De toute évidence, la crise du Covid-19 montre l’importance des services d’eau et d’assainissement et des professionnels de la filière qui les opèrent. Elle reflète aussi l’inévitable mise à niveau des petites usines d’épuration et le renforcement nécessaire des collaborations public-privé. Tristan Mathieu, délégué général de la FP2E répond à nos questions.
L’eau,
l’industrie, les nuisances :
Dans un
avis relatif à l’épandage des boues publié le 27 mars 2020,
l’ANSES recommande de ne pas épandre les boues non hygiénisées. Quelles
seront, concrètement, les conséquences de cette recommandation sur la filière
épandage des boues ? Quelles sont les alternatives pour les exploitants
qui recourent à cette filière ?
Tristan
Mathieu :
L’avis de l’ANSES du 27 mars 2020
précise en effet que, le temps de la crise sanitaire, on ne peut épandre que
les boues hygiénisées. Cette mesure apporte donc toute sécurité aux
collectivités locales et aux opérateurs qui ont fait le choix d’une montée en
gamme de la gestion de leurs boues d’épuration.
Pour
les autres, il faudra trouver des alternatives, qui peuvent être complexes à
mettre en œuvre et qui sont de deux ordres :
·
Soit
leurs boues sont acheminées vers d’autres stations d’épuration équipées pour
l’hygiénisation. Cela nécessite des accords locaux entre collectivités, sous
l’égide des préfets, pour transporter et faire admettre les boues dans les
stations concernées.
·
Soit
investir rapidement dans des équipements permettant de mettre au niveau requis
leur traitement des boues. À ce titre, les acteurs attendent des Agences de
l’eau qu’elles aident à ces investissements.
Par ailleurs, le compost répond à un process d’hygiénisation, mais cela nécessite en amont que le gisement de déchets verts soit conséquent pour pouvoir en assurer la production.
EIN : Quelle
part représente les boues hygiénisées dans les boues d’épuration
urbaine ?
T.M : Les
boues hygiénisées et le compost représentent plus de 40% de la filière boue,
mais cela reste très variable et nombre de petites usines d’épuration
produisent encore des boues liquides.
EIN : De quelles
informations fiables dispose-t-on aujourd’hui sur une éventuelle présence
du virus agent de la maladie Covid-19 dans les eaux usées ?
T.M : Ce dont nous sommes certains, c’est que l’eau
potable est parfaitement sûre et ne présente aucun risque de contamination au
covid-19. On ne peut donc qu’encourager à la consommer, pour la boisson, pour
l’hygiène corporelle et pour se laver les mains, geste barrière contre le
virus.
En
ce qui concerne les eaux usées, par référence à d’autres virus, on ne peut pas
exclure la présence du covid-19 dans les aérosols des bassins d’épuration, ni
dans certaines boues. C’est donc un point de vigilance essentiel pour la santé
et la sécurité de nos salariés sur lesquelles nous nous sommes mobilisés dès le
début de la crise en lien avec le ministère de l’Ecologie et la Direction
Générale des entreprises à Bercy.
Cette crise montre toute l’importance des services d’eau et d’assainissement, plus essentiels que jamais, et des professionnels de la filière qui les opèrent.
EIN : Trois-quarts
des interventions de terrain concernent le débouchage de canalisations d’eaux
usées à cause des lingettes. Comment pensez-vous convaincre la grande
distribution et/ou le citoyen d’afficher un engagement fort au regard de la problématique
des lingettes ?
T.M : Il y a plus d’un an, à l’occasion de la
campagne « no FLUSHABLE », la FP2E s’est mobilisée pour sensibiliser
au niveau français et international, sur le réel danger que présente le fait de
jeter des lingettes dans les toilettes et donc dans les réseaux d’eaux usées.
Aussi,
alors que la crise actuelle impose aux opérateurs de se concentrer en premier
lieu sur les services essentiels d’eau et d’assainissement, cet enjeu revêt
toute son importance. Les lingettes perturbent le bon fonctionnement des
réseaux et le dégrillage dans les stations d’épuration. Il est primordial
qu’elles soient jetées dans la poubelle et le CIeau a justement alerté sur ce
sujet fin mars.
C’est avant tout un
problème de pédagogie et de comportement individuel. J’en appelle surtout aux citoyens
pour qu’ils jettent les lingettes dans la poubelle, uniquement.
EIN : En
limitant les interventions des agents aux activités essentielles, et en
prolongeant le confinement, pendant combien de temps les opérations de
maintenance pourront-elles raisonnablement être évitées ?
T.M : Toutes nos entreprises ont déclenché leurs
plans de continuité d’activité, afin de pouvoir gérer les services publics
d’eau et d’assainissement dont elles ont la charge, dans la durée, aussi
longtemps que la crise se poursuivra.
À
ce stade, la crise actuelle valide ces organisations de crise, notamment la
mutualisation de nos fonctions « support » entre les différents services d’eau
dont les collectivités nous ont confié la gestion. Il s’agit pour nous
d’assurer la continuité des services sur les activités essentielles : fournir
de l’eau potable 24h/24 7 jours sur 7 et épurer les eaux usées.
Les tâches reportées sont celles qui ne revêtent aucun caractère d’urgence. C’est le cas des relevés de compteurs manuels qui seront effectués plus tard, ou du reporting aux autorités organisatrices dont nous comptons sur la bienveillance, ainsi que sur celle de l’Etat et de ses établissements publics. Les contrôles de conformité de l’eau potable en revanche continuent à être effectués à la même fréquence qu’avant.
EIN : Qu’en est-il des coupures d’eau dans
les DOM-TOM ?
T.M : La situation des services d’eau et d’assainissement dans les DOM-TOM est très variable d’un endroit à l’autre. Mais là où nos entreprises opèrent, nous nous attachons à assurer un service équivalent à celui qui présidait avant la crise, en veillant particulièrement à assurer les approvisionnements en matériaux et équipements indispensables à la continuité de nos activités. Nous sommes en lien direct avec le Ministère de l’Ecologie sur ce point précis.
EIN : Bien qu’il soit encore un peu tôt pour
tirer tous les enseignements de cette crise, qu’est-ce que le Covid-19 pourrait
changer, pour vous, dans la manière d’exploiter les infrastructures de gestion
de l’eau : usine de production d’eau potable, station d’épuration ?
T.M : Il est clair que la situation actuelle nous aide à valider nos systèmes de gestion de crise, à nous habituer à les faire fonctionner et à les optimiser, en France et à l’international.
En ce qui concerne les services d’eau et d’assainissement, la crise soulève la question de la sécurisation de la filière boues pour les services les moins avancés. Ils devront rapidement réfléchir pour accroître leurs performances.
D’une manière générale, notre attention permanente à la sécurité de nos salariés amènera à se réinterroger, au-delà des services publics d’eau et d’assainissement, sur les approvisionnements en équipements de protection individuelle des personnels intervenant sur le terrain afin d’en assurer la fourniture en cas de crise mondiale. Il est probable que nous allions vers une relocalisation de certaines productions et vers une reconnaissance encore plus forte de la valeur de l’intervention de l’entreprise au sein des services publics sous l’organisation des collectivités locales. Là aussi nous travaillerons en bonne intelligence avec l’ensemble de notre filière et au-delà.
Pascale Meeschaert