Une politique pluviale volontariste et durable : bilan de 25 ans de bonnes pratiques environnementales - l’exemple chiffré du Douaisis (France)
31 janvier 2018Paru dans le N°408
à la page 39 ( mots)
Rédigé par : Ludovic DENNIN de Communauté d’Agglomération du Douaisis
L’ingénieur Belgrand, au milieu du XVIIIème siècle en France, a été le socle d’une politique de l’assainissement qui a permis, en 150 ans, de faire des progrès très significatifs en matière d’hygiène et de salubrité publique. Aujourd’hui, les enjeux ont changé, il ne peut plus être question de véhiculer les eaux pluviales de la même manière que les eaux usées, il faut les gérer au plus près de leur point de chute et copier le grand cycle naturel de l’eau.
La Communauté d’Agglomération du Douaisis a mis en pratique la gestion durable et intégrée des eaux pluviales par une politique volontariste, généralisée, sur son territoire depuis près de 25 ans. Elle est en capacité d’en mesurer, en fournissant des chiffres, les nombreux bénéfices, techniques, réglementaires, environnementaux, financiers mais aussi sociétaux, aboutissant à des territoires plus résilients, faisant davantage face aux conséquences du dérèglement climatique.
La genèse d’une politique nouvelle
Dans les années 1990, le Douaisis (Nord de la France) est confronté à des problèmes récurrents d’inondations par saturation des réseaux d’assainissement unitaires : 5 inondations en 5 ans dans le même quartier, générées par des orages d’occurrence décennale.
Malgré les investissements consentis, force fut de constater, à ce moment, qu’une fois l’eau dans les réseaux, il apparaissait difficile, voire impossible de la gérer correctement. La seule solution consistée donc à faire en sorte qu’elle n’aboutisse plus aux réseaux de collecte.
La politique de gestion alternative pluviale était née, mise en œuvre et basée sur la gestion de la goutte d’eau au plus près de son point de chute. La gestion intégrée des eaux pluviales prenait corps avec le recours aux diverses techniques dites alternatives, pour alternatives au « tout tuyau ».
La Communauté d’Agglomération du Douaisis (CAD) est une intercommunalité regroupant 35 communes et plus de 157 000 habitants ; elle exerce la compétence assainissement sur 26 d’entre elles sur un réseau majoritairement unitaire (80 %) composé de plus de 750 km de collecteurs desservant plus de 120.000 habitants.
Dès le début, la CAD, compétente en matière d’eaux usées, d’eaux pluviales et d’hydraulique a défini cette politique comme une politique générale et généralisée. C’est-à-dire qu’elle trouve à s’appliquer sur tout le territoire communautaire, qu’il y ait risque ou non de saturation des réseaux, par solidarité territoriale ou de bassin-versant. Cette politique, naturellement, est à appliquer tant sur l’urbanisation nouvelle (qui ne fait qu’éviter d’aggraver la situation) que sur l’urbanisation existante lors de chaque mutation, renouvellement ou modification (ce qui permet véritablement l’amélioration de la situation préexistante par désaturation du réseau de collecte).
Cette décision courageuse car avant-gardiste à cette époque, se trouve avoir été la bonne et apporte de nombreux bénéfices. En effet, elle a permis un déploiement sur tout le territoire de cette nouvelle politique de gestion des eaux pluviales, sans avoir à affronter les tentatives de dérogation à cette nouvelle règle, certes dérangeante et remettant en cause les pratiques antérieures, mais qu’une organisation dynamique et volontariste a su accompagner.
En effet, la Direction de l’Assainissement de la CAD rodée aux modalités de gestion alternative, accompagne et conseille tout porteur de projets (neufs ou de renouvellement) dans son dossier technique pour qu’il puisse s’approprier cette nouvelle culture technique, cette nouvelle philosophie. Être dans l’assistance et l’accompagnement caractérise l’action de la CAD qui en se professionnalisant dans l’utilisation des techniques alternatives permet à chacun d’être guidé mais autonome tout en s’appropriant les bons réflexes.
Retour d’expériences - résultats
Près de 25 ans après, le bilan que tire la CAD est plus que bénéfique et ce à plus d’un titre.
Avec plus de 1.000 réalisations, c’est plus de 25 % de son territoire qui est aujourd’hui géré en pluvial par les techniques dites alternatives, de manière durable et intégrée. Il est important de souligner que tous les secteurs gérés de la sorte n’ont connu aucun problème lors de l’orage d’occurrence centennale subi en juillet 2005, alors qu’à cette époque le dimensionnement ne prenait pas en compte ce type d’occurrence (dimensionnement sur des périodes de retour de 20 à 30 ans). La démonstration est ainsi faite de l’efficacité de ces techniques qui créent une urbanisation sécurisée au regard du risque inondation par ces eaux pluviales.
Par ailleurs, et grâce à l’autosurveillance des rejets de temps de pluie au droit des déversoirs d’orage sur réseaux unitaires, la CAD a pu constater et mesurer les progrès obtenus sur la réduction des débits et volumes déversés par ces ouvrages de délestage au milieu naturel.
Ainsi, sur le territoire le plus ancien, le plus dense, celui comprenant le centre-ville historique de la Ville de Douai (avec son riche patrimoine du XVIIIème siècle), les rejets annuels comme les rejets pour une pluie de retour un mois ont été divisés par 4 en une dizaine d’années, tant en volume qu’en fréquence. Le graphique 1 en apporte l’illustration et montre que les volumes déversés, initiaux de l’ordre de 1.800.000 m³, sont désormais de 400.000 m³ par an (graphique 1), permettant d’ores et déjà à la CAD d’être quasi conforme, sur cette agglomération d’assainissement, au regard des nouvelles dispositions et objectifs de l’arrêté ministériel du 21 juillet 2015.
La gestion alternative des eaux pluviales se pratique également dans le centre historique de Douai (exemple : sous-bassin versant Vauban en graphique 2), là où les difficultés liées à l’urbanisation sont plus contraignantes (peu de place, forte minéralisation des espaces, encombrement du sous-sol, …) et nécessite l’implication de tous les services. Ainsi à chaque mutation de la ville, la réflexion est menée sur la gestion des eaux pluviales en choisissant dans la boîte à outils des techniques alternatives, le dispositif le mieux adapté au contexte local.
La diminution des volumes surversés au milieu naturel quantifiée au moyen du suivi de plus de 10 années d’autosurveillance tant des déversoirs d’orage que de l’usine d’épuration démontre la grande efficacité de la politique mise en œuvre sur le territoire de la CAD. En effet, la diminution des volumes surversés au niveau des déversoirs d’orage ne se traduit pas par une augmentation des surverses et by-pass en station d’épuration mais par une diminution globale sur l’ensemble du système d’assainissement.
Cette politique de gestion durable des eaux pluviales fait appel aux conceptions de l’urbanisme basées sur une double fonction donnée à l’espace urbain créé. Une voirie est conçue/réalisée par nécessité. Lui ajouter une fonction de stockage via le corps de chaussée, de tamponnement des eaux pluviales en les infiltrant ou en les rejetant à débit limité vers un exutoire superficiel proche, ne génère que de très légers surcoûts à sa réalisation et fait économiser de gros investissements en assainissement. Il en est de même lors de la conception d’espaces récréatifs, verts…
Par conséquent, donner deux fonctions à une surface de la ville génère des économies et réduit considérablement les coûts d’exploitation. Cette politique appliquée depuis près de 25 ans sur la CAD lui permet d’afficher un coût gestion de son service pluvial bien inférieur à ce qui peut être constaté pour d’autres territoires de même importance. L’économie a pu ainsi être évaluée à près d’un million d’euros annuellement (plus d’investissement pluvial, plus d’amortissements s’y rapportant, coûts d’exploitation très réduits), soit le tiers du coût classique pour une collectivité de même taille.
Par ailleurs, pour démontrer l’absence d’impact négatif de sa politique de gestion par infiltration des eaux de pluie, la CAD a mis en place un réseau de 7 piézomètres placés dans le sens d’écoulement de la nappe phréatique afin de contrôler et de démontrer depuis bientôt 10 ans la bonne qualité des eaux souterraines utilisées pour la production d’eau potable. Ce suivi prouve, s’il en était besoin, l’absence d’impacte négatif de cette politique.
À ce bilan, il faut ajouter d’autres bénéfices indirects tout aussi importants :
Les rejets au milieu naturel, aux cours d’eau sont réduits et les débits de pointe fortement diminués. La gestion de ces rivières s’en trouve simplifiée lors des événements pluvieux intenses, évitant aux gestionnaires aval de faire leur affaire des débits rejetés par l’amont, ce qui a son importance dans le cadre de la GEMAPI.
Par l’infiltration de ces eaux pluviales, en tout ou partie, la ressource en eau potable constituée par les nappes phréatiques s’en trouve confortée.
Le grand cycle, naturel, de l’eau est respecté, la vitesse d’écoulement des eaux vers les mers et océans s’en trouve ralentie et ressemble à ce qu’elle était originellement.
L’eau est remise au cœur de la ville, et ses habitants réapprennent à vivre avec elle, en sa présence et sont ainsi plus enclins à la respecter.
La ville peut être plus verte, offrant plus de possibilité à la biodiversité, si importante, de reconquérir les cœurs de ville.
La présence de l’eau dans la ville participe à la lutte contre les îlots de chaleur, de plus en plus impactants dans le cadre du dérèglement climatique constaté.
Enfin, il ne saurait être question de passer sous silence un autre intérêt et bénéfice de ces techniques alternatives, pour rester dans le cadre de ce dérèglement climatique. Basée sur le stockage de la pluie avant de la gérer, la gestion de ces eaux de pluie est bien moins sensible aux intensités de pluie. Que celle-ci tombe en un quart d’heure ou en trois heures, si elle est stockée, elle ne pose aucun souci vers l’aval, et son écoulement par infiltration ou par débit limité vers un exutoire superficiel est intégré dans les calculs de temps de vidange. Les techniques alternatives reposent sur le stockage des eaux pour réguler les débits et réduire les vitesses d’écoulement en favorisant l’infiltration. Dans l’assainissement classique, les ouvrages sont tous dimensionnés par rapport à une intensité maximale. Celle-ci dépassée, c’est l’inondation qui guette…
Aussi, la CAD a pu constater au travers de ses différentes réalisations sur l’ensemble de son territoire une absence d’inondations pour les bassins-versants gérés en techniques alternatives. Forts de cette bonne gestion, nos territoires deviennent plus résilients.
Conclusions
Plus de gros bassins en béton, plus de lessivage des stations d’épuration, moins de rejets aux déversoirs… Les services d’assainissement trouvent, par ces techniques alternatives, une solution particulièrement performante et peu onéreuse qui les aidera à tenir les nouveaux défis ressortant de la révision de l’arrêté du 22 juin 2007, révision traduite par le nouvel arrêté du 21 juillet 2015 qui limite à 20 déversements par an ou demande que les rejets de temps de pluie ne dépassent pas 5 % des flux ou des débits annuels, objectifs ambitieux que des investissements colossaux et des coûts d’exploitation exponentiels ne sauront, seuls, permettre d’atteindre.
Voulue par la loi sur l’eau de 1992, puis par la LEMA de 2006, la bonne gestion des eaux pluviales passe par le recours aux techniques dites alternatives, par une gestion durable et intégrée des eaux pluviales. Haussmann et Belgrand ont eu leur succès, la politique hygiéniste qu’ils ont définie et insufflée a fait son temps, les exigences environnementales ont changé. Il n’est plus à l’ordre du jour d’évacuer hors de la ville, le plus vite et le plus loin possible, tous les miasmes véhiculés par les eaux. Nous savons les trier, les séparer, les eaux usées vont en usine de traitement, les eaux pluviales non concentrées, ayant peu ou pas ruisselé sont très peu chargées en polluants et peuvent donc être gérées là où elles tombent, en collant au grand cycle naturel qu’elles connaissent avant l’urbanisation.
Le retour d’expériences de la Communauté d’Agglomération du Douaisis est là pour le démontrer : ces politiques sont payantes, elles sont efficaces, elles peuvent et doivent se généraliser. Certes, elles nécessitent une organisation, une pratique de la transversalité entre les services d’une même collectivité qu’il faut amener à fédérer en mettant en relation la Direction de la Voirie, celle des Espaces Verts, des Bâtiments… avec celle initialement chargée de la gestion de ces flux d’eau plus gênants que richesse. Que les sols soient perméables, que la géologie s’y prête a priori moins, avant tout projet d’urbanisation, la pluie est là et la nature y fait face. Ayons la sagesse de la copier...
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