Alors que le risque de deuxième vague du SARS-CoV-2 est jugé très probable, l’épidémie a démontré que la filière des sous-produits organiques avait un rôle déterminant à jouer dans ce combat sanitaire. Au terme des deux visio-conférences organisées par le RISPO les 7 mai et 30 juin, il apparaît nécessaire d’améliorer rapidement la concertation entre les autorités de tutelle et les différents intervenants de la filière organique : collectivités, industriels, professionnels de l’organique et agriculteurs. Cette meilleure concertation vise, d’une part et à court terme du fait du risque COVID, la mise au point des règles pratiques de traitement et valorisation organique des sous-produits issus de l’assainissement et des autres déchets, et d’autre part et de façon plus structurée que les ordonnances édictées actuellement par le gouvernement, l’actualisation nécessaire des niveaux de qualité requis pour le retour au sol de ces différents sous-produits organiques. Emmanuel Adler, président du RISPO, revient sur le bilan de ces interventions et sur les questions que certaines mesures sanitaires soulèvent.
L’eau, l’industrie, les nuisances : La forte pression que la crise du Covid-19 exerce sur les stations d’épuration avec des traces de virus dans les eaux usées et boues d'épuration, a conduit le RISPO à organiser deux visio-conférences pour en anticiper les impacts sur la filière organique. Quel bilan tirez-vous de ces manifestations ?
Emmanuel Adler : Le RISPO est avant tout une association d’exploitants de plateformes de valorisation des résidus organiques et de nombreux adhérents sont très directement concernés par les règles qui encadrent la valorisation des boues d’épuration et leur retour au sol. Dans ces conditions, compte tenu des risques qui pèsent sur la filière de l’épandage et du compostage des boues d'épuration, le RISPO a organisé deux visio-conférences gratuites et accessibles à tous pour faire le point sur la situation. Combinant des interventions de scientifiques et de praticiens, ces deux manifestations ont connu un grand succès avec au total plus de 250 participants en ligne et près de 300 visionnages par la suite sur Youtube (1 et 2).
Le bilan de ces
deux opérations a confirmé, au sein de la communauté des professionnels de la
valorisation organique, le très grand besoin de se tenir informés et d'échanger
sur les pratiques et les évolutions réglementaires.
Le contenu de ces
deux manifestations a été unanimement apprécié et le RISPO a retenu la leçon,
ainsi, en complément aux journées techniques physiques organisées, ce type
d'événement sera renouvelé.
C'est
pour l'association un grand succès qui contribue à développer sa notoriété dans
une sphère complexe et encore mal représentée au niveau national, ce qui n’est
pas le cas dans de nombreux autres pays, avec par exemple, DWA en Allemagne, ATEGRUS
en Espagne ou NEBRA aux Etats Unis.
EIN: Outre les aspects sanitaires, dans quelle mesure la surveillance épidémiologique à partir des eaux usées constitue-t-elle un enjeu et une réponse à la gestion des déchets organiques?
E.A: Les interventions des experts scientifiques, Marianne De Paepe (INRAE), Ariane Bize (INRAE), Christophe Gantzer (CNRS) et Sam Azimi (SIAAP) ont démontré tout l'intérêt d'un suivi de la qualité des eaux usées comme des boues d'épuration, indicateurs de l'état de santé des villes assainies. Le regard désormais porté sur ces métiers sentinelles de la gestion des sous-produits organiques est en train de changer de façon positive.
Les membres du RISPO espèrent
désormais que les moyens techniques comme financiers accordés à ces activités
essentielles vont progresser et contribuer à structurer la
filière de la valorisation organique. On peut ainsi dire que cette crise sanitaire, en dépit de ses
multiples impacts négatifs
sur la société, est de nature à améliorer l'image
de ces professions souvent
malmenées et très mal connues.
EIN : Plusieurs enseignements peuvent être tirés des interventions et retours d’expérience présentés. Comment peuvent-ils guider l’action de la filière ?
E.A : Le principal enseignement de cette crise tient au caractère critique de la gestion de nos résidus intimes, matières produites de façon continue : si les restaurants ont été fermés, la population n'a pas pour autant cessé d'aller aux toilettes et de remplir sa poubelle. Mais si la collecte des ordures peut être interrompue de façon très provisoire, il n'est pas possible de boucher les égouts et de cesser de collecter les déjections humaines ! Si ces résidus sont susceptibles de contaminer les populations, ils fournissent également de précieuses informations sur l'état sanitaire.
Les avis de l'ANSES, repris
intégralement par le Ministère, posent questions compte tenu des incertitudes sur la dynamique
du Covid. Ainsi, l'interdiction de certains épandages, indépendamment des conditions de stockage et du couple
temps/température, semble peu justifiée. Dans ce contexte, il apparait
indispensable d'établir des instances de concertation et de suivi, et le RISPO, qui recrute avant la fin 2020
un(e) chargé(e) de mission appelé(e) à devenir son (ou sa) délégué(e)
général(e) compte s'engager dans la création d'un observatoire national de la
gestion des sous-produits organiques.
L’objectif visé est de disposer d’une vision claire et à jour des pratiques et
des flux permettant aux Pouvoirs Publics d’apprécier les impacts des évolutions
réglementaires à venir.
EIN : La question du caractère infectieux de l’ARN viral dans les eaux usées reste encore entière…
E.A : Si cette crise souligne avec force les limites de la science actuelle, il apparaît que le caractère infectieux des fragments de Covid identifiés dans les eaux usées (on est incapable de faire de telles analyses dans une matrice aussi complexe que les boues d'épuration) demeure encore très mystérieux et sans doute pour longtemps, car on imagine mal de procéder à des tests sur des personnes vulnérables avec ce matériel !
EIN : Plusieurs pays en Europe, dont l’Italie, ont reconnu le caractère hygiénisant des procédés de méthanisation thermophile et de compostage. La France serait-elle en train de s’autocensurer en se privant de l’épandage ?
E.A : Il est tout à fait exact que les mesures prises par plusieurs pays pour la gestion des boues d'épuration pendant la crise Covid soulignent l'ambiguïté de la notion d'hygiénisation, qui couvre à la fois des paramètres microbiologiques mais également chimiques. Dans ces conditions et compte tenu de la révision programmée de la directive boues de 1986, une réflexion apparaît indispensable.
EIN : Le chaulage des boues reste une réponse pour les stations d’épuration sans solutions alternatives…
E.A : La question du chaulage des boues a retrouvé toutes ses lettres de noblesse, tout particulièrement pour l’hygiénisation des boues liquides qui caractérisent près de 50% des stations d‘épuration en France (3), et un webinaire a ainsi été organisé par Lhoist le 7 juillet dernier, rassemblant près de 200 participants (4).
EIN : Selon vous, la crise sanitaire peut-elle conduire à consolider la filière, à développer une vision homogène des pratiques de valorisation organique ?
E.A : S'il est à espérer que cette crise se traduise par une prise de conscience de l'importance de la gestion des résidus organiques, le RISPO, fort de plus d’une centaine d’adhérents avec une forte croissance, s’est engagé pour consolider la filière, multipliant les manifestations techniques et préparant la rédaction de documents techniques.
- (1) https://www.youtube.com/watch?v=UP3S0YmdrHQ&feature=youtu.be&t=300
- (2) https://www.youtube.com/watch?v=uk7lZ7l-mMQ&t=355s
- (3) https://hal.inrae.fr/hal-02600921
- (4) https://www.youtube.com/watch?v=DNejg8SKX1k
Propos recueillis par Pascale Meeschaert