27 mars 2020Paru dans le N°430
à la page 94 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET de EDITIONS JOHANET
Nous avons tous appris, en cours de géographie, que les étendues d’eau sont généralement signalées en bleu sur les cartes. Cela ne devrait pourtant pas être le cas du lac Hillier, en Australie, qui déroge à cette règle du fait de ses eaux de couleur… rose. Loin d’être le fruit d’une quelconque expérience humaine, les eaux du lac Hillier témoignent des étranges phénomènes dont la nature est parfois capable.
Nous sommes au mois de janvier 1802. La capitaine Matthew Flinders, qui figure parmi les navigateurs-cartographes les plus remarquables de son époque, approche d’une petite ile inhabitée située à une vingtaine de miles au sud de la côte de l'Australie-Occidentale.
Middle Island, c’est son nom, est l’une des 105 îles de la côte sud-ouest de l’Australie. Elle est loin d’être la plus grande : longue de 6,5 kilomètres, elle n’occupe qu’une surface totale de 1 080 hectares. Mais elle est facilement accessible à la voile et Flinders, qui en a fait le tour avec son navire, souhaite évaluer ses ressources.
L’homme, dans le monde de la marine, n’est pas un inconnu. Il a beaucoup navigué et est considéré comme le principal explorateur du continent Australien. De nombreux sites, établissements et monuments australiens, portent, aujourd’hui encore, son nom.
Mais en ce 15 janvier 1802, Flinders est aux abois. Plusieurs membres de son équipages sont malades, et l’eau, comme les vivres, commence à manquer. Il est à la recherche d’un point d’eau facile d’accès pour se réapprovisionner. Après avoir abordé l’île au début de la matinée, il se met à gravir avec quelques hommes son plus haut sommet pour embrasser d’un regard toute sa superficie et localiser l’éventuel point d’eau salvateur.
Mais lorsqu’il parvient enfin au sommet, Flinders n’en croit pas ses yeux : le point d’eau tant recherché est là, sous ses yeux, à quelques centaines de mètres à peine, séparé de l’océan par un mince cordon dunaire bordé de sable blanc. Problème : les eaux du lac sont roses !
Une couleur rose tout au long de l’année
Un rose vif, uniforme, qui tranche avec le vert profond de la forêt d’Eucalyptus qui l’entoure et avec le sable blanc qui, tel un écrin, sépare le lac de l’océan bleu azur.
Le premier effet de surprise passé, les hommes redescendent et décident de s’approcher des rives de ce lac aux saisissantes nuances de roses. En lui-même, le lac n’est pas très grand puisque, profond d’une trentaine de mètres, il ne mesure que 600 mètres de long sur 250 mètres de large. D’emblée, les hommes comprennent que ces eaux sont salines du fait des abondantes quantités de sel cristallisé sur les rives. Il ne sera donc pas possible de se réapprovisionner en eau douce sur Middle Island. Flinders prend tout de même soin d’emporter, avec des échantillons de cette fameuse eau rose, de l’huile de phoque pour ses lampes, et quelques barils de sel ramassés sur les rives du lac. Un peu plus tard, il le nommera « Lac Hillier » après que William Hillier, un membre de l’équipage, ne meure de la dysenterie peu après le départ de Middle Island.
Les analyses réalisées sur les échantillons d’eau rapportés par Flinders en Grande Bretagne ne donneront rien, mais la découverte du lac rose aiguisera les appétits commerciaux.
En 1889, un autre européen, Edward Andrews, étudie la possibilité de produire du sel issu des eaux du lac Hillier. Il s’installe sur l’île avec ses deux enfants et se lance dans l’extraction de sel. L’expérience s’achèvera moins d’une année plus tard, faute de débouchés commerciaux suffisants. D’autres tentatives échoueront au cours du 20ème siècle pour plusieurs raisons, notamment à cause des craintes qui pèsent sur une éventuelle toxicité du sel recueilli.
Les tentatives seront nombreuses au cours du siècle suivant pour tenter de percer le secret de la couleur des eaux du lac Hillier, exclusivement peuplé de micro-organismes. Il n’est alors pas le seul lac au monde à se parer d’une couleur rose mais contrairement aux autres, il présente la particularité de la conserver tout au long de l’année, quelles que soient les saisons ou les températures.
Des scientifiques longtemps perplexes
Soucieux de percer l’énigme de ses eaux colorées, de nombreux scientifiques se penchent sur la question et émettent une première hypothèse : la couleur des eaux serait due à la nature des sédiments qui jonchent le fond du lac. Problème : l’eau recueillie dans une simple éprouvette en verre, reste rose… L’hypothèse est donc invalidée.
On invoque ensuite une nouvelle explication : la couleur rose résulterait de la présence de Dunaliella Salina, une microalgue typique des marais salants qui produit une substance de la famille des caroténoïdes – un pigment de couleur orangée que l’on retrouve notamment dans la carotte.
D’autres scientifiques estiment qu’elle proviendrait plutôt de bactéries halophiles présentes dans l’eau et dans les nombreuses concrétions de sel qui jonchent les rives du lac.
Une autre théorie avance enfin que cette couleur pourrait provenir d’une réaction chimique entre le bicarbonate de sodium et les sels présents dans l’eau.
Le mystère subsistera pendant plusieurs décennies. Seul point qui suscite l’unanimité des scientifiques : si la couleur de l’eau surprend, elle ne semble pas avoir d’effets nocifs connus sur l’être humain, hormis ceux liés à sa très forte concentration de sel, proche de celle de la mer Morte.
L’énigme ne trouvera son épilogue qu’en 2016, date à laquelle l’eXtreme Microbiome Project (XMP), sous la direction de l’association ABRF (Association of Biomolecular Resource Facilities), communique de nouvelles conclusions. Certains micro-organismes évoluant dans les eaux du lac seraient à l’origine de sa couleur rose. Après de nombreuses recherches, le XMP a constaté que la bactérie rouge Salinibacter Ruber dominait le profil métagénomique du lac, tandis que Dunaliella Salina n’était présente que dans des proportions relativement faibles. Il en a conclu que la couleur rose du lac était produite par les bactéries et non par les algues comme on le pensait précédemment.
Délivré de son mystère, le lac Hillier a depuis intégré une réserve naturelle interdite aux touristes qui ne peuvent plus désormais que le survoler. Seuls les scientifiques sont autorisés à s’y rendre pour y mener des recherches et travailler sur les eaux du lac.
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