Si les ouvrages d’une certaine taille disposent de solutions éprouvées pour prévenir et lutter contre les nuisances odorantes, les exploitations plus petites doivent souvent réaliser des arbitrages pour choisir des solutions compatibles avec leur budget. Préventives ou curatives, des solutions efficaces existent cependant qui permettent de maîtriser les nuisances odorantes et éviter les plaintes des riverains. Éléments de réponse.
Œuf pourri, légumes en décomposition, ail, poisson avarié, vinaigre, beurre rance…. De nombreux ouvrages d’assainissement dégagent des odeurs désagréables issues de molécules indésirables. « Les eaux résiduaires urbaines peuvent contenir jusqu’à 21 familles de composés différents », écrit Céline Andrieu dans un rapport du Fond national pour le développement des adductions d’eau. Nombre d’entre eux irritent le nez, en particulier les composés soufrés comme l’hydrogène sulfuré, le méthylmercaptan, l’éthylmercaptan, le diméthylsulfure, le diéthysulfure ou le diméthyldisulfure.
Ces 6 molécules soufrées à l’odeur caractéristique sont à l’origine de 80 à 90% des nuisances olfactives des ouvrages d’assainissement, le reste étant des molécules azotées, des acides, des alcools, des aldéhydes, des cétones ou des composés organiques volatils (COV). « Ces molécules ne constituent cependant pas la nuisance odorante, prévient Lionel Pourtier chez Environnement’Air. Ils constituent tout au plus une partie du vecteur qui peut aboutir à la perception d’odeurs ».
Les molécules soufrées se forment dans le cadre des processus biologiques de fermentation. La formation des sulfures dissous résulte de l’activité métabolique des bactéries sulfatoréductrices. Quand le milieu s’appauvrit en oxygène dissous, les bactéries prolifèrent, dégradent les composés soufrés organiques, réduisent les ions sulfates présents et libèrent les ions sulfures.
Les facteurs qui favorisent la prolifération des bactéries anaérobies sont bien connus : l’absence d’oxygène, des effluents riches en matières organiques biodégradables, la teneur en ions sulfates, la température de l’effluent (une augmentation de la température entraîne une stimulation du métabolisme bactérien) ainsi que de longs temps de séjour de l’effluent ou des boues dans les collecteurs et dans les différents ouvrages. Ces conditions sont souvent réunies dans les regards de passage recevant un effluent d’une conduite en charge et au niveau des postes de dégrillage et des collecteurs gravitaires au débouché de refoulement.
Ce sont souvent là que sont émises les odeurs nauséabondes dans les petits ouvrages.
En ce qui concerne les composés azotés, ils proviennent essentiellement de la dégradation biologique de l’urine, des protéines et des acides aminés, ainsi que de l’hydrolyse des composés organiques azotés. Une deuxième source azotée peut engendrer des odeurs d’ammoniac : lorsque l’on ajoute de la chaux aux boues de station d’épuration, l’azote ammoniacal est transformé en ammoniac par élévation du pH.
Caractériser les émissions
Les stations d’épuration d’une certaine taille trouvent souvent une solution adaptée à leurs problématiques olfactives, par exemple en ayant recours à des systèmes de couvertures tels que ceux proposés par Ciffa Systèmes, Trioplast ou Apro Industrie, spécialisées dans les solutions de confinement. Ces couvertures permettent de gérer les flux pour mieux traiter les odeurs. Elles permettent aussi une diminution importante des odeurs sur le site, une baisse des coûts de traitement (récupération des eaux de pluie), une protection contre les risques de chute, ainsi qu’une diminution sensible des gaz à effet de serre.
D’autres procédés, simples à mettre en œuvre, présentent l’avantage d’être efficaces pour tous types d’odeurs ou de rejets gazeux sans qu’il soit nécessaire de s’engager dans un processus analytique ou d’utiliser un réactif. C’est par exemple le cas de l’Eolage® de Delamet Environnement qui utilise la propulsion aérodynamique forcée en synergie avec le vent pour assurer la dispersion des émissions odorantes en altitude.
Quant aux solutions de traitement, qui ont fait la preuve de leur efficacité, elles ne sont pas toujours à la portée des petits ouvrages, ou des petits exploitants, soit pour des raisons financières, soit pour des raisons liées à l’exploitation (intermittence, absence de personnel d’exploitation… etc). Pour eux, il faut de l’ingéniosité et de la persévérance. « Avant de traiter une nuisance, il faut d’abord en connaître l’origine et la source », conseille Lionel Pourtier, président d’Environnement’Air, cabinet d’expertise en odeurs, environnement et gaz. « La première action à mener, avant le diagnostic des émissions odorantes, est l’analyse fine des conditions d’exploitation, renchérit Pascale Corroyer, directrice d’Odournet France (ex-Aroma Consult), un bureau de consultants spécialisé et laboratoire accrédité COFRAC en analyse olfactométrique. Les nuisances viennent-elles du poste d’arrivée des effluents alimentant la station ? (eaux usées logiquement collectées ou d’un rejet sauvage ?) ou des ouvrages aval (filière eau ? filière boue ?) Quand et où apparaissent-elles ? Et surtout qu’en disent les riverains ? Il faut investiguer le milieu émetteur tout en considérant la situation observée en milieu récepteur ». Pascale Corroyer justifie cette dernière recommandation par deux arguments. D’une part, les riverains, premiers concernés par la nuisance, possèdent ces informations, d’autre part, les impliquer augmente substantiellement leur acceptation de la situation olfactive. Le suivi en continu permet d’observer les tendances d’indicateur de surveillance et l’amélioration continu de la situation. Raison pour laquelle Odournet avec Envirosuite© mais aussi Clauger et Environnement’Air mettent à leur disposition une plateforme web de surveillance des odeurs.
En parallèle de ces études, il est aussi possible de recourir à un suivi en continu des émissions odorantes, par le biais de capteurs. Les réseaux de stations Cairnet, mis en place par la société Cairpol (groupe Environnement SA) permettent ainsi aux exploitants de sites, ou aux bureaux d’études en charge d’étudier les sites par exemple, de suivre avec précision différents gaz traceurs, responsables majoritaires des odeurs perçues (H2S/Méthylmercaptan, NH3, COVnm, etc.). Avec cette information disponible, il est alors très facile de contrôler et valider les éventuelles modifications du process, les outils de traitement mis en place et bien sûr communiquer avec les riverains.
Une fois les émissions caractérisées et les composants chimiques identifiés, deux types de solutions s’offrent au petit exploitant.
Privilégier les solutions préventives
Les premières, préventives, sont souvent efficaces tout en restant compatibles avec les budgets de fonctionnement des petites stations d’épuration et des réseaux d’assainissement. Par exemple, lors de la conception, ou en mesure corrective, il peut s’agir de modifier la morphologie de certains tronçons d’un réseau. Le but peut être de limiter les temps de séjour hydrauliques, de respecter les conditions d’autocurage dans les canalisations, de créer les conditions d’une bonne évacuation des dépôts fermentescibles dans les ouvrages gravitaires, de limiter la septicité d’un effluent au départ du refoulement ou plus simplement encore de ventiler les réseaux. « Il faut préférer les solutions gravitaires ou de relevage aux solutions comportant des refoulements. De même, il est préférable de limiter la longueur du refoulement en substituant deux refoulements séparés par un gravitaire à un seul refoulement », écrit Céline Andrieu. Ainsi, il vaut mieux adapter les diamètres des conduites aux débits initiaux, quitte à les doubler en cas d’évolution des besoins. Et utiliser des regards étanches en fibre polyester ou polyéthylène, ce qui permettra également d’éviter les risques de corrosion.
D’autres solutions permettent de répondre aux problématiques de transformation septique des effluents dans les refoulements, même sur de très longues distances. C’est par exemple le cas du refoulement pneumatique Gulliver® développé par UFT qui permet une maîtrise totale du temps de séjour et ce quelle que soit la longueur de refoulement et le débit à transiter en garantissant des vitesses d’autocurage supérieures à 1 m/s. « Notre système permet en outre de répondre parfaitement et simultanément aux attentes au niveau de la prévention des risques d’H2S, du caractère saisonnier de fonctionnement (évacuation complète des eaux usées du poste et de la canalisation) et de l’absence de ballon anti-bélier, souligne Jean-Philippe Martz, Gérant d’UFT France. Il permet de s’affranchir de situations complexes telles qu’un refoulement à un point plus bas que le point de départ, une faible profondeur du réseau, de la topographie et de la géologie générale des lieux, de l’absence de ventouses, d’un franchissement de forte HMT, des risques de crues, tout en ayant la garantie d’obtenir des vitesses d’auto-curage indépendamment des débits ».
D’autres solutions peu onéreuses reposent sur un traitement préventif chimique ou biologique de l’effluent. Car si des bactéries peuvent transformer la matière organique en hydrogène sulfuré ou en ammoniac, d’autres peuvent éviter que ces réactions chimiques se produisent. C’est par exemple le cas du produit Bio 04 de Kiepure ou le Prebio Care FS fabriqué par Germe SA. Bio 04 de Kiépure contient des souches de micro-organismes sélectionnées pour leur capacité à produire de grandes quantités d’enzymes lytiques multifonctionnelles spécialement actives dans le traitement des polluants organiques. Bio 04 dissout les déchets solides et les graisses, dégrade les déchets organiques et supprime les nuisances odorantes tout en procurant aux micro-organismes le substrat nécessaire à leur développement.
Yara propose de son côté le Nutriox, un mélange de sels de nitrates (dont celui de calcium) qui permet de traiter tant préventivement la production d’odeurs en modifiant l’équilibre bactérien, que curativement en remontant le potentiel RedOx des eaux. Purostar propose Puropur© une poudre non toxique développée pour neutraliser les mauvaises odeurs une fois déversée dans l’eau à désodoriser : une injection manuelle étant suffisante, elle ne nécessite pas d’investissement en matériel.
En chimie pure, Carboklear de Klearios propose d’adsorber le sulfure d’hydrogène sur des supports imprégnés tandis que BioKlear instille des réactifs préventivement par le doseur Dosaklear, asservi aux caractéristiques des effluents.
Une solution intermédiaire entre le traitement chimique et la modification physique des installations consiste à ajouter un filtre. En cas de tirage insuffisant de la ventilation supérieure, Biorock, adapté aux microstations d’épuration, se place en aval d’une fosse, tandis que Septofiltre est installé sur les colonnes de ventilation. C’est un filtre qui transforme l’hydrogène sulfuré en souffre natif. Celui-ci reste piégé de manière irréversible au sein même de la cartouche. Il faut donc changer le filtre en moyenne une fois par an suivant l’utilisation.
Solutions curatives : surveiller les coûts d’exploitation
Reste le curatif, si aucune de ces solutions n’a pu être mise en œuvre.
La biofiltration, qui consiste à faire passer l’air sur un lit servant de support aux bactéries, reste l’une des techniques de traitement les plus accessibles aux ouvrages de petite ou moyenne taille. Elle permet de traiter, en fonction de la nature du support utilisé, les composés azotés (ammoniac-NH3, amines), les composés soufrés (hydrogène sulfuré-H2S et mercaptans) ou certains COV (alcools, AGV, aldéhydes et cétones). Les systèmes développés par Airepur Industries, CMI Europe Environnement ou encore TC Plastic conviennent bien pour le traitement des émissions de COV régulières, sans pics importants. Les débits traités peuvent aller jusqu’à 100.000 m³/h avec une bonne efficacité sur les éléments organiques, notamment soufrés. Lorsque les installations sont bien conduites, le rendement chimique d’épuration atteint couramment 99 % des composés soufrés et azotés. Le rendement olfactométrique, quant à lui, peut atteindre facilement 96 %. Le coût d’investissement, directement lié au temps de séjour, est moyen, et le coût de fonctionnement relativement faible.
Les traitements de types physico-chimiques, notamment le lavage acido-basique, permettent de traiter les gros volumes, ce qui les réserve plutôt aux installations de taille importante.
Autre solution, l’adsorption sur charbon actif, une technique qui permet le transfert d’une molécule de la phase gazeuse sur une surface d’un solide. Elle est particulièrement efficace pour le traitement des odeurs et des COV. Le coût d’investissement est faible mais les coûts de fonctionnement sont plus élevés en raison de la consommation importante en énergie et du changement régulier des charbons.
Les produits neutralisants sont une autre solution. « Leur efficacité potentielle, intrinsèque à la constitution du produit, à son mode de diffusion, à la surface de contact, et aux conditions locales, est aléatoire selon les témoignages de nos clients, explique Pascale Corroyer. Comme toute solution, pour se protéger, l’exploitant ou la collectivité, accompagné d’experts Odeur, doit établir lors de sa consultation auprès des fournisseurs, un cahier des charges et formuler des attentes de résultats et garanties prévus. La réception des systèmes de traitement, conformément aux attentes est également à prévoir».
Biothys développe depuis près de 25 ans des neutralisants brevetés, spécifiquement dédiés au secteur de l’eau. « Dans le domaine des réseaux d’assainissement, nous proposons un complexe de neutralisants d’odeurs à forte rémanence et à large spectre d’action, explique Aurélia Christmann chez Biothys. Gelactiv® inhibe les odeurs de manière à rendre les molécules odorantes non perceptibles au nez». Le produit, disponible en deux versions selon que l’on doive faire face à des composés soufrés (SHK) ou à des composés ammoniaqués (NHK), prend la forme d’une matrice polymérique positionnée au sein du réseau ou dans un avaloir. Son efficacité s’étend sur 3 à 4 mois, en fonction des conditions environnantes. Il est mis en œuvre dans plusieurs grandes villes comme Hanovre en Allemagne, Budapest en Hongrie ou encore Avignon en France. Pour les lagunes ou les stations d’épuration, Biothys a développé Lagun’Air®, un neutralisant qui créé une barrière olfactive statique sur les ouvrages tels que les décanteurs, bassin tampons, lagunes… etc. « On utilise l’aéraulique naturelle du site pour disperser les produits actifs sur les lagunes, explique Aurélia Christmann. Le produit, hydrophobe, se dépose à la surface ce qui permet une grande surface de traitement ». Pour les process de traitement des boues, les principes actifs sont similaires mais reposent sur des vecteurs de transmission différents, tels que la vapeur sèche par exemple. Simples à utiliser et économiques, ces produits savent s’adapter à la configuration de chaque site en utilisant les flux d’air naturels pour traiter les mauvaises odeurs.
Econox, distribué en Europe par Yara, est une solution de permanganate de sodium diffusée automatiquement, efficace contre les mercaptans et les phénols et qui aide à précipiter les métaux lourds. Klearios propose quant à elle des neutralisants sous forme de polymère diffusant à installer sur les postes de relevage et aux points de refoulement. De même, Westrand propose une gamme complète de principes actifs brevetés neutralisant les nuisances odorantes. Basés sur une combinaison d’huiles essentielles naturelles et de synthèse contenant des cocktails d’aldéhydes, ils reposent sur 24 années d’expérience. L’entreprise revendique plusieurs milliers de références dans le monde et des tests en laboratoires réalisés par plusieurs clients tels que Veolia (Etude Ademe, Université de Chimie de Rennes), Suez (Cirsee) ou encore Vodokanal (Université de Saint-Pétersbourg).
Les produits masquants appartiennent à une autre famille de produits. Ce sont des désodorisants à large spectre d’action qui appartiennent à une autre catégorie de produits. Leur principe repose sur une réaction chimique entre les molécules constituant les odeurs (sulfure, mercaptan, ammoniac, amines etc) et d’autres composants pour obtenir des molécules nouvelles plus grosses, moins volatiles et ne générant pas, ou moins, d’odeur. Utilisés à bon escient, ils constituent une réelle solution, même s’ils ne résolvent pas le désagrément à la source, ce qui peut, dans certains cas, poser problème, car une nuisance odorante est bien souvent la traduction la plus visible d’un dysfonctionnement ou d’un danger plus grave.
C’est le cas du sulfure d’hydrogène (H2S), mortel pour l’homme. Si le seuil de détection pour l’homme est de 0,1 ppm (parties par million) soit 0,1 ml par mètre cube, il occasionne des pertes d’odorat à partir de 100 ppm. À partir de 500 ppm, il provoque des pertes de connaissance et la mort. Au-delà de ce risque vital, il peut générer des mélanges explosifs et s’avère par ailleurs très corrosif. Il se transforme en effet en acide sulfurique et attaque les ouvrages et équipements métalliques (cuivre, fer) ou en béton, jusqu’à leur possible effondrement. Les solutions préventives, inhibitrices et curatives, traitant l’eau ou l’air, existent et sont proposées par des entreprises telles qu’Athéo Solutions, capable d’analyser chaque situation de manière spécifique pour identifier la solution de traitement la plus adaptée aux contraintes techniques et financières.
Dans tous les cas, il ne faut pas perdre de vue qu’une amélioration des conditions d’exploitation (entretien des ouvrages, conduite des procédés…) reste la piste à privilégier pour éviter ou réduire la formation de nuisances odorantes. De même, une simple modification de conditions opératoires (aménagement des vidanges, dépotages…) peu régler bien des problèmes tout en évitant l’apparition de conflits avec les riverains.