Pour éviter de rejeter des effluents hors norme lors d’épisodes de pluies exceptionnels, les stations d’épuration s’équipent très souvent de bassins-tampons. Ils régulent le débit d’eau à l’amont et permettent un bon fonctionnement de la Step.
Dans les stations d’épuration, qu’elles soient conçues pour gérées les eaux usées des collectivités ou les eaux industrielles, le traitement demande un débit et des propriétés constantes. En cas de pluies intempestives ou d’arrivée soudaine d’eau du fait d’un process industriel, la qualité du traitement n’est plus assurée. Le choix de nombreuses Step était de déverser le trop-plein directement dans la nature au risque de polluer l’environnement. Ce n’est plus possible. Selon l’arrêté du 31 juillet 2020, les Step traitant plus de 120 kg de DBO5 de charge de pollution, soit celles conçues pour plus de 2000 EH, ne doivent rejeter que des eaux contenant moins de 25 mg/l de DBO5 , 125 mg/l de DCO et 35 mg/l de MES. La police de l’eau peut mettre la collectivité en demeure quand le débit de fuite dépasse les 7 litres par seconde et même punir les récalcitrants et les astreindre à des sanctions pécuniaires de 1500 euros par jour de retard de mise en conformité.
Fin 2017, la Commission européenne avait déjà adressé à la France une mise en demeure du fait de ses manquements aux obligations de la directive relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (DERU) concernant 364 agglomérations d’assainissement. Cette mise en demeure a été suivie le 14 mai 2020 d’un avis motivé portant sur 169 agglomérations d’assainissement dans toutes les régions dont Bordeaux, Rabastens, Hazebrouck, Kourou (Guyane), Le Mans, Romans-surIsère ou Chalon-sur-Saône, pour ne considérer que les plus grosses. Mais les petites communes sont souvent les plus sujettes à ces rejets intempestifs. «Dans les communes rurales, les infrastructures sont souvent sous-dimensionnées, assure Nicolas Martin, directeur commercial de Apro Industrie. Elles n’acceptent pas l’arrivée des fortes pluies issues de réseaux d’eaux encore souvent "unitaires"».
Comment faire pour éviter les débordements et le déversement dans le milieu naturel d’eaux polluées par le rinçage des surfaces ?
PRÉVENIR LES DÉBORDEMENTS
De nombreuses Step ont choisi la construction de bassins annexes, dit bassins-tampons ou bassins d’orage. Ils sont dimensionnés suivant des calculs savants prenant en compte la typologie des bassins versants, la moyenne des pluies mensuelles mais aussi les volumes des pluies décennales, et dans le cas des eaux industrielles, du maximum de flux prévu par le process.
En général, les bassins-tampons des Step des collectivités territoriales font de 300 à 500 mètres cube, ceux des Step industrielles de 800 à 1000 mètres cube. «D’une part, cela évite de déverser le surplus d’eaux usées sans traitement, d’autre part cela permet aux eaux de bien se mélanger, de s’homogénéiser, car les Step demandent une arrivée d’eau constante et de qualité toujours équivalente. Il faut donc parfois traiter ces eaux avant leur injection dans la Step», déclare Mathieu van den Bossche, directeur technique de Tubao.
En effet, en cas d’arrivées d’eaux très acides ou très basiques dans les Step, il y a un risque de dysfonctionnement du traitement biologique des boues activées ou des traitements physico-chimiques.
DE SIMPLES LAGUNES OU DU BÉTON ?
Les plus simples sont les lagunes sous lesquelles on a installé une géomembrane. «Chaque type de bassin a son intérêt. La géomembrane en fond de lagune ouverte est valable quand il y a de l’espace et peu de voisinage, assure Jérémy Bonhommeau, technicien chez Artelia. C’est moins cher que de construire un bassin en béton». Mais l’infiltration reste toujours possible en cas de défaut et les mouvements de terrain peuvent déstabiliser le bassin et laisser échapper les effluents nocifs et souvent nauséabonds. C’est pourquoi les bureaux d’études et installateurs, comme Artelia, Afi’geo Engineering, Saint-Dizier Environnement notamment peuvent proposer des solutions alternatives.
Qu’ils conçoivent entièrement les bassins, de leur étude de dimensionnement, au choix du type de bassins et son équipement, ou qu’ils proposent des solutions au maitre d’œuvre qui a déjà défini ses besoins, la plupart du temps, ils jetteront leur dévolu sur des bassins en béton. «Cela permet une plus forte adaptabilité», poursuit Jérémy Bonhommeau. Le béton peut être coulé sur place ou préfabriqué en usine, comme le proposent Coprem France, Stradal ou encore Bonna Sabla, et agencé tel un jeu de lego afin d’obtenir la dimension voulue. Le béton peut être protégé par un liner en PEHD (polyéthylène haute densité). Le béton sert aussi bien pour les ouvrages en plein air que pour ceux qui sont enterrés, ce qui est le cas lorsque le bassin-tampon à construire doit être installé en ville ou en zone périurbaine.
A Marseille, en 2020, les équipes de Bonna Sabla ont ainsi réalisé une performance. Fabriquer 50 cadres (section intérieure 2.50×2) pour le bassin de rétention de Sormiou, dont 17 pièces spéciales à l’aide d’une nouvelle machine, la Vibromax. Cet outil de production est capable d’élaborer un volume important d’éléments préfabriqués mais aussi de concevoir des pièces dites «spéciales», des éléments sur-mesure dont l’aspect est adapté à la demande du client. «Avec la Vibromax, le temps de production d’un cadre avoisine les 12 minutes».
Le site de Lamanon qui bénéficie d’un emplacement stratégique en donnant un accès direct à différentes autoroutes (A7, A8, A9) «permet à l’usine de livrer ses produits dans les meilleurs délais sur les chantiers situés dans les grandes agglomérations mais aussi l’Espagne ou l’Italie», indique l’industriel.
QUEL MATERIAU ?
Une autre solution est celle des conduites surdimensionnées comme le propose Tubao avec son système Tubaotec en PEHD. Ce sont des conduites en weholite, un PEHD breveté par la société finlandaise KWH, qui a aujourd’hui fusionné avec sa compatriote Uponor. «L’un des avantages de la gamme Tubaotec en PEHD, c’est la garantie d’un produit certifié par la marque QB spécifiquement pour le stockage des eaux usées. Cette certification, délivrée par le CSTB, couvre des caractéristiques essentielles telles que la durée de vie du système, son étanchéité, ses caractéristiques de résistance mécanique, pour ne citer qu’elles», vante Mathieu Van den Bossche. On peut ainsi installer en sous-sol un bassin de quelques centaines de mètres cube. En Angleterre, l’un d’entre eux peut stocker 10000 mètres cube. Depuis la parution de son Avis Technique en octobre 2020, la solution a su convaincre de nombreuses collectivité pour ses caractéristiques nouvelles, telles que les assemblages soudés permettant d’assurer l’étanchéité à long terme.
Citerneo propose de son côté sa citerne souple Citerneo pour tamponner les effluents. Positionnée en amont d’une station d’épuration, entièrement paramétrable, elle permet de stocker les effluents les plus agressifs et ainsi de limiter les surcharges hydrauliques et le bon fonctionnement de la step.
Enfin, dernier système de conception des bassins-tampons, les cuves en métal comme le propose Apro Industrie, notamment. Ce sont des bassins hors sol qui peuvent contenir de 50 à 25000 mètres cube d’eau, bien que cette valeur maximale n’ait jamais été atteinte. De par leur faible emprise au sol, ils sont adaptés aux zones où le foncier est cher. Le matériau utilisé pour les cuves est adapté en fonction des propriétés du liquide, de l’effluent et de la durée de vie souhaitée de l’installation.
«Tout dépend du process de l’industriel, de la qualité de l’effluent en sortie. Dans l’industrie, en particulier, les pH peuvent être très acides ou alcalins et le bassin tampon permet entre autres une remise à neutralité du pH, pour garantir un traitement optimal par les bactéries dans le bassin biologique en aval, explique Nicolas Martin. Nous proposons de l’acier galvanisé, de l’époxy, de l’acier vitrifié, ou de l’inox. Nos bassins peuvent accepter des pH entre 1 et 14 et de fortes charges en matières organiques en vue de leur traitement. L’inox est le matériau le plus résistant mais aussi le plus coûteux. L’acier vitrifié est une très bonne alternative technico-économique qui a fait ses preuves depuis 40 ans pour ce type d’application et dans le monde entier. Dans les zones maritimes, nous conseillons les aciers revêtus Epoxy ou vitrifiés, qui offrent une résistance optimale aux environnements salins et agressifs. Pour les abattoirs Kermené à Le Mené (Côtes d’Armor), nous avons conseillé de l’acier vitrifié pour deux réservoirs tampon de 2650 m3 chacun de 80 et 150 mètres cube. Idem dans l’industrie pharmaceutique, avec Sanofi dans le Loiret et Mercks en Gironde».
LE BUREAU D’ÉTUDE EST PRESCRIPTEUR
Un schéma directeur réalisé en amont de la mission de maitre d’oeuvre par un bureau d’étude spécialisé, permet de définir les données dimensionnelles du projet. Le MOE réalise alors une étude comparative des solutions techniques qui répondent aux objectifs du projet. À Parthenay (Deux-Sèvres), le syndicat mixte des Eaux de la Gâtine a fait appel à Artelia pour construire quatre bassins-tampons reliés à la Step de 36000 EH.
«En 2014, le schéma-directeur a montré qu’il fallait un bassin pour chaque bassin versant, se souvient Jérôme Thébault, responsable technique du syndicat à Parthenay. À partir de 2016, Artelia nous a alors aidé à les concevoir et les instrumenter, puis a surveillé les travaux effectués par une entreprise de travaux publics jusqu’en 2021 et a suivi la première année de fonctionnement qui s’est terminée en ce début 2022. Depuis, un contrat a été signé avec la Saur qui gère déjà la Step». «Les bassins sont en béton, poursuit Jérémy Bonhommeau. Deux d’entre-deux sont particuliers car ils sont situés dans l’hypercentre de Parthenay, près des remparts historiques. Il a fallu demander l’avis de l’architecte des Bâtiments de France qui a prescrit ces exigences pour l’intégration paysagère des bassins et de leurs émergences.».
L’ensemble a coûté à la collectivité environ 7 millions d’euros. Cela comprend les études, la construction et l’instrumentation nécessaire au bon fonctionnement des ouvrages. Parmi celle-ci, on trouve comme dans nombre de bassins, des systèmes d’aération afin de bien mélanger les eaux et les homogénéiser, mais aussi des instruments de mesures de Ph, de température ou de hauteur d’eau.
RINÇAGE À CLAPETS OU AUGETS ?
Accessoire indispensable aux bassins-tampons, on trouve aussi le système de rinçage des bassins. C’est un système à clapets, qui, quand il s’ouvre, libère une lame d’eau qui jaillit et dont le flux rince complètement le fond du bassin, ce qui évite la formation de boues nauséabondes. D’autres méthodes existent.
Augets, régulateurs de débit, hydroéjecteurs font également partie des dispositifs complets de nettoyage proposés par Aquasys Hydrotechnologie depuis sa création, en 2000. «Dans tout bassin de stockage d’eaux usées ou pluviales, se produit un phénomène naturel de sédimentation, c’est à dire la formation d’un dépôt en fond de bassin de nature boueuse qui risque de sécher s’il n’est pas enlevé immédiatement après la vidange du bassin. Il existe plusieurs procédés permettant d’assurer le nettoyage des bassins : les augets basculants, les clapets de chasse, les hydroejecteurs rotatifs, analyse Jean Louis Bald, dirigeant d’Aquasys Hydrotechnlogie. La technique des augets est couramment utilisée pour le nettoyage des bassins ; elle permet en utilisant l’énergie naturelle de l’eau de créer une vague puissante. Un volume d’eau combiné avec une hauteur de chute, qui glisse sur une pente légère laisse apparaître une surface parfaitement propre ». Après le remplissage du bassin l’eau emprisonnée dans le réservoir reste disponible pour le nettoyage. « Après vidange totale du bassin, le cycle de nettoyage est déclenché par l’ouverture successive des clapets, libérant ainsi un flot de chasse puissant», poursuit-il.
Hydroconcept, propose non seulement ses clapets Hydroself, dont la société distribue ceux fabriqués par Steinhardt, inventeur du procédé, et qu’elle a installé à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), Arcueil (Val-de-Marne) ou Blagnac (Haute-Garonne) mais aussi les augets, comme les 16 que la société a installé à Rosny-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).
«Dans ce cas, ce n’est pas la masse d’eau qui compte mais la vitesse de la lame d’eau qui dépend de la hauteur de chute, déclare Antoine Morin, gérant d’Hydroconcept. Les augets peuvent déverser jusqu’à 2000 litres d’eau par mètre linéaire». Le volume d’eau se déverse le long d’un voile puis sur un glacis de forme arrondie, afin de projeter vers l’avant une lame d’eau qui va chasser les sédiments déposés sur le radier. Ce système fonctionne pour des bassins rectangulaires de maximum 30 mètres de longueur et une pente de 2 à 3%. Les augets, qui se remplissent en même temps que le bassin, n’ont pas besoin d’électricité pour fonctionner contrairement aux clapets, mais ils ne sont pas adaptés aux bassins circulaires.
Dernier système, proposé là encore par Hydroconcept sous le nom de Stormflush, les cloches à vide. L’air est chassé hors du réservoir par une tuyauterie munie d’une électro-vanne. Quand le réservoir est plein, la vanne est fermée. Lorsque le bassin d’orage est entièrement vide, la vanne est ouverte et le réservoir de chasse libère le volume d’eau stockée sous la forme d’une vague de chasse permettant d’emporter les boues déposées sur le radier vers la fosse de récupération. «C’est, pour nous, un système annexe, car il y a des pertes de charges par l’effet de piston dans la conduite». En effet l’écoulement de l’eau descend, tourne et revient vers la piste, ce qui lui fait perdre de l’énergie. De plus apparaissent des microfissures dans le béton. Quand la cuve est en PRV, c’est très difficile de réparer.
LIMITER LES ODEURS
Mais qu’ils soient en lagune géomembrannée, en béton ou en métal, les bassins-tampons ne doivent pas être source de pollution olfactive, en particulier liée aux rejets d’hydrogène sulfuré (H2 S), un gaz, issu de la décomposition de matières organiques. C’est un gaz incolore, mais inflammable, à l’odeur nauséabonde d’œuf pourri, très toxique. La première solution est d’aérer et brasser l’eau, la présence d’oxygène bloquant le processus de fermentation, ce qui réduit les odeurs, mais ne les élimine pas complètement.
Comme elle l’a fait à Cagny (Calvados) pour la société Saint Louis Sucre après des plaintes des habitants d’un nouveau lotissement, Faivre Environnement incite ses clients à s’équiper de système d’aération avant la saison estivale, afin de prévenir de la décomposition des matières organiques, qui se veut amplifiée l’été venu à cause des fortes températures. Fabricant et commercialisant ses propres technologies, l’entreprise Faivre Environnement préconise la mise en place de ses aérateurs de surface à turbine rapide Flopulse et de ses hydro-éjecteurs à turbine déprimogène Hydropulse, afin de prévenir l’apparition d’odeurs nauséabondes. Avec ses équipements, Faivre annonce une diminution de la charge organique de façon conséquente dès la mise en route de ses équipements. Le cas de la Sucrerie Saint Louis Sucre illustrant parfaitement l’efficacité de ses aérateurs.
Le système de nettoyage par jet AWS proposé par Aquasys Hydrotechnologie est un générateur de flux à énergie optimisée agissant automatiquement pour le nettoyage de bassin d’orage et d’ouvrage de stockage. Une pompe puissante avec injecteur permet de produire un mélange air eau permettant la génération d’un jet de nettoyage. « Pour un contrôle efficace du processus de nettoyage le logiciel HST HydroMatic est intégré. Le dispositif de nettoyage par jet AWS rotatif permet un plus grand rayon de nettoyage. Celui-ci donne une bonne efficacité de nettoyage avec une bonne efficience énergétique, il peut également s’adapter à différentes formes de bassin», insiste Jean-Louis Bald. Pour ne pas indisposer les riverains, Ciffa Systèmes a mis au point la gamme Olfacif®, des couvertures fixes ou coulissantes pour les bassins en béton, dont le revêtement dépend des caractéristiques attendues des eaux stockées. La version coulissante assure une diminution des coûts d’exploitation (diminution du volume d’air à traiter, un accès facile et sécurisé aux équipements du bassin tels que la turbine d’aération, les pompes et agitateurs), rappelle le fabricant.
Reste que le dimensionnement de ces bassins d’orage s’appuie sur des algorithmes et des données issues des expériences passées. Les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) s’accordent sur une augmentation des phénomènes extrêmes aussi bien en quantité qu’en puissance.
Comment vont réagir les collectivités territoriales ? Sous l’impact de pluies diluviennes, les bassinstampons existants seront vite débordés. Il va falloir dès à présent penser à augmenter leur volume. Or la pression foncière empêche souvent de bâtir de nouveaux bassins. Reste les systèmes enterrés, perçus comme plus coûteux et plus long à construire. «Le coût d’un ouvrage aérien peut sembler moins onéreux à l’installation, rappelle Mathieu Van den Bossche. Mais sa durée de vie est plus courte. Pré-montés en usine, nous pouvons installés 1000m3 en moins de 3h». Qui dit mieux? Les territoires auront-ils les moyens d’investir ?