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Dépollution des sols et des nappes : une activité essentielle redessinée par de nouveaux marchés

26 février 2025 Paru dans le N°479 à la page 27 ( mots)

Tenus d’innover pour se démarquer, à plus forte raison dans un contexte économique incertain, les acteurs de la dépollution des sites et sols contaminés continuent leurs recherches pour s’adapter aux nouveaux polluants et à de nouveaux types de chantiers. Tour d’horizon d’un secteur clé actuellement en mutation.


Toujours indispensable, la dépollution des sols et sites contaminés – et par ricochet des eaux qui les traversent – se situe néanmoins en «bout de chaîne» des activités industrielles ou d’aménagement du territoire. Son niveau d’activité reflète donc les hauts et bas de l’économie… laquelle est peu florissante en ce moment. Les acteurs de ce secteur, regroupés pour certains au sein de l’Union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS1 ), se répartissent en deux métiers. D’une part les bureaux d’études ou d’ingénierie, comme Diastrata, Envireausol, Envisol, Estralab,Ginger Burgeap, Ramboll, Tauw France, ou Tesora se chargent des diagnostics, des plans de gestion et souvent des plans de conception des travaux (PCT). 

Skid de venting Serpol automatisé permettant le monitoring en continu des paramètres de fonctionnement (débit, pression, teneurs en polluants, etc.), facilement déplaçable en usine, en intérieur comme en extérieur.

D’autre part les prestataires de travaux comme Brézillon, Colas Environnement, Haemers Technologies, Lhotellier, Ortec Soleo, Remea, Sarpi Remediation (Veolia), Séché Environnement, Serpol, Solrem Environnement, Züblin ou Deme Environnement réalisent les chantiers - et apportent pour certains leur expertise de terrain pour aider à l’élaboration des PCT, en particulier via la réalisation d’essais en laboratoire ou pilotes. Deux branches qui vivent différemment la période actuelle… 

UN CONTEXTE ENCORE TENDU… 

Tous les acteurs de la dépollution partagent le même constat: la conjugaison d’une économie atone et de l’incertitude sur le budget de l’État leur fait passer des moments délicats. L’immobilier, un de leurs principaux donneurs d’ordres, est en berne. Les industriels, autres grands demandeurs, vivent eux-mêmes une période difficile, et les collectivités locales resserrent leurs budgets d’aménagement. 

Le résultat ne surprendra personne: «Le marché de la dépollution est de plus en plus tendu», comme le constate Laurent Mansuelle, Expert technique Sites et Sols Pollués chez Serpol. Jean-François Houstin-Le Boëdec, Directeur d’Activités chez Lhotellier, pose le même constat: «Le marché est à la peine. Nous constatons une baisse d’activité depuis l’été 2024.» 

Jonathan Sénéchaud, responsable du développement chez Colas Environnement, souligne lui aussi un marché stagnant, avec toutefois une distinction: «L’immobilier est en baisse depuis 2023 mais c’est plus contrasté chez les industriels. Ce marché est actuellement plus tiré par la réhabilitation des anciennes friches que par la réponse aux injonctions de la DREAL sur les sites en activité» explique-t‑il. Il cite pour exemple la dépollution du site de l’ancienne usine à gaz d’Aurillac, racheté à Engie par la municipalité. Ou, à Longlaville (Meurthe-et-Moselle), la réhabilitation d’une ancienne friche où doit s’installer une usine de recyclage de PET (polytéréphtalate d’éthylène)). 

«Les grands acteurs de l’aménagement souffrent, les promoteurs immobiliers ont moins de ressources financières, donc les projets de dépollution ont du mal à sortir. L’industrie n’est pas florissante. Il reste cependant un secteur actif, celui des énergies renouvelables qui vit une croissance importante. Cela implique des projets à grande échelle pour installer des parcs photovoltaïques ou des usines d’hydrogène sur des anciennes friches. Cependant, ces activités sont moins exigeantes en termes de niveau de dépollution que des opérations de construction d’habitations ou d’écoles, par exemple. Les travaux sont donc minimisés» souligne pour sa part Quentin Zeller, Directeur du développement commercial chez Ortec-Soleo. Il met toutefois en avant la dépollution d’un ancien dépôt pétrolier dans le port de Papeete à Tahiti (Polynésie Française), où Ortec Soleo a terrassé puis dépollué sur site, en bioterte, environ 10000 m3 de terres contaminées aux hydrocarbures. 

Hugo Barbera, Directeur Commerce France chez Sarpi Remediation (groupe Veolia), constate la même panne du marché de l’immobilier, et donc des chantiers de dépollution afférents. « Étant plus orientés vers les chantiers industriels, nous nous en sortons un peu mieux » tempère-t‑il. Sarpi Remediation est par exemple attributaire d’un gros projet en Seine-et-Marne. Ce chantier de terrassement (et tri d’eaux saumâtres) aura la particularité de se dérouler sous tente, dans un terrain pourtant en forte pente. Les terres, polluées en profondeur par des métaux, seront évacuées en filières. Hugo Barbera fait également mention d’un gros projet de stabilisation et confinement de terres mercurielles chez un industriel, ou d’évacuation de terres chargées en PFAS. 

Spécialisée dans les solutions d’étanchéité par géomembranes, la société Proterra environnement intervient pour sa part sur différents types d’ouvrages en France et à l’international, pour assurer le confinement de terres polluées en isolant les contaminants afin d’éviter toute propagation. «Qu’il s’agisse de scories sodiques, de boues hydrocarburées, de remontées polluantes d’un sol sur une plateforme, de fuites potentielles, ou d’un process de dépollution industrielle, plusieurs solutions sont possibles : créer un merlon en recouvrant la zone de terres polluées sous une couche de géosynthétiques pour limiter la diffusion des polluants ou encapsuler totalement les sols pollués dans une alvéole creusée à cet effet et fermée par une couverture étanche afin de limiter les infiltrations d’eaux de pluie et la migration des gaz», détaille Proterra environnement.

Pour ce type d'opération, le chantier de dépollution et de réhabilitation de l’ancienne raffinerie de Frontignan (34), mené par Séché Eco Services, s’impose comme l’un des projets les plus ambitieux d’Europe à l’heure actuelle. S’étendant sur 11 hectares au cœur de la ville, ce chantier vise à éliminer une pollution historique aux hydrocarbures et aux métaux lourds, notamment le plomb et l’arsenic, due aux anciennes activités industrielles du site et à son bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale. Face à cette situation complexe, la gestion des nuisances olfactives représente un véritable défi. Une tente géante de 50 m sur 120 m a été mise en place, équipée de systèmes de purification de l'air pour permettre une réalisation des travaux sous confinement. Celle-ci sera déplacée 17 fois sans être démontée au cours du chantier. 


Chantier mené par Sarpi Remediation sur le site d’une ancienne cokerie en Moselle. 

En périphérie du site, dans les zones inaccessibles à la tente, les excavations sont réalisées uniquement lorsque les conditions de vent sont favorables. La proximité avec la mer entraîne également la présence d’eaux souterraines proche de la surface, nécessitant un pompage et un traitement des eaux en fouille. Sur le plan technique, la situation est particulièrement complexe en raison, d’une part, du bombardement du site pendant la Seconde Guerre mondiale ayant quasiment détruit la raffinerie et généré des infiltrations de produits hydrocarburés dans le sous-sol et entraînant la présence potentielle d’engins pyrotechniques non explosés et, d’autre part, de la présence de nombreuses infrastructures (dalles, fondations, tuyauteries enterrées), rendant difficile la détection pyrotechnique. 

Le chantier, débuté en août 2022, devrait s’achever avant l’été 2026, marquant ainsi une étape décisive dans la réhabilitation d’un site stratégique. Il convient de distinguer les chantiers «pelle-camion» - qui consistent à excaver et évacuer les terres polluées vers des plateformes de traitement ou de stockage - des chantiers faisant appel à des techniques de traitement de la pollution in situ, ou au moins sur site. «Le marché est globalement morose mais restent les chantiers très techniques, avec des procédés in situ» soutient ainsi Christophe Chêne (Ortec-Soleo). Même vision de la part de Laurent Mansuelle (Serpol): «Nous sommes plus spécialisés dans le métier de l’in situ qui aujourd’hui souffre moins. Pour Serpol, ce marché s’est accru au détriment de la gestion des terres polluées, qui va mal. L’in situ, qui demande de l’expertise, permet aux sociétés spécialisées de se démarquer par rapport aux entreprises de terrassement ou de travaux publics.» 

La société Difope, spécialisée dans la fabrication de matériels et de produits pour les chantiers de dépollution, propose ainsi des rétentions souples pliables multifonctions, de quelques mètres cubes jusqu’à plusieurs centaines, pour le stockage temporaire des terres polluées. Un procédé évitant que les polluants ne soient lessivés par les eaux de pluies, et qui permet aussi de stocker des fûts percés, des IBC, ou encore des bidons. 

Ces rétentions souples pliables peuvent également être utilisée comme aire de lavage pour le matériel contaminé. «Ces différents modèles sont en stock permanent ou fabriqués sur mesure très rapidement. En complément, nous fabriquons également des barrages spécifiques pour contenir les polluants de surface mais aussi pour filtrer les matières en suspension (MES) grâce à des jupes filtrantes de 1 à 10 mètres de hauteur. Ces solutions illustrent notre engagement pour prévenir la pollution des sols et des nappes phréatiques, et contribuer à la protection de l’environnement tout en assurant aux équipes une utilisation facile et efficace des bacs et des barrages sur les chantiers  », explique Pascal David, gérant de Difope. 

… SAUF POUR LES BUREAUX D’ÉTUDES 

Les sociétés d’ingénierie ne manquent pour leur part pas de travail. «Les bureaux d’études ont beaucoup de projets en ce moment. En particulier pour établir les attestations Alur, nécessaires aux promoteurs pour obtenir un permis de construire, et les ATTES-SECUR (Secure, Mémoire et Travaux) que doivent fournir les industriels lors d’une cessation d’activité» estime Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement). Juliette Fournier, Principal chez Ramboll, précise: «Nous intervenons beaucoup d’une part lors de cessations d’activité, fréquentes en cette période, et d’autre part auprès d’industriels toujours en activité qui répondent à des obligations de dépollution ou d’identification de polluants». 

La tente de dépollution de 120 mètres par 50 mètres déplacée latéralement par un système de treuils sur le chantier mené par Séché Eco Services à Frontignan (34).

Deme Environnement constate aussi une certaine tension dans le marché de la dépollution, du fait d’un ralentissement des demandes : «L’activité ‘plateforme’ qui permet de réceptionner des terres issues de chantiers ‘pelle-camions’ tourne à bas régime mais elle est compensée par l’activité portée par d’autres installations de lavage. Nous pouvons faire appel à nos différentes installations de lavage physico-chimique et donc offrir une solution complète Off-site en plus de nos installations mobiles. De plus notre expertise dans la gestion et le traitement de toutes les boues polluées issues de nos dragages nous permet de garder un carnet de commande correct. À l’échelle européenne, le groupe a terminé avec succès quelques chantiers de dépollution pour des gros acteurs de la pétrochimie», détaille Jean-Pierre Desmanet, directeur de Deme Environnement. «Il existe toujours un décalage entre l’activité des bureaux d’études et celle des entreprises de dépollution. Notre métier, en cette période économique difficile, est d’accompagner les industriels dans leurs obligations. Actuellement nous faisons beaucoup de conseil et de diagnostic. Si cela peut déboucher sur du travail pour les dépollueurs, ce sera dans plusieurs mois» explique Olivier Sibourg, Principal de Ramboll France. 

Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement) partage cette vision: «Les bureaux d’études ont beaucoup de projets actuellement. Comme certains finiront par aboutir sur des chantiers, il n’y a pas lieu de trop s’inquiéter. Il y a toujours eu un décalage entre le moment où l’ingénierie travaille et celui où les sociétés de travaux entrent en jeu.» Un espoir d’embellie pour la fin de l’année, donc… 

DE NOUVEAUX MARCHÉS 

Sans que cela puisse compenser le ralentissement économique général, quelques nouveaux marchés ont émergé pour les entreprises de dépollution. En premier lieu, le gouvernement a lancé en février 2022 un plan3 national de résorption des décharges littorales. Il s’agit d’anciennes décharges, généralement municipales, qui sont aujourd’hui «attaquées» par la mer car le trait de côte recule. Résultat: les déchets se répandent sur le littoral et en mer. Mis en œuvre par le Cerema avec l’appui de l’Ademe, le plan dispose d’un budget annuel de 30 millions d’euros pendant 10 ans. Cinquante-cinq sites ont été initialement recensés mais le plan concerne actuellement une centaine de décharges. 

«Les premiers lots concernant la maîtrise d’œuvre et les études ont été attribués fin 2024. Ces chantiers constituent un relai d’activité intéressant pour nous. Ils peuvent être assez complexes du fait de la variété des déchets qu’on peut trouver dans ces anciennes décharges : on n’est pas à l’abri de surprises… Il y a en tout cas beaucoup de plastiques et microplastiques. Remea est intéressé car certaines décharges nécessiteront d’être stabilisées et confinées. Or nous maîtrisons des techniques comme le soil mixing ou l’injection (pour faire des murs souterrains). Nous savons faire des barrières perméables réactives, qui permettent de traiter l’eau sans interrompre l’écoulement de la nappe. Et nous développons le lavage et le tri, donc toutes les techniques appropriées pour cette problématique» assure Stéphane Abello, Responsable technique chez Remea.

Colas Environnement est également présent sur ce marché. «Nous avons participé aux tests sur le premier de ces chantiers, celui de la décharge de Dollemard, près du Havre. Nous intervenons également sur une ancienne décharge à Marseille, qui ne fait pas partie du plan national mais implique des travaux similaires. Il s’agit en général de terrassement et de gestion des déchets, soit hors site soit en reconfinement sur site dans les règles de l’art. Nous pouvons toutefois avoir affaire à de l’amiante et/ou des microplastiques» explique Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement). 


Bac souple multifonction : aire de rétention pour produits et terres polluées, aire de lavage et décontamination, fabriqué par Difope.

Les anciennes décharges de Dollemard près du Havre seront ainsi une grande première dans la série des réhabilitations du littoral avec la gestion de plus de 300 000 m3 de déchets en bord de mer de 2025 à 2028: «Ce projet de 40M€ a été attribué en conception/réalisation au groupement Tersen-Colas Environnement-Ginger-Solrem; des solutions innovantes vont être mises en œuvre à cette occasion dès 2025, avec notamment le procédé de lavage de terres développé et exploité par Solrem », ajoute Olivier Tanguy directeur de Solrem. 

Christophe Chêne mentionne également cette opportunité, même si peu de chantiers ont encore été réalisés. «Peu de chantiers ont encore été réalisés, à part les tests de Dollemard et les réhabilitations de La Torche à Ploemeur, dans le Finistère, et de Pré-Magnou à Fouras, en Charente. Les autres sont en phase d’études. Il n’est pas certain que toutes débouchent sur des chantiers car le remède peut être pire que le mal. Certains sites seront certes dépollués pour des questions de sécurité ou d’émission de déchets en mer mais les autres pourraient plutôt aller vers une sécurisation et une renaturation. C’est surtout un marché de terrassement et de tri physique. La question des microplastiques pourrait toutefois nous concerner mais le cadre réglementaire n’est pas encore fixé» explique-t‑il. 

Sans être nouveau, un autre type de chantier est actuellement en forte croissance: celui de la dépollution des eaux d’incendie. En cause: la multiplication des piles et batteries dans nos objets quotidiens - jusqu’aux automobiles. En fin de vie, celles-ci peuvent se retrouver dans des centres de stockage non spécifiques si le tri n’a pas été efficace. «Cela peut déclencher des incendies qui génèrent des eaux chargées de multiples sortes de polluants, que les exploitants stockent dans des cuves ou des bassins avant de faire appel à nous pour s’en débarrasser. Etant donné le panel des polluants présents, il faut souvent réaliser, en urgence, des essais au laboratoire, voire installer des micro-pilotes, pour déterminer les types de traitement à mettre en œuvre avant de rejeter les eaux au milieu. Ce type d’intervention est de plus en plus demandé, et exige de notre part une organisation interne apte à gérer l’urgence» explique Laurent Mansuelle (Serpol). 

«Tous les services et industriels liées à la défense sont aujourd’hui focalisés sur la production d’armes et de munitions du fait de l’actualité dans l’Est de l’Europe. Ils externalisent donc leurs actions de dépollution. Nous mettons en avant nos compétences pyrotechniques et chimiques pour répondre à cette nouvelle demande» affirme de son côté Hugo Barbera pour Sarpi Remediation. Un tendance confirmée par Franck Bourget, PDG de Remea, qui réalise la réhabilitation de lagunes pyrotechniques sur un site de fabrication de munitions. 

Travaux de pompage et traitement d'eaux impactées en PFAS, réalisés par Colas Environnement

Autre type de pollution nouvellement prise en compte: les espèces végétales invasives, comme par exemple la renouée du Japon. «C’est un nouveau marché : nous recevons de plus en plus de demandes. Nous rencontrons le problème lors de chantiers de terrassement. Auparavant, les terres contaminées par la renouée, par exemple, étaient simplement mises décharge de classe 3 car considérées comme inertes. Maintenant il faut les traiter. Nous le faisons sur notre site de Gaillon, dans l’Eure» explique Ludovic Revert, responsable de plateforme pour Remea. Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement) signale également le problème, soulignant qu’il fait en général partie d’un chantier plus global. 

TRAITER LES POLLUANTS ÉMERGENTS 

«Les polluants émergents nous apportent de nouveaux sujets d’études» affirme d’emblée Juliette Fournier (Ramboll). Et de fait, même si la réglementation n’est pas encore totalement en place, les bureaux d’études et certaines sociétés de travaux anticipent déjà la prise en charge de ces nouveaux polluants. «Le sujet des microplastiques nous intéresse techniquement. Ils posent en particulier un problème de caractérisation. Du fait de la dimension mondiale de Ramboll, nous bénéficions du retour d’expérience de nos collègues scandinaves, qui sont assez avancés sur les questions de caractérisation, d’évaluation d’impacts, etc.» explique ainsi Olivier Sibourg (Ramboll). «La question des décharges littorales met le sujet des microplastiques sur le devant de la scène. Il y en a partout, y compris dans les nappes. Or leur traitement relève encore de la R&D. L’Ademe s’y intéresse et finance des projets de recherche» remarque de son côté Jonathan Sénéchaud, pour Colas Environnement.

«Nous nous intéressons également aux composés actifs de l’industrie pharmaceutique, qui varient pour chaque industriel. Il reste un gros travail à faire pour savoir les analyser, les quantifier, déterminer les concentrations problématiques» ajoute Juliette Fournier (Ramboll). Les PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées), actuellement très médiatisés sous le sobriquet de «polluants éternels», représentent évidemment un marché d’avenir pour la dépollution. Si la réglementation n’est pas encore totalement fixée, certains industriels ont d’ores et déjà des obligations de caractérisation puisque les ICPE doivent les rechercher dans leurs effluents aqueux (arrêté4 du 20 juin 2023) et les incinérateurs dans leurs émissions atmosphériques (arrêté5 du 31 octobre 2024). «Ramboll est acteur sur le sujet. Nous accompagnons les industriels pour le bilan qu’ils doivent réaliser. Nous sommes d’ailleurs assez «pointus» en termes de caractérisation. Le vrai sujet est de trouver la source de ces molécules, d’identifier les responsables de la pollution. Les valeurs réglementaires commencent à arriver, les DREAL sont sensibilisées, cela va donc devenir un sujet de techniques de dépollution en 2025» prévoit Olivier Sibourg (Ramboll). 

«Les PFAS représentent un gros travail de caractérisation pour les bureaux d’études mais nous attendons la publication de seuils réglementaires pour nous positionner sur tel ou tel traitement. Nous maîtrisons des techniques comme le lavage, la stabilisation ou l’adsorption (pour les pollutions diffuses). Tout cela fonctionne mais la liste des PFAS concernés et les seuils doivent maintenant être fixés par la réglementation» tempère Stephane Abello, Responsable technique chez Remea (groupe Vinci) 

Site du projet de dépollution des anciennes décharges de Dollemard lancé par la mairie du Havre, qui débutera courant 2025.

Jonathan Sénéchaud, pour Colas Environnement, souligne pour sa part la complexité du sujet, tant en termes de techniques à déployer que de réglementation ou d’établissement des responsabilités. «C’est un marché d’avenir pour les sociétés de dépollution car il va falloir gérer ce passif. Colas Environnement s’est engagé dans trois projets de R&D sur le sujet avec le BRGM, l’un achevé (Concerto) et deux encore en cours. Promisces6 est consacré au développement de traitements capables de dégrader les PFAS in situ, et non de simplement les concentrer pour les envoyer vers une incinération, et Permute, qui prend la suite, testera les technologies développées grâce à des pilotes à échelle réelle sur des sites industriels» affirme-t‑il. Quentin Zeller, pour Ortec-Soleo, voit pour sa part un marché encore «inexistant» en l’absence de réglementation. «En revanche nous sommes très actifs en R&D. Nous avons déposé une demande de brevet sur une solution de destruction thermique à basse température des PFAS présents dans la terre. Nous obtenons des abattements supérieurs à 99 % en quelques heures sur la plupart des PFAS, en particulier le PFOS7 et ses dérivés. Cette technique peut être déployée sur site ou sur nos plateformes. Nous allons également proposer un projet ambitieux à Gesipol , l’appel de l’Ademe» précise Christophe Chêne (Ortec-Soleo). 

Deme Environnement observe le même phénomène face à la problématique des PFAS: « À ce jour, Deme Environnement n’a solutionné qu’une problématique PFAS en France alors que le groupe a déjà pris en charge et traité plus de 500.000 tonnes polluées au PFAS en Belgique et en Hollande. Notre expertise dans ce domaine est reconnue, notamment par les bureaux d’étude qui nous sollicitent pour s’appuyer sur notre expérience. Deme Environnement dispose aussi de compétences reconnues en matière de traitement de l’eau et peut fournir les solutions de filtration plug & play les plus avancées pour des applications industrielles », explique JeanPierre Desmanet. 

Sarpi Remediation attend les précisions réglementaires pour mettre en œuvre ses techniques de dépollution. «En consolidant les expertises présentes au niveau mondial dans le groupe Veolia, nous avons mis sur pied une offre globale permettant de répondre à toutes les problématiques PFAS, que ce soit dans les eaux, les terres ou les déchets. Nous développons maintenant des solutions pour les terres et eaux souterraines» affirme Hugo Barbera (Sarpi Remediation). 

Chantier de réhabilitation d’une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) à Strasbourg réalisé par Ortec Soleo

Pour Laurent Mansuelle, de Serpol, les sociétés de dépollution sont de plus en plus confrontées au problème des PFAS alors qu’elles interviennent sur un site pour d’autres polluants. «Cela pose un problème de gestion des effluents car les charbons actifs que nous utilisons pour d’autres polluants se chargent «au passage» de PFAS, qui ne peuvent pas être détruits par les procédés classiques de régénération. Ils sont également très présents dans les eaux d’incendie que nous sommes amenés à traiter. Les méthodes existantes à base de charbon actif ou de résine ne font que concentrer les PFAS: il faut ensuite les évacuer et les détruire. Notre R&D travaille à des méthodes de destruction des PFAS par oxydation avancée, capables de casser les chaînes fluorées, mais cela va prendre du temps, d’autant que les méthodes analytiques sont elles-mêmes en cours de développement» avance-t‑il. 

Le sujet décolle donc… lentement. «Je n’ai eu qu’une demande concernant des PFAS sur toute l’année dernière. C’est encore loin d’être une préoccupation opérationnelle, encore moins une opportunité de croissance» tempère ainsi Jean-François Houstin-Le Boëdec pour Lhotellier. 

Ce qui n’empêche pas les acteurs de se mettre en ordre de marche. «Nous nous sommes équipés d’une unité de lavage à cet effet» révèle par exemple Stéphane Abello, de Remea. Cependant, les fournisseurs de charbons actifs et de résines échangeuses d’ions, tels que Chemra GmbH et son distributeur Eneco du groupe Dolder AG, bénéficient déjà de plusieurs années d’expérience dans d’autres pays européens. Ils intensifient par ailleurs leur travail en matière de recherche et développement, ciblant les PFAS à chaînes courtes et la réduction des déchets. 

Frank Karg, qui a successivement fondé la société HPC Envirotec en France en 1992 puis HPC International SAS en 2016, insiste également sur les enjeux liés à la gestion des sites pollués par les polluants émergents, à l’instar des PFAS, qui n’ont été que peu voire pas traités au cours des dernières décennies, et sont aujourd’hui prioritaires. HPC International a ainsi intensifié son travail d’identification et de différenciation des sources de pollution, notamment via la méthode «MVA-IA» (Multi-Vector-Analyse sur base d’intelligence Artificielle). «Le traitement des PFAS doit se baser sur des études de faisabilité technico-économique et principalement sur des traitements in-situ.»

HPC International est ainsi spécialisée depuis de nombreuses années sur les traitements de dépollution in-situ, comme la DNBA microbiologique ou les lavages in-situ des sols et des aquifères par des bio-polymères protéiniques applicables pour des PFAS. Un savoir-faire et une expertise nécessaires afin d’éviter les excavations et les traitements trop coûteux à réaliser», souligne le dirigeant. «Un effort important de caractérisation est encore à fournir pour les PFAS, que ce soit en termes de méthodes analytiques, du choix entre le ciblage de molécules toujours plus nombreuses ou d'indicateur global, et de matrices environnementales. Bénéficiant du retour d'expérience de son groupe européen et poursuivant les travaux réalisés dans le cadre des projets Phytocarb et Argos (Gésipol ADEME), Tauw France utilise les arbres comme indicateurs de la pollution du sous-sol», ajoute enfin Sebastien Kaskassian, de chez Tauw France. 

TECHNIQUES : LA R&D TOUJOURS EN MOUVEMENT 

Désorption thermique, venting, biodégradation, oxydation ou réduction, pompage, excavation et lavage, soil mixing…: la palette de techniques de dépollution est maintenant établie mais certains acteurs continuent à les faire évoluer. D’autant que la tendance générale est aux chantiers de plus en plus complexes. «Nous sommes toujours très présents en désorption thermique. Cette année, nous avons réalisé une thermopile innovante car chauffée de manière hybride : électricité et gaz. En général nous privilégions l’électricité pour améliorer le bilan carbone, mais le client disposait d’une puissance électrique insuffisante pour traiter dans les délais impartis, donc nous avons complété avec du gaz» explique par exemple Christophe Chêne (Ortec Soleo). Ortec Soleo a mis en œuvre cette technique sur un chantier de réhabilitation de ZAC à Strasbourg. Il fallait traiter sur place des terres lourdement polluées aux hydrocarbures et aux HAP. 

Remea insiste pour sa part sur les techniques de «reprise sous œuvre» (RSO). Il s’agit de techniques de terrassement réalisées sous des bâtiments existants, ce qui suppose de maintenir ces derniers pendant que l’on creuse autour et sous les poteaux… «Les réhabilitations de friches se font de plus en plus en préservant le bâti industriel. Nous avons réalisé trois belles opérations de ce type en 2024, parfois sous confinement» affirme Stéphane Abello (Remea). Colas Environnement continue à promouvoir et mettre en œuvre la technique d’ERH (electrical resistance heating), un procédé de désorption thermique qui utilise la résistivité du sol pour le chauffer, en présence d’eau ou non. La technique vise des polluants volatils comme les solvants chlorés, les hydrocarbures légers et les BTEX (benzène, toluène, éthylbenzène et xylènes). «Nous avons aujourd’hui trois retours d’expérience en France, avec des résultats intéressants. Nous bénéficions d’un partenariat exclusif avec une entreprise qui maîtrise la technologie et la mettons en œuvre en Europe» explique Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement). 

La société a ainsi traité un ancien site industriel en Savoie au sol (nappe comprise) contaminé en profondeur par des composés chlorés. «Nous avons abattu 99,9 % de la pollution en utilisant l’ERH en continu durant six mois» se souvent Jonathan Sénéchaud. Colas Environnement est également en phase d’essais pilotes pour appliquer l’ERH dans une friche industrielle du centre de la France, polluée aux solvants chlorés jusqu’à trente mètres de profondeur - avec une nappe phréatique à quinze mètres - en terrain calcaire. «L’important est de ne jamais arrêter de chauffer et dimensionner une installation - des dizaines d’électrodes de chauffe et de puits de venting – capable d’absorber le pic de polluants au moment de l’ébullition» précise Jonathan Sénéchaud. Plusieurs acteurs sont impliqués dans des projets de R&D concernant l’injection de mousses dans sol pour pousser la pollution, la bloquer ou en améliorer l’accessibilité aux réactifs dépolluants. 

Excavation d’une pollution dans le cadre de la cessation des activités d’un site industriel et de son redéveloppement

Colas Environnement, par exemple, a participé à l’un de ces projets avec le BRGM. Pour les même objectifs, Serpol privilégie les gels. «Nous continuons le développement des techniques à base de gels pour bloquer, vectoriser ou mettre en contact le réactif avec le polluant. Les pilotes sur site réalisés récemment montrent des résultats très prometteurs sur des polluants récalcitrants ou des milieux complexes. Les projets R&D actuels se concentrent désormais sur l’optimisation de l’extraction des phases organiques libres tel le projet R&D Papirus avec la mise en place d’un drain horizontal. 

La prochaine étape est l’injection de gel afin d’optimiser l’extraction des phases libres résiduelles» affirme Laurent Mansuelle (Serpol). «Des développements émergent également pour les méthodes de traitements biologiques de nappe, souligne quant à lui Sebastien Kaskassian, de chez Tauw France. Nous proposons une nouvelle gamme d'outil et d'essais de traitabilité et d'estimation des performances avec BioPRISM, un système passif à insérer dans les piézomètres existants et qui stimule, à l'aide de substrats carbonés, les micro-organismes endogènes de l'aquifère pour dégrader les solvants chlorés. Ce système s'inscrit au niveau des Plans de Conception des Travaux (PCT) comme une alternative aux essais en laboratoire». «La R&D fait partie intégrante de notre approche, comme nous avons encore pu l'illustrer récemment sur un traitement par ‘phytoremédiation’ de terres polluées aux PFAS. Ce type de traitement jouera un rôle complémentaire à nos installations de lavage physico chimique», ajoute Jean-Pierre Desmanet (Deme Environnement). 

DÉPOLLUER ET PRÉPARER « L’APRÈS » 

Débarrasser un site de sa pollution reste l’objectif majeur mais les entreprises font maintenant face à de nouvelles demandes concernant le devenir environnemental des terres excavées… ou même du site lui-même. Premier volet: les terres inertes, qui représentent une part importante des volumes déplacés. 

Pourquoi ne pas en faire des terres fertiles ? «La revalorisation des terres est une tendance mais c’est assez peu demandé sur les chantiers. Cela concerne plutôt les plateformes de traitement. Nous voyons cependant arriver des projets car nous avons besoin de terre fertile pour les espaces verts, éventuellement pour l’agriculture urbaine» estime Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement). Lhotellier y «réfléchit», révèle pour sa part Jean-François Houstin-Le Boëdec. «Nous disposons de deux sites avec tout le matériel, savons amender les terres avec du compost dans les biopiles : tous les outils nécessaires sont là» affirme-t‑il. Ortec Soleo, qui a racheté Biogénie et ses plateformes, se met également en ordre de marche. «Nous élaborons déjà des terres fertiles sur notre centre de Lançon-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. En parallèle, nous allons d’ailleurs intégrer sur plusieurs de nos plateformes une activité de compostage territorial de déchets verts et de biodéchets» révèle Christophe Chêne (Ortec Soleo). Sarpi Remediation peutégalement refertiliser des terres inertes issues de ses chantiers. «Nous pouvons les amender en fonction de la demande du destinataire. La vraie différence avec nos concurrents est que grâce aux entités du Groupe Veolia, Sarpi Remediation est en mesure de toucher le monde agricole, en fabricant des terres fertiles à partir des terres inertes issues de nos projets. L’amendement peut se faire sur le site du chantier ou directement chez l’agriculteur. L’opération reste pertinente si elle se fait dans un rayon de 25 à 30 kilomètres. »

Certains industriels sont demandeurs, à titre de compensation de leurs atteintes à la biodiversité» explique Hugo Barbera (Sarpi Remediation).Deme Environnement explique aussi porter une attention particulière à la production de matières secondaires valorisables : «Nous nous basons sur une équipe dédiée à l’amélioration agronomique des matériaux traités qui a permis la production de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de ‘nouveau sol’, au départ de flux de déchets de terres, de sédiments de dragage ou de boues traités sur ses centres de recyclage», explique Jean-Pierre Desmanet. 

Mais qu’en est-il du site lui-même ? Une fois dépollué, et s’il n’est pas destiné à un aménagement immobilier, il devient délicat de laisser un terrain vague plus ou moins désert. 

Site sur lequel est intervenue l’entreprise Lhotellier à Saint-Pierre les Elbeuf (76).

Deux décrets et un arrêté9 de novembre 2024, qui précisent l’application de la loi10 « industrie verte », portent sur les sites naturels de compensation, restauration et renaturation (SNCRR). «Ce sont des sujets importants, nous travaillons beaucoup sur cette partie de renaturation ou restauration des sites, avec nos équipes compétentes en biodiversité. Nous déployons de plus en plus ce type d’approche sur des sites pour lesquels une dépollution complète, en vue d’une opération immobilière par exemple, serait excessivement difficile ou coûteuse. 

L’approche consiste donc à sécuriser le site - immobiliser la pollution et éviter tout risque sanitaire - et le renaturer pour lui donner une seconde vie, en implantant une végétation qui deviendra un habitat pour une biodiversité » explique Olivier Sibourg, de Ramboll. Colas Environnement est également sollicité pour ce type d’intervention. «De plus en plus d’opérations de génie écologique nous sont demandées, par exemple refonctionnaliser un cours d’eau, refaire des méandres. Nous avons plusieurs retours d’expérience de réhabilitation de friches dans cet esprit» affirme ainsi Jonathan Sénéchaud (Colas Environnement)

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