Les débitmètres électromagnétiques occupent une place quasi indétrônable dans le secteur de l’eau. Ils sont fiables et précis, en plus d’être économiques, et fonctionnent même sur les effluents chargés. Mais, une fois prise la décision d’acheter un tel appareil, sur quels critères s’appuyer pour choisir le modèle ? Passage en revue des principales questions à se poser.
Sectorisation de réseaux, recherche de fuites, anticipation des variations de charges, contrôle du remplissage des bassins… La gestion de l’eau implique d’investir dans de nombreux débitmètres. Ils reposent sur des principes de mesure très différents, mais ce sont les modèles électromagnétiques qui sont les plus répandus. Il faut dire que, depuis leur lancement dans les années 1950, ils ont eu le temps de faire leurs preuves. Le principe ? Générer un champ magnétique sur une section de canalisation, puis mesurer la tension qui y est produite au passage du fluide. L’appareil déduit la vitesse d’écoulement, directement proportionnelle à la tension mesurée, puis la multiplie par la surface d’eau en déplacement, c’est-à-dire par la section interne du tuyau, pour donner le débit.
De nombreux acteurs du marché proposent une large gamme de modèles parmi lesquels ABB, Bürkert, Cometec, Endress+Hauser, Engineering Mesures, Fuji Electric, Flow Lab, Isma, Krohne, Tecfluid, Yokogawa, Kobold, Sika France ou encore GE Sensing…. Comment choisir ?
Pourquoi électromagnétique ?
D’abord, il faut se demander si c’est bien d’un débitmètre électromagnétique dont on a besoin. En effet, cette technologie ne s’applique, le plus souvent, qu’aux conduites fermées et aux fluides conducteurs. Des modèles, comme les Promag d’Endress+Hauser, parviennent néanmoins à s’accommoder d’une très faible conductivité (jusqu’à 5 µs). Il n’y a que les huiles et les eaux très déminéralisées qui restent hors de leur portée.
Dans la majorité des cas, les débitmètres électromagnétiques sont ceux qui présentent le meilleur rapport performance/prix. Peu coûteux à l’achat, ils sont très précis, les modèles les plus récents atteignant même une précision de 0,2 %. Ils sont peu influencés par la présence de dépôts de tartre dans les tuyaux ou de particules en suspension dès lors qu’elles ne sont pas trop importantes, ni par la densité ou la viscosité du liquide. Leurs sondes, plaquées contre la paroi, ne gênent pas l’écoulement donc ne créent pas de pertes de charges. Et, comme ces appareils ne comportent pas d’éléments mobiles, ils ne s’usent pas. Seule l’électronique doit être modernisée de temps en temps, via un simple changement de la carte mère.
À bride ou à insertion ?
La plupart des modèles sont à bride, c’est-à-dire qu’ils se montent en ligne sur le circuit. Cela ne pose pas de problème particulier si leur présence est anticipée dès la conception des plans de l’usine. En revanche, leur installation peut être coûteuse s’il faut leur créer une place en coupant des canalisations. Dans des secteurs sensibles, comme le nucléaire, les exploitants préfèrent opter pour des appareils à ultrasons, non intrusifs, quitte à perdre un peu en précision (Voir EIN n° 405).
En l’absence de risque explosif, chimique ou d’incendie, ce qui est le cas sur les réseaux d’eau, il existe une alternative : les débitmètres électromagnétiques à insertion proposés par Bürkert avec son 8045, Tecfluid avec sa série Flomat, Hydreka avec HYdrINS2 ou Cometec avec Flo-Pipe. Ces derniers n’ont pas à corriger les déformations de signal induites par des parois complexes (de type Bonna, par exemple). Et, plutôt que de sectionner le tuyau, ils ne nécessitent que le perçage de trous pour l’introduction des électrodes. Une opération qui peut se faire en charge, sans arrêter les process, mais qui nécessite de la minutie : une erreur d’un millimètre dans le positionnement des sondes peut impacter la précision de la mesure. En particulier sur les petits diamètres, pour lesquels il est plus avisé de prendre des modèles à brides, dont les sondes, déjà positionnées, ont pu être testées sur bancs d’étalonnage. En revanche, « plus le diamètre augmente, plus l’achat et l’installation d’un débitmètre à bride coûtent cher. Au-delà de DN 500, les modèles à insertion, dont le prix ne dépend pas de la taille, deviennent plus intéressants économiquement, mais ils perdent en précision au-delà de DN 2000 ou 3000. Il vaut mieux, alors, passer aux ultrasons », conseille Mohamed Nafa, responsable commercial chez Engineering Mesures, distributeur de chaînes complètes de mesures.
Quel diamètre ?
En général, les exploitants prennent un débitmètre de même diamètre que celui de la canalisation. Pour certaines applications, il peut cependant être intéressant de choisir plus étroit. La recherche de fuites, par exemple, se fait de nuit, quand tous les robinets sont fermés et que le moindre écoulement peut être synonyme de fuite. Mais, pour les repérer, il faut être équipé d’instruments capables d’“entendre” un flux de l’ordre de 0,01 m/s. « C’est possible en réduisant le diamètre au niveau du point de mesure, explique Damien Jacquier, responsable de la division Eau chez Krohne. Cela permet d’accélérer la vitesse du liquide, donc d’améliorer la précision de la mesure sur les faibles débits, que nous cherchons justement à mesurer lors de la mise en place d’une sectorisation ». En revanche, cela demande d’installer en amont et en aval de l’appareil des cônes de convergence et de divergence, qui resserrent et desserrent la section de passage en douceur, pour ne pas perturber le flux et créer des risques d’erreur. Comme la pente de ces cônes ne doit pas dépasser 4°, il faut parfois disposer d’une très grande longueur droite sur le circuit de part et d’autre de l’appareil.
Des mesures sans longueur droite ?
Cette question de la distance amont aval est cruciale dans le domaine de l’eau. Même sans système de convergence/divergence autour du débitmètre, la réglementation impose qu’il n’y ait pas de bifurcation ni d’obstacle sur la canalisation sur une distance de cinq fois le diamètre du tuyau (5xDN) en amont de l’appareil, et de 3xDN en aval. Face à la réalité du terrain, les fabricants ont néanmoins conçu des modèles qui arrivent à être précis même là où il n’y a pas de telles configurations. C’est le cas, par exemple du Waterflux de Krohne et des Promag 10W et Promag W400 de 50 à 300 mm de diamètre chez Endress+Hauser. Depuis octobre 2017, ils bénéficient de l’option “0xDN”, qui leur permet d’être collés à une vanne, un coude ou un embranchement en T, tout en ayant l’agrément MID MI-001 pour les transactions commerciales.
Conduites pleines ou partiellement remplies ?
Au niveau des prélèvements d’eau dans le milieu naturel ou à l’entrée des réseaux d’assainissement, les canalisations sont dimensionnées de manière à pouvoir absorber des afflux d’eau exceptionnels. Elles ne sont donc pas toujours remplies, ce qui pose problème pour les débitmètres électromagnétiques standards, qui calculent le débit sur la base d’une section mouillée pleine. Il faut donc choisir des modèles spécifiques, comme le FXP4000 (PARTI-MAG II) d’ABB. « Le Tidalflux par exemple, annonce Damien Jacquier, chez Krohne. Une plaque capacitive intégrée derrière le revêtement de cet appareil mesure la hauteur du liquide en même temps que sa vitesse. Il peut ainsi calculer la section réellement mouillée, donc indiquer le débit avec exactitude, quel que soit la charge de la conduite ».
Une sortie en 4-20 mA suffit-elle ?
Il faut aussi se demander de quel type de signal on souhaite disposer, et sous quelle forme on veut le recevoir. Les systèmes de communication sans fil ont le vent en poupe : Wifi, Bluetooth, GSM… Ils évitent, en permettant une configuration à distance puis en envoyant directement les données mesurées par mail ou SMS, de se déplacer, ce qui réduit les coûts de mise en service et d’exploitation. Ces options sont aussi très utiles en cas d’appareil difficile à atteindre, enterrés ou placés en hauteur.
Concernant le type de signal envoyé, la plupart des modèles ont une sortie analogique, de type 4-20 mA, qui ne fournit que l’information sur le débit. Mais de plus en plus d’appareils sont proposés avec un protocole de nouvelle génération, de type Modbus ou 4-20 Hart®. C’est le cas par exemple du WaterMaster d’ABB ou du ModMag de Badger Meter : « cet appareil peut envoyer à l’exploitant plusieurs mesures en même temps : débit, mais aussi pression, température et/ou conductivité, explique Mohamed Nafa, chez Engineering Mesures. Il coûte deux fois plus cher que l’Arkon Mag X2 qui fonctionne en 4-20 mA mais présente la même précision de mesure. Avant de céder au 4-20 Hart®, il faut se demander si on en a vraiment besoin. Ce protocole est intéressant si l’on est dans une démarche de maintenance préventive, donc si on a le budget pour acheter à la fois un appareil de dernière génération et prendre les options qui le rendent utile, à savoir d’autres capteurs ou un système d’autodiagnostic. Sans compter que la salle de commande doit être équipée pour recevoir ce type de signal ».
Vers une maintenance préventive ?
L’évolution vers une maintenance préventive des réseaux d’eau en est encore à ses balbutiements, mais elle se profile à travers plusieurs innovations. Tout d’abord, avec des appareils 2 ou 3-en1. Depuis quelques mois, le modèle autonome et sans fil Waterflux de Krohne intègre ainsi des capteurs de pression et de température en plus de ses électrodes de mesure du débit. Un peu plus cher à l’achat que trois instruments distincts, il évite d’avoir à installer et câbler plusieurs appareils dans des sites difficiles d’accès. Surtout, cela permet d’alerter l’exploitant en cas de chute de pression, qui peut être synonyme de rupture de canalisation, ou en cas de baisse importante de température, susceptible de conduire au gel et à la dégradation des tuyaux. Du côté de ses débitmètres fixes, Krohne propose par ailleurs d’ajouter à la mesure de débit une mesure de conductivité.
Même chose chez Endress+Hauser, qui intègre désormais cette fonction à ses débitmètres : « cela sert d’indicateur de qualité, indique Sébastien Brossard, chef de produit débitmètres chez Endress+Hauser. En temps normal, cette valeur est stable. Si elle varie, c’est qu’il y a un problème. Par exemple, une pollution au niveau du site de pompage de l’eau, ou une remontée d’eau de mer dans des stations d’épuration situées sur le littoral. Alerté, l’exploitant peut intervenir avant qu’il ne soit trop tard, et éviter les dégâts en fermant vite les vannes ».
Autre nouveauté, pour faciliter encore davantage la maintenance préventive : l’introduction de systèmes d’autodiagnostics via un web server intégré à l’appareil. Tous les constructeurs s’en équipent. Ainsi, Endress+Hauser propose systématiquement en option son outil Heartbeat Technology.
Celui-ci est capable de réaliser une vérification de bon fonctionnement de l’appareil, sans qu’il soit nécessaire d’utiliser du matériel supplémentaire et de faire appel à un technicien, et il avertit l’exploitant en cas de problème. Cette autosurveillance peut donner lieu à un certificat de bon fonctionnement reconnu par les agences de l’eau. « Nous développons par ailleurs des solutions digitales capables de regrouper les données d’instruments de mesure et de les intégrer, pour une vision globale et dynamique. Elles visent à améliorer la gestion des équipements et, en rendant l’information accessible à distance, sur supports mobiles, à faire de la maintenance prédictive », ajoute Sébastien Brossard. L’ère de la Smart instrumentation commence.