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Dépollution des sols : un champ d’actions qui tend à s’élargir et à se diversifier

22 février 2017 Paru dans le N°399 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : Françoise BRETON

Complexification des chantiers, polluants émergents et recul des grands projets immobiliers se sont conjugués ces dernières années pour booster les technologies in situ et favoriser leur diversification. Parallèlement, les grosses entreprises de dépollution investissent dans des sites à réhabiliter et dans des plateformes de valorisation des terres dépolluées, anticipant ainsi les évolutions à petits pas de la réglementation concernant la gestion des déchets.

Les techniques de dépollution in situ ont vu leur importance croître ces dernières années avec le recul de l’immobilier et le repli de la demande publique. « Lorsque les friches industrielles, aux mains d’établissements publics, n’ont pas les moyens financiers pour entreprendre les travaux de dépollution, les investissements consentis pour l’innovation permettent de s’ouvrir à d’autres marchés, estime Laurent Thannberger, directeur scientifique et technique chez Valgo. Le savoir-faire que nous avons ainsi développé dans les technologies in situ nous permet de répondre à des situations auparavant sans solution, par exemple d’opérer dans des usines en activité ayant l’obligation de se conformer aux contraintes réglementaires ».

La complexification des chantiers favorise également le développement des méthodes in situ


Les projets sont beaucoup plus importants et nécessitent la mise en œuvre de plusieurs techniques pour optimiser économiquement le chantier, là où on n’en aurait utilisé qu’une seule il y a seulement 10 ans : on va trier, valoriser des déchets, mieux dimensionner, garantir des résultats… « Le traitement de nouveaux polluants contribue à cette complexité, souligne Boris Devic-Bassaget, directeur technique chez SUEZ Remediation, filiale de Suez. Ces polluants sont qualifiés d’émergents parce qu’ils n’étaient pas traités jusqu’à présent, mais leur présence dans les sols est souvent ancienne. Ils sont dangereux et souvent on ne connaît pas leur seuil de toxicité ce qui oblige à être très vigilant pour assurer la sécurité du personnel. Les méthodes in situ sont indispensables pour traiter les panaches et les nappes polluées par ces éléments très solubles ».

Le projet FLUXOBAT, coordonné par Ginger Burgeap, s’intéresse aux transferts des composés organiques volatils (notamment les COHV) depuis les sols de la zone non saturée jusqu’à l’air extérieur et l’air intérieur des bâtiments. Ce projet a mis en évidence la très grande variabilité spatio-temporelle des mesures de solvants chlorés, plusieurs ordres de grandeur pouvant exister à l’échelle d’une semaine. Le guide issu du projet a permis de nourrir différents guides et normes.

Sur une quinzaine de technologies de dépollution disponibles (voir EIN n° 379 et n° 389), les plus utilisées aujourd’hui sont la désorption thermique pour les sols pollués aux hydrocarbures et aux organochlorés, les voies biologiques et les nouvelles voies chimiques développées par SUEZ Remediation, GRS Valtech, Sol Environment ou Euremtech qui permettent aujourd’hui de traiter certains polluants de façon pertinente et moins chère (Voir EIN n° 379). C’est par exemple le cas de la réduction chimique par injection de fer zéro valent de taille micrométrique par SUEZ Remediation ou nanométrique par Brézillon et Serpol. Soléo Services a ainsi été parmi les premiers à utiliser en France la technique de réduction chimique in situ par injection de fer zéro valent, pour le traitement, notamment, des solvants chlorés avec en particulier la réalisation d’une injection par malaxage de sol in situ en 2010 où l’entreprise a observé, suite à ce traitement, des abattements dans les eaux souterraines de plus de 99,9 %.
« Nous avons développé une solution technique (Mixis®) qui permet la mise en solution des particules de fer sur le terrain, juste avant leur injection, ce qui permet de garantir une réactivité maximale, indique Christophe Chêne chez Soléo services. Nous avons réalisé plusieurs chantiers avec cette technologie et notamment, récemment, un chantier par injection directe, pour traiter des solvants chlorés dans un contexte sensible (construction d’un immeuble devant abriter des bureaux, un groupe scolaire et une crèche). Cette technologie, couplée à un traitement de finition biologique, a permis d’atteindre de très basses concentrations rendant le terrain compatible avec la reprise du projet immobilier. Cette technique d’injection directe est plus efficace que les techniques classiques de pompage et injection dans des géologies complexes. Elle permet un traitement “chirurgical” de la pollution, adapté à la profondeur et la concentration du polluant. Bien sûr, si nos techniques sont plus efficaces et plus chirurgicales, elles nécessitent parallèlement des informations plus précises au niveau du diagnostic ».

Soléo Services a été parmi les premiers à utiliser en France la technique de réduction chimique in-situ par injection de fer zéro valent, notamment pour le traitement des solvants chlorés. 

Des sociétés comme COLAS Environnement développent également des partenariats forts avec des fabricants d’oxydants et/ou réducteurs afin d’être à la pointe des nouvelles méthodes de traitement par ISCO et ISCR. « Avec ces méthodes de traitement émergeantes en France, il est possible de réaliser des projets de dépollution dans un délai raccourci, en limitant fortement les mouvements de terres hors site, réduisant donc le bilan carbone, en réalisant par exemple des injections sous haute pression directement in situ ou même des traitements par soil mixing, témoigne Jonathan Senechaud, ingénieur technico-commercial chez COLAS Environnement. Il est tout de même nécessaire de pousser la réflexion jusqu’au bout quant aux réactions chimiques que l’on engendre dans le milieu naturel. Ces réflexions doivent également porter sur l’étude des éventuelles formations de sous-produits de dégradation ».

Les polluants émergents tirent l’innovation

« Le marché des terres peu polluées a globalement diminué, estime Boris Devic-Bassaget. C’est pourquoi nous avons axé notre développement récent sur les terres très polluées issues notamment de la production pharmaceutique, des matériaux utilisés dans le secteur de la défense et de l’aéronautique, de la chimie des pesticides, ou de la chimie du chlore avec le problème des pollutions au mercure. La part du traitement des polluants émergents dans notre activité reste toutefois minime comparée à celle des hydrocarbures (30 à 40 %) et des polluants organochlorés ». Au niveau technologique, le traitement des polluants émergents nécessite à la fois des adaptations d’anciennes techniques et des solutions innovantes. Si la zone source de la pollution est souvent excavée et traitée hors site avec stockage en décharge pour déchets dangereux, le traitement des panaches et des nappes requiert nécessairement des solutions in situ.

Le traitement des solvants chlorés comme le perchloréthylène (nettoyage à sec, dégraissage des métaux), le chlorobenzène (peinture, teinture, cire, caoutchouc, pharmacie), le chlorohexane et le hexachlorocyclohexane (pesticides) a évolué au cours des 10 dernières années. Les méthodes biologiques ont tout d’abord remplacé l’excavation ou le pompage des sources très polluées mais le processus de dégradation par les microorganismes est très long.
D’autre part, il est parfois difficile d’appréhender les capacités ou potentiels intrinsèquement présents et activables de dégradation biologique dans les terrains impactés. COLAS Environnement insiste aujourd’hui sur la nécessité de faire des essais pilote de traitement sur les cas complexes de dépollution in situ ou on site, de manière à sécuriser au maximum les projets engagés.
La désorption thermique in situ, à l’inverse, est plus rapide mais elle est aussi plus chère car elle suppose un apport d’énergie pour chauffer les terres, et doit être bien maîtrisée pour ne pas repousser la pollution plus loin. « Nous réalisons actuellement la dépollution d'un ancien site chimique pollué par des NitroChloroBenzènes et ses dérivés grâce à la désorption thermique in situ. Le chantier nécessite un monitoring important pour un suivi optimal, mais les résultats obtenus sont excellents », précise Fabien Michel, Directeur du développement chez GRS Valtech, filiale de Sarpi-Veolia.
« Depuis 2012, nous privilégions les injections de fer zéro valent micrométrique car elles sont efficaces à long terme et, bien dimensionnées, elles peuvent être pratiquées une seule fois avec du monitoring ensuite, insiste Boris Devic-Bassaget chez SUEZ Remediation. En 2016, nous avons appliqué cette solution pour réduire une zone source extrêmement polluée, un cas d’école, et nous avons obtenu un abattement de 50 à 80 % en 6 mois avec une seule injection, là où la voie biologique aurait pris 3 ans ».

Le traitement des terres polluées par de l’amiante liée constitue l’une des applications du lavage physico-chimique des terres, avec des mesures de sécurités particulières liées à ce type de polluants. Tri manuel des débris d’amiante les plus importants avant l’entrée dans l’unité de lavage de GRC.

Le mercure, utilisé dans la production du chlore par électrolyse, pose des problèmes de pollutions difficiles à résoudre, avec des coûts actuels de traitement variant de 2.000 à 15.000 € la tonne. « Nous travaillons avec les chercheurs du BRGM pour mettre au point des formulations capables de stabiliser le mercure de sorte qu’il ne puisse pas passer à l’état gazeux, explique Boris Devic-Bassaget. Nous utilisons un procédé permettant de transformer le mercure en une forme non mobilisable pour les terres très polluées et pour stabiliser la partie diffuse qui reste sur le site. Un procédé breveté permet l'extraction du mercure de l'eau in situ et sur site ».
Autre polluant très délicat à traiter, l’amiante qui condamnait jusqu’à présent les terres qui en contenaient à la décharge. Certains opérateurs comme GRC, le leader Belge du traitement des sols, ont développé récemment une expertise dans le traitement et le recyclage de ces terres polluées. Les critères d’acceptation des terres amiantées sur les sites de GRC sont cependant très stricts et seules les terres polluées à l’amiante liée, issues de la démolition par exemple, sont éligibles au traitement. Séparation granulaire, lavage à contre-courant, flottation, les techniques de lavage physico-chimiques sont adaptées à ce polluant particulier. « Les techniques doivent être paramétrées en fonction de la nature du sol et des concentrations de polluants, précise Philippe Duchesne, ingénieur d’affaires pour la France chez GRC. Plus le sol est limoneux, plus la décontamination est difficile, voire dans certains cas impossible. Elles nécessitent également des mesures de sécurité particulières pour protéger les ouvriers, notamment lors du tri manuel effectué avant l’entrée dans l’unité de lavage ».


Les perchlorates, utilisés dans les propulseurs de fusée, les poudres d’arme à feu, les dispositifs pyrotechniques, les bombes, etc. génèrent des pollutions sur les sites de production industriels, mais on les retrouve également de façon diffuse dans les sols bombardés lors de la première guerre mondiale dans le nord est de la France. Ils sont mélangés à des composés explosifs comme l’acide picrique (ou mélinite) utilisé dans les obus mais aussi dans les explosifs maniés dans les mines. Très solubles, les ions perchlorates polluent aujourd’hui certains sites de pompage d’eau potable et plusieurs solutions de traitement au niveau des usines de production sont à l’étude (voir EIN n° 352). Les dépollueurs cherchent de leur côté des solutions pour protéger les eaux en amont. « Nous développons un procédé de traitement des perchlorates dilués dans l’eau par des systèmes naturels de filtres plantés de roseaux, explique Boris Devic-Bessaget de SUEZ Remediation. Nous étudions un système de même nature mais plus complexe pour traiter les jus acides qui sourcent des mines. Il nécessite des cycles d’injection d’eau et parfois l’ajout d’un co-produit pour que les bactéries se développent bien. Il faut de l’hydraulique intelligente et du monitoring ». Ces jus sont drainés, neutralisés par du carbonate de calcium et passés sur des filtres de roseaux, un concept emprunté aux technologies de l’assainissement. Ces solutions, basées sur les capacités de filtration des rhizomes de plantes, font partie des techniques de phytoremédiation.


Les promesses de la phytoremédiation

Les techniques de phytoremédiation utilisent les capacités épuratrices des plantes et des microorganismes associés pour extraire les polluants des sols. Elles sont très prisées des chercheurs et des élus mais restent marginales sur le terrain. Comme les méthodes biologiques utilisant la flore bactérienne et fongique du sol pour dépolluer, elles demandent beaucoup de temps et n’ont donc pas les faveurs des promoteurs, plus attirés par les solutions rapides, quitte à payer plus cher. Le contexte est néanmoins porteur et des technologies sont évaluées en France par le programme Évaluation française des écosystèmes et services écosystémiques (Efese) du programme européen MAES.

Stabilisation et solidification de polluants organiques ou métalliques.

Outre la dégradation dans la rhizosphère impliquée dans le traitement des perchlorates, les végétaux peuvent aussi servir à stabiliser les pollutions résiduelles des friches industrielles métallurgiques et minières afin de limiter le transfert vers le milieu naturel. Ils viennent en remplacement ou en complément des solutions de confinement ou de mise en décharge. La présence d’une couverture végétale homogène et pérenne limite en effet le lessivage, l’érosion des sols et le transfert vers l’air via les poussières. En favorisant l’évapotranspiration et la réserve utile, elle diminue également les flux vers la nappe phréatique tout en répondant à un souci d’intégration paysagère et de restauration écologique durable. Le programme de recherche Physafimm, coordonné par l’école des Mines de Saint-Etienne et subventionné par l’Ademe, visait à identifier des espèces tolérantes et non accumulatrices (afin d’éviter la dispersion des polluants), à définir des amendements à faible coût pour favoriser leur implantation dans ces sols pauvres, et à évaluer les transferts des métaux et leur immobilisation dans la rhizosphère. Il a donné lieu, fin 2014, à la publication d’un guide méthodologique de mise en œuvre et de suivi du procédé de phytostabilisation.
Les recommandations du Guide Physafimm sont directement applicables puisqu'ICF Environnement travaille actuellement sur la faisabilité et la mise en œuvre de cette technique à l'échelle 1 sur un site de près de 4 ha.


À l’inverse de cette démarche, les approches de phytoextraction ou phytomining visent à extraire les polluants avec des plantes accumulatrices qui puisent les métaux dans le sol et les concentrent dans leurs parties aériennes (feuilles, tiges, fleurs, fruits) jusqu’à 100 fois plus que les autres végétaux. L’Alysson des murs, par exemple, pousse bien sur les terrils et les mines et peut accumuler 3 % de son poids en nickel alors que certains minerais excavés et traités pour extraire le cuivre ou le nickel ne contiennent pas plus de 1 % du précieux métal. Les cendres produites après combustion contiennent 10 à 20 % de nickel, ce qui en fait un des minerais les plus riches. Cette technique, qui permettrait de valoriser des terres impropres pour l’agriculture, fait l’objet du projet de recherche ANR Agromine, coordonné par Marie-Odile Simmonot (laboratoire réactions et génie des procédés), et auquel participe Soléo Services.
« Il ne faut pas confondre exploiter et dépolluer, prévient cependant Laurent Thannberger, directeur scientifique et technique chez Valgo. Au niveau économique il peut être intéressant d’extraire le nickel par les plantes comme on exploite une mine, mais pas forcément pour dépolluer. Connaissant le tonnage de matière fraîche produite par hectare et les taux de minéralisation, il faudrait une centaine d’années pour obtenir une terre propre et l’exploitation aurait atteint son seuil de rentabilité bien avant ! ». Ce spécialiste de la dépollution a mis en œuvre une technique alternative combinant phytoextraction et phytolixiviation au sein du projet collaboratif Déplassmétaux, impliquant des laboratoires de recherche, des bureaux d’études et des collectivités territoriales. Pour améliorer la biodisponibilité des métaux, le système est arrosé régulièrement par une solution déminéralisante qui facilite leur absorption par les plantes. Cet arrosage entraîne également 90 % les métaux solubilisés par lixiviation. Ces flux sont recueillis et traités séparément.

SUEZ Remediation a breveté un système de Bio épuration sur filtre roseau pour traiter des pollutions aux perchlorates.

« Les essais en serre ont permis d’observer un retour à zéro en 18 mois mais nous n’avons pas obtenu de résultats aussi prometteurs dans le démonstrateur de phytolixiviation que nous avons démarré en 2013 sur le site d’une ancienne tannerie de la Plaine de Millet, à Graulhet (81), déplore Laurent Thannberger. Dix à quinze ans seront nécessaires pour venir à bout de cette pollution métallique ». La terre polluée y est confinée dans un complexe d’étanchéité de 100 m² sur 50 cm de profondeur, équipé d’un système de drainage pour récupérer les percolats. Ces derniers sont traités par des procédés physico-chimiques ; les boues métalliques résiduelles sont déposées en centre de stockage des déchets dangereux et les eaux recyclées dans l’arrosage. Des plants de Pélargonium odorant, une plante de la famille des géraniacées originaire d’Afrique du Sud, captent les métaux lourds par leurs racines et les stockent dans les parties aériennes. Les plantes peuvent faire l’objet d’une valorisation après leur récolte en novembre. Leurs huiles essentielles intéressent l’industrie du parfum et des arômes et elles ne sont pas contaminées car les métaux se concentrent dans la fraction aqueuse (et non huileuse) de la plante. Après extraction, les restes végétaux sont méthanisés et les résidus remisés en décharge. « Cette technologie reste expérimentale et ne s’adapte qu’à des sites d’habitat peu denses, précise Laurent Thannberger. Elle ne permettra pas d’obtenir un terrain très propre mais elle ouvre un nouvel usage pour une pollution résiduelle et permet de rentabiliser la gestion des tuyaux et des pompes par la vente des huiles essentielles ». Les recherches visent aujourd’hui à combiner les géraniums avec d’autres plantes afin d’extraire plusieurs types de métaux et d’atteindre des couches plus profondes de terre car ces plantes ne touchent que les couches supérieures du sol, jusqu’à 2 m, alors que les technologies classiques descendent à 30 m. Le laboratoire ECOLAB (de l’École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse et de l’Institut national polytechnique de Toulouse), Aurea (de l’Institut national polytechnique de Toulouse), le bureau d’étude EGEH travaillent actuellement sur le peuplier qui pourrait extraire les métaux à plus grande profondeur.

Désorption thermique : plus de polluants et moins énergivore

De nombreux opérateurs comme SUEZ Remediation, GRS Valtech, ATI services, Ikos environnement, COLAS Environnement, Haemers Technologies, ICF Environnement ou Valgo proposent des solutions reposant sur la désorption thermique.
Le principe de cette technique est de chauffer les terres jusqu’à atteindre une température permettant la vaporisation du polluant qui est ensuite récupéré par venting et condensation. La température de vaporisation dépend de la nature du polluant mais aussi des caractéristiques de la matrice. Il est donc nécessaire de réaliser des courbes de volatilisation des produits et de faire des essais en laboratoire pour identifier un décalage éventuel de la température de désorption du fait d’interactions du polluant avec la matrice. Il faudra apporter plus d’énergie pour casser les liaisons si le polluant est piégé par une forte teneur en matières organiques par exemple. La désorption thermique est habituellement utilisée pour extraire les polluants organiques, les hydrocarbures lourds qu’on ne sait pas sortir par venting classique, et les HAP ou les organochlorés. Technique efficace, on lui reproche toutefois sa forte consommation d’énergie qui s’accorde mal avec la tendance générale vers le développement durable.
« Les coûts énergétiques liés à la technologie n’ont jamais été aussi bas, en raison à la fois du taux de recyclage des hydrocarbures, réutilisés comme combustibles, mais également d’une efficience toujours plus grande des brûleurs et de leur application, indique cependant Jan Haemers, Managing director du groupe Haemers Technologies (ex-TPS), actif uniquement dans le traitement thermique et ce depuis plus de 25 ans. La comparaison avec les techniques “froides” doit se faire, quand il s’agit du bilan carbone, sur la totalité du projet de dépollution et englober non seulement les aspects sur site (excavation, transport, etc.) mais également les impacts énergétiques du traitement hors site, ainsi que la consommation de matières premières telles que les sables et graviers, ressources limitées s’il en est. En clair, un traitement thermique in situ est avant tout un recyclage en profondeur du sol, qui lui permet de retrouver son plein usage ».

Unité de traitement d’eaux impactées par des perchlorates émergents. COLAS Environnement

Sa mise en œuvre in situ a eu beaucoup de succès ces dernières années car, en évitant le transport de grands volumes de terre vers les décharges, les coûts de l’opération et son empreinte carbone sont réduits. Elle reste aussi souvent la seule manière de procéder sur un site en activité.
« Les applications in situ ont effectivement le vent en poupe, d’abord en raison de la garantie de résultat qu’elles peuvent offrir et que seul un traitement thermique peut proposer dans un délai raisonnable de quelques mois au plus », indique Jan Haemers.
L’importance d’être capable de traiter de manière chirurgicale des niveaux de sols très spécifiques plaide également en faveur de la désorption thermique in situ. « De par son haut niveau de technicité et son coût, cette technologie est utilisée pour le traitement des pollutions importantes non traitables ou non accessibles par d’autres technologies, ajoute Christophe Chêne chez Soléo Services. Nous avons développé, pour sa mise en œuvre et son dimensionnement, des protocoles de tests de laboratoire, d’essais pilote terrain ainsi qu'un modèle numérique 3D de dispersion de la chaleur, pour dimensionner au plus juste cette solution. Contrairement à une idée reçue, le coût énergétique, bien qu’important, n’est pas le poste le plus élevé lors d’un traitement thermique (10 à 20 %), la phase de dimensionnement, l’implantation de nombreux ouvrages de chauffe et d’extraction, l’exploitation du système (souvent complexe) de traitement des gaz représentent la majorité du coût. Nous avons réalisé la dépollution d’un site industriel contaminé par des solvants chlorés et des hydrocarbures par cette technologie et sommes entrain de réaliser une dépollution en utilisant cette technique de désorption thermique in situ, pour traiter des sols impactés par des solvants chlorés jusqu’à 12 m de profondeur. Là aussi, le traitement est ajusté à l’hétérogénéité de la répartition de la pollution dans le sol, en ajustant les zones de chauffe et les zones d’extraction. Ainsi, la désorption thermique in-situ, dimensionné avec justesse, exploité avec expérience en contrôlant les flux énergétiques, est une solution efficace et d’un coût compétitif face à des solutions classiques de terrassement ou même face à d’autres solutions in situ qui vont durer plusieurs années là ou la désorption thermique ne durera que quelques mois ».


La réalisation d’une phase pilote permet de bien dimensionner le procédé en déterminant le rayon d’influence des aiguilles de venting dans la matrice et la diffusivité thermique. Un chauffage modéré peut suffire pour les produits volatils susceptibles d’être traités par le venting seul. Les coûts supplémentaires dus au chauffage sont compensés par la rapidité de l’opération. « À Nantes par exemple, les calculs montraient que le traitement par venting des sources de naphtalène pur (12 g/kg) provenant d’une ancienne fonderie permettrait de se débarrasser du polluant en 2 ans, développe Laurent Thannberger chez Valgo. Mais en chauffant jusqu’à 80 °C, on augmente le taux de saturation du naphtalène d’un facteur 190 et 4 jours de plateau à
80 °C suffisent pour éliminer le polluant ! ». Pour ne pas consommer trop d’énergie, la terre est mise en chauffe lentement. Ainsi, en 4 mois, 5 kg de naphtalène pur ont été récupérés avec une consommation énergétique comptant pour 5 % du coût du chantier seulement.
« Nous conduisons des recherches sur la désorption thermique in situ mais également en pile (ou tertre), explique Laurent Thannberger. Cette dernière approche suppose l’excavation des terres incriminées et leur mise en tas sur le site en intercalant des tubes de chauffage et de venting par lits successifs. Le coût final est similaire au traitement in situ mais cela permet de mieux maîtriser le processus ». Valgo a ainsi réalisé une désorption thermique pour traiter des sols pollués au PCB, les polychlorobiphényles ou pyralènes utilisés dans les transformateurs. L’opération a été réalisée sur pile car la proximité des nappes phréatiques ne permettait pas une approche in situ. « Cette technique n’avait jamais été utilisée auparavant pour les PCB et on craignait dépenser beaucoup d’énergie pour chauffer, se souvient Laurent Thannberger. Mais nous avons bien isolé la pile, utilisé des brûleurs modernes très performants, et travaillé avec l’institut de Mécanique des fluides de Toulouse pour modéliser la propagation de la chaleur dans le tertre. Au final, les coûts énergétiques n’ont pas dépassé 20 à 30 % du coût de l’opération ». Montée à 300 °C, la terre est cuite mais elle n’est pas déstructurée comme elle l’est par l’incinération. « Nous sommes en train d’étudier le comportement mécanique de cette terre chauffée pour identifier les usages qui peuvent en être faits, comme l’utilisation en sous bassement ou en sous-couche de voierie par exemple ».
Chez GRS Valtech, la désorption thermique est une technologie maîtrisée depuis 1997. D'abord au travers d'unité mobile imposante, depuis 2004 en centre fixe sous le contrôle de la DREAL (ValoTerra en région lyonnaise est l'unique centre français de désorption thermique en activité), puis in situ depuis 2009. Avec toujours les mêmes exigences issues du monde du déchets dangereux : la maîtrise des rejets et la sécurité des personnes. « A l'heure où la qualité de l'air que l'on respire se rappelle à nous tous… cette technologie bien employée est la garantie de la destruction des polluants organiques et de la préservation de l'atmosphère », insiste Fabien Michel.

Pile de désorption thermique des PCB alternant puits de chauffe et puits d’extraction. L’ensemble est soigneusement isolé
pour limiter la consommation énergétique. Réalisation Valgo.

Pour les opérateurs travaillant sur des terres excavées, les coûts de transports et l’impact environnemental d’un traitement ex situ ne sont pas forcément supérieurs à une solution sur site. Lorsque les centres sont bien desservis par voie maritime et fluviale, comme c’est le cas des 5 centres belges SUEZ Remediation et du centre belge GRC de traitement et de recyclage des terres polluées à Kallo (Anvers) et Zeebrugge, le coût du transport est faible. De plus, « le traitement en centre offre la possibilité de mettre en œuvre des techniques sophistiquées, plus performantes et moins énergivores que celles disponibles sur un chantier, affirme Philippe Duchesne, ingénieur d’affaires chez GRC. Il est possible par exemple de faire de la récupération énergétique en utilisant les polluants hydrocarbonés extraits comme carburant de substitution pour alimenter l’unité de désorption. On peut également traiter des sols insaturés avec des vapeurs fortement chargées par oxydation catalytique. Cela contribue à réduire encore l’empreinte carbone associée au transport des terres ».
Un des paramètres principaux et limitants de la désorption thermique in situ ou sur site est lié notamment au taux de siccité des terres : « Ce paramètre, s’il varie négativement (augmentation de la teneur en eau), peut faire varier considérablement les consommations d’énergies et les durées de traitement », souligne Jonathan Senechaud de COLAS Environnement.
Dans le but d'ajuster au mieux les dispositifs et budgets associés à cette technique, un modèle prédictif d'évolution de température du sol a été développé par ICF Environnement dans le cadre de l'activité R&D du Groupe. « À partir de plusieurs éléments d'entrée (volume de sol à traiter, température de l'air injecté, etc.) le modèle permet d'estimer la température maximale atteinte pour une configuration donnée et la durée nécessaire pour atteindre la température cible. Nous avons calé notre modèle sur les données collectées lors de nos derniers chantiers réalisés avec cette technique, ce qui nous permet maintenant de proposer des installations non-surdimensionnées et donc plus économes », indique Yves Guelorget, directeur technique ICF Environnement.

Valoriser les terres excavées : un enjeu pour les prochaines années

Les plateformes de gestion des terres polluées promettent de changer le visage du traitement ex situ. Ces plateformes multimodales de traitement exploitées en France par Biogénie, GRS Valtech, Ikos Sol Meix, Envisan, OGD, ou Extract Ecoterres fleurissent aujourd’hui avec une dizaine de sites dont les plateformes Neoter® de revalorisation des terres et des sédiments de SUEZ Remediation. Ces plateformes offrent du concassage, du criblage et du biotraitement, avec l’assurance d’une traçabilité qui ouvre la voie à la valorisation des terres traitées. Ce mouvement anticipe les modifications attendues par les professionnels dans la définition du déchet.
Aujourd’hui en effet, dès qu’une terre sort du site où elle a été excavée, elle est considérée comme un déchet et donc vouée à la décharge, même lorsque les seuils de polluants sont réglementaires. En conséquence, la valorisation est effectuée au maximum sur le site lui-même si le chantier le permet car, dans ces conditions, c’est la gestion en fonction de l’usage qui s’applique : une plateforme est installée sur le site pour traiter les terres et les réutiliser sur place en sous-bassement ou en sous-couche de voierie par exemple. Cette valorisation reste néanmoins très limitée en termes de tonnage et la mise en décharge est souvent la seule issue des terres traitées. « La valorisation des terres est un enjeu pour le futur, estime Boris Devic-Bassaget de SUEZ Remediation. Elle entre aujourd’hui dans le cahier des charges des gros chantiers comme celui du Grand Paris qui exige la valorisation de 70 % des terres qui vont être excavées, ce qui représente plusieurs millions de mètres cube de terre ».

Traitement in situ d’une source de naphtalène par chauffe douce à Nantes. Réalisation Valgo.

En attendant, pour réduire les coûts de mise en décharge, les terres excavées traversent les frontières pour terminer leur vie en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne où les coûts de traitement sont moindres. GRC, leader sur le marché belge du traitement des sols avec des sites de traitement accessibles par voie fluviale et maritime, prend en charge la procédure d’export des terres françaises selon des critères d’acceptation fondées sur la réglementation belge. « Les techniques de dépollution ont pour but de diminuer les concentrations en polluants, jusqu’à atteindre une concentration résiduelle qui soit acceptable d’un point de vue environnemental, c’est-à-dire qui permette la réutilisation des terres décontaminées, explique Philippe Duchesne, ingénieur d’affaires France chez GRC. Cette concentration résiduelle dépend de la pollution de départ et de la nature du sol. En Belgique il est possible de réutiliser les terres qui gardent une concentration résiduelle dans des contextes stricts : sous-couche de voirie, fondation d’immeuble, digues (avec confinement), etc. Il y a un réel effort réglementaire pour fixer des concentrations résiduelles admissibles pour un nombre croissant de polluants afin de pouvoir les recycler au mieux ». Une politique qui s’explique par le besoin de matériaux pour les BTP et la pression sur le foncier qui limite la place pour les décharges.

L’industriel dépollueur comme tiers responsable

Autre nouveauté dans le paysage de la dépollution, la loi Alur, dont le décret 2015-1004 permet un transfert de responsabilité de la réhabilitation à un tiers compétent, commence à porter ses fruits. « Nous avons acquis dans ce cadre le site du parc industriel de 250 hectares de la raffinerie Petit-Couronne en reprenant à notre charge la pollution existante, explique Laurent Thannberger. L’avantage est que l’on a une vision globale du processus de réhabilitation et que l’on peut prendre les décisions en tenant compte de la géologie, de la topographie, du déplacement des eaux aussi bien que des utilisations passées et futures. Il est également possible d’organiser les démantèlements, nettoyages et dépollutions sur les parcelles afin de pouvoir revendre au fur et à mesure et garder un équilibre financier ».
La pollution du site est composée à 99 % d’hydrocarbures et de déchets résiduels dans les fonds des cuves et des tuyaux contenant des détergents, des morceaux de métal, des matières provenant de l’usure des bétons, etc. La technologie adoptée dépend de la forme du produit (pétrole brut, bitumes, gaz…) avec notamment du pompage et de l’écrémage pour extraire la couche d’huile flottant sur la nappe phréatique. « À l’évidence, il n’y aura pas de percées fondamentales en technologie de dépollution mais nous profitons de ces terrains pollués pour étudier avec des universitaires locaux la possibilité d’utiliser des outils de géophysiques (géoradar, sismographe) pour suivre les étapes de dépollution, indique Laurent Thannberger. L’objectif est de trouver une méthode de suivi qui permettrait de réduire le nombre de trous effectués pour vérifier l’efficacité d’une opération. Parfois, lorsque l’on injecte un produit qui diffuse bien, on a plus de trous pour faire le suivi que pour le traitement lui-même ! ». Pour le moment les paramètres géophysiques permettent seulement d’identifier les endroits où le polluant a le plus de chance de s’écouler.
Mais on pourrait imaginer pouvoir suivre l’évolution d’une pollution aux hydrocarbures par la mesure de la résistance du sol (les hydrocarbures étant isolants) ou bien vérifier une action stimulante sur la microflore du sol en mesurant en surface le faible champ électrique produit par les microorganismes.

Une désorption thermique ex-situ appliquée récemment sur des hydrocarbures lourds en pile au rythme de 3?500 tonnes par mois a permis à Haemers Technologies de récupérer 25 barils de pétrole brut par jour, soit plus de 70?% de taux de recyclage du polluant.

Ce projet, classique du point de vue des pollutions à traiter, nécessite d’autres types d’innovations, en ingénierie financière et immobilier d’entreprise notamment. « Nous sommes dans une logique de réindustrialisation, du compostage d’entreprise en quelque sorte ! se félicite Laurent Thannberger. Cette approche élargit la vocation de Valgo car elle implique d’identifier ce qui doit être détruit ou gardé, d’évaluer la valeur intrinsèque du terrain, de trouver des
partenaires,... » Le lieu est propice avec une voie maritime, une voie ferrée, des accès routiers et un pipeline Rouen Paris. 90 % du site a déjà trouvé acquéreur, notamment Bolloré Energie qui entend faire du stockage stratégique dans les cuves rénovées.
Sont également prévus une plateforme multimodale de gestion des matières dangereuses de 40 à 60 hectares et un centre de biotraitement construit par Valgo. Ce centre est destiné à traiter les terres polluées du site mais a vocation, par la suite, à faire du traitement de terres hors site.
Cette expérience est suivie d’un œil intéressé par les acteurs industriels et Valgo estime qu’il sera sans doute possible maintenant de réaliser ce type de réhabilitation avec des clients qui restent propriétaires.
Envisol se positionne de son côté sur la géophysique 4D pour monitorer dans l’espace et dans le temps une biodégradation d’hydrocarbures et ainsi optimiser les coûts liés à la réhabilitation d’une friche industrielle.
C’est la raison pour laquelle Envisol, en partenariat avec l’EPFL du Dauphiné, a monté un premier prototype de monitoring sur son site pilote CRISALIDE (Centre de Réflexion ISérois en Aménagement Durable) sur la commune de Pont-de-Claix. Toute la complexité est de comprendre l’influence des différents facteurs sur la réponse géo-électrique afin d’aboutir à une interprétation plus fiable des mesures ainsi qu’à une généralisation de la méthode de suivi à différents sites.



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