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Dépollution des sols et des nappes, un métier en pleine évolution

29 février 2024 Paru dans le N°469 ( mots)

Sous l’influence de facteurs extérieurs, la profession de la dépollution des sites et sols pollués se réinvente. Nouvelles problématiques, nouvelles techniques, «?nouveaux?» polluants, nouvelles règles?: tout est à reconsidérer.

L’activité de dépollution des sites et sols pollués traverse actuellement une phase de redéfinition. Des problématiques nouvelles apparaissent, comme le bilan carbone des opérations ou la nécessité de renaturer les sols, de nouveaux polluants comme les PFAS font parler d’eux, des techniques nouvelles sont en cours de tests. Les sociétés d’études ou ingénierie comme Diastrata, Envireausol, Envisol, Estralab, Ginger BURGEAP, TAUW France, Tesora ou Valgo, les prestataires de travaux comme Brézillon, Colas Environnement, Haemers Technologies, Lhotellier, Ortec Soleo, Remea, Sarpi Remediation (Veolia), Séché Environnement, Serpol, Solrem Environnement, ou les développeurs de solutions logicielles comme Geovariances, Terraindex ou Tellux, doivent s’y adapter. Le tout dans un cadre réglementaire encore en évolution et une activité économique globale plutôt morose.

En 2023, Ortec Soleo a déplacé 460000 tonnes de terre vers ou à partir de ses plateformes Valorterre, comme celle-ci située à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise).

«L’activité de construction subit actuellement une très forte baisse, qui se répercute sur les projets de dépollution. Beaucoup de chantiers sont aujourd’hui à l’arrêt pour cette raison. Et la fin programmée des grands chantiers pour les Jeux Olympiques n’améliore pas la situation en Ile-de-France… Le marché de renaturation des friches est globalement tendu» constate ainsi Julien Alix, Directeur de l’activité dépollution chez Lhotellier. 

Amélie Rognon, Directrice du développement chez Ortec Soleo, nuance le propos. «La croissance reste modérée car le secteur de la construction est en difficulté. Cependant notre volant d’activité demeure important en direction des industriels. Ces acteurs sont contraints par la réglementation, et des politiques comme la ZAN1 favorisent le redéveloppement des friches» explique-t-elle. «Ces projets industriels sont de plus en plus importants et complexes, avec des mix de polluants toujours différents. C’est pourquoi la partie de conception des travaux et de tests préalables, que ce soit au laboratoire ou sur le terrain, prend de plus en plus d’importance chez nous : elle a augmenté de 43% en 2023» complète Christophe Chêne, Directeur technique chez Ortec Soleo.

UN CADRE RÉGLEMENTAIRE ENCORE MOUVANT

Les règles du jeu, en principe destinées à faciliter cette activité, sont en constante évolution. Le Fonds Friches, par exemple, est désormais inclus dans le dispositif plus vaste du Fonds Vert. «Ce dernier vise à financer tout projet ayant une orientation environnementale forte, afin de favoriser la transition écologique. Une ligne est certes prévue pour les friches, avec des financements spécifiques, mais cela rend ces fonds moins visibles pour les acteurs de la dépollution. De plus, ces aides ne sont plus distribuées par l’Ademe mais par la Région. Pour autant, le dispositif existe encore et est vu d’un bon œil par la profession. Nous avons traité plus d’une dizaine de dossiers dans ce cadre» explique ainsi Jonathan Senechaud, Responsable développement de l’activité sites et sols pollués chez Colas Environnement. 

A Bellinzone (Suisse), Zueblin a dépollué le site d’un ancien pressing, contaminé au perchloréthylène, par traitement thermique in situ

Ces fonds sont plutôt orientés vers des projets importants, portés par des établissements publics fonciers ou des collectivités. L’Établissement public foncier de l’Ouest Rhône-Alpes (Epora2 ) a par exemple mandaté Sarpi Remédiation (Veolia) pour réhabiliter une ancienne zone industrielle en centre-ville de Riorges (Loire). «Ce site d’une ancienne industrie textile était très fortement pollué. Nous avons mis en œuvre du venting pour le sol et une injection de réactifs pour traiter l’eau souterraine. La charge polluante était telle que, sans l’aide du Fond Friches, l’Epora n’aurait pas pu financer les travaux de remise en état pour son projet de zone résidentielle» souligne Pierre Coursan, directeur commercial France Sites et sols pollués chez Sarpi.

Le Fonds Vert favorise des projets mixtes en terme d’usage, avec une proportion significative d’espaces verts. Le cabinet d’études Ginger BURGEAP a ainsi accompagné Nantes Métropole Aménagement dans l’élaboration du dossier de demande de Fonds Vert pour la réhabilitation de la ZAC de Pirmilles-Isles. Ce projet, qui comprend une phase de dépollution de friches, consiste à réaliser de nouveaux quartiers mixtes sur la rive sud de la Loire, tout en renforçant la trame paysagère. Pour répondre aux objectifs de «zéro artificialisation nette», la société Frontignan Développement va pour sa part développer un nouveau quartier sur le site de l’ancienne raffinerie de Frontignan la Peyrade (Hérault), situé à proximité du centre-ville et du littoral, dans une zone Natura 2000. 

Elle agit en tant que MOA (et propriétaire du site) pour la dépollution qui sera effectuée par Séché Eco Services, filiale de Séché Environnement, sous la maîtrise d’œuvre d’Antea Group. Des hydrocarbures sont présents tant dans les eaux que dans le sol de ce site de onze hectares. Sur ce chantier de trois ans, Séché utilisera, entre autres, la plus grande tente de confinement jamais réalisée en France afin d’éviter les odeurs : l’air intérieur sera aspiré et traité in situ. Les eaux polluées seront pompées et également dépolluées in situ, les hydrocarbures étant détruits par oxydation avancée. Un concasseur permettra de réutiliser sur place, en tant que remblais, les bétons et blocs de calcaire excavés et triés. 

Sarpi Remédiation a traité le site fortement pollué d’une ancienne usine textile en centre-ville de Riorges (Loire). La société a mis en œuvre du venting pour le sol et une injection de réactifs pour traiter l’eau souterraine.

La procédure du tiers demandeur est plutôt destinée à débloquer des situations où un industriel responsable d’un site pollué n’a pas la compétence ni les moyens de le remettre en état pour pouvoir le céder. «Des promoteurs immobiliers se saisissent de ce dispositif pour travailler sur des friches à redévelopper. Ils s’associent parfois même à l’établissement public foncier local» explique Amélie Rognon (Ortec Soleo). «Nous avons développé une offre spécifique liée au dispositif du tiers demandeur. Sarpi Remédiation s’associe à des promoteurs pour monter des offres en commun. Sarpi Remédiation prend la responsabilité du tiers demandeur et assure la dépollution, puis le promoteur récupère le terrain dépollué. De son côté, l’industriel peut plus facilement vendre son site. Nous arrivons ainsi à débloquer la vente de terrains» affirme Pierre Coursan (Sarpi Remédiation).

«Depuis 2021, nous contribuons à la réhabilitation d’une ancienne cimenterie de 12 hectares. Sur ce projet, sous le dispositif du tiers demandeur, nous avons réalisé des travaux de dépollution, de terrassement de Génie écologique et de transfert d’espèces protégées. Pour optimiser le bilan carbone de l’opération, les matériaux de ce site situé en bord de Seine ont été évacués par voie fluviale. 80% des matériaux issus des démolitions ont été réemployés sur le chantier, le réemploi faisant partie intégrante de nos offres depuis plusieurs années» explique de son côté Samantha Collier, en charge de la communication chez Brézillon. La loi3 «Industrie Verte» du 23 octobre 2023 vise, entre autres, à rendre plus fluide la procédure du tiers demandeur, actuellement assez lourde à mettre en œuvre. Son titre premier (sur trois) porte en effet sur des «mesures destinées à faciliter et à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches». Il faut noter que les friches en question seront destinées à un usage industriel, et que l’accent sera mis sur l’implantation d’«industries vertes». Pas question donc d’opérations de type logement, école ou espaces verts…

BILAN CARBONE DES CHANTIERS : COMMENT LE CALCULER ?

Même si ce n’est pas encore un critère de choix entre les propositions, certains MOA commencent à demander aux bureaux d’études et sociétés de travaux d’établir un bilan carbone du chantier projeté. Par ailleurs, les entreprises de travaux s’y intéressent d’elles-mêmes, ne serait-ce que pour répondre à leurs propres objectifs RSE. En tout état de cause, en l’absence de référentiel commun à la profession, chacun établit ce bilan avec ses propres règles et outils. Ce qui ne facilite pas la comparaison pour les MOA… «Nous calculons ce bilan avec la méthode de l’Ademe mais il n’existe pas de vrai outil pour notre métier. Pour notre part, nous aimerions proposer ce type de bilan car notre flotte de camions roule à l’Oleo 100, un carburant végétal, et nous utilisons dès que possible des barges pour le transport des terres excavées» explique ainsi Julien Alix (Lhotellier). 

TAUW France teste ici différentes techniques de dépollution des sols pollués aux hydrocarbures : d’une part des biotertres traditionnels (traitement biologique), d’autre part des phytotertres où la biodégradation est soutenue par une végétalisation de surface.

«Nous avons une «offre bas carbone» qui inclut les émissions directes, les émissions indirectes liées à l’énergie et les autres émissions indirectes, soit les scopes un à trois de la comptabilité carbone basée sur facteurs d’émissions de l’Ademe. Il est important de préciser les périmètres de calcul pour pouvoir comparer les chantiers ou les projets. Il serait souhaitable d’avoir une méthodologie officielle pour la profession» estime pour sa part Hugo Barbera, Directeur du développement chez Sarpi Remédiation. «Il n’existe pas de référentiel commun. Les entreprises de travaux ont toutefois la volonté de répondre aux demandes des MOA, ou à leurs propres besoins de réduction des émissions. Le groupe Colas ambitionne par exemple une diminution de 30% de ses émissions pour se conformer à l’accord de Paris. Cela se répercute en cascade sur chaque entité, donc sur nous» confirme Arnault Perrault, Directeur de Colas Environnement. Sa société utilise une méthode de calcul basée sur SEVE4 , l’outil du BTP. 

Cette méthode a d’ailleurs remporté un concours sur le sujet organisé par l’UDPS5 et The Shifters6 à l’occasion du dernier salon Pollutec. Pour sa part, Solrem, dans le cadre de sa propre politique RSE, s’attache en particulier au cycle de vie des matériaux et intègre des partenaires engagés dans la réutilisation du matériel d’un chantier à l’autre. «La durée de vie et la provenance du matériel ont un fort impact sur l’environnement. De même, un bilan carbone complet pour un chantier devrait intégrer le cycle de vie des matériaux» estime Olivier Tanguy, Directeur de Solrem. «Nous avons élaboré en 2023 une stratégie carbone adaptée à nos activités et nous engageons, d'ici à 2030, à réduire notre empreinte carbone de 30% et par conséquent celle de nos clients» affirme pour sa part Samantha Collier (Brézillon). Séché Environnement établit également des bilans carbone à la demande de ses clients, que ce soit au stade des études préalables ou post-travaux. Ils sont réalisés selon les documents cadre fournis par les clients, soit avec les outils des clients eux-mêmes (en général fournis par les différentes fédérations du secteur), soit avec l’outil interne Séché: la «Calculette Carbone». Remea utilise pour sa part l’outil e-CO2NCERNED. «Cet outil commun à toutes les entités de VINCI nous permet de calculer les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) d’un chantier pour plusieurs phases : en appels d’offre (avant la réalisation du chantier), en suivi de chantier et après la réalisation» indique Franck BOURGET, Directeur Général de Remea.

Afin de limiter les nuisances dues à ce chantier de dépollution en plein centre-ville de La Roche-sur-Yon (Vendée), Colas Environnement a opéré sous tente.

Les facteurs d’émissions (FE) utilisés dans e-CO2NCERNED sont principalement issus de la Base Empreinte® de l’ADEME et d’autres sources comme la Base de données EcoInvent, les Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire (FDES) de l’INIES, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). L’outil est en cours de renouvellement de certification Bilan Carbone® par l’Association Bilan Carbone (ABC). Par ailleurs, pour les terres qui devront être éliminées hors site, Remea incite ses clients et partenaires à utiliser le transport par bateau. «Notre centre de transit et de traitement de terres situé à Gaillon (27), en bord de Seine, permet directement de charger et décharger par voie fluviale. Un bateau transporte l’équivalent de 250camions en un seul voyage ce qui réduit par cinq les émissions de CO2 . C’est un gain sur l’ensemble du bilan environnemental» précise Ludovic REVERT, Responsable de la plateforme. «Les MOA commencent à s’intéresser à cette dimension mais cela ne deviendra un critère de notation que lorsqu’il existera un consensus sur l’outil de calcul» affirme Jonathan Senechaud (Colas). 

Lhotellier travaille avec la solution d’imagerie hyper-spectrale de Tellux pour caractériser et localiser la pollution, afin de limiter le volume de terres excavées et évacuées du site.

Ortec Soleo et le bureau d’études TAUW France viennent de faire conjointement un premier pas dans cette direction. Leur projet CO2 Pol, soutenu par l’Ademe et l’UPDS, vise précisément à mettre en place un tel référentiel commun. Ils s’appuiera sur un comité d’experts issus de la profession (bureaux d’études, sociétés de travaux, MOA…). La première étape consistera à définir le périmètre du bilan carbone et adopter un jeu d’hypothèses transparent. Il faudra également recenser tous les outils existants, y compris celui développé par TAUW Group qui l’utilise depuis une quinzaine d’années en Belgique et aux Pays-Bas. «Puis nous appliquerons ces hypothèses à des chantiers déjà réalisés et ferons ou referons leur bilan carbone» explique Christophe Chêne (Ortec Soleo). «Nous allons revoir au moins 80 chantiers réels issus des projets supervisés par TAUW France, réalisés par ORTEC-SOLEO ou encore ceux apportés par les parties prenantes du comité d'experts» précise Sébastien Kaskassian, Expert Sites pollués & Responsable de l’innovation chez TAUW France. Il s’agit, pour chacune des quinze ou vingt techniques les plus courantes référencées dans SelecDEPOL7 , de réunir quatre ou cinq chantiers réels pour pouvoir faire des calculs statistiques et en tirer des indicateurs pertinents. L’idée est de pouvoir indiquer, pour chaque technique, la quantité de carbone émise par tonne de terre traitée ou par laps de temps pour certaines techniques. «Enfin, il sera intéressant d’indiquer, pour chaque technique de dépollution, les facteurs d’émission principaux sur lesquels il faudra faire porter les efforts en priorité. Est-ce le transport des matériaux évacués ? L’énergie utilisée pour les techniques de traitement thermiques? Le terrassement des déblais ?» ajoute Christophe Chêne (Ortec Soleo). Signé au mois de décembre 2023, le projet devrait durer deux ans pour une publication des résultats fin 2025. L’Ademe, très intéressée par le sujet, devrait alors intégrer ces données dans SelecDEPOL.

UN IMPACT SUR LES CHOIX DE DÉPOLLUTION ?

Remea s’appuie sur son centre de traitement des terres situé en bord de Seine, à Gaillon (Eure), pour proposer le transport fluvial de terres excavées.

Avec ou sans bilan carbone, les entreprises multiplient d’ores et déjà les initiatives dans le sens d’une réduction de leurs émissions, avec une ampleur et un périmètre très variables. Ortec Soleo a ainsi déployé son «plan climat». «Nous avons toute une gamme d’action et de mesures concrètes qui, au total, réduisent significativement l’empreinte carbone de nos chantiers. Selon les cas, cela peut être l’utilisation d’engins de chantier (pelles mécaniques par exemple) hybrides ou électriques, utiliser des énergies renouvelables comme le solaire pour les pompes ou les bases de vie, ou optimiser le mix énergétique pour les traitements thermiques. Nous avons aussi formé notre personnel à l’écoconduite et sommes en train d’électrifier notre parc de véhicules» énumère Amélie Rognon. Des mesures vertueuses, certes, mais Ortec Soleo va maintenant faire porter ses efforts sur des postes autrement plus importants d’émissions. «En 2024, nous allons nous attaquer au transport que nous opérons directement avec nos plateformes. En 2023 nous avons en effet déplacé 460000 tonnes de terre vers ou à partir de nos plateformes… Nous allons travailler avec des transporteurs plus vertueux, répondant par exemple au label Objectif CO2 ou utilisant des carburants de synthèse. Nous soignerons également la logistique pour éviter les voyages à vide et optimiser les filières chantier-plateforme-exutoire» explique Christophe Chêne. 

Serpol participe au projet européen EiCLaR visant à développer des technologies innovantes de dépollution biologique sur site et in situ. Ici un pilote de traitement de sols impacté par des hydrocarbures par rhizodégradation stimulée par voie électrocinétique vues avant et après traitement.

L’effort portera aussi sur les plateformes de traitement des terres elles-mêmes Ortec Soleo en opère onze. «Nous avons commencé à calculer un bilan carbone, sur le modèle de l’Ademe, pour nos plateformes Valorterre, le pilote étant celle de Lançon-Provence. Nous avons identifié les principaux facteurs d’émission, notamment l’exutoire final. Nous revalorisons beaucoup de terres, reconstituons des terres végétales, ce qui limite le recours aux exutoires finaux. Ce site émet moins de 30 kg de CO2 par tonne de terre traitée, soit beaucoup moins qu’une mise en décharge ou, pire, une élimination en cimenterie» souligne Christophe Chêne. Reste qu’évacuer les terres excavées d’un site pollué est, de manière générale, une option nettement plus émissive qu’un traitement sur site. «C’est un vrai enjeu technique. Une solution de traitement sur site ou in situ émet de 10 à 15 kilos de CO2 par m3 de terre traitée, alors qu’une prise en charge hors site représente de 80 à 160 kg de CO2 par m3 » précise Christophe Chêne (Ortec Soleo). Un traitement in situ s’envisage évidemment plus facilement sur une friche en périphérie urbaine pour un projet industriel que sur un terrain en centre-ville pour un projet immobilier, où la rapidité prime. Il n’empêche: Julien Alix, de Lhotellier, discerne un véritable basculement du métier de la dépollution. «Historiquement, il s’agissait surtout d’aller vite, d’extraire les terres des chantiers pour les envoyer sur des plateformes de traitement dédiées, avec les coûts et le bilan carbone que cela impliquait. Le métier s’est transformé. Les analyses préparatoires deviennent de plus en plus poussées, de manière à caractériser la pollution pour limiter les excavations et traiter ou réutiliser les matériaux sur place. Les centres de traitement des terres en souffrent d’ailleurs, faute de volumes à traiter» décrit-il. 

Lhotellier travaille ainsi avec la start-up Tellux qui utilise l’imagerie hyperspectrale sur site afin de caractériser et localiser la pollution. Lhotellier a par exemple dépollué un site en plein centre-ville de Petit Quevilly (Seine-Maritime), où la municipalité veut construire un complexe avec piscine et école. «Nous avons excavé plus de 10000 m3 de terre que nous avons criblées et re-triées sur place, avant de les envoyer vers les meilleures filières disponibles, dont notre plateforme située dans l’agglomération de Rouen» se souvient Julien Alix. La société peut également réaliser des traitements in situ, comme elle vient de le faire sur deux sites très pollués d’un ancien producteur de peintures de la région de Rouen. «Nous avons proposé une renaturation complète après traitement par venting. Après avoir acquis les sites par la procédure du tiers demandeur, nous avons assuré la démolition, le désamiantage et la dépollution avant de revendre à un promoteur immobilier» précise Julien Alix. L'ancien site du pressing «Lavanderia Caviezel» à Bellinzone en Suisse, était contaminé par le perchloroéthylène (PCE), un solvant chloré utilisé comme produit de nettoyage entre les années 60 et 80. Prenant en compte les caractéristiques géologiques et hydrogéologiques du site, Zueblin Umwelttechnik GmbH, en charge de la dépollution, a opté pour un traitement thermique in situ (ISTH) appliqué tant au sol qu’aux eaux souterraines. Les contaminants ont été vaporisés par des éléments chauffants électriques puis récupérés et traités sur place.

AU-DELÀ DE LA DÉPOLLUTION : RENATURER LES SOLS

Le laboratoire Wessling France, spécialiste de l’analyse environnementale, caractérise des échantillons de sol avant ou après dépollution.


Au-delà du bilan carbone, une autre préoccupation environnementale se fait jour dans le métier : la santé des sols après dépollution. «La biodiversité des sol n’est pas incluse dans l’indicateur CO2 . C’est pourtant une dimension essentielle car elle conditionne les services futurs du sol: infiltration d’eau, puits de carbone, lutte contre les îlots de chaleur, etc. C’est une thématique émergente : il existe un projet de loi sur la qualité du sol au niveau européen, l’Iso édicte déjà des normes pour évaluer les fonctions du sol, etc. Nous devrons l’intégrer à notre métier, prévoir de refonctionnaliser le sol pendant ou après les travaux de dépollution» estime Sébastien Kaskassian (TAUW France). «C’est un vrai enjeu à l’avenir. Notre métier ne consiste plus seulement à dépolluer mais aussi à préparer le sol à une renaturation, ce qui exige un vrai savoir-faire. Notre métier va de plus en plus s’orienter vers la prise en compte de la biodiversité du sol. Nous avons d’ailleurs développé le programme Agrege qui permet d’adapter finement la composition du sol à la localisation géographique du terrain et au type de végétation qui y poussera. Deux mondes professionnels doivent cohabiter : la dépollution et le génie écologique. Cette association va devenir systématique» confirme Pierre Coursan (Sarpi Remédiation). «Nous faisons des études agro-pédologiques, estimons la qualité des matériaux et proposons des solutions de valorisation des matériaux au droit du site, si c’est possible, sinon à l’extérieur. Les deux métiers du génie écologique et de la dépollution ont besoin de se rapprocher, de parler un langage commun. Une première réunion entre l’UDPS et l’UPGE8 est d’ailleurs prévue en février 2024 à cet effet» ajoute Hugo Barbera (Sarpi Remédiation). 
Sur le chantier de dépollution de la raffinerie de Frontignan la Peyrade (Hérault), Séché Environnement utilise la plus grande tente de confinement jamais réalisée en France afin d’éviter les odeurs : l’air intérieur sera aspiré et traité in situ.

Sarpi Remédiation s’appuie d’ailleurs sur ses plateformes pour valoriser des terres non seulement sur les sites de dépollution mais jusqu’au monde agricole. Le laboratoire Wessling peut évaluer les propriétés physiques, chimiques et biologiques d’un sol à dépolluer afin de déterminer s’il est compatible avec une végétalisation future. Ces analyses agronomiques peuvent identifier des zones à forte valeur ajoutée et ainsi de réduire les coûts de dépollution en évitant des excavations onéreuses. Cette approche, plus récente, est également à prendre en compte pour réduire l’impact du chantier sur l’environnement. Ces analyses agronomiques peuvent venir en complément des études de bioaccessibilité orale (UBM), destinés à mesurer l’éventuelle exposition humaine à des polluants (métaux), également proposés par Wessling. «Notre métier se rapproche du génie écologique. Au-delà de la dépollution, il s’agit de donner une nouvelle fonction au sol, régénérer, refonctionnaliser voire renaturer le site. Serpol a fait, il y a vingt ans, le choix stratégique des traitements biologiques, par exemple avec le projet Phytosol de rhizodégradation des hydrocarbures. Nous avons constaté que cela favorise le retour du vivant dans le sol. Pour améliorer encore plus l’efficacité de ces procédés de traitement biologique des sols, nous participons au projet de recherche européen EiCLaR9 dont un des axes consiste à optimiser la rhizodégradation par un soutien électrocinétique stimulant l’activité biologique. Nous en sommes à la phase de test pilote sur plusieurs sites.» révèle de son côté Laurent Mansuelle, Expert technique Sites et Sols Pollués chez Serpol. De manière générale, lors d’un projet de renaturation, il est nécessaire de caractériser les risques pour les écosystèmes. Il existe pour cela une méthode d’évaluation internationale normalisée (ISO 19204), baptisée TRIADE, qui combine les approches chimique, écotoxicologique et écologique. 

Les outils de ce type sont en plein essor et plusieurs programmes de recherche, dont le projet TRIPODE mené par Tesora et soutenu par l'ADEME dans le cadre de son AAP GESIPOL, visent à simplifier et généraliser leur mise en application. «Nous avons développé un partenariat avec Microhumus pour transformer les déblais inertes (dont l’analyse a démontré l'innocuité) en terre fertile 100% naturelle et recyclée. Cette démarche nous permet d'éviter l'élimination de ces matériaux tout en proposant un véritable puits de carbone pour nos clients. De manière générale, nous intégrons le génie écologique à nos offres, au même titre que l’économie circulaire. Nous avons récemment réouvert un ru et créé une zone humide de compensation d'une zone humide détruite. Notre objectif étant de retrouver une équivalence entre les zones humides impactées et compensées, sur le plan fonctionnel et sur la qualité de la biodiversité» précise Samantha Collier (Brézillon). Remea, de son côté, s’associe régulièrement avec des spécialistes en agronomie pour confectionner un terrain fertile à partir de terre stérile. «Cela permet de préserver les terres agricoles» note Stephane Abello, Responsable technique chez Remea. Dans ce contexte d’attention à la santé des sols, TerraIndex veut élargir la gamme des données et paramètres gérés par son logiciel éponyme de caractérisation des sols, et y intégrer des informations agronomiques ou écologiques.

DES TECHNIQUES NOUVELLES

Face à toutes ces contraintes, les entreprises poursuivent leurs efforts de R&D pour importer ou développer des techniques répondant mieux aux attentes. Colas utilise par exemple l’ERH (electrical resistance heating), une technique de désorption thermique qui utilise la résistivité du sol : il «suffit» d’injecter du courant dans un sol conducteur donc en présence d’eau pour qu’il chauffe de lui-même par effet Joule. «C’est une technique imbattable dans son domaine d’application, soit des polluants de type solvants chlorés. Contrairement à la désorption thermique classique, elle n’est pas gênée par la présence d’eau ou de nappes, au contraire. Elle procure des taux d’abattement très élevés plus de 99% en consommant beaucoup moins d’énergie» affirme Arnault Perrault (Colas). Certains intervenants discutent cependant ces avantages par rapport à la désorption classique. Colas a récemment conduit deux chantiers avec cette technique. Pour l’un, il a fallu traiter environ 1500 m2 de sols contenant des très fortes concentrations de solvants chlorés (jusqu’à 30000 mg/kg) jusqu’à 12 mètres de profondeur, en présence d’une nappe phréatique. «En quelques mois, nous avons obtenu plus de 99% d’abattement, même sous la nappe, et sans avoir à pomper. Ce résultat a été vérifié sur une centaine d’échantillons de sol» se souvient Arnault Perrault, qui estime que cette technologie va monter en puissance dans les années à venir. 

Le logiciel Kartotrak de Geovariances exploite la géostatistique pour générer des cartes de probabilité de dépassement de seuils réglementaires sur un site contaminé. En estimant le volume de sol impacté en fonction du risque de maintenir une contamination en place au-delà d'un seuil donné, le logiciel permet des analyses coûtsbénéfices précises. Il est possible d’appliquer cette approche simultanément à plusieurs seuils, afin d’optimiser les filières de traitement.

Ortec Soleo a pour sa part développé une technique de bio-venting ou de bio-sparging pour les eaux polluées avec apport d’oxygène pur. L’idée est d’injecter cet oxygène dans le sol (ou l’eau) afin de favoriser la croissance et l’activité des populations microbiennes endogènes qui dégradent les polluants. Gros avantage par rapport au venting classique : pas besoin d’extraire les gaz puis de les purifier sur charbon actif, tout se passe dans le sol. Or, comme le précise Christophe Chêne (Ortec Soleo), «la filtration des gaz a un coût important et la gestion du charbon actif pollué représente un des plus gros postes d’émissions de CO2 sur un chantier». Ortec Soleo a mené en 2023 un essai pilote de très grande ampleur sur un site industriel français, et a obtenu des abattements de l’ordre de 80 à 90%. La société emploie cette technique sur les sites d’industriels de la chimie ou du pétrole, et enregistre des demandes pour 2024. Carus a mis au point une technologie de déchloration réductrice renforcée, qui combine des actions chimique et biologique (anaérobique) pour traiter les composés chlorés récalcitrants, et les transformer finalement en eau et dioxyde de carbone. Elle repose sur l’ajout dans le milieu pollué, d’une part, de fer zérovalent (ZVI) pour créer les conditions réductrices nécessaires, et d’autre part d’un substrat organique ABC-Olè, un mélange «propriétaire» de Carus, qui stimule la dégradation des composés chlorés par les bactéries endogènes. 

Le mélange des deux composants est effectué sur le site, au moment de l’injection, les proportions dépendant des caractéristiques du milieu à traiter. Carus a par exemple utilisé cette méthode en Italie sur un site industriel contaminé aux solvants chlorés, qui étaient utilisés pour dégraisser des pièces mécaniques. La partie non saturée du sol a été traitée par venting et la nappe par déchloration réductrice renforcée, sur une surface de 350 m3 et jusqu’à 10 mètres de profondeur. S’appuyant sur ses fibres polymères capables de capter sélectivement des polluants comme les métaux lourds, les nitrates, certains pesticides ou les isotopes radioactifs, tout en laissant passer l’eau, la start-up Ajelis propose GEOCAPT®, une gamme de matériaux géotextiles filtrants. Utilisables comme barrières réactives perméables lors d’un accident industriel, ces aquatextiles peuvent également intervenir en réhabilitation de sites contaminés, par exemple pour confiner la pollution au plus près du point d’infiltration. Une option intéressante lorsqu’il n’est pas possible de déplacer des terres polluées. «Serpol travaille depuis quelques années déjà sur la technologie d’injection de gels pour vectoriser un réactif ou améliorer l’extraction d’un polluant vers un puits. Deux projets sur le gel co-financés par l’Ademe ont donné des résultats très positifs. Cela permet d’obtenir des abattements beaucoup plus importants, en particulier dans les aquifères complexes, de traiter des polluants récalcitrants aux méthodes classiques, de maîtriser les effets rebond…» énumère Laurent Mansuelle (Serpol). 

A Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines), Brézillon, après dépollution du site, a réouvert un ru et créé une zone humide de compensation.

Dans le cadre du projet Papirus10, financé par l’Ademe et Gesipol, Serpol, en partenariat avec INEOS Inovyn, le BRGM, l’IC2MP de l’université de Poitiers, INTERA et Gendry Service Location, va mettre en place cette technique sur le site du chimiste Inovyn à Tavaux (Jura). «Pour la première fois en France, nous allons installer des drains horizontaux, combinés à l’injection de gel. Cela évite de forer de nombreux de puits de récupération lorsque les sites s’étendent sur une superficie importante» précise Laurent Mansuelle. Sébastien Kaskassian, de TAUW France, estime quant à lui que l’on aura de plus en plus recours aux méthodes «basées sur la nature», c’est-à-dire utilisant les plantes ou la population microbienne, stimulées ou non. Elles ne sont pas encore totalement maîtrisées, aussi TAUW France a-t-elle lancé (et achevé) un programme de R&D, soutenu par le programme Gesipol de l’Ademe, en partenariat avec Hydreka et l’école Centrale de Lyon. Baptisé MISS, il consistait à développer un réacteur biologique susceptible de s’installer dans un piézomètre existant, afin de tester in situ, et non au laboratoire, les capacités épuratoires d’un aquifère contaminé en présence de différents apports de nutriments ou techniques de stimulation. «Les essais sont achevés et Hydreka devrait en commercialiser cette année sur quelques opérations. Le réacteur actuel est bien adapté aux solvants chlorés, et nous allons le modifier pour obtenir un modèle adapté à la problématique des hydrocarbures» affirme Sébastien Kaskassian (TAUW France). Remea travaille également sur l’optimisation des processus de dépollution biologique, que ce soit par biostimulation ou en sélectionnant les meilleures souches de bactéries et de champignons pour dégrader les polluants organiques.

PFAS : IL FAUDRA Y VENIR 

Contrairement à des pays comme la Suisse, les Pays-Bas ou la Belgique, la France n’a pas pour l’instant déterminé de seuil réglementaire de dépollution pour les PFAS (substances per et polyfluoroalkylées). L’arrêté du 20 juin 2023 fixe uniquement des obligations d’analyse dans les eaux rejetées par les ICPE. Il n’empêche: tous les intervenants estiment qu’il faudra tôt ou tard les prendre en compte dans les chantiers de traitement des sols et sites pollués, comme cela se fait déjà ailleurs en Europe. Cela risque même de modifier (et relancer) le marché. Les laboratoires d’analyses y sont déjà préparés. «Le logiciel TerraIndex a déjà intégré la réception et l’évaluation des résultats d’analyses des PFAS pour la Belgique et les Pays-Bas. Le faire pour le marché français ne devrait pas poser de problème» assure Delphine Michault, responsable commerciale TerraIndex pour la France. «Nous réfléchissons à des techniques, notamment de lavage, et démarrons une expérimentation en ce sens sur nos unité de traitement des terres. Il s’agit d’être prêts lorsque la réglementation imposera de le faire» explique ainsi Julien Alix, de Lhotellier. Ortec Soleo s’appuie également sur ses centres de traitement des terres pour mettre en place une chaîne de traitement complète. «Une fois concentrés dans l’eau de lavage, il faut leur trouver un traitement de finition. Nous travaillons avec nos centres Valortec, dédiés aux déchets spéciaux, à un programme de R&D complet allant de la prise en compte des terres à la destruction finale des PFAS» révèle pour sa part Christophe Chêne, d’Ortec Soleo. 

«Certains industriels sensibilisés sont proactifs, et ont décidé de traiter même si la réglementation ne l’impose pas encore. C’est le cas de Ford sur le site de Blanquefort que nous avons dépollué. Deux spots pollués aux PFAS ont été identifiés sur le site, que nous avons traités par lavage. L’eau de lavage est ensuite passée sur charbon actif et le concentrat est envoyé dans nos centres de stockage des déchets dangereux» explique Hugo Barbera, Directeur technique de Sarpi Remédiation. «Nous maîtrisons les techniques d’extraction in situ: lessivage, lavage, désorption thermique. Nous préparons désormais les solutions pour traiter les concentrats dans nos propres incinérateurs, afin de réaliser la totalité de la chaîne» précise Pierre Coursan (Sarpi). Colas a également réalisé des chantiers de pompage et traitement d’eaux de nappes polluées… en Belgique. Après des essais d’adsorption sur différents média, Remea est aujourd’hui en mesure de proposer le traitement des pollutions diffuses en PFAS dans l’eau souterraine par la mise en place de paroi perméable réactive. 

«Ce système de traitement passif ne requiert aucune énergie de fonctionnement» précise Stephane Abello de Remea. Purolite propose pour sa part une résine anionique sélective, dotée d’une bonne affinité pour les PFAs de chaine longue et courte, y compris dans des conditions de concentration élevée en sulfates et chlorures. La configuration typique d’un système de traitement des PFAS dans les eaux polluées est celle des colonnes en carrousel. Si les concentrations de PFAS ou les concentrations d'anions de fond sont élevées, il sera alors intéressant d’envisager une configuration en série. Toutes ces solutions consistent à extraire les PFAS du sol (ou de l’eau) et à les expédier en centre de traitement. Peut-on espérer l’émergence de solutions de traitement in situ? «Nous ne savons pas dégrader les PFAS en conditions opérables sur site. Les solutions existantes au laboratoire sont inapplicables sur le terrain. Même le taux d’adsorption sur charbon actif est encore très inférieur à celui des solvants chlorés, par exemple. Nous avons tous une grosse marge de progression devant nous» répond Jonathan Sénéchaud (Colas). En partenariat avec le BRGM, Colas participe par exemple au projet Promisces12 qui vise à trouver des solutions de traitement des PFAS dans le sous-sol.

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