Foudres et surtensions: un risque naturel dont on peut se prémunir
29 avril 2022Paru dans le N°451
à la page 67 ( mots)
Rédigé par : Noélie COUDURIER
Risque naturel et technologique à la fois, la foudre entraîne dans son sillon une série de conséquences plus ou moins visibles pour les personnes et les biens.
Au fil des années, le risque qu’elle représente s’est d’autant plus renforcé que notre société s’est dotée d’électronique et d’informatique. Plus communicantes mais aussi plus sensibles aux surtensions, les infrastructures et leur matériel doivent désormais savoir gérer à la fois le courant extrêmement important qui les parcourt en quelques microsecondes, mais aussi tous les effets secondaires dommageables.
Les ouvrages de gestion de l’eau n’échappent pas à la règle. Compte-tenu de leurs particularités, ils cherchent donc à concilier technicité et vulnérabilité lors d’impacts de foudre.
La foudre est à l’origine de multiples dysfonctionnements voire incidents. Les dommages recensés sont le fruit d’effets “directs” (explosions, incendies, etc) canalisés par un paratonnerre, et/ou d’effets “indirects” (surtensions, courts-circuits, coupures d’électricité, pertes de redondance, etc) maîtrisés par un parafoudre.
Une addition de fragilités
Dommages recensés
Les dommages liés à la foudre ou à des surtensions auraient pu être évités dans bien des cas si le risque avait été correctement appréhendé, et les infrastructures et équipements de gestion de l’eau correctement protégés.
La base de données ARIA (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents), gérée par le ministère de la Transition écologique, recense par exemple la destruction d’un transformateur de station d’épuration urbaine par la foudre en 2008 qui entraîna en cascade arrêt de l’alimentation électrique, arrêt des pompes de relevage à l’origine puis rejet de l’effluent dans le canal de Brest durant plusieurs heures. Ou encore l’impact de foudre qui perturba en 2018 la mesure de niveau d’un gazomètre d’une station d’épuration et provoqua le dégazage de biogaz.
Si les conséquences de ces deux événements ont heureusement été maîtrisées, elles auraient sans doute pu être évitées si les équipements de traitement de l’eau avaient été protégés par un dispositif adapté. Et ceci pour un investissement bien inférieur au coût des dommages causés.
Pour les professionnels de la protection foudre, bien que mesuré, le risque est encore sous-estimé. A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’ouvrages de gestion de l’eau. « Un problème sur les usines d’eau potable pourrait dans l’absolu priver 20 % des consommateurs d’eau » alerte Olivier Pellissier, responsable produit chez Phoenix Contact.
C’est pourtant pour relever ces défis que Météorage, filiale de Météo France, a vu le jour en 1987. Grâce à son propre réseau composé de près de 120 capteurs répartis homogènement en Europe et scrutant le champ électromagnétique en continu, Météorage a mis au point des outils performants permettant de détecter, localiser et analyser chaque éclair en temps réel.
Avec ses calculateurs très puissants et un système de traitement des données, elle est capable d’établir des statistiques de foudroiement pour une commune ou un site afin de mieux cerner la densité des impacts de foudre, le nombre de jours d’orage par an, les records sur une zone donnée ou encore la répartition des points d’impact. Ainsi, chaque éclair en temps réel apparaît sur l’écran moins de 10 secondes après son occurrence, permettant à l’utilisateur de visualiser l’activité orageuse sur sa zone d’intérêt, mais aussi de créer des alertes et gérer la diffusion des messages correspondants.
Grâce à l’affichage des cellules orageuses, à la prévision de leurs déplacements et à leur indice de sévérité, on peut aussi savoir s’il faut s’attendre à des vents violents, des précipitations intenses, de la grêle dans un rayon de 10 km.
Des infrastructures particulièrement exposées
D’emblée, Alain Cruzalebes, directeur de Perax Technologies, annonce la couleur : « Avec des capteurs plongés dans l’eau, des lignes électriques nombreuses, beaucoup d’instrumentation et une situation géographique souvent peu idéale, les ouvrages de gestion de l’eau cochent plusieurs cases sur l’échelle du risque foudre ».
Avec l’effet de pointe, les châteaux d’eau attirent la foudre plus facilement que s’ils étaient sur des surfaces planes. Par ailleurs, le fait qu’ils soient situés sur des points hauts les rend plus attractifs pour les opérateurs de téléphonie, mais aussi plus vulnérables.
Les ouvrages de captage, stations de pompage, de relevage, de re-chloration, les usines de production d’eau potable, stations d’épuration, barrages et canaux sont quant à eux souvent implantés dans des zones isolées. « Les infrastructures de traitement en milieu urbain présentent moins de risque de surtension car il y a un maillage tel que la foudre pourra aller sur plusieurs points de chute, explique Alain Cridel, directeur commercial de Paratronic. Mais en milieu rural ou isolé, il est plus difficile d’intervenir ». Une analyse que partage Jamal Zahoui expert technique auprès de Schneider Electric : « Puisqu’il y a désormais peu voire pas de personnel sur-place, cela rend les interventions d’autant plus complexes. Dans ces configurations, foudre et surtensions plongent les opérateurs dans le noir complet ».
Des équipements à risque
Par ailleurs, les sites assurant le traitement de l’eau sont vastes avec des centaines de mètres de transmissions et des technologies omniprésentes. Leur vulnérabilité est donc maximale. Pour Christian Macanda, responsable produit chez Citel, ces ouvrages concentrent une palette de dispositifs utilisés en permanence : électricité (continue, alternative, photovoltaïque, etc), instrumentation (automatismes, sondes de niveaux, débitmètres, capteurs de turbidité, etc), radio-communication (télégestion, caméras de vidéosurveillance, etc). Par conséquent, un impact de foudre mal anticipé sur l’un des niveaux entraîne des conséquences importantes sur l’ensemble de l’ouvrage. En effet, en cas de surtension, « elle remontera sur le câble électrique jusqu’à l’intérieur du bâtiment, détruira sans doute la carte d’enregistrement puis endommagera l’automate et tout ce qui est connecté à lui, détaille Thibault Fanget, responsable de la distribution des produits chez MTL Instruments. Le problème de la foudre sur tout le matériel de mesure, c’est qu’il continue parfois de fonctionner, jusqu’à s’arrêter brutalement sans que les gestionnaires ne fassent le lien avec les surtensions accumulées ».
Les réseaux sont donc au centre de l’attention. Pour Jamal Zahoui c’est l’alimentation électrique qu’il faut préserver en priorité avec le parafoudre car « sans pompage, pas d’eau ». Puis c’est au tour du réseau de distribution « pour permettre l’accès à la ressource, et dans de bonnes conditions », et enfin des réseaux de communication afin de piloter le site avec plus de finesse et de facilité possibles.
Pour une protection complète, il est important de protéger les deux côtés de la boucle rappelle MTL Instruments puisque les appareils de protection anti-surtension ne fournissent qu’une protection locale. Ainsi, le fabricant préconise les séries SD et SD MTL Eaton pour les équipements installés en armoires électriques et la série TP pour les équipements de mesures et actionneurs installés sur site.
Insuffisances de la réglementation
Pour l’heure, le cadre réglementaire et normatif prévoit que seules les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) se dotent d’un paratonnerre et d’un parafoudre1 – dès lors que l’analyse du risque a conclu à une menace identifiée. C’est le cas pour une grande partie des usines de traitement de l’eau.
Pour les installations possédant une alimentation basse tension provenant d’une ligne entièrement ou partiellement aérienne, celles-ci doivent obligatoirement s’équiper d’un parafoudre2. Et pour toutes les autres installations, charge à l’exploitant de voir s’il souhaite se doter ou non d’un parafoudre.
A ce cadre s’ajoutent les normes produits, les normes d’installation, et différents guides3.
En définitive, la réglementation actuelle concerne surtout la sécurité des personnes et dans une moindre mesure les risques liés aux atteintes à l’environnement. Mais rien qui ne concerne la continuité du service ou la protection des matériels. Y compris dans les évolutions réglementaires à venir. « Dans la nouvelle version de la norme NF C 15-100 qui arrive, précise Christian Macanda, de Citel, le parafoudre deviendra obligatoire pour toute installation professionnelle neuve où une perturbation peut créer une perte de service, une perte économique ou un risque pour la population. Et cela, quelles que soient les conditions extérieures. Mais tout ce qui relève des réseaux n’est pas concerné. Or c’est de là que viennent l’essentiel des problèmes ». L’un des effets pervers de ces textes, c’est effectivement de se limiter à ce que les textes imposent, en laissant croire à ceux qui ne sont pas directement nommés qu’une protection n’est pas nécessaire. « Sur des installations étendues comme celles qu’on trouve dans le domaine du traitement de l’eau, il est préférable d’avoir une approche globale. Certes, il faut protéger l’instrument en lui-même, mais aussi tous les équipements sont cruciaux pour la poursuite du process industriel : alimentation, signaux de mesure, de commande et de régulation, réseaux de communication, émetteurs et récepteurs radio » explique Régis Reeb de Dehn France. A plus forte raison dans le domaine de l’eau, où celui qui construit et qui finance n’est pas toujours celui qui exploite et fait l’interface avec le client final.
Aussi après le passage d’un orage, Météorage propose à ses clients tout une gamme de services permettant d’établir des corrélations entre foudroiement et incidents - nombre d’impacts de foudre, localisation et datation - pour identifier les vérifications à effectuer et, si besoin à déterminer si la foudre est bien à l’origine d’un sinistre.
Un fonctionnement qui fait ses preuves
Réfléchir avant d’agir
Avant d’aborder les moyens à mettre en place, il est essentiel d’avoir une vue d’ensemble des risques par la réalisation d’une expertise et par une étude technique qui définissent le type de protections à mettre en place (les paratonnerres, les parafoudres, les blindages, les réseaux de terre), étudient la coordination entre ces différents moyens, et déterminent leurs emplacements et leur mode de raccordement. « Par chance les moyens de protections efficaces existent mais encore faut-ils soient utilisés à bon escient » estime Sébastien Lejop, ingénieur d’études chez Foudre-Protec qui dispose de deux agences à Montauban et Bagnères de Bigorre.
Choix du matériel
Le type de parafoudre à privilégier va donc dépendre de plusieurs facteurs comme l’infrastructure à privilégier et le niveau d’immunité que l’on souhaite obtenir, les tensions d’utilisation de l’équipement concerné, la présence ou non de paratonnerre, etc.
Pour Olivier Pellissier de Phoenix Contact, « les parafoudres se répartissent sur toute l’installation, et sur tous les organes utiles à la fonctionnalité de l’installation. Il y a beaucoup de modèles différents, mais un seul par application ».
Les normes actuelles placent les parafoudres pour réseaux basse tension en trois types.
Le type 1 – qui utilise des éclateurs ou des varistances – est posé en tête d’installation et dispose de niveaux d’écrêtement très hauts. Si l’équipement possède un paratonnerre, alors un parafoudre de ce type est obligatoire.
Le type 2 - qui repose sur la technologie des varistances - écrête à son tour la tension résiduelle et assure la distribution.
Enfin, le type 3 - grâce à des varistances, diodes à zener ou des diodes transil - est placé près des matériels sensibles pour écrêter encore plus.
Si la technologie de parafoudre est stabilisée depuis longtemps, son évolution va désormais surtout porter sur ses options et donc ses facilités de monitoring.
Qualité de la mise en œuvre
Le soin avec lequel est mis en place le parafoudre est primordial pour assurer un fonctionnement optimal des installations.
Par conséquent, Alain Cruzalebes de Perax Technologies, milite pour que l’installation soit faite « dans les règles de l’art. L’ingénieur va prévoir le système qu’il faut après avoir analysé le risque, l’installateur va tout mettre en œuvre, et le bureau de contrôle va réceptionner les installations et s’assurer que tout est conforme ».
Une posture que partagent l’ensemble des acteurs du secteurs. « Vous avez beau avoir le meilleur parafoudre possible, il ne produira pas les effets escomptés si les bonnes pratiques en matière d’installation ne sont pas respectées, met en garde Alain Cridel de Paratronic : règles d’équipotentialité, chemins de câble, valeurs de terre, régimes de neutre, etc ». Et de poursuivre « Le parafoudre est un maillon de la chaîne de protection. Si on s’en équipe, cela ne signifie pas pour autant qu’on a réglé toutes les problématiques de surtension. Chacun a sa part de responsabilité dans cet écosystème ».
Suivi et prédiction, meilleurs moyens d’assurer la continuité du service
La maintenance, une étape clé
« Toute la difficulté avec un parafoudre, résume Jérôme Outin, spécialiste des solutions water chez Schneider Electric, c’est que lorsqu’il fait correctement son travail, c’est invisible, ça fonctionne. Donc suivre régulièrement l’état de santé de son parafoudre est essentiel si on ne veut pas avoir de courants de fuite inopinés ».
Alors en quoi consiste ce suivi ?
Pour les installations ICPE, l’exploitant doit effectuer une vérification interne et externe, ainsi qu’une vérification basique dès lors qu’il est averti d’un impact de foudre. Et tous les deux ans, une vérification complète est exigée.
Pour toutes les autres installations, seule une maintenance préventive est recommandée, des voyants rouge et vert délivrant une information de base sur leur état de santé. Dès lors, les équipes de maintenance doivent régulièrement inspecter les leds d’état des dispositifs de protection.
Des systèmes prédictifs, plus adaptés aux besoins
La gamme de parafoudres s’est enrichie de fonctionnalités permettant aux services de traitement de l’eau de mieux anticiper les éventuelles ruptures d’exploitation et de service, et d’assurer une continuité de son activité. La notion de Smart SPD (Surge protective device), ou parafoudre intelligent, fait son apparition, intégrant progressivement afin d’évaluer le vieillissement des parafoudres et de lancer d’éventuelles campagnes de maintenance préventive.
Plusieurs fabricants développent des solutions connectées qui aident à vérifier l’état de l’installation et des différents produits qui la composent et à identifier les dysfonctionnements éventuels sur les réseaux électriques ou IT.
On retrouve les acteurs comme Indelec qui avec son laboratoire d’essais Haute Tension LiRi regroupe un niveau technique et scientifique unique dans la profession, SEFTIM qui préside les commissions techniques de normalisation pour l’Afnor ou encore Mersen Ciprotec qui a lancé en 2021 une solution connectée, baptisée Nimbus Pro.
Chez Phoenix Contact, le système ImpulseCheck donne une information en temps réel sur l’état de charge du parafoudre et du système, surveille proactivement les opérations de maintenance préventive ou prédictive, prévient les défauts, etc. « Il y a un vrai savoir-faire français en traitement de l’eau, donc on peut facilement imaginer une surveillance en temps réel de parafoudres installés à l’autre bout du monde, souligne Olivier Pellissier, également membre de l’association Protection foudre. Cela permettrait non seulement de dialoguer avec l’automate, mais aussi de prévenir l’équipe de maintenance locale pour qu’elle aille vérifier sur-place ce qu’il en est ».
Du côté de MTL Instruments, « grâce à un système modulaire, on maintient un signal même durant l’opération de maintenance », explique Thibault Fanget. Le client peut ainsi répartir son investissement dans le temps et assurer la traçabilité du process.
Pour Régis Reeb, de Dehn France, reste à convaincre le client de l’utilité de systèmes prédictifs : « Souvent, il veut faire au moins cher alors qu’il dispose d’équipements pointus. Connaître à l’avance l’état d’usure de son matériel de protection évite tout bonnement que son installation ne devienne vulnérable à un moment donné ».
Une préoccupation globalement bien appréhendée dans le monde de l’eau, comparée par exemple aux marchés de l’éclairage public ou du photovoltaïque qui subissent plus fortement les assauts du ciel. Pour éviter un désagréable baptème du feu, mieux vaut donc anticiper le risque foudre.
1 Arrêtés du 4 octobre 2010 et du 19 juillet 2011, et norme NF C 15-100.
2Dès lors que le niveau kéraunique est supérieur à 25 et la densité de foudroiement supérieure à 2,5.
3Un guide de protection foudre pour l’habitat, l’industrie et les collectivités sera prochainement publié par l’Afnor.
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