Pour s’adapter rapidement en cas de pollution d’une masse d’eau, les exploitants d’usines d’eau potable, responsables de baignade, chefs de chantiers ou autres acteurs doivent être prévenus en temps réel. C’est le rôle des stations d’alertes et bouées de surveillance.
Des évènements ponctuels orage, bloom algal, déversement accidentel de polluants,
chute de feuilles mortes, vidange de barrage … peuvent altérer brusquement
la qualité d’une masse d’eau et affecter
les activités qui en dépendent. Les responsables doivent donc être alertés en
temps réel pour prendre les mesures
appropriées: interrompre le captage ou
modifier le traitement dans une usine
de potabilisation, interdire la baignade,
suspendre la récolte de coquillages ou
poissons d’élevage, etc. Des activités
temporaires, comme par exemple les
chantiers de travaux publics à proximité
de masses d’eau, sont également tenues
de surveiller en temps réel leur impact
sur le milieu aquatique. Pour tout cela,
il existe des installations particulières :
les stations d’alerte, qu’elles soient installées sur berge, sur des plateformes
ou sur des bouées.
C’est le domaine des fournisseurs de capteurs et analyseurs comme Anael, Aquacontrol, Aqualabo, Bionef, Burkert, EFS, Endress + Hauser, Datalink Instruments, Hach Lange, Hydreka, Ijinus, Neroxis, NKE Instrumentation, S::can, Swan ou Xylem, entre autres. Par rapport à la surveillance classique de l’environnement (voir EIN 465), l’alerte implique certaines spécificités. Tout d’abord le but n’est pas d’étudier le milieu en détail mais de réagir rapidement en cas d’altération. La mesure peut donc se focaliser sur un nombre réduit de paramètres «indicateurs», quitte à prélever en même temps des échantillons qui seront envoyés au laboratoire pour une analyse plus complète.
La diversité des évènements possibles est cependant telle que les capteurs spécifiques se multiplient aujourd’hui. Autre particularité: installées dans le milieu naturel, à des endroits souvent dépourvus d’alimentation électrique, ces stations doivent être autonomes énergétiquement, tout en envoyant au minimum les alarmes et bien souvent l’ensemble des mesures à distance. Bien que des solutions existent d’ores et déjà, l’alimentation des capteurs à partir d’une faible source d’énergie était d’ailleurs un des enjeux (proposé par Endress Hauser) du premier Aquathon1 qu’Hydreos a organisé du 24 au 26 novembre à Strasbourg.
«La question ne se pose pas qu’en pleine campagne: un environnement urbain un peu complexe peut rendre difficile l’installation d’une ligne EDF. Nous pouvons proposer des solutions alimentées par des panneaux solaires, des éoliennes, et on pense même aujourd’hui à des micro-turbines installées dans les conduites d’eau» révèle Matthieu Bauer, responsable de marché Environnement/Energie chez Endress Hauser. «Nos capteurs sont complètement autonomes et fonctionnent sur de simples piles alcalines» précise pour sa part Matthieu Schorpp, Ingénieur commercial France chez NKE Instrumentation, qui vend en particulier la sonde multiparamètres Wimo. Bien que se distinguant par son biocapteur Node, Hydreka peut fournir des solutions complètes.
«Notre biocapteur Node ne consomme aucune énergie et, pour les autres paramètres, nous avons sélectionné des fabricants français de capteurs physicochimiques à très basse consommation. L’autonomie d’une installation peut atteindre 5 ans, avec des batteries lithium installées dans le transmetteur» affirme ainsi Camille Triffaux, BU leader Environmental Expertise chez Hydreka. Xylem, qui fournit une vaste gamme de capteurs et de solutions fixes, met plutôt en avant sa bouée DB 600. Elle emporte la sonde multiparamètres Exo, un datalogger enregistrant les données et les transmettant en 4G, et un panneau solaire pour alimenter le tout. «La bouée a l’avantage d’être 100% autonome en énergie, facile à manipuler et à positionner où on le souhaite, sans génie civil» plaide Fabrice Ropers, ingénieur technico-commercial chez Xylem.
Une collectivité bretonne en a installé une à un kilomètre en amont de son usine d’eau potable. «C’est à un point particulier, situé à la fois sous un barrage et au débouché d’un cours d’eau. Ils craignent la turbidité libérée par les vidanges du barrage, la pollution organique due à la chute des feuilles, ainsi que des pollutions à l’ammoniac déjà détectées dans le cours d’eau. Il était inenvisageable d’y amener le courant électrique. La seule possibilité était d’installer là une bouée autonome avec des capteurs pour les MES, la matière organique, le pH et l’ammonium. Cela leur permet enfin de prendre à temps des décisions quant au pompage et au traitement si l’eau n’est pas conforme» explique Fabrice Ropers.
Neroxis (groupe
Veolia) propose sa solution modulaire
Swarm, qui consiste à placer plusieurs
bouées d’alerte dans différents points de
la ressource à surveiller, au plus près des
sources de pollution. Chacune peut être
équipée de 6 sondes multiparamètres
pour mesurer jusqu'à 24 paramètres en simultané, un module de communication GPRS, une carte mère, une batterie et un ensemble de récupération
d’énergie constitué de deux panneaux
solaires et une éolienne. Les données sur
les variations de qualité de l’eau, issues
du réseau de bouées, envoyées à un serveur, sont enrichies par la mise à disposition d’informations contextualisées
liées par exemple à la météorologie, aux
activités polluantes du bassin versant,
à l’hydrologie… L’exploitant reçoit des
alertes pas SMS ou/et mail, mais peut
aussi consulter des tableaux de bords
complets. Ijinus propose également une
bouée GSM emportant un enregistreur
et des capteurs physicochimiques, alimentés par un pack de batteries.
QUELS PARAMÈTRES CIBLER ?
Les paramètres physicochimiques comme le pH, la conductivité, la température, l’oxygène dissous et la turbidité ont longtemps été considérés comme suffisants pour signaler une vaste majorité des évènements polluants. A cela s’ajoutent de plus en plus souvent la matière organique et, selon les situations, les nitrates et/ou les hydrocarbures. «La base, dans toutes les stations, ce sont des capteurs physicochimiques simples. La matière organique et les nitrates demandent des spectromètres UV, appareils déjà un peu plus évolués et évidemment plus chers. On peut enfin compléter avec les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)» énumère ainsi Matthieu Bauer, qui annonce la commercialisation imminente d’un nouveau capteur dédié aux HAP chez Endress Hauser, le CFS 51D.
La gamme Memosens de capteurs digitaux vient d’ailleurs de changer de génération chez Endress Hauser, avec en particulier plus de mémoire. Swan propose également les capteurs physicochimiques classiques AMI pH/redox M Flow pour le pH, AMI Solicon 4 pour la conductivité, AMI Turbiwell pour la turbidité ainsi que des appareils plus spécifiques pour les nitrates, la chlorophylle, les fluorures, les intrusions salines…
Datalink Instruments propose aussi une gamme de spectromètres UV: le CT 200 pour la matière organique (COT, DCO, DBO), le NT 200 pour les nitrates et le FL 200-A pour la chlorophylle A. La sonde Wimo, de NKE, peut accueillir toute la gamme classique. «Outre les paramètres physicochimiques standards, nous disposons de capteurs optiques pour la mesure de la turbidité, les cyanobactéries avec les phycocyanines, les hydrocarbures ou la matière organique dissoute, ainsi que des électrodes pour les nitrates ou l’ammonium»
Énumère Matthieu Schorpp. NKE a par exemple récemment déployé deux stations autonomes, dans la Marne, pour un suivi global de la qualité de l’eau de rivière en amont d’un captage. Le groupe NKE vient par ailleurs d’acquérir la société Aquaread, qui a conçu des sondes multiparamètres portables. «De plus, Aquaread a des enregistreurs de niveau d’eau, ce qui permettra les alertes de crues ou le suivi du niveau d’une nappe, par exemple» précise Matthieu Schorpp.
Hach sélectionne les techniques de mesures les plus adaptées aux stations d’alerte, alliant sensibilité pour une bonne surveillance des milieux fragiles et autonomie pour limiter les fréquences d’intervention, comme le pH et le potentiel rédox avec des électrodes différentielles sans référence au chlorure d’argent ou l’oxygène dissous par mesure optique sans membrane ni électrolyte. Le Biotector B3500, qui mesure le COT par oxydation soude/ ozone, dispose de 6 mois d’autonomie et l’Amtax (ammonium par diffusion gazeuse) dispose de 3 mois.
Les capteurs et accessoires peuvent être fournis directement assemblés sur panneau ou en abri. S::can propose son spectro::lyser, un spectromètre UV-visible immergeable qui peut mesurer simultanément, en continu, des paramètres comme le COT, le NO3 , le NO2 , la turbidité, la chlorophylle, etc. sur les eaux de surface et de source. Le tout sans réactif et avec un très faible coût d’exploitation. Les fenêtres de mesure étant automatiquement nettoyées par une brosse, aucune opération de maintenance n’est nécessaire. «Nos sondes UV/visible, couvrent l’ensemble du spectre UV-Visible de 200 à 750 nm et intègrent 259 longueurs d’onde grâce à une très bonne résolution du capteur optique. Nous avons environ 13 000 sondes installées à travers le monde, et les retours d’expériences démontrent la précision du système et sa fiabilité» précise Philippe Marinot, directeur général de s::can France.
Le spectro::lyser surveille déjà la qualité des eaux de fleuves tels que le Rhin, la Seine, la Durance, la Marne, ainsi que nombreuses eaux de source. Bien qu’encore peu présent sur le marché de l’alerte, Swan commercialise toujours son spectromètre UV SAC 254 nm. «Il peut être intéressant en station d’alerte car il donne une estimation de la pollution organique de l’eau, par exemple lorsque les feuilles tombent dans l’eau avec le changement de saison» souligne Laurent Oliva, chargé d’affaires NordEst - Belgique chez Swan. La firme en vend beaucoup en Bretagne, en entrée d’usine de potabilisation, pour optimiser le traitement (injection de floculant et de coagulant) en fonction de la pollution organique.
Endress Hauser met en avant le Memosens Wave CAS 80 E, un spectromètre UV «multiparamètres» puisqu’il indique les nitrates, la DBO, la DCO, le COT, la turbidité et la couleur. C2Ai propose sa gamme de dispositifs capteurs-enregistreurs LR35, pouvant mesurer tous les paramètres physico-chimiques mais également la pluviométrie, l’anémométrie, le rayonnement solaire, l’humidité ambiante, le taux de particules fines, etc. Grâce à une batterie lithium, ils peuvent être déployés dans une station autonome et communiquent les résultats et alertes par LoRaWan sur une application Cloud standard, ou sur celle du client.
Bionef propose de son côté la gamme des sondes multiparamètres Eureka Water Probes pour les mesures classique, ainsi que les sondes TriOS Enviroflu ou Microflu HC pour les hydrocarbures. «Nous avons également les sondes Opus ou Nico, de TriOS, qui vont donner toute la panoplie des paramètres déconvolués du signal d’absorbance UV-visible : COT, DCO, DBO, nitrates, etc.» précise Yves Primault, dirigeant de Bionef. La société a installé des stations sur la Sélune, dans la baie du Mont-Saint-Michel, ainsi que sur des lacs dans les Landes ou le centre de la France (lac Pavin).7
ESTIMER OU MESURER LA POLLUTION ORGANIQUE ?
Il n’est pas conçu pour les stations d’alerte mais on peut nous le demander car les sondes UV ne voient pas les sucres et les alcools, ni certains alcènes ou alcanes. Cela peut être problématique pour des pollutions d’origine agroalimentaire» estime cependant Matthieu Bauer. Reste que, outre son prix élevé, cet appareil ne fait des mesures que toutes les demi-heures alors qu’un spectromètre UV fonctionne en permanence. Pour détecter en permanence ce que les sondes UV ne voient pas, sans pour autant investir dans un COTmètre, Hydreka propose depuis 2019 une alternative: le biocapteur Node qui fonctionne sur le principe de la pile bactérienne.
«Un biofilm de bactéries indigènes se développe naturellement sur le capteur. Elles dégradent la matière organique présente dans le milieu et les variations de cette activité métabolique, que nous mesurons, reflètent l’évolution de cette charge polluante organique ou toxique. C’est une technologie très simple, basée sur le vivant, sans consommables et qui nécessite très peu voire pas de maintenance. Le temps de réaction à un évènement est inférieur à la minute» assure Camille Triffaux (Hydreka), qui voit cet appareil comme «complémentaire» aux sondes UV.
Il a par exemple été déployé sur la Vésubie, qui est la principale ressource pour l’eau potable de Nice. «Nous avons également appareillé, sur le bassin lyonnais, des captages d’eau potable soumis à de fortes pressions anthropiques. Ils sont évidemment surveillés par échantillonnage régulier et analyse de laboratoire mais, en plaçant nos capteurs en continu pendant plusieurs mois, nous avons mis en évidence l’impact de certains épisodes pluvieux» se souvient Camille Triffaux. «Nous en plaçons aussi en surveillance de déversoirs d’orage: l’estimation réglementaire, basée sur le débit, atteint ses limites. Avec le Node, nous corrélons en temps réel le signal mesuré avec la DBO5 effectivement déversée dans le milieu» ajoute Korentin Jolivet, responsable marketing et communication chez Hydreka.
CYANOBACTÉRIES, AMMONIUM, PESTICIDES… : LES « PETITS NOUVEAUX »
En général en été, mais sur des périodes de l’année de plus en plus étendues avec le réchauffement climatique, certaines masses d’eau subissent des épisodes de prolifération de microalgues et cyanobactéries. Cela impacte le milieu naturel qui s’appauvrit en oxygène, et compromet également le captage pour l’eau potable car les cyanobactéries peuvent libérer des toxines (les cyanotoxines). «On nous demande de plus en plus de détecter les cyanobactéries, que ce soit pour l’eau potable ou la surveillance du milieu naturel» constate ainsi Matthieu Schorpp.
NKE peut alors installer un capteur de phycocyanine un composé protéines-pigment qui signale la présence de cyanobactéries sur sa sonde multiparamètres Wimo. C’est le cas par exemple dans le Grand Est où une agglomération potabilise de l’eau prélevée dans trois lacs de retenue. «Une sonde multiparamètres WiMo équipée pour mesurer la température, la conductivité, l’oxygène dissous et les phycocyanines a été installée au niveau de la bâche d’eau brute qui collecte l’eau des trois retenues. La sonde est directement reliée à l’automate de l’exploitant et constitue un outil d’alerte et d’aide à la décision, tant pour le pilotage des prélèvements sur les différentes retenues que pour le traitement de l’eau» explique Matthieu Schorpp.
La sonde EXO de Xylem peut également être équipée de capteurs mesurant la chlorophylle et les phycocyanines pour détecter les blooms algaux. «Il existe certes des sondes qui mesurent la phycocyanine en suspension, et nous pouvons en fournir, mais c’est moins scientifiquement valide que le système BBE qui fonctionne sur l’excitation de la photosynthèse, donc qui mesure les algues vivantes. Nous sommes les seuls à disposer de cette technologie. Nous proposons de toute une gamme d’appareils plus ou moins sophistiqués pour surveiller soit des algues ayant des exosquelettes solides, comme les diatomées, qui vont poser des problèmes dans la filière, soit des algues toxiques comme les cyanobactéries» insiste pour sa part Yves Primault (Bionef).
C’est le cas en particulier de
l’Algae Torch, utilisée soit fixée sur une
platine soit sous forme portable par des
bureaux d’études, de grands traiteurs
d’eau (Veolia, Saur, Suez) ou des collectivités publiques devant surveiller
leurs eaux de baignade. Pour l'ammonium, Datalink Instruments propose son
analyseur en ligne AM 200.
Les pesticides et leurs métabolites
inquiètent de plus en plus les exploitants
d’usines de potabilisation, entre autres.
Problème: ces molécules étant extrêmement nombreuses, il n’est guère envisageable de développer des capteurs à la
fois généralistes et suffisamment sensibles. D’où le recours à des systèmes
bioindicateurs qui mesurent la réaction d’organismes vivants à la pollution,
quitte à analyser ensuite des échantillons pour savoir quelle molécule est
en cause. C’est en tout cas ce que propose Bionef. «Dans une station d’alerte
pour la potabilisation, il est possible de
rajouter nos toximètres utilisant des
poissons comme le Toxprotect 64 ou le
F-TOX2, plus simple à utiliser, des daphnies (le DTOX2 de BBe), des algues ou
des bactéries luminescentes» cite Yves
Primault. Viewpoint propose toujours
son Toxmate, qui utilise simultanément
des gammares, des radix et des sangsues. Le biocapteur Node de Hydreka,
plus simple, peut également venir
concurrencer ces appareils…
CHANTIERS : DES STATIONS TEMPORAIRES
La réglementation interdit aux sociétés de travaux publics intervenant sur les milieux naturels de créer une dégradation supplémentaire de l’état chimique et écologique des masses d’eaux. «Elles sont donc tenues de positionner des sondes à des emplacements spécifiques en amont et en aval de leurs travaux avec des gestions d’alarmes» affirme Fabrice Ropers, de Xylem. Autrement dit un cas particulier de stations d’alerte déployées pour la durée des travaux. «Nous sommes très sollicité sur des chantiers de construction ayant un impact potentiel sur les milieux aquatiques. Notre matériel, complètement autonome et facilement déployable sur notre flotteur, s’y prête très bien. Il peut envoyer au chef de chantier des alertes en temps réel en cas de dépassement de seuil, par exemple sur des matières en suspension» explique ainsi Matthieu Schorpp (NKE).
De même, Korentin Jolivet signale que
«Hydreka est assez régulièrement sollicité pour des contrôles de cours d’eau en
phase de chantiers». C’était récemment
le cas sur la Durance où, à l’occasion
de travaux engagés par un opérateur
gazier, a été menée une campagne de
surveillance de huit mois. «Nous avons
positionné, en amont et en aval du chantier, des capteurs de pH, de conductivité et
notre biocapteur Node. Nous avons programmé des algorithmes surveillant des
écarts de qualité entre l’amont et l’aval
pour pouvoir alerter rapidement en cas
de pollution due au chantier» se souvient Camille Triffaux. Une campagne
similaire, de trois mois, a été réalisée à
l’occasion de la construction d’un mur
de soutènement d’une route nationale
en bord d’un cours d’eau.