Une véritable prouesse technique : le Canal des moines
29 decembre 2020Paru dans le N°437
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Que ce soit pour des usages domestiques ou agricoles, la maîtrise de l’eau est un domaine dans lequel les moines Cisterciens ont toujours manifesté un savoir-faire hors du commun. Plusieurs de leurs réalisations ont constitué au fil des siècles de véritables prouesses techniques à l’image de la construction d’un ouvrage d’art destiné à alimenter en eau les monastères d’Obazine et du Coyroux, le Canal des moines.
Nous sommes au XIIème siècle en bordure des plateaux du Bas-Limousin au sud-ouest du département de la Corrèze. Étienne de Vielzot, un ermite établi entre l’Auvergne et le Limousin choisi en 1135 un petit replat boisé dominant la vallée de la Corrèze, bien exposé et abrité pour y implanter un monastère. Un torrent situé à proximité permettra de pourvoir aux besoins en eau de la future communauté.
Accompagné de quelques compagnons, ils commencent à défricher le site et créent les premiers jardins, plantant vignes et arbres fruitiers tout en édifiant une église abbatiale entourée des bâtiments nécessaires à leur vie de moines et à leurs activités agricoles. Au Moyen Âge, l’Église est une institution centrale en Occident. Elle joue un rôle pivot dans les relations entre les pouvoirs mais structure également le cadre de la vie quotidienne des puissants comme des humbles. L’engouement de l’époque pour le patrimoine bâti, qu’il soit monumental ou modeste, s’exprime très souvent autour d’édifices religieux qu’il s’agisse des majestueuses cathédrales ou de plus simples abbayes à l’image de l’abbaye d’Obazine.
Parallèlement à son projet initial, Étienne engage la construction à quelques centaines de mètres de là, au fond du vallon du Coyroux, d’un autre monastère, destiné à des femmes qui font, elles aussi, le choix de vivre à l’écart du monde.
En 1142, les deux monastères sont achevés et abritent une double communauté monastique d’une centaine d’âmes. Le site reçoit la visite de l’évêque de Limoges qui consacre solennellement chacun des deux monastères et y installe les deux communautés avant d’en confier la responsabilité à Étienne, promu abbé pour la circonstance. Les moines mènent alors une vie de prière et de travail ponctuée chaque jour de 7 offices depuis le milieu de la nuit jusqu’au soir. Leur travail, manuel, est essentiellement agricole.
En 1147, soucieux d’assurer l’avenir de sa communauté, Étienne choisit d’adhérer à l’Ordre Cistercien dont les austères préceptes monastiques se rapprochent des siens. L’ensemble Obazine-Coyroux obtient rapidement son affiliation à l’abbaye de Cîteaux. Elle se conformera désormais aux usages de l’ordre.
Mais il apparaît rapidement aux Cisterciens, excellent hydrauliciens, que la source dont le premier monastère s’était contenté, ne pourrait pas suffire à satisfaire les besoins d’une communauté forte de plus de cent moines.
Des obstacles considérables au regard des moyens de l’époque
Le problème est si crucial que l’on envisage un moment de déplacer et reconstruire le site vers le fond de la vallée. Mais l’immensité de la tâche va contribuer à faire émerger une autre solution : le détournement d’un cours d’eau situé à 1,7 km en amont de l’abbaye.
Les moines décident de capter l’eau sur le torrent du Coyroux à 360 mètres d’altitude ce qui lui permettra, grâce à un dénivelé de 70 mètres, d’arriver jusqu’à l’abbaye en abondance et avec le débit requis, quelle que soit la saison. Un bassin de rétention est maçonné et délimité vers l’aval par une digue destinée à répartir l’eau entre le torrent et le canal de distribution. Ce dernier, équipé d’une vanne et d’un déversoir de crues, permet de réguler les flux vers l’amont.
Bien que peu profond, le canal devra cheminer à travers la forêt et surtout les roches ce qui s’annonce comme un véritable défi technique. Car il va devoir épouser les contours du versant rocheux et très escarpé de la vallée du Coyroux et serpenter le long des falaises. Pour ceci, il va falloir affronter des à-pics de plus de 40 mètres, construire plusieurs aqueducs, traverser la roche de part en part en maints endroits et surtout, parvenir à faire passer le canal en encorbellement le long de la falaise… Des obstacles considérables au regard des moyens dont disposaient nos moines à cette époque. Le résultat sera à la hauteur des difficultés rencontrées : le lit de l’aqueduc, long de 1,7 km à flanc de montagne, est soit taillé dans le rocher, soit construit à l’aide de blocs de granit appareillés puis placés en encorbellement le long de la falaise rocheuse.
Longtemps, la chronologie et les détails liés à la construction de l’ouvrage resteront mal connus. Mais en 2004, une étude préalable à un chantier de restauration menée par un bureau d’investigations archéologiques va révéler toute l’ampleur des difficultés auxquelles les moines-bâtisseurs se sont trouvés confrontés.
Malgré son apparence rudimentaire, un ouvrage très élaboré
En dépit de son apparence simple, presque rudimentaire, le canal constitue de par ses multiples fonctions une entreprise de valorisation des sols à grande échelle. Le lit de l’aqueduc, à flanc de montagne, suit selon une pente légère les courbes du versant rocheux. Le canal est accessible tout le long de son parcours par un sentier qui en longe la rive gauche. Le tracé et surtout le report sur le terrain du projet du canal ont constitué les taches les plus délicates. Pour satisfaire les besoins en eau de l’abbaye, une section minimale du canal à été définie : 60 cm de large sur 50 cm de hauteur.
La valeur de la pente, voisine de 0,08 %, confirme la qualité de la maîtrise technique des moines-bâtisseurs et prouve l’usage de matériel topographique. La construction repose sur une levée de terre contenue par un mur de soutènement ; l’étude archéologique a identifié plus de 200 maçonneries distinctes ! L’appareillage mis en œuvre dans les parties basses et intermédiaires du mur de soutènement est constitué d’une succession de 3 à 5 assises en grand appareil de blocs bruts alternées avec une assise de blocs pénétrants. Les éléments de blocage ont été posés soigneusement avant d’être damés. La construction du canal lui-même n’est intervenue que dans un second temps avec la mise en œuvre du pavement et des rives dans une tranchée réservée précédemment. La construction s’est achevée avec l’élévation des rives et le remblaiement du cheminement. L’amenée d’eau ainsi constituée s’est révélée étanche sans qu’il soit nécessaire de recourir à un liant spécifique. Les archéologues ont pu constater qu’une bonne maîtrise de l’étanchéité avait été trouvée grâce à un rapport débit/absorption équilibré du fait des dalles en pavement et de chant et le remblai sableux. Cette mise en œuvre a conféré au canal une caractéristique particulière alliant technicité (implantation, pente, tracé) et simplicité (terrasse de terre).
Aucun écrit ne mentionne la date d’achèvement du Canal des moines. Mais l’on sait que depuis au moins 800 ans, l’eau n’a jamais cessé de couler dans le canal qui reste aujourd’hui le seul ouvrage de ce type encore en activité en Europe. Classé aux monument historiques en 1966, il a souffert de la fréquentation touristique et des intempéries et s’est effondré en deux endroits en 2004 ce qui a nécessité sa fermeture pour rénovation durant 6 ans. Réouvert depuis juillet 2010, il accueille aujourd’hui plus de 50.000 visiteurs par an.
Quant aux monastères d’Obazine et du Coyroux, ils ont prospéré jusqu’à la Révolution date à laquelle ils seront confisqués et les moines chassés. Mais le village, depuis ce temps, continue à jouir de l’eau du canal et aujourd’hui encore, nombre de parcelles bénéficient des prises d’eau réalisées par les moines il y a plus de 800 ans.
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