’a doublé, pour atteindre plus de 300 unités (le nombre de sociétés y est vu par défaut car cette étude de marché n’a pas pu identifier et interroger de manière exhaustive les sociétés les plus petites peu atteignables).
Si l’étendue du marché est visiblement sous-estimée et le nombre d’intervenants sous-évalué, jusque-là rien de bien absurde. Continuons le voyage.
Quel fonctionnement actuel ?
Sans détailler les enjeux réglementaires, la méthodologie nationale en matière de gestion des SSP s’appuie sur les textes révisés en 2017 de la précédente version datant de 2007.
Avec la volonté d’améliorer la qualité des prestations (du côté des bureaux d’études et d’ingénierie) et de limiter l’accès au marché (du côté des sociétés de travaux) la démarche nationale a été reprise dans la norme NFX 31-620 (Prestations de services relatives aux sites et sols pollués) au début ces années 2000. La mise en œuvre de cette norme est suivie par la certification dite LNE SSP (dont le référentiel est la norme en question) depuis 2011.
Le premier étonnement est de constater que si pour le contenu technique la norme concerne bien les prestations qui ont ainsi été codifiées, les exigences s’appliquent en quasi-totalité aux prestataires et quasiment pas aux autres intervenants de la prestation (i.e. les donneurs d’ordre notamment). De plus ses exigences paraissent cibler les prestataires privés puisqu’aucun des établissements publics ou para publics, qui réalisent pourtant des prestations selon la norme NFX 31-620, n’est certifié ! Si ce n’est pas absurde c’est a minima un fonctionnement subjectif sachant qu’une des missions de ses établissements est d’être une référence ès matière, un exemple.
Autre curiosité, la norme dont l’objectif est de valoriser, de manière consensuelle, les règles de l’art d’une profession (comme toute norme) est devenue au fil des années une litanie d’exigences enfermantes. A ce propos la norme a été annulée par décision du Conseil d’État du 21 juillet 2021 notamment par défaut de consensus. Après révision elle a été republiée en début 2022.
Norme et certification peuvent s’avérer de bons outils de management de la qualité. Pourtant concernant le métier des SSP, la démarche d’amélioration continue attendue pour ces outils n’y est pas visible.
La certification LNE SSP a été mise en place dans une démarche binaire consistant à vérifier la conformité à un référentiel (conforme/non conforme) alors que les professionnels des SSP s’appliquent à apporter une expertise sur des phénomènes physiques et milieux naturels complexes et fortement hétérogènes. Comment améliorer des prestations intellectuelles de conseil et d’ingénierie en s’appuyant sur le seul respect d’exigences de moyens humains, organisationnels, matériels et implicitement financiers ?
Des questionnements sans véritables réponses ?
Une question fondamentale se pose concernant norme et certification. Depuis la mise en place de ces outils, quelle en est l’efficacité ?
En perspective de nombreux questionnements réitérés régulièrement auprès du ministère en charge de la gestion de la problématique SSP, des réponses argumentées appuyées par des éléments tangibles sont toujours attendues.
Comme écrit précédemment, le Conseil d’État a annulé la norme NFX 31-620 en 2021. L’annulation d’une norme par cette institution est un fait rarissime. Elle était l’occasion de prendre du recul sur les outils stratégiques que sont norme et certification. De plus l’annulation notamment par défaut de consensus aurait dû alerter sur le manque d’adhésion de la profession. Il ressort que le consensus mis en avant pour la publication de la nouvelle version interroge puisqu’il ne s’appuie que sur quelques dizaines de professionnels alors que le secteur regroupe plusieurs centaines de prestataires.
D’accord ou pas avec la démarche normative et certificative, il convient après plus de 10 ans pour la certification et près de 20 ans pour la norme, de disposer de retours d’expérience, d’enquêtes étayées par des données qualitatives et quantitatives (des indicateurs de suivi, des taux de réussite, d’échec, …). Cela permettrait d’identifier les actions pertinentes, les exigences à maintenir, les dysfonctionnements à corriger et de confirmer ou d’infirmer le bien fondé du binôme norme/certification. Les seules réponses obtenues sont que l’état des lieux de l’application (selon retours d’expérience du terrain), inscrit dans la version de 2018 de la norme, n’est plus d’actualité du fait de son annulation en 2018 et que de toutes façons la norme est révisée tous les 5 ans. Dans une démarche d’amélioration continue, attendre 5 ans est pour le moins contraire à la logique, non ?
Les chiffres attestent pourtant la situation : 69 professionnels sont certifiés en 11 ans soit en moyenne 6 par an, ce qui demanderait un siècle pour certifier l’essentiel des acteurs !
Toujours à propos de chiffres : aucune société certifiée n’a moins de 3 salariés et près des trois-quarts en compte plus de 20. Ce type de données devrait questionner. L’étude Xerfi de 2020 prévient pourtant en écrivant que la certification LNE SSP constitue un obstacle pour les plus petits acteurs.
Quelle évolution souhaiter ?
Ce voyage est à poursuivre mais vers quelle destination ?
A vouloir normaliser, certifier à outrance, n’avancer que par des guides dont la portée juridique reste floue, l’inflation d’exigences introduit des pratiques anti-concurrentielles qui marginalisent avant tout les petits acteurs et font courir le risque de perdre la bonne intelligence de terrain. Adapter les outils aux professionnels est salutaire ; l’inverse ne l’est pas.
Les perspectives encourageantes sont toutefois bien réelles : une démarche nationale suscitant l’échange entre parties prenantes (prestataires, donneurs d’ordre, services publics, société civile, associations, …), des professionnels compétents, expérimentés et réactifs, certifiés ou non et de toute taille, l’inclusion d’innovations (intelligence artificielle, …), une activité dynamique, …
La dimension circulaire est à intégrer avec, par exemple, une démarche de type analyse du cycle de vie.
De nombreuses friches et sites « banalisés » sont à reconquérir sans aménager à outrance.
Replacer la problématique des SSP dans un contexte plus vaste : intégrer la biodiversité, mieux comprendre le besoin des parties prenantes et les accompagner hors du cadre technique strict en fédérant autour de partenariats.
S’appuyer sur des éléments tangibles : dans un métier réputé scientifique et technique, les convictions sont motivantes mais pas suffisantes.
Chacun : prestataire, donneur d’ordre, Ėtat et autre partie prenante a son rôle à tenir et sa contribution à apporter.
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