Le marché des analyseurs en ligne progresse, mais des freins existent encore pour que toutes les collectivités et les industriels en soient équipés. Le regroupement des petites collectivités au sein d’unités de tailles plus importantes pourrait cependant changer la donne assez rapidement.
Qu’est-ce qui freine le marché des analyseurs en ligne alors même que de nombreux éléments concourent à leur supériorité face aux analyses ponctuelles ? En 2014, L’Eau, l’Industrie, les Nuisances s’était déjà penchée sur la question (n° 373). Des éléments de réponse technologiques et réglementaires avaient été avancés. Trois ans plus tard, le problème n’est qu’en partie résolu.
Pour l’eau potable, « si les gros opérateurs ont pris le pas, les petites collectivités n’en éprouvent pas encore le besoin », indique Guillaume Schneider, chez Swan. Tout dépend de la culture des responsables. Un technicien plus sensible qu’un autre aux avancées technologiques préfèrera la surveillance en continu et automatique de ses eaux, qu’elles soient potables, usées ou industrielles. Et ce n’est pas systématiquement la taille de l’exploitation ou de l’ouvrage qui compte mais l’existence ou non de process après l’analyse. Les grosses collectivités mettent en place différents étages de traitements de l’eau, ce qui n’est pas forcément le cas des petites. « Elles ont tendance à ne s’équiper que suite à la survenance d’un problème », analyse Guillaume Schneider. Ce qui arrive de plus en plus fréquemment, la qualité de la ressource ayant tendance à se dégrader.
Certaines évolutions récentes pourraient cependant doper le marché. Pierre Guillou, Chef Produits Analyseurs en ligne et Process chez Metrohm, cite par exemple les nouveaux contrats établis sur des dizaines d’années par des distributeurs tels que Veolia ou Suez, établis sur la base de la qualité d’eau et non sur les volumes. Ceci pour répondre aux exigences nouvelles telle que la limitation des consommations énergétiques. Le montant des dépenses supplémentaires engendrées en moyenne chaque année par l’excès de calcaire dans un foyer consommant 120 m³ d’eau avoisine les 150 €. Des pénalités de plusieurs dizaines de milliers d’euros sont prévues en cas de dépassement des limites, incitant l’exploitant à s’équiper.
Des analyses plus rapides et plus simples
Un des arguments de l’époque était la présence nécessaire de réactifs pour analyser de nombreux paramètres. A quoi bon des analyses en ligne quand il faut régulièrement intervenir pour changer les réactifs ? Si l’argument demeure, il perd de sa pertinence. L’optique tend à remplacer la chimie en ce qui concerne les paramètres physico-chimiques ou organiques. Les sondes fonctionnant par spectrométrie UV permettent de s’affranchir des réactifs et des solutions étalons, réduisant la maintenance et les coûts d’exploitation. Tethys Instruments a par exemple développé des sondes fondées sur ce principe pour les paramètres physico-chimiques et les paramètres organiques les plus importants (DCO, NO3, NH4, PAH, H2S). Aqua-MS tout comme ndata avec sa gamme HydroPro ou nke Instrumentation avec Sambat proposent également une large gamme de sondes permettant de mesurer directement le milieu à contrôler sans prélèvement ni filtration. Les sondes s::can Spectro::lyser et i::scan permettent la mesure de plusieurs paramètres sur une même sonde, par exemple les organiques et la turbidité. Chez Aqualabo Analyse, la Tripod (Ponsel) permet de mesurer en simultanée jusqu’à 8 paramètres. Datalink Instruments a développé la sonde immergée Odysséo qui permet la mesure simultanée par absorbance UV des paramètres DCO, NO3, NH4, PAH, H2S). Aqua-MS tout comme ndata avec sa gamme HydroPro ou nke Instrumentation avec Sambat proposent également une large gamme de sondes permettant de mesurer directement le milieu à contrôler sans prélèvement ni filtration. Les sondes s::can Spectro::lyser et i::scan permettent la mesure de plusieurs paramètres sur une même sonde, par exemple les organiques et la turbidité. Chez Aqualabo Analyse, la Tripod (Ponsel) permet de mesurer en simultanée jusqu’à 8 paramètres. Datalink Instruments a développé la sonde immergée Odysséo qui permet la mesure simultanée par absorbance UV des paramètres DCO, NO3, Couleur et TSS. Cette entreprise propose également des analyseurs à cellule à passage entièrement autonomes pour de nombreux paramètres : DCO, UV254, NO3, Cr6, NH4, Sulfures, PAH, Chlorophylle, PO4, Zn, Al, Fe, Ni, TAC, Fluorures…
Côté analyseurs, les mesures de turbidité, par exemple, se font bien souvent par néphélométrie optique ou acoustique. Selon la norme ISO 7027, cette technique est basée sur la mesure de la diffusion de la lumière induite par la présence de micro-particules dans l’eau. Cet échantillon représente un système homogène où les ondes qui le traversent sont seulement atténuées, tandis qu’un échantillon d’eau turbide comprenant des substances non dissoutes et des particules insolubles, entraîne une diffusion irrégulière de l’onde dans toutes les directions. Pour obtenir la valeur de turbidité de l’échantillon, l’onde diffusée est mesurée à un angle de 90º. La source peut être de la lumière. Elle est blanche comme pour le CUE22 d’Endress+Hauser, l’Ami Turbiwell ou W/LED de Swan ou encore le TU5400 de Hach, qui fonctionne par laser. Elle peut-être aussi proche de l’infrarouge (860 nm), comme l’Ultraturb plus sc de Hach, le Turbiggo de Datalink Instruments, le nouveau CUS52D d’Endress+Hauser, ou l’AMI Turbiwell 7027 de Swan. L’avantage est que pratiquement aucune substance ne présente un effet d’absorption dans cette plage de longueur d’ondes, ce qui signifie que la couleur de l’échantillon n’a qu’une influence très faible sur le signal.
En mesure de voile de boue, une autre technique comparable consiste à envoyer des ondes acoustiques, en l’occurrence des ultrasons. C’est le cas du Sonatax Sc de Hach, du Turbimax CUS71D d’Endress+Hauser ou de l’AS3 d’Anael. Dans ce cas, un cristal piezzo-électrique émet un train d’ondes ultrasonique vers le liquide qui va réfléchir des ondes haute fréquence vers le capteur. En ce qui concerne l’oxygène, la technique est la mesure optique de luminescence. Plus de membrane, pas d’étalonnage, pas d’électrolyte. Ce qui permet d’augmenter la fiabilité de l’analyseur. Hach garantit ainsi 36 mois sa sonde LDO sc. Le carbone organique total est quant à lui mesuré par infrarouge soit après oxydation (BIOTECTOR B7000), soit après digestion chimique humide (Toctax). Mais sa teneur peut aussi être obtenue à chaud avec catalyseur par détection infrarouge, ce que fait le CA72TOC d’Endress-Hauser. Pour mesurer la charge microbienne dans les eaux pures pharmaceutiques, plutôt que la traditionnelle boîte de Petri dans laquelle l’élevage de bactéries prend du temps, Mettler-Toledo a opté pour la fluorescence à 405 nm pour son nouvel analyseur 7000 RMS.
Le marché français pénalisé par sa réglementation
Pour Pierre Guillou, Metrohm, « la décision d’investissement dans un automate chimique est à la frontière entre le laboratoire ou le service qualité, garant de tous les aspects métrologiques (précision/répéta/étalonnage), la production, qui cherche à donner de l’autonomie à ces opérateurs avec des outils de mesure simples et robustes, et bien sûr la finance, qui regarde le CAPEX et le ROI. Un bon analyseur sera celui qui se tient sur le point d’équilibre entre ces trois départements ».
Mais c’est l’absence de réglementation qui pénalise en priorité le marché. « En Allemagne, les analyseurs en ligne assurent le contrôle qualité normalisé des eaux municipales. En sortie de station d’épuration, l’analyse de l’ammonium et du phosphate participe à l’autosurveillance. En France, seules les analyses en laboratoire font foi. Ça n’incite pas à s’équiper », reconnaît Jean-Pierre Molinier chez Hach. En effet, aucune analyse en ligne de l’eau potable n’est obligatoire en France, sur aucun paramètre. L’arrêté du 21 janvier 2010 modifiant l’arrêté du 11 janvier 2007, relatif au programme de prélèvements et d’analyses du contrôle sanitaire pour les eaux fournies par un réseau de distribution, fixe la fréquence minimale d’analyse : 1 fois par mois pour la ressource, 12 fois par mois pour les points de distribution, 1 fois par jour au robinet pour les villes de moins de 500.000 habitants et 2 à 3 fois par jour pour les villes de plus de 625.000 habitants. Le COT doit être mesuré pour les villes de plus de 5.000 habitants mais uniquement au point de distribution et seulement 12 fois par mois. Pour les eaux usées, l’arrêté du 22 juin 2007 précise que le débit, les matières en suspension (MES), la demande biologique en oxygène sur 5 jours (DBO5), la demande chimique en oxygène (DCO), l’azote total (NTK), l’ammonium (NH), l’oxyde d’azote (NO), le phosphore total (PT) et les boues doivent être analysées au moins 1 fois par jour.
Mais là encore, aucun suivi en continu n’est obligatoire. Pourtant, l’analyse du chlore en continu dans les unités de production d’eau potable, par exemple, est tout à fait essentielle. Or, dans certaines configurations, la concentration peut varier fortement. « Si une future réglementation requiert une analyse toutes les heures, il est clair que seuls les analyseurs en ligne parviendront à satisfaire cette exigence », espère Aurélia Genet, chez Endress+Hauser. La majorité des constructeurs pousse donc à un changement de règles que seule une nouvelle réglementation peut influencer.
Les eaux industrielles sont plus sujettes à des mesures fines qui favorisent l’analyse en ligne. Dans les industries pharmaceutiques dans lesquelles la qualité de l’eau purifiée ou pour préparation injectable (PPI) doit être irréprochable à tout moment, une initiative américaine, le Process automation technology (PAT), initié par la FDA (Food en Drug Administration) encourage les industriels a bien analyser les process afin de prévenir toute dégradation de la qualité de l’eau. « Cela revient à rendre quasiment obligatoire l’analyse en ligne pour les entreprises qui visent le marché américain », reconnaît Monique Eschenbrenner, chez Mettler-Toledo Analyse Industrielle.
Pour satisfaire la maîtrise métrologique, Metrohm Process Analytics propose à ces clients de reprendre les dosages et méthodes développées parfois sur plusieurs années au sein du Laboratoire, à l’identique sur l’analyseur Process. Et cela par simple transfert sur clef USB de la méthode (par ex : TIAMO). Metrohm propose également à ces clients un processus d’auto-évaluation périodique de l’ensemble de la chaîne de mesure et de la concentration réelle de la solution de titrage, par auto-évaluation du titre exact de la solution utilisée pour le dosage primaire.
Configuration et maintenance s’allègent progressivement
La tendance générale chez les fabricants tels que AMS Alliance, Metrohm, Seres Environnement, Mesureo, Datalink, Knick, Horiba, TMR, Eletta ou encore Bionef est à un allégement significatif de la maintenance. Nombre de constructeurs ont par exemple trouvé des solutions pour diminuer les risques de corrosion ou d’encrassage (voir n° 373), d’autre part, le délai entre deux maintenances s’est considérablement allongé du fait de la non-nécessité de réétalonnage continuel. Mettler Toledo a par exemple développé des sondes numériques intelligentes capables de tirer un enseignement des procédés et de s’y adapter (les connaissances acquises sont transmises d’une sonde à l’autre) pour fournir des informations de diagnostic d’une précision optimale. Elles permettent ainsi de savoir à l’avance à quel moment précis il faudra les remplacer ou les étalonner et stockent les données afin de ne jamais perdre en traçabilité. Chez Hach, la sonde AN-ISE sc pour ammonium et nitrate est dotée d’un système d’autodiagnostic évolué, qui surveille en permanence la cohérence des signaux du capteur et la fiabilité des résultats. Leur technologie permet de connecter le photomètre de laboratoire au transmetteur SC et à la sonde AN-ISE sc. On obtient alors une comparaison directe entre le résultat en laboratoire et le résultat du procédé. La sonde de process est réétalonnée directement par le photomètre de laboratoire.
Chez Hach le système Prognosys, basé sur la plate-forme SC1000, permet de planifier les opérations de maintenance préventive et éviter les imprévus. L’indicateur de mesure surveille les composants de l’instrument. Les informations collectées servent à déterminer les besoins en termes de maintenance de l’équipement et à prévenir l’utilisateur avant que les mesures ne perdent en fiabilité.
WTW a développé de son côté un système de préparation d’échantillons baptisé PurCon® pour les analyses en ligne les plus fréquentes, pratiquées lors de l’étape de nettoyage biologique des stations d’épuration. Ce nouveau système demande peu d’entretien. Contrairement aux techniques de préparation basées sur la sédimentation, il fournit un débit continu de perméat.
Chez Endress+Hauser, la technologie numérique Memosens permet depuis 10 ans de supprimer les problèmes de corrosion et de réduire significativement la maintenance des capteurs. C’est grâce à ses nombreuses innovations qu’Endress+Hauser a été reconnu comme le meilleur fournisseur d’instrumentation pour l’analyse des liquides par Frost & Sullivan en 2016. La mesure colorimétrique en ligne fournit des résultats comparables aux mesures de laboratoire tout en délivrant des valeurs en continu. Ainsi, une charge en ammonium peut très rapidement être détectée en entrée d’usine de production d’eau potable, tandis qu’une mesure des orthophosphates sur un bassin biologique permet de réguler en temps réel l’injection des floculants nécessaires à leur élimination. Le Liquiline System CA80AM permet une mesure précise de l’ammonium dans les points de contrôle critiques. Il permet le plug & play et la transformation simple en une station de mesure, ce qui facilite l’installation. L’étalonnage et le nettoyage automatiques ainsi que la faible consommation de réactifs réduisent les frais d’exploitation et de maintenance.
Chez Burkert, le type 8905 permet le suivi en ligne de nombreux paramètres en combinant différents capteurs de mesure sur une plateforme modulaire utilisant les nanotechnologies (MEMS) qui permet de gérer à la fois la fluidique et l’électronique (cf. encadré). La connexion et déconnexion de la plateforme peut se faire à tout moment sans arrêter la circulation du fluide ou la connexion électrique. Le système de connexion est identique quels que soient les paramètres mesurés. Chaque capteur appelé “Cube de mesure”, permet en plus de la mesure, la sauvegarde, le renvoi d’information d’état, de paramétrage et de maintenance. Tous les cubes sont interconnectés entre eux et communiquent très rapidement avec l’interface électronique “mère” dans un langage de type numérique appelé BÜS (BUS interne Bürkert).
Le coût : un frein qui pourrait bien disparaître
Reste un frein important, le coût jugé relativement élevé des analyseurs en ligne.
Certains constructeurs proposent cependant des solutions pré-montées sur platines modulaires, ce qui permet d’optimiser les coûts. Comme Swan ou Waltron, Endress+Hauser propose ainsi des panneaux intégrant tous les paramètres d’analyse physico-chimique disponibles en technologie Memosens raccordés au transmetteur multiparamètre Liquiline : pH/redox, conductivité, turbidité, oxygène dissous, chlore, ammonium, nitrates et Coefficient d’Absorption Spectrale (matière organique dissoute) et des analyseurs colorimétriques (manganèse, fer, aluminium).
Mais un analyseur de COT, par exemple, reste assez onéreux (environ 10.000 euros), ce qui freine encore la progression de ce marché. « Nous n’en vendons que 10 par an, alors que le nombre de ventes se situe autour de 200 pour les analyses de turbidité et de 400 pour le chlore », reconnaît Guillaume Schneider chez Swan. Pourtant, quand on compare ce coût à celui d’une seule analyse d’échantillon en laboratoire (entre 50 et 100 euros), le retour sur investissement s’avère assez rapide.
Pour satisfaire le contrôle des coûts, Metrohm Process Analytics propose à ces clients des instruments multivoies et multi-paramètres, tel que l’Analyseur 2035 pour l’analyse des ortho phosphates et du phosphore total en ligne selon la norme NF EN ISO 6878. Metrohm propose également des instruments en version “at-line” à placer dans un environnement industriel, c’est-à-dire capables de résister aux environnements corrosifs, chauds, humides, poussiéreux, ou explosifs. « Une version at-line, cela signifie que l’instrument process analyse immédiatement des échantillons prélevés manuellement qui sont placés à proximité de l’analyseur sur un passeur, explique Pierre Guillou. N’ayant plus besoin de faire circuler les échantillons au travers de dizaines de mètres de lignes, cela limite les coûts associés ».
Face au dilemme efficacité versus coûts, les petites collectivités sont partagées. Elles ne disposent pas forcément de gros moyens mais reconnaissent que l’analyse en continu permet de faire des économies substantielles. Par exemple au niveau des dépenses salariales, car l’analyse en ligne évite l’envoi d’agents sur place pour vérifier teneurs et concentrations. « Chez Solvay, le service analyseurs comptait 20 personnes il y a 10 ans. Il est réduit à deux aujourd’hui », souligne Guillaume Schneider chez Swan.
Néanmoins, la qualification des employés n’est pas la même. L’investissement dans un système d’analyse en ligne nécessite des formations aussi bien lors de la mise en route que pour le suivi de l’étalonnage, des mesures et de la maintenance des instruments. « Les petites collectivités n’en ont pas toujours les moyens, regrette Aurélia Genet. In fine, ce sont les consommateurs qui décident. Dans certains villages, lorsque les consommateurs se plaignent d’une eau trouble, la municipalité peut subir une pression pour installer des capteurs en ligne. Pression d’autant plus forte en période électorale ». Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la loi NOTRe qui incite au regroupement des petites collectivités au sein d’unités de tailles plus importantes, pourrait bien changer rapidement la donne et donc les pratiques…