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Utilisation de modèles numériques pour la gestion des teneurs en pesticides aux forages d’eau potable

28 novembre 2019 Paru dans le N°426 à la page 52 ( mots)
Rédigé par : Emilie BLAIN-LEFEVRE de VEOLIA WATER STI, Magali DECHESNE de VEOLIA WATER STI, Abdeljalil LIOEDDINE de Agrosolutions et 1 autres personnes

La Communauté d’Agglomération de Lens-Liévin (CALL) a entrepris un vaste plan d’actions pour la maîtrise des sources de pollution de son territoire, notamment vis-à-vis des pollutions d’origine agricole comme les pesticides. Par exemple, leur transfert a été étudié sur le champ captant de Wingles. Une méthodologie novatrice a été mise en œuvre en couplant les modèles MACRO5.2 et Watermodel©. Cette approche a permis de modéliser les transferts de pesticides depuis le sol jusqu’aux captages d’eau souterraine utilisés pour la production d’eau potable. Cette démarche avait pour objectif d’évaluer l’impact des pratiques agricoles actuelles sur les teneurs en pesticides dans la ressource en eau souterraine, à court et moyen terme, et d’alimenter les réflexions pour l’élaboration du futur plan d’actions. L’étude a montré que le risque de contamination était faible pour la plupart des molécules utilisées sur les cultures, mais que l’atrazine serait présente encore plusieurs années, probablement à cause d’une source très locale de pollution. Ainsi, il peut être intéressant de diversifier les rotations de culture pour réduire l’utilisation d’un même pesticide sur une parcelle. La modélisation permet également de déterminer les principales zones de contribution, plus restreintes que l’ensemble de l’AAC, zones sur lesquelles le plan d’action pourrait se focaliser. Enfin, il a été difficile de localiser les sources d’atrazine, qui s’avèrent probablement étrangères aux pratiques agricoles. Cette hypothèse sera testée au cours de nouvelles simulations.

La Communauté d’Agglomération de Lens-Liévin (CALL) assure l’approvisionnement en eau potable pour 36 communes et 245.000 habitants. L’eau potable distribuée provient de la nappe de la craie (17 champs captants) et d’une ressource en eau superficielle. Six champs captants sont classés prioritaires. Une Opération de Reconquête de la QUalité de l’Eau (ORQUE) est en préparation sur ce territoire. Ce type d’opération vise à réduire les pollutions diffuses dans les aires d’alimentation des captages en eau potable pour reconquérir ou préserver la qualité de la ressource en eau.
Figure 1 : Territoire de la CALL et localisation du champ captant de Wingles

La collectivité a entrepris un vaste plan d’actions pour la maîtrise des sources de pollution de son territoire, notamment vis-à-vis des pollutions d’origine agricole comme les pesticides (aussi appelés produits phytosanitaires). Dans le cadre de l’ORQUE, un Diagnostic Territorial des Pratiques Agricoles (DTPA) a été réalisé par la Chambre d’Agriculture du Nord-Pas-de-Calais sur l’aire d’alimentation du captage (AAC) qui comprend les six captages prioritaires. Cette AAC recouvre la quasi-totalité du territoire de la CALL (18.031 ha).

En parallèle, une étude des transferts de pesticides dans le sol et dans la nappe a été réalisée sur le champ captant de Wingles, en collaboration avec Veolia Eau France, délégataire des services d’eau, et Agrosolutions, cabinet conseil en agro-environnement. Une méthodologie innovante a été mise en œuvre en ayant recours à deux modèles permettant de simuler les transferts de phytosanitaires depuis le sol jusqu’au captage. D’une part, le modèle MACRO 5.2 permet de modéliser pour chaque parcelle agricole de l’AAC les concentrations en pesticides sous‐racinaires en fonction des conditions pédologiques, climatiques et des pratiques agricoles. D’autre part, Watermodel© permet quant à lui de déterminer la contribution de tout point de la surface du bassin aux ressources captées. Cette démarche a pour objectif d’évaluer l’impact des pratiques agricoles actuelles sur les teneurs en pesticides dans la ressource en eau souterraine, à court et moyen terme (2020-2030). L’analyse des résultats de cette modélisation permettra d’alimenter les réflexions pour l’élaboration du plan d’actions de moyen et long terme (2040).

Cet article présente le champ captant de Wingles, la démarche pour évaluer les flux de pesticides dans la nappe avec le couplage des modèles MACRO 5.2 et Watermodel©, les résultats de la modélisation et les perspectives.

Le champ captant de Wingles

La production d’eau potable
Le champ captant de Wingles se situe au nord-est du territoire de la CALL (figure 1). Il représente un enjeu majeur pour le territoire car il répond à lui seul à 20 % des besoins en eau potable avec 2.000.000 m³ prélevés par an. Ce champ captant est constitué de 4 forages actifs en 2016 (F2, F3, F6, F6 bis) avec des prélèvements annuels variables (figure 2).
Figure 2 : Prélèvements dans les forages du champ captant de Wingles entre 1992 et 2016 (Données Veolia Eau France)

Des dépassements réguliers de la limite de qualité pour l’eau potable1 sont mesurés dans l’eau brute pour l’atrazine, en particulier au forage F2 (figure 3). Aucun autre pesticide n’a été quantifié sur le champ captant. Jusqu’à présent, la stratégie de pompage consistait à privilégier les prélèvements dans le forage F3. Mise en service en mai 2019, la nouvelle usine de traitement des pesticides de Wingles est prévue pour éliminer 80 à 100 % des pesticides selon le régime de pompage.

1 0.1 µg/L selon l’arrêté du 11/01/07.

Figure 3 : Concentration en atrazine dans les eaux brutes du champ captant de Wingles entre 1992 et 2016

La reconquête de la qualité de la ressource en eau du champ captant de Wingles est une priorité pour la collectivité. Agrosolutions et Veolia Eau France ont proposé une méthodologie pour répondre aux questions de la collectivité : D’où vient la pollution en atrazine dans le forage F2 ? Quelle persistance dans les forages ? Existe-t-il un risque de pollution par d’autres pesticides ? La modélisation permet de comprendre l’impact des pratiques agricoles en cours sur la qualité de la ressource en eau souterraine, et ainsi appuyer la construction d’actions pertinentes.

Figure 4 : Pédologie et occupation du sol de l’AAC de la CALL

Pédologie et occupation du sol

Lors de l’étude de l’AAC de la CALL, 673 sondages ont été réalisés pour cartographier les sols. L’interprétation des sondages a permis de définir 9 unités de sol issues de 6 matériaux parentaux distincts : les colluvions des vallons, les limons lœssiques, les craies et marnes, les matériaux tertiaires remaniés, les alluvions des vallées, le grès et les colluvions présentes dans les vallons et les petites vallées. La figure 4 et le tableau 1 présentent les 9 unités et l’occupation du sol. Les 9 unités de sol ont été modélisées dans MACRO 5.2.

Pratiques agricoles

Les pratiques agricoles sur le territoire de la CALL ont fait l’objet d’enquêtes auprès des agriculteurs dans le cadre du Diagnostic Territorial des Pratiques Agricoles (DTPA). Ce diagnostic vise à renseigner les cultures et les traitements en pesticides sur les parcelles vulnérables. La Chambre d’Agriculture a particulièrement détaillé les enquêtes pour les besoins de l’étude de modélisation. Ont ainsi pu être recensés les produits utilisés sur la saison 2015-2016, les quantités épandues et les dates d’application par parcelle, au lieu du recensement habituel sur les catégories de produits (herbicides, fongicides, etc.) et les doses de référence par hectare. Trente exploitations ont été enquêtées par la Chambre d’Agriculture en 2016, soit 426 parcelles, ce qui représente 80 % de la surface agricole classée en zone sensible.
Carte des cultures
Figure 5 : Assolement de l’AAC de la CALL

Les enquêtes ont permis de dresser la carte des cultures de la saison 2015-2016 (figure 5).

Produits phytosanitaires recensés
La Chambre d’Agriculture a recensé 261 produits phytosanitaires sur la saison 2015-2016, qui représentent 132 substances actives différentes (voir annexe 1 : Substances actives recensées). La figure 6 indique les matières actives (MA) les plus utilisées sur les parcelles.
Produits phytosanitaires analysés dans les qualitomètres de la CALL
En parallèle, des mesures de qualité des eaux souterraines ont été extraites depuis la banque de données ADES2. Des analyses de pesticides sont disponibles pour 35 qualitomètres répartis sur la zone d’étude. Entre mai 1990 et octobre 2016, 9 à 54 campagnes de prélèvements ont été réalisées par qualitomètre (voir annexe 2).

2 ADES est la banque nationale d’Accès aux Données sur les Eaux Souterraines qui rassemble sur le site internet

Figure 6 : Matières actives les plus utilisées pour la saison 2015-2016

Neuf matières actives ont été quantifiées au moins une fois : l’atrazine, la déséthylatrazine, la bentazone, la chloridazone, le chlortoluron, l’isoproturon, la métamitrone, le métazachlore et la métribuzine. Ces analyses témoignent de l’évolution des pratiques agricoles au fil des années, car les molécules détectées dans les eaux souterraines entre 1990 et 2016 ne sont pas les mêmes que celles utilisées en 2015-2016 (figure 6).

Modélisation des flux de pesticides dans le sol

Le modèle de sol MACRO 5.2
Figure 7 : Modélisation de transfert de pesticides dans le modèle MACRO 5.2

Le modèle de sol MACRO 5.2 permet de simuler les flux d’eau et de matières actives dans la zone sous-racinaire (figure 7). Il permet ainsi de déterminer le comportement de chaque produit phytosanitaire avec la part utilisée par la culture, la part lessivée par la pluie, et la part qui percole vers la nappe. Les résultats du modèle sont les flux d’eau sous-racinaire, ainsi que la quantité et la concentration de matières actives dans l’eau de percolation. MACRO 5.2 permet ainsi de calculer des facteurs de risque de percolation des pesticides vers la nappe.

Données nécessaires
Le tableau 2 indique les informations nécessaires à la construction du modèle du sol et les données d’entrées pour des simulations de 1992 à 2016.

Construction des scénarios de modélisation

MACRO 5.2 est ici utilisé pour déterminer quelles matières actives présentent un risque de transfert du sol vers le champ captant sur le long terme. Vingt-cinq années de pratiques agricoles sont simulées selon 9.000 scénarios de modélisation. Un scénario de modélisation correspond à l’application d’une substance active sur une culture et sur un type de sol, à une dose et une date, dans une situation climatique. C’est un choix de modélisation que de reproduire les pratiques agricoles 2015-2016 sur toute la durée de simulation (25 ans), tout en utilisant les chroniques météorologiques réelles (1992-2016). Il n’est en effet pas possible de connaître les pratiques agricoles réelles sur cette période, mais cela est une source d’incertitude sur les résultats.

Les variables suivantes sont modélisées : flux d’eau par jour (mm), flux de matière active par jour (μg) et concentration de matière active par jour (μg/l) dans la zone sous-racinaire. Les simulations permettent de déterminer 2 indicateurs pour chacune des 132 matières actives : la concentration moyenne dans l’eau sous-racinaire, et le nombre de scénarios à risque.

On considère qu’il y a un risque au captage si l’eau sous-racinaire présente une concentration en matière active supérieure à la limite de qualité eau potable (0,1 µg/l). Les classes de risques sont définies dans le tableau 3.

Le nombre de scénarios à risque est déterminé tous types de sol confondus, pour chaque matière active susceptible de présenter une concentration supérieure à 0,1 µg/l dans l’eau sous-racinaire (risque moyen et risque fort de dépassement de la limite de qualité eau potable au captage).
Cas particulier de l’atrazine
Il n’était pas prévu d’inclure l’atrazine dans la modélisation, ce pesticide étant interdit en France depuis 2003, et ne pouvant faire l’objet d’enquêtes. Cependant, l’atrazine et son métabolite la déséthylatrazine présentent une forte rémanence dans l’environnement (Tappe W. et al., 2002 ; Jablonowski et al., 2010), et la contamination des ressources en eau demeure bien présente sur le champ captant de Wingles (figure 3). La collectivité souhaitait évaluer l’évolution de ces concentrations dans le temps, et une démarche spécifique a été proposée pour les inclure dans la modélisation.
Figure 8 : Évolution des stocks d’atrazine et de déséthylatrazine dans le sol

L’atrazine a été modélisée en supposant une application annuelle sur les parcelles de maïs de 1992 à 2003, selon la dose autorisée dans les années 90, 1.500 g/ha. MACRO 5.2 ne permettant pas de simuler la dégradation de l’atrazine en déséthylatrazine, l’hypothèse a été faite que la déséthylatrazine était également appliquée sur les parcelles. Les doses et dates d’application de la déséthylatrazine ont été déterminées selon le coefficient de dégradation de l’atrazine (0.21) et sa DT50 (29 jours) (Lewis, 2017) (voir figure 8).

Exploitation du modèle : sélection des matières actives
Sont retenues pour l’étude de nappe les matières actives en usage présentant un risque au captage et les matières actives ayant été quantifiées au moins une fois dans un qualitomètre de la CALL, soit en tout 11 matières actives (tableau 4). Trois groupes de substances sont définis :

Le groupe 1 est constitué des 7 matières actives quantifiées au moins une fois dans un qualitomètre de la CALL et modélisées avec plus de 50 % de scénarios à risque moyen ou fort ;

  • Le groupe 2 est constitué des 2 matières actives quantifiées au moins une fois dans un qualitomètre de la CALL et modélisées avec moins de 50 % de scénarios à risque moyen ou fort ;
  • Le groupe 3 est constitué des 2 matières actives non quantifiées et peu utilisées (<30 parcelles), mais modélisées avec plus de 50 % de scénarios à risque moyen ou supérieur.

Modélisation des flux d’eau dans la nappe

Le modèle Watermodel©
Pour réaliser un bilan quantitatif fiable à l’échelle de l’AAC, les auteurs ont choisi de travailler avec un outil de modélisation intégrée des ressources en eau, l’outil Watermodel©. Il est ainsi possible d’évaluer les transferts de l’ensemble des compartiments (sol ruissellement, cours d’eau, zone non-saturée du sol, nappe) afin de déterminer la contribution de tout point de la surface du bassin d’étude au débit capté par un forage. On va ainsi pouvoir déterminer les zones de l’AAC qui contribuent majoritairement à l’alimentation des captages F2 et F3, dans le but de proposer des plans d’actions sur des zones ciblées, plutôt que sur l’ensemble de l’AAC.

Données nécessaires

Le tableau 5 indique les informations nécessaires à la construction du modèle multicouches et les données d’entrées pour des simulations de 1992 à 2016.

Construction du modèle multicouche et calage

La zone étudiée s’étend au-delà du territoire de l’AAC afin de prendre en compte les zones d’alimentations et les exutoires naturels de la nappe la Craie s’ils existent (rivières, ruisseaux, sources..), ce qui permet de caler le modèle sur un territoire plus large. Le maillage initial de 400 m a été affiné à 100 m sur l’AAC, et à 25 m au niveau du champ captant de Wingles et des autres captages de la CALL. Le système multicouche modélisé s’appuie sur la géologie et se compose des 5 horizons suivants :
Figure 9 : Localisation des 6 piézomètres représentatifs
  • Couche 0 : Le sol.
  • Couche 1 : Les limons et les alluvions.
  • Couche 2 : Landenien à l’extérieur de l’AAC.
  • Couche 3 : La Craie du Sénonien (45 mètres) - Turonienne supérieur (10 mètres).
  • Couche 4 : Les marnes du turonien moyen (substratum imperméable).
Figure 10 : Corrélation entre les niveaux piézométriques observés et simulés sur 6 piézomètres

Le modèle a été calé à partir des niveaux piézométriques mesurés en 6 piézomètres représentatifs répartis sur la zone modélisée (figure 9), à des périodes différentes entre 1992 et 2016. Le calage du modèle de nappe est satisfaisant car les niveaux piézométriques simulés reproduisent bien les niveaux piézométriques observés (figure 10).

Exploitation du modèle : détermination des zones de contribution hydraulique
Figure 11 : Zones d’infiltration majoritaire


Le calage du modèle a permis de localiser les zones d’infiltration. La figure 11 montre l’infiltration des 9 unités de sol cartographiées de l’AAC. Ce sont les sols de type 2 (limon moyennement profond sur craie) et de type 3 (sol superficiel sur craie) qui représentent les zones d’infiltration majoritaire, avec une contribution respective de 12,8 % et 20.3 %. La nappe est la plus vulnérable dans ces zones d’infiltration majoritaire.
Figure 12 : Contribution au flux capté au forage F2 en couche sol (à gauche) et en couche nappe (à droite) pour un débit de 75 m3/h

La contribution hydraulique de chaque maille du bassin au débit capté aux forages F2 et F3 est déterminé en couche de sol (couche 0) et en couche nappe (couche 3). Par exemple, la figure 12 indique les contributions au flux capté au forage F2 en couche sol et en couche nappe pour un débit de 75,42 m³/h.

Les zones de contribution des captages doivent faire l’objet d’une attention particulière dans le temps car ce sont des sources potentielles de contamination. Les gestionnaires de ces aires contributives devront être sensibilisés et accompagnés, notamment dans le choix des molécules qu’ils peuvent appliquer.

Transferts de pesticides dans le champ captant de Wingles

Modélisation couplée MACRO 5.2/Watermodel©
Le couplage MACRO 5.2/Watermodel© permet de modéliser les transferts de pesticides depuis le sol jusqu’au captage. MACRO 5.2 génère des concentrations journalières de matières actives dans la zone sous-racinaire des parcelles traitées. Ces concentrations sont rentrées dans le modèle hydrogéologique Watermodel© qui simule la pollution jusqu’à la nappe et vers le captage. Les onze matières actives actuellement utilisées sont modélisées (groupes 1, 2 et 3 du tableau 4). La modélisation a été réalisée pour la période passée (25 ans, entre 1992 et 2016), jusqu’en 2030, et jusqu’en 2058 pour l’atrazine et la déséthylatrazine selon le climat 2016.
Figure 13 : Concentrations en matières actives modélisées aux forages (Concentrations > 0,02 µg/l)

Modélisation des matières actives en usage

Le transfert depuis les parcelles a été modélisé selon l’application des mêmes doses de matières actives que sur la saison 2015-2016. Les concentrations aux forages F2 et F3 sont représentées ci-après pour les matières actives suivantes : chloridazone, chlortoluron, isoproturon, métamitrone, métazachlore et métribuzine (figure 13). Bentazone, dichlorprop-p et fluopicolide ne sont pas représentées car les concentrations simulées sont inférieures au seuil de détection des méthodes d’analyse (0,02 µg/l). Aucune de ces molécules n’a été quantifiée aux forages F2 et F3 lors des campagnes d’analyse. Les résultats sur l’atrazine, qui a elle été quantifiée dans les forages, et la déséthylatrazine sont présentés plus loin.
Les teneurs simulées sont cohérentes avec les teneurs observées dans les qualitomètres de la CALL. Selon les pratiques en cours et les hypothèses de modélisation, les concentrations en chloridazone, chlortoluron, isoproturon (interdit en 2017), métamitrone, métazachlore et métribuzine sont inférieures à la limite de qualité eau potable entre 2016 et 2030.
Figure 14 : Effet de la non-diversification des matières actives, avec chlortoluron appliqué à toutes les cultures blé et orge

Impact des pratiques

La modélisation permet de tester l’impact sur la qualité de l’eau de l’utilisation différents produits phytosanitaires, et de tester des plans d’actions, comme par exemple la rotation des cultures qui permettrait de ne pas utiliser la même substance active chaque année sur le même type de sol.
Diversité des substances
Ce premier exemple montre l’intérêt de diversifier les substances utilisées. Si on applique du chlortoluron à toutes les cultures en blé et orge, plutôt que d’utiliser différentes molécules, on risque d’avantage de retrouver du chlortoluron aux forages à une concentration supérieure à la limite de qualité eau potable (figure 14). Il est donc plus intéressant de varier les substances pour limiter les concentrations de chacune de ces substances dans l’environnement.
Figure 15 : Effet d’une culture permanente de colza (a) ou d’une rotation (b) sur les teneurs en métazachlore

Rotations des cultures

L’hypothèse selon laquelle les cultures seraient permanentes sur toute la durée des simulations a tendance à surestimer les teneurs de substances dans le sol. Une simulation a permis de comparer l’effet d’une culture permanente de colza (figure 15a) et d’une rotation de 3 cultures sur le sol type 3 (figure 15b) pour le métazachlore. Cette simulation montre qu’on pourrait réduire de quatre fois la pollution s’il y avait rotation des cultures sur le sol type 3.
Focus sur l’atrazine
L’objectif ici est de déterminer les zones contributives en atrazine du forage F2.
Modélisation des pratiques passées
Figure 16 : Localisation des parcelles de maïs

Une première étape a consisté à évaluer si les pratiques d’épandage d’atrazine passées pouvaient expliquer les dépassements en atrazine et déséthylatrazine observés sur les forages. Les flux d’atrazine ont été modélisés de 1992 à 2030 depuis toutes les parcelles de maïs recensées par les enquêtes agricoles (figure 16), avec l’application d’une dose de 1.500 g/ha de 1992 à 2003, la date d’interdiction. La simulation ne montre aucun dépassement de la limite de qualité eau potable au niveau du forage F2, alors que les mesures montrent des dépassements entre 1999 et 2016 (figure 17).

Figure 17 : Concentrations en atrazine observées et simulées au forage F2

Modélisation de zones contributives en atrazine

Pour déterminer l’origine de la pollution en atrazine au forage F2, quatre scénarios de contribution ont été testés (figure 18) :
  • Le scénario 1 représente une zone de pollution rapprochée plus une zone intermédiaire,
  • Le scénario 2 correspond à une zone de pollution intermédiaire,
  • Le scénario 3 correspond à une zone de pollution éloignée, qui correspond aux lignes de partage des eaux,
  • Le scénario 4 correspond à la même zone de pollution éloignée que le scénario 3, mais avec une modification des débits de pompage au forage F2.
Figure 18 : Territoires représentés par les scénarios d’épandage

La zone de pollution rapprochée correspond à la différence entre les territoires des scénarios 1 et 2.

Les scénarios 1 à 3 permettent de tester les surfaces de contribution, alors que le scénario 4 permet de tester l’impact des débits de prélèvement. Les chroniques quotidiennes de pluie et d’évapotranspiration de la période 1992-2016 ont été dupliquées sur la période 2017-2058. Pour les prélèvements d’eau souterraine, ce sont les pompages de l’année 2016 qui ont été dupliqués sur la période 2017-1958 pour les scénarios 1 à 3, dans le but de représenter au mieux les pompages des prochaines années. Pour le scénario 4, ce sont les pompages des années 1992-2016 qui ont été dupliqués, dans le but d’évaluer l’effet de pompages moins importants. Afin de se rapprocher au mieux des concentrations observées aux forages, les fuites en atrazine sous-racinaires sont celles du sol type 3 pour tous les scénarios, le sol le plus vulnérable selon les simulations de MACRO 5.2.
Figure 19 : Concentrations en atrazine simulées selon les 4 scénarios au forage F2

Les résultats des simulations selon les 4 scénarios sont représentés figure 19. Ce sont les scénarios 1 et 2 qui représentent au mieux les contaminations observées en atrazine au forage F2, avec un dernier pic de pollution en 2016/2017, et une contamination possible jusqu’en 2026. Le scénario 3 représente moins bien les contaminations observées. Néanmoins, il simule une pollution plus lointaine qui aurait un effet à plus long terme. Enfin, le scénario 4 montre dans quelle mesure le débit de pompage influe sur les teneurs au forage dans le cas d’une pollution lointaine. Ces simulations indiquent plutôt une source de pollution en atrazine rapprochée.

Remarque : Le pic de concentration observé entre 2037 et 2042 pour le scénario 4 correspond à la reproduction de l’augmentation des débits 2011-2016, et non à une nouvelle source de pollution.
Figure 20 : Concentrations en déséthylatrazine simulées au forage F2

Modélisation de la déséthylatrazine

La simulation des concentrations de déséthylatrazine représente globalement bien les analyses dans le forage F2 (figure 20). Aucun des scénarios simulés ne montrent de dépassement de la limite de qualité eau potable en déséthylatrazine au niveau du forage F2.
Figure 21 : Concentrations en atrazine mesurées à Bénifontaine

Discussion sur les zones contributives en atrazine

Les scénarios 3 et 4 représentent un stock d’atrazine éloigné du forage F2. La pollution dans ce territoire ne cesse de diminuer depuis 2004, comme le montre les concentrations en atrazine mesurées au qualitomètre de Bénifontaine (figure 21).
La pollution qui arrive au forage F2 serait donc plus probablement située dans les territoires rapproché et intermédiaire des scénarios 1 et 2. Toutefois, une pollution provenant de ces territoires devraient également impacter le forage F3, très proche de F2, mais F3 ne présente pas de contamination en atrazine (voir figure 3). Ceci peut signifier qu’une autre source, plus locale, comme des stocks de produit, contamine le forage F2. Cette hypothèse reste à explorer.

Conclusions et perspectives

Le couplage MACRO 5.2/Watermodel© permet de modéliser les transferts de pesticides depuis le sol jusqu’au captage. Cette méthode constitue une véritable aide à la décision pour la gestion des champs captants d’eau potable. Tout d’abord, la détermination des zones de contribution de chaque forage permet de délimiter finement les surfaces à cibler dans le cadre d’un plan d’actions. Ensuite, l’évaluation du risque de contamination de chaque forage donne une projection sur la qualité de l’eau au regard des pratiques agricoles en place et permet de proposer des améliorations. Enfin, ces résultats peuvent également être utilisés comme supports de communication et de réflexion déterminants lors de la construction ou de l’animation d’un plan d’actions.
Appliquée au champ captant de Wingles, la démarche met en évidence un risque faible de contamination en chlortoluron, isoproturon, métazachlore, métribuzine, métamitrone, chloridazone, bentazone, dichlorprop-p et fluopicolide. Elle permet d’attirer l’attention sur les sols superficiels sur craie (type 3), plus sensibles à l’infiltration, pour lesquels la mise en œuvre de pratiques raisonnées est primordiale pour préserver la qualité de l’eau du champ captant. La modélisation permet de tester l’impact des pratiques, comme l’utilisation de différentes substances ou la rotation des cultures. Ces deux pratiques permettent de limiter les concentrations de chaque substance dans l’environnement.
Le cas de l’atrazine a été particulièrement étudié dans ce travail pour déterminer ses sources sur le territoire. Dans un premier temps, les pratiques agricoles antérieures à 2003, année d’interdiction de l’atrazine, ont été simulées sur la base d’hypothèses, mais les teneurs modélisées aux forages demeurent inférieures aux teneurs observées. Ces résultats suggèrent une autre source de pollution que les apports agricoles classiques. Plusieurs simulations ont été réalisées dans le but de localiser et de quantifier une source ponctuelle d’atrazine, en considérant des épandages généralisés sur des surfaces plus ou moins importantes et/ou plus ou moins éloignées du champ captant. Ces différents scénarios ont généré des teneurs proches des teneurs observées, et ont montré une rémanence de l’atrazine au forage F2 jusqu’en 2025 au moins, voire plus dans l’hypothèse de sources de pollution éloignées. Les sources ponctuelles de pollution en atrazine pourraient être des zones de stockage non-entretenues ou des décharges sauvages d’anciens stocks. De nouvelles investigations sont programmées afin d’affiner ces résultats, et d’évaluer la présence d’un stock d’atrazine sur le territoire rapproché du forage F2. Si tel était le cas, un traitement du sol pourrait être envisagé.
Malgré certaines sources d’incertitude inhérentes à la modélisation (informations topographiques pour la construction des modèles, paramètres de dégradation des pesticides, données d’entrée), cette étude montre que la modélisation numérique est un outil pertinent pour comprendre les phénomènes et pour l’aide à la décision. Ainsi, cette étude permet d’orienter les actions pour limiter la contamination des forages, comme par exemple :
Privilégier la rotation des cultures pour réduire l’utilisation de la même molécule, notamment sur les sols superficiels sur craie (type 3),
Cibler les actions agricoles sur les zones de contribution hydraulique des forages, par exemple en accompagnant les exploitants des parcelles contributrices dans le choix des molécules qu’ils peuvent appliquer,
Respecter le périmètre rapproché de chaque forage.
L’efficacité de ces actions pourrait également être évaluée avec le couplage MACRO 5.2/Watermodel© en testant plusieurs scénarios d’évolution des pratiques. 








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