La dépollution des sols et des nappes, marché aujourd’hui mature, doit faire face aux évolutions générales de l’économie, ainsi qu’à des changements propres au métier. Tous les acteurs se mettent en ordre de marche
Toujours aussi nécessaire, la
dépollution des sites et sols
pollués subit de plein fouet
plusieurs évolutions contextuelles.
Des facteurs extérieurs - crise de
l’énergie et des matières premières,
préoccupations environnementales
croissantes - comme internes - numérisation, évolution de la réglementation,
«nouveaux » polluants - entrent en
jeu. Les intervenants sur ce marché
doivent s’adapter à la nouvelle donne,
qu’il s’agisse d’experts en études, ingénierie et réalisations comme Diastrata,
Envireausol, Envisol, Ginger Burgeap,
Tauw, Tesora ou encore Valgo, de
prestataires d’exécution de travaux de
réhabilitation comme Brézillon, Colas
Environnement, Haemers, Lhotellier,
Ortec Soleo, Remea, Sarpi Remediation
(Veolia), Séché Environnement, Serpol,
Solrem Environnement ou bien de développeurs de solutions logicielles comme
Geovariances, Terraindex ou Tellux.
UN CONTEXTE INCERTAIN
Comme beaucoup de branches d’activité, la dépollution des sites et sols fait aujourd’hui face à l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières. «Nous voyons un ralentissement voire un arrêt des projets immobiliers, tant à cause de la hausse globale des coûts de construction que de la difficulté à vendre les produits finis. L’activité de dépollution s’en ressent» affirme ainsi Julien Alix, directeur de l’activité dépollution chez Lhotellier. «Il demeure encore beaucoup d’incertitude lié au contexte économique et énergétique actuel, qui impacte durablement les secteurs de l’industrie et de l’immobilier et donc toutes les filières associées.
Il y aura toujours des projets mais ce contexte accentue la pression tarifaire et la tension sur l’activité» estime pour sa part Amélie Rognon, directrice développement Ortec Soleo. Laurent Mansuelle, responsable du pôle technique chez Serpol, comme Sébastian Kaskassian, Expert Sites pollués & Responsable innovation chez Tauw, soulignent eux aussi un contexte tendu et des projets de plus en plus souvent reportés. «Dans ce contexte incertain, il est également important de maîtriser les coûts de travaux de dépollution. Cette fiabilité passe par un Plan de Conception de Travaux avec des essais au laboratoire et/ou sur le terrain afin de dimensionner précisément le traitement et ainsi sécuriser les travaux, fait valoir Olivier Tanguy, directeur de Solrem. Solrem réalise par exemple des essais de stripping au laboratoire permettant d’évaluer rapidement, avec seulement quelques litres d’effluents, la faisabilité de ce traitement».
Mais la profession souhaite rester optimiste, comme l’indique Remea: malgré les reports et la hausse des coûts, les projets se feront tôt ou tard qui plus est dans un contexte où la prise en compte des considérations environnementales est de plus en plus poussée. Cela est le cas en France comme à l’étranger, ce qui représente des leviers de croissances ou de maintien de l’activité. «Cette hausse des prix va aussi pousser les donneurs d’ordre à devoir anticiper ces travaux de dépollution pour payer moins cher des techniques qui prennent plus de temps» analyse Vivien Poulard, directeur général. La crise énergétique pourrait même modifier certains choix techniques. Ainsi la désorption thermique, qui a le vent en poupe ces dernières années, pourrait marquer le pas. «Etant donné les prix du gaz et la tension sur l’approvisionnement, la désorption thermique perd sa compétitivité » estime ainsi Julien Alix (Lhotellier). «Après avoir beaucoup travaillé avec la désorption électrique, nous avons essayé le gaz l’année dernière.
Etant donné le prix du
gaz et son bilan carbone, c’est devenu une
impasse. Comme les tarifs de l’électricité
augmentent aussi, il va peut-être falloir se tourner vers des techniques plus
«douces», biologiques par exemple, favoriser les traitements sur site, améliorer
la gestion des terres avant élimination…
Ce changement de contexte peut aussi
créer des opportunités pour innover »
préfère voir Christophe Chêne, directeur technique d’Ortec Soleo. «Pour
les cas où les traitements biologiques
ne sont pas pertinents, la désorption
thermique reste une option de premier
plan à condition de dimensionner/préciser les zones à traiter et la température cible. Colas Environnement met
par exemple en œuvre de la désorption thermique à plus basse température qui permet de gérer rapidement
des sources de solvants tout en maîtrisant la consommation d’énergie et les
coûts » précise Jonathan Senechaud,
Responsable développement de Colas
Environnement.
Même position chez Haemers Technologies, qui voit plutôt une évolution favorable pour la désorption thermique grâce à l’augmentation des prix de l’énergie. «Ceci est le fruit d’années recherche et développement, qui portent aujourd’hui leurs fruits. La désorption thermique chez HT consomme moins de 200KWh par tonne, c’est-à-dire autant qu’une excavation à 6 mètres et un transport sur 80 km», poursuit Jan Haemers, Managing Director. L’impact climatique de la DT est aujourd’hui bien inférieur à l’excavation et l’évacuation et elle est considérée par de nombreuses études internationales comme la technologie la plus durable, notamment parce qu’elle ne laisse pratiquement pas de pollution résiduelle. En effet, si l’usage futur est pris en compte pour définir les objectifs de dépollution, il ne faut pas oublier que cela se base sur des études de risque, et que celles-ci sont très subjectives et dépendent fortement des experts qui les pratiquent. Dès lors, de plus en plus de maîtres d’ouvrage préfèrent un traitement définitif de la source de pollution plutôt que de laisser une pollution résiduelle compatible avec l’usage futur, sur la base d’une étude de risque dont les conclusions pourront éventuellement être contredites par une étude ultérieure. En traitant la source définitivement, le score de durabilité est amélioré car rien n’est transféré à la génération suivante». Une chose est sûre. Parce qu’il existe autant de procédés disponibles (techniques physiques, oxydation, désorption, techniques électriques) que de zones à cibler, dans un contexte énergétique troublé, les techniques à privilégier doivent être non seulement explorées sur la base de critères techniques et économiques que sur l’atteinte aux objectifs climatiques. Face à cette nouvelle donne, les acteurs historiques comme Purolite, Lhoist ou encore Züblin travaillent en étroite collaboration avec les industriels pour continuer à améliorer l’efficacité de leurs procédés de dépollution. Ces contraintes actuelles s’ajoutent à la politique du "zéro artificialisation net" qui prône de reconstruire la ville sur la ville. «Dans ce contexte, les contraintes géotechniques deviennent majeures et favorisent l’utilisation des techniques in situ de soil mixing, injection, substitution à la tarière, ou encore substitution sous boue dont Remea a fait une de ses spécialités» indique Vivien Poulard (Remea). Des bio-additifs naturels sont par ailleurs disponibles avec des produits référents à travers la marque MycoEpur de Greencell.
DÉPOLLUER OUI, MAIS JUSQU’OÙ ?
En y mettant assez de moyens, d’énergie - souvent fossile - et de temps, il est possible de nettoyer, ou à défaut d’excaver et évacuer, la plupart des terres polluées. Mais est-ce toujours nécessaire? La dépollution d’un site a un impact environnemental global, en particulier via les émissions de CO2 , engendre des nuisances (charroi, poussières, bruit) dans le voisinage et bien sûr a un coût économique. Tout cela est à mettre en balance avec la valeur du terrain, dans tous les sens du terme: valeur économique, valeur d’usage, valeur environnementale… Autrement dit, jusqu’où faut-il dépolluer ? Contrairement à d’autres pays européens où le seuil de dépollution (la quantité admise de polluant restant en place) à atteindre est fixe, la méthodologie française demande d’une part d’enlever la source et, d’autre part, de dépolluer jusqu’à un seuil variant en fonction de l’usage futur du site. Il sera plus sévère pour une zone d’habitation ou une école que pour un parking, par exemple. La réponse appartient donc en grande partie aux MOA -promoteurs, collectivités, aménageurs ou industrielsqui décident de l’usage futur du site. Les bureaux d’études et même les sociétés de travaux peuvent toutefois apporter des éléments de réflexion.
La première possibilité, pour les projets d’une certaine ampleur, est de repenser l’aménagement du site en fonction de la pollution constatée. Les bureaux d’étude peuvent y contribuer. «Si l’usage d’un grand site n’est pas encore complètement défini, nous pouvons réaliser plusieurs simulations, tester des positionnements : installer les usages les moins sensibles dans les zones les plus polluées. Lorsque les objectifs de dépollution envisagés ne sont pas atteints, il est possible de recourir à des dispositions constructives (gestion du transfert de volatils dans les bâtiments) ou des restrictions d’usage (interdiction de potagers dans les nouveaux aménagements)» énumère Sébastien Kaskassian (Tauw). «Parfois, notre intervention s’attache à limiter l’impact de la pollution d’un site vers l’extérieur par des techniques de barrière perméable réactive. Ainsi, on ne traite pas la source mais on stoppe sa propagation» explique Stephane Abello, responsable technique et méthodes de Remea. Lhotellier est en train de réaliser un chantier complexe en Normandie. «Dans le cadre du Tiers demandeur, un promoteur envisage de construire des habitations collectives et individuelles sur le site d’une ancienne usine laissée à l’abandon. Nous allons réaliser la déconstruction-désamiantage puis excaver les poches les plus concentrées ou faire du venting, selon les endroits. Une zone très polluée destinée à l’habitat amène le promoteur à l’aménager en jardin paysager» explique Julien Alix. La même démarche peut s’appliquer à l’échelle d’une ZAC. La collectivité qui a préempté l’espace peut choisir soit l’option «jusqu’au boutiste» - dépolluer au maximum le site entier et livrer un terrain propre à des acquéreurs qui en feront ce qu’ils voudront – soit livrer les parcelles telles quelles, laissant chaque acquéreur dépolluer son lot en fonction de l’usage qu’il envisage.
«Nous avons développé un outil pour aider à cette réflexion. Nous injectons les données du diagnostic de pollution dans un modèle mathématique et les «projetons» sur le programme immobilier. Cela permet de dire, par exemple, qu’il n’est pas possible de construire des habitations à tel endroit, donc il faut soit lancer une dépollution coûteuse, soit plutôt envisager d’y mettre un parking ou un jardin. Cela doit se faire assez tôt, et les promoteurs y viennent de plus en plus» explique ainsi Sylvain Petit (Ginger Burgeap). Des choix peuvent également être faits au moment de la réalisation du chantier. Réalisation qui peut d’ailleurs elle-même, en retour, engendrer des contraintes pour l’aménagement futur.
«Là où, historiquement, les promoteurs
étaient pressés et il fallait sortir les terres
le plus rapidement possible, nous voyons
aujourd’hui une vraie réflexion sur la réutilisation sur site -sous voirie ou parking
par exemple- de terres peu impactées.
Beaucoup moins de terres sortent des
sites. Cela peut aller jusqu’à la construction de merlons paysagers avec des terres
«encapsulées» pour bloquer la migration
de la pollution. Bien entendu la question
de la pérennité des encapsulages se pose»
constate Julien Alix (Lhotellier).
«Il est important d’intégrer l’entreprise
de travaux en amont du projet. Un chantier de dépollution implique des opérations de BTP - faire des blindages,
rabattre une nappe, creuser - plus ou
moins compatibles avec la réalisation
du projet d’aménagement. Par exemple,
le soil mixing altère les caractéristiques
géotechniques du sol: il faut prendre en
compte si il est souhaité de construire
dessus…» plaide Arnaud Perrault, directeur de Colas Environnement. Colas a
l’occasion de déployer plusieurs techniques, avec leurs contraintes en termes
d’aménagement, sur le vaste projet de
requalification du site des anciennes
usines Neyrpic, à Saint-Martin d’Hyères
(Isère).
«C’est pourquoi bien souvent, il faut étudier l’ensemble des composantes du sol et de la pollution pour proposer une dépollution qui s’insérera au mieux au projet de réhabilitation, développement et/ou construction,» fait remarquer Vivien Poulard. Le groupe associe alors compétences de renforcement de sol et de la géotechnique, développées par le groupe Soletanche-Freyssinet auquel Remea appartient». A des fins de compréhension et de diagnostic mais également pour mieux maîtriser les projets de réaménagement, l’utilisation de la biodisponibilité et la bioaccessibilité des polluants prend progressivement de l’ampleur, note Wessling. D’une utilisation encore limitée, ces outils tels que les tests UBM, PBET ou FOREhST ouvrent de nouvelles perspectives dans les conditions de réemploi des sols. Stéphane Fievet, membre du Groupe de Travail élargi Bioaccessibilité orale des métaux et métalloïdes dans les sols et responsable du service R&D chez Wessling France relève «que dans de nombreux cas les polluants, principalement les métaux mais également certains organiques ne sont pas biodisponibles ni bioaccessibles et ne présentent donc qu’un danger limité pour les utilisateurs en surface. Un changement de paradigme qui permettrait donc d’aménager un sol toujours pollué mais pour autant inoffensif».
DÉPOLLUTION ET ENVIRONNEMENT : UN LIEN PAS SI ÉVIDENT
Dépolluer un site, est-ce forcément une bonne chose pour l’environnement ? Entre bilan carbone des travaux, protection de la biodiversité ou désimperméabilisation des sols, la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. «Il est souvent possible techniquement de dépolluer jusqu’au bout mais les travaux vont alors grever d’autres indicateurs environnementaux: CO2 , eutrophisation, artificialisation des sols, perte de biodiversité, nuisances pour le voisinage…
On nous demande de plus en plus d’inclure ces critères de choix dans nos scénarios de réhabilitation» affirme ainsi Sébastien Kaskassian (Tauw). «Une fois atteint le seuil de dépollution suffisant pour assurer la sécurité sanitaire des usagers du site, quid de traiter encore des milliers de tonnes de terre ? Il devient difficile de répondre. Il y a dix ans, on ne se posait pas la question: on retirait les polluants. Maintenant on se demande s’il est nécessaire d’enlever encore 4 kilos de polluant en générant 20 tonnes de CO2» souligne pour sa part Arnaud Perrault (Colas Environnement). «Le groupe Colas a développé un outil donnant le bilan carbone de cela a posteriori pour vérifier les efforts de réduction globale. C’est pourquoi nous, à Colas Environnement, avons développé un outil, fonctionnel depuis novembre 2022, fournissant un bilan carbone au moment de l’offre, pour pouvoir proposer différentes solutions au client ou au bureau d’étude. Il est construit à partir du logiciel SEVE1 , développé par Routes de France2 pour le monde du BTP» précise-t-il. Reste que chaque société, quand elle le fait, utilise sa propre méthode pour estimer le bilan carbone des travaux envisagés. Il n’existe pas de référentiel commun reconnu par la profession, ce qui, pour le client, ne facilite pas la comparaison des offres… «Les clients commencent à intégrer le bilan carbone des travaux dans leurs appels d’offre comme critère de choix. Chez Ortec Soleo, nous avons mis en place un plan climat pour réduire nos émissions. Pour certains projets, nous identifions et chiffrons les solutions alternatives moins carbonées et les coûts associés afin de laisser le client choisir en tout état de cause. Nous avons développé, à ce titre, un outil qui nous permet d’estimer pour la majorité des techniques de dépollution, les émissions en GES. L’Union des professionnels de la dépollution des sites (UDPS) a édité récemment une charte de lutte contre le changement climatique. Mais il nous manque toujours un référentiel adapté à notre métier» regrette Christophe Chêne (Ortec Soleo). «Reste que l’enjeu ne réside pas tant dans la méthode de calcul du bilan carbone mais plutôt dans sa prise en compte par les maitres d’ouvrage», souligne Stephane Abello (Remea).
Outre les questions de désimperméabilisation des sols ou de protection de la biodiversité, qui sont plus du ressort des MOA, un chantier de dépollution, par définition, charrie ou traite de la terre. Est-il possible d’en faire des terres végétales, de recréer des sols fertiles? «Parmi nos onze plateformes de traitement des terres excavées, certaines produisent des terres végétales normées et réutilisables en aménagement paysager. Nous le faisons cependant à partir de terres inertes et non à partir de terres polluées traitées. Cette approche peut être adaptée sur chantier à partir de terres impactées que l’on va traiter et enrichir afin de constituer de nouveaux sols compatibles avec les usages du site réhabilité» répond Christophe Chêne (Ortec Soleo). Sarpi Remediation a achevé en 2022 le programme de R&D Agrege consacré justement à la valorisation des terres faiblement polluées en sols fertiles. «Nous avons beaucoup travaillé sur la renaturation et la refonctionnalisation des sols. Aujourd’hui on dépollue non seulement pour enlever le polluant mais pour redonner une vie au sol et restaurer ses fonctions: biodiversité, épuration, captation de l’azote… Le programme Agrege a maintenant donné naissance à une offre commerciale» affirme Olivier Sibourg (Sarpi Remediation). Il cite en exemple une réalisation à PierreBénite (Rhône). «Sur une zône dépolluée, une forêt urbaine a été recréée sur des sols refonctionnalisés. Les arbres attireront à leur tour une nouvelle biodiversité» explique-t-il. Inversement, certaines espèces végétales invasives peuvent constituer une atteinte pour l’environnement. C’est devenu l’affaire des sociétés de dépollution. «Nous travaillons beaucoup sur des plantes comme la renouée du Japon que l’on rencontre sur les sites abandonnés. La demande est de plus en plus forte. Nous devons trouver un traitement efficace pour que les terres traitées ne la transportent pas plus loin. Après avoir enlevé le maximum de plantes, nous concassons les terres pour faire exploser les rhizomes restants. Nous prévoyons ensuite une phase de test pour nous assurer de la disparition complète de la plante (absence de repousse).
Il existe aussi des solutions thermiques mais elles sont énergivores. Etant donné les volumes à traiter ces prochaines années, mieux vaut se tourner vers des solutions robustes et pas chères» affirme Julien Alix (Lhotellier). Ortec Soléo a traité avec succès des lots de terres polluées contenant des rhizomes de Renoué du Japon par désorption thermique à basse température, sur un projet de réhabilitation immobilière à Strasbourg. Ce traitement peut s’envisager par désorption thermique in-situ en préalable au terrassement des terres impactées ce qui limite toute dissémination. «Au Danemark notamment, les outils de durabilité – impact CO2 - sont devenus obligatoires pour certains marchés publics, ce qui a donné un boost à la désorption thermique in situ dans ce pays», fait remarquer Jan Haemers.
LES OUTILS NUMÉRIQUES, DEVENUS INDISPENSABLES
Même si la profession fait encore beaucoup appel au papier, ou aux fichiers numériques remplis «à la main», bureaux d’études et sociétés de travaux ne peuvent plus temporiser. Il faut désormais intensifier le recours au numérique, et ce à tous les stades d’une opération, du diagnostic initial à la réalisation du chantier.
Des outils existent déjà, qu’ils soient disponibles commercialement ou créés en interne, mais les acteurs continuent leur développement/amélioration. Dès le diagnostic initial, les outils numériques tendent à remplacer le «papiercrayon». «Sur le terrain, on a de plus en plus souvent recours à des tablettes pour enregistrer et envoyer les données en direct. Nous développons actuellement une manière de collecter automatiquement les mesures en cours de sondage exploratoire. Par une liaison à distance, la sonde envoie les concentrations au fur et à mesure qu’elle descend, par exemple tous les trois centimètres. C’est très précis et permet d’orienter immédiatement le sondage suivant, par exemple» explique Sylvain Petit (Ginger Burgeap). «Dès la phase de collecte des données, il faut agréger les résultats des études antérieures et ceux du diagnostic terrain. L’opérateur dispose sur sa tablette d’un logiciel où entrer toutes les informations, scanner les code-barres des flacons d’échantillons à destination du laboratoire, etc. Tout cela part directement dans notre base de données. Nous pouvons alors créer des cartes à deux ou trois dimensions avec toutes les informations connues, plus les données publiques provenant par exemple de l’IGN pour la topographie, la position des cours d’eau… Pour rendre la 3D au client, nous utilisons de plus en plus les rapports dynamiques, que ce soit en pdf ou par accès direct à notre intranet» détaille Sébastien Kaskassian, de Tauw. De la même manière, Remea acquière l’ensemble des données de sol dans un outils de géolocalisation qui permet d’utiliser les données antérieures, gage d’une meilleure analyse technique des futurs chantiers. Tellux utilise l’imagerie hyperspectrale pour l’analyse des sols couplée à de l’intelligence artificielle. La technologie permet une lecture continue de la pollution et des composites des sols sur toute la profondeur d’un sondage fournissant ainsi aux maîtres d’ouvrages le moyen de sécuriser financièrement les chantiers de dépollution, indique la société. Une fois les données acquises, encore faut-il en effet les exploiter, en tirer des informations ou des prévisions et les intégrer dans le projet d’aménagement (plan de gestion puis plan de conception des travaux). «Là encore, nous faisions récemment des cartes «à la main» ou presque. Il existe de plus en plus d’outils numériques pour faire de la géostatistique, traiter les données pour avoir une vision précise de l’étendue et de la concentration des panaches afin d’optimiser la dépollution ultérieure. Sans compter la modélisation qui permet de prédire, par exemple, l’évolution du panache en fonction du traitement proposé» énumère Sylvain Petit (Ginger Burgeap). «Depuis plusieurs années, les constructeurs utilisent des BIM, qui modélisent tous les réseaux en 3D, pour gérer les grands projets.
Nous tendons de plus en plus à configurer nos données concernant le sous-sol de manière à les intégrer au BIM mis en place par le promoteur qui aménagera le site» ajoutet‑il. Même démarche chez Tauw, comme l’explique Sébastien Kaskassian: «nous testons actuellement la possibilité d’importer nos modèles 3D de pollution et nos scenarios de dépollution directement dans le BIM du constructeur. Des tests sont en cours, mais cela demande beaucoup de développement sur le format des fichiers ou la typologie des données». Tauw utilise pour tout cela un mélange de logiciels du commerce et d’outils «maison». «L’acquisition des données, comme d’ailleurs plus tard le suivi de travaux, se fait via le logiciel TerraIndex3 . Les données sont versées dans notre propre base et, pour la visualisation, nous avons développé en interne un SIG4 qui positionne ces valeurs dans l’espace. Pour faire ensuite de la modélisation en 3D, nous utilisons Kartotrak, un outil géostatistique vendu par la société française Géovariances. Les passerelles avec le BIM du constructeur sont en revanche développées en interne» détaille Sébastien Kaskassian. L’entreprise TerraIndex a mis au point un logiciel qui rend l’exécution des tâches plus efficace, la compréhension et l’analyse des données plus rapides. «Toutes les étapes de l’étude des sols : étude préliminaire, travail sur le terrain, communication avec le laboratoire et rapportage sont organisées et intégrées de manière optimale, dans une seule et unique plateforme. Les doublons et les erreurs sont ainsi évités ; le recueil et l’affichage des données sont structurés et standardisés ; les données, numérisées, peuvent être facilement exportées dans des SIG et autres systèmes informatiques» détaille Delphine Michault, responsable commerciale France. Conseil en diagnostic et procédés de traitement, EvalDépol propose également des logiciels qui visent à modéliser et comprendre les problématiques souterraines en trois dimensions.
«Au-delà des outils qui permettent
d’enregistrer et stocker les informations
de manière structurée, nous avons développé et breveté des algorithmes d’apprentissage profond (Deep-Learning) qui
tirent pari des données de diagnostics
(analyses chimiques, coupes géologiques,
niveaux de nappes) pour aider et orienter
les personnels sur le terrain», résume
Aurélien Triger, président de l’entreprise. Dans le futur, ces logiciels pourront être implantés sur des dispositifs
mobiles pour diagnostiquer des sites
de façon autonome. «Rarement dépollués entièrement, des servitudes pouvant
être mises en place, il est important de
conserver, dans le temps, la mémoire
numérique des sites pour ne pas perdre
d’informations sur les éventuelles pollutions résiduelles ».
Colas Environnement a franchi un pas
de plus en créant en 2018 son propre
BIM sur le site bien connu de la réhabilitation de la raffinerie de Dunkerque.
«Nous sommes encore loin de la généralisation. Les MOA ne connaissent
pas encore bien le BIM, qui donc ne le
demandent pas dans les appels d’offre.
Nous le proposons tout de même sur
certains dossiers complexes » tempère
Arnault Perrault.
Vient ensuite la phase de réalisation
proprement dite. Le suivi et le reporting du chantier font appel à autant d’outils qu’il y a de sociétés de travaux… plus
des logiciels du commerce pour l’agrégation des données, comme par exemple
le KiwiMaps d’Evaldepol5
. «Sur les projets complexes, nous utilisons des logiciels
pour faciliter visuellement la compréhension de nos processus techniques à nos
clients. La préparation documentaire et
le suivi de chantier sont simplifiés autant
que possible via l’utilisation d’une documentation dématérialisée – ce qui fait
gagner du temps et de l’efficacité à nos
équipes sur le terrain. Pour les chantiers
complexes de dépollution de terres, nous
avons développé en interne une application GAIA. Il s’agit d’un outil de cartographie et de monitoring qui s’utilise
directement sur le chantier sur tablette
ou smartphone. Elle permet de fournir en temps réel, un reporting détaillé
de la gestion des mouvements de terres.
En combinant ainsi l’ensemble des paramètres clés du chantier, l’outil permet de
s’adapter aux éventuels changements de
chantier comme des découvertes sur le
terrain ou des évolutions de phasage, tout
en optimisant les volumes de matériaux
par des solutions de traitement, réemploi,
et valorisation adaptées. Depuis sa création en 2015, de nouvelles fonctionnalités
ont été ajoutées, comme notamment, la dématérialisation de toute la documentation liée à la traçabilité. L’outil communique aussi avec trackdéchets» précise Amélie Rognon (Ortec Soleo). «Pour dimensionner des travaux à la demande d’un bureau d’études, nous devons parfois nous appuyer sur une somme de données de toutes natures, parfois anciennes, provenant d’études antérieures. Comme intégrer tout cela? Nous avons financé une thèse avec l’Ecole Nationale Supérieure en Environnement Géoressources et Ingénierie du Développement durable (ENSEGID) de Bordeaux pour travailler sur l’aggrégation des données par l’intelligence artificielle. En partenariat avec l’université de Bordeaux et Ford, elle utilisera le cas du site Ford de Blanquefort» explique Olivier Sibourg (Sarpi Remediation). «Pour le reporting, nous utilisons QuickConnect, un logiciel qui s’installe dans un smartphone. Plus besoin de sortir une feuille, cocher des cases puis rentrer au bureau, photocopier pour que quelqu’un entre ensuite les données dans une base… Ça nous a changé la vie ! Par ailleurs, pour le suivi en temps réel de l’avancement, nous avons développé en interne le logiciel e‑Depol. Nos unités de traitement automatisées y déversent directement leurs paramètres. Il est en rodage sur quelques chantiers. Toutes ces informations sont centralisées et, pour produire les rapports au client, nous utilisons Power BI (Microsoft)» précise Arnault Perrault. Le groupe Lhotellier suit la même démarche. «Nous sommes en phase de numérisation du suivi de nos chantiers.
Le traitement in situ avec venting, notamment, nécessite de relever des paramètres plusieurs fois par semaine. Des outils numériques internes, installés sur tablettes, procurent un vrai gain de temps de travail pour les ingénieurs. Ils permettent d’éditer ensuite automatiquement des tableaux de bord. Pour en arriver à produire de véritables cartes, en utilisant le GPS, nous travaillons à une solution avec un partenaire» explique Julien Alix. «Nos unités de traitement sont toutes pilotées par des automates consultables à distance. Cette télégestion permet de savoir ce qui se passe, récupérer des données, éditer des tableaux de bord et même interfacer directement avec le client qui a ainsi une idée du fonctionnement de nos installations. Nous concevons tout cela avec nos automaticiens» souligne de son côté Christophe Chêne, d’Ortec Soleo.
Serpol utilise également de plus en plus d’outils numériques, comme l’explique Laurent Mansuelle. «Pour intégrer directement les données de terrain puis en tirer des rapports, nous utilisons des outils comme, entre autres, TerraIndex, installés sur des tablettes. Nous développons d’ailleurs une nouvelle «brique» logicielle qui nous permettra de cartographier les résultats» révèle-t-il. Cas plus particulier, Serpol a lancé un programme de recherche sur l’utilisation de gels pour vectoriser des réactifs et améliorer la récupération des polluants organiques. «Pour comprendre comment le gel se comporte dans le sol, nous avons mis en place une imagerie 3D par tomographie électrique. En partenariat avec des laboratoires universitaires, nous développons des procédés in-situ d’extraction des polluants organiques beaucoup plus efficaces et donc permettant en une seule intervention d’atteindre desseuils de dépollution plus bas et de s’affranchir d’étape supplémentaire de traitement» se félicite Laurent Mansuelle (Serpol). Ces solutions digitales permettent effectivement de fiabiliser l’exploitation, de maîtriser les travaux de réhabilitation et d’apporter de la data en temps réel aux clients et/ou maîtres d’œuvre, reconnaît Olivier Tanguy (Solrem). «L’empreinte carbone de l’entreprise est d’autant plus limitée avec la réduction des déplacements des équipes sur les installations de traitement. Les équipes de Solrem ont notamment expérimenté cette solution lors d’une expédition scientifique au Groenland cet été, en équipant le bateau de différents capteurs eau et air.
Chaque jour, depuis le pôle Nord, un flux de Data d’environ 45000 données est collecté, intégré en base de données et interprété par les outils de Data que Solrem développe. Ces outils sont typiquement des solutions que nous mettons en place pour la gestion de nos chantiers de dépollution in situ». Les bureaux d’études, qu’ils soient en position de MOE ou d’assistants à MOA, peuvent eux-aussi avoir à suivre la réalisation des travaux. «La collecte des informations sur les travaux n’est pas encore complètement intégrée dans nos outils aujourd’hui.
L’idée est de consolider dans un même outil des données comme le suivi et la qualité des terres ou l’état d’avancement des travaux. Actuellement, cela fonctionne pour le suivi des terres mais il n’existe pas encore de lien avec l’avancement temporel des travaux, que nous faisons encore a posteriori chaque semaine» regrette Sébastien Kaskassian (Tauw).