09 juillet 2021Paru dans le N°443
à la page 120 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Elle porte bien son nom. Située au beau milieu de l’Atlantique, à 170?km au sud est des côtes de la Nouvelle-Écosse, l’Île de Sable se fait et se défait au gré des humeurs de l’océan. Au centre de cette minuscule langue de sable égarée au large, un lac d’eau douce permet à la vie de développer.
Pour le navigateur de l’Atlantique Nord, l’île de Sable c’est d’abord un dangereux obstacle, cause de nombreux accidents. Ce petit croissant de sable situé au beau milieu des routes maritimes au sud-est de la Nouvelle-Écosse a été de tous temps le théâtre d’innombrables naufrages. Curieusement, le premier n’est répertorié qu’au début du 16ème siècle. C’est qu’à l’époque la navigation n’est pas une science exacte et le meilleur des capitaines ne peut qu’estimer sa position avec un degré de précision qui ferait frémir aujourd’hui. D’ailleurs, au début du 20ème siècle, l’emplacement de l’Île elle-même reste mal connu ! En témoigne ce courrier de la Société de géographie du Québec, un véritable appel au secours adressé au ministère canadien des Pêches et des Océans : « A quelle distance de la Nouvelle-Ecosse se trouve l’Île de sable ? ».
Du coup, les navigateurs cherchent à éviter cette zone mal connue, traversée par de forts courants et enveloppée de fréquents et épais brouillards. Mais au 18ème siècle, les liaisons maritimes se développent au même rythme que les échanges entre l’Europe et les ports américains. La présence de l’île de Sable au beau milieu des routes maritimes occasionnera plusieurs centaines de naufrages sur le seul 18ème siècle : dans l’impossibilité de se dégager, les bateaux qui s’échouent sur les bancs de sable ceinturant l’Île, sombrent, rapidement disloqués par la violence des lames océaniques. Quant aux naufragés eux-mêmes, bien souvent des immigrants, c’est la fin du voyage : emportés par les violents courants qui traversent la zone et sans aucun espoir d’être secourus, ils périssent par centaines. Le fait même de pouvoir prendre pied sur la partie émergée de ce plateau sableux qui n’offre aucun abri ne garantit pas la survie. En 1801, toutefois, le gouvernement britannique fonde le Sable Island Humane Establishment, un poste de sauvetage composé de 5 résidants permanents. Sans phare, sans moyen de communication, ceux-ci ne peuvent empêcher les naufrages, mais leur présence donne à ceux qui ne se sont pas noyés la maigre chance d’être secourus et de pouvoir regagner un jour le continent.
Mais l’Île de Sable n’est pas qu’un obstacle maritime. Au-delà de sa situation géographique si particulière et de son histoire pittoresque et riche en anecdotes, c’est aussi une curiosité géologique, fruit d’une lente évolution commencée il y a 19.000 ans, au tout début de la période postglaciaire.
L’Île de sable : une curiosité géologique
Plateau desséché composé de sables mouvants stabilisés par une végétation basse, sans aucun arbre, l’île de Sable est la seule émergence qui domine la surface tourmentée de l’Atlantique sur toute une chaîne allant du Grand Banc de Terre-Neuve aux côtes est des États-Unis. Constamment modifiée par les eaux qui l’entourent, l’île n’est que la partie visible d’un ensemble beaucoup plus vaste. Longue de 38 kilomètres sur 1,6 kilomètre dans sa partie la plus large, elle repose sur le grand banc de sable de la plateforme néo-écossaise. Elle est constituée de deux crêtes de sable parallèles, séparées par une dépression linéaire discontinue. La crête située au nord, la plus élevée, culmine à 23 mètres d’altitude. Celle du sud, moitié moins haute, s’élève à 12 m. Durant les derniers millénaires de la période postglaciaire, l’île de Sable s’est érigée en île barrière pendant que le niveau de la mer montait lentement sur le plateau continental. Gonflées par les tempêtes, les vagues du sud ont poussé les sédiments marins sur ce qui constitue aujourd’hui la rive sud de l’île. Les courants associés au Gulf Stream ont entraîné les sables vers le nord-est, prolongeant peu à peu l’île dans cette direction. Sur la rive nord, le courant du Labrador a lentement poussé les sables vers le sud-ouest. Les vents ont également participé à la formation de l’île en créant des crêtes dunaires derrière les plages du nord et du sud, interrompus par des sillons linéaires creusés par les violentes tempêtes hivernales soufflant du nord-ouest.
Tout autour de l’île, les eaux sont peu profondes. Mais à moins de 20 kilomètres, la plateforme continentale s’abaisse brutalement. C’est là, au nord-est de l’île de Sable, sur le bord du plateau néo-écossais, que commence le Goulet, le plus grand canyon sous-marin de l’est de l’Amérique du Nord. Long de 65 km et large de 15 km, il file tel un entonnoir vers les - 2.000 mètres, jusqu’à la plaine abyssale et le plancher océanique. De nombreuses espèces de baleines et de dauphins y ont élu domicile.
Malgré son caractère inhospitalier, parfois hostile, cet univers balayé par les courants océaniques et les violentes tempêtes, bien loin des édens paradisiaques auxquelles sont souvent associées les îles désertes, fourmille de vie. Grâce à la présence abondante d’eau douce en son centre, l’Île abrite de nombreux écosystèmes qui intéressent les chercheurs au plus haut point.
L’Île de Sable : le contraire d’une Île déserte
L’île de Sable est tout le contraire d’une île déserte. Car le climat de l’île est influencé avant tout par la mer. Les eaux océaniques maintiennent la température hivernale de l’air à un niveau relativement élevé et les températures d’été en dessous de ce que l’on considère habituellement comme des températures chaudes dans les régions tempérées. L’amplitude annuelle moyenne des températures n’est que de 18,6 °C. Et comme l’île se trouve sur la trajectoire des tempêtes d’hiver et, à l’été et à l’automne, sur celle des cyclones tropicaux, elle reçoit une quantité importante de précipitations. Le total annuel de pluie et de neige atteint en moyenne 1.372 mm, total dont 9 % seulement sont de la neige. A l’Île de Sable, le nombre de jours de précipitations est presque égal au nombre de jours secs. La pluie et la neige pourraient filtrer à travers le sable et se perdre dans l’océan. Mais grâce à la structure géologique du plateau, elles forment au contraire de nombreux réservoirs souterrains. Du coup, la dépression centrale, située dans la partie ouest de l‘Île, est occupée par un lac. C’est lui le maillon clé de l’Île de Sable. Lui qui fédère et assure la subsistance des nombreux écosystèmes de l’Île. Lui qui a, dans le passé, sauvé les rares naufragés qui étaient parvenus à prendre pied sur l’île. Lui qui assure aujourd’hui la survie des 350 chevaux, lointaine descendance de quelque naufrage qui y vivent aujourd’hui en liberté.
Long de 5,5 kilomètres le lac Wallace - c’est son nom - n’est pas très profond. Mais la seule présence de cette masse d’eau douce en plein océan Atlantique est vitale pour l’équilibre de l’Île. Il existe bien quelques autres mares situées à plusieurs endroits entre des dunes fixées par les herbes qui constituent une source non négligeable d’eau douce, mais elles ont tendance à rétrécir, voire même à s’assécher pendant les périodes de sécheresse. L’équilibre du Lac Wallace lui-même est fragile. Le taux de sel et la température de l’eau varient fréquemment. En hiver, du fait des vagues qui le submergent et l’inondent d’eau salée, le lac gonfle et s’étend sur près de 8 km. Seule la présence de l’ammophile qui fixe les dunes le préserve d’une submersion totale par gros temps. En été, il rétrécit et se fragmente en plusieurs étangs saumâtres. Mais sa seule présence suffit à préserver la vie sur cet espace balayé par la pluie, le vent et les embruns.
Ces habitats fragiles sont aujourd’hui protégés par les autorités canadiennes qui ont édicté de nombreux règlements pour limiter l’accès à l’Île à la communauté scientifique et transformé l’île en réserve de parc national en 2011.
Mais ces règlements ne constituent pas une protection sans faille. Les chercheurs sont d’ailleurs assez partagés sur le devenir de l’Île de Sable. Certains croient à sa pérennité en expliquant que ce sont les courants de tempête qui déposent le sable et que donc l’île subsistera tant qu’il y aura des tempêtes et du sable. D’autres, plus nombreux, la disent menacée tout à la fois par les changements climatiques, la montée du niveau des océans et les modifications des courants transocéaniques. Pour l’heure, le danger le plus immédiat vient paradoxalement des programmes de prospection, de forage dans la zone extracôtière de la Nouvelle-Écosse.
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