Les nappes côtières sont susceptibles d’être polluées par une intrusion d’eau de mer, un phénomène naturel qui risque de s’aggraver sous l’influence du changement climatique et d’une forte pression d’exploitation. Des acteurs complémentaires, publics et privés, académiques et exploitants, établissent au cas par cas des réseaux de surveillance à finalité opérationnelle ou de recherche.
« En France métropolitaine, le risque est avéré sur certaines portions du littoral » affirme Boris David, manager du Pôle environnement & santé à la Direction technique & performance chez Veolia. « Le phénomène va croissant avec le changement climatique et le fait que les nappes phréatiques côtières sont de plus en plus sollicitées » prévient Matthieu Baïsset, directeur technique d’Imageau, un bureau d’études hydrogéologiques désormais filiale de la Saur. Jean-Christophe Maréchal, responsable de l’unité Nouvelles ressources en eau et économie du BRGM, confirme : « le phénomène risque de s’amplifier car nous nous attendons à une baisse de la recharge des nappes, surtout sur le pourtour méditerranéen, du fait de la diminution des pluies et de l’augmentation de l’évapotranspiration dues au changement climatique ». Entre augmentation des prélèvements, diminution des pluies et hausse du niveau de la mer, l’intrusion saline devient donc un sujet en France. Dès lors, comment réagir ? Comment mesurer et suivre, localement, l’ampleur du phénomène ? Quels sont les acteurs concernés ? Existe-t-il des parades ?
Les exploitants en première ligne
La sonde numérique Seametrics CT2X commercialisée par AnHydre, est particulièrement adaptée aux conditions de détection et de surveillance d'intrusion d'eau, polluée ou saline. Sa construction en titane ne craint pas la corrosion des eaux salines. Son électronique embarquée permet un fonctionnement à très faible énergie et en totale autonomie sur source interne ou alimentation externe, ainsi qu'une connexion sans prise de tête avec les collecteurs - transmetteurs de données et autres ensembles de gestion centralisée, au travers de communications numériques ModBus RTU via RS-485 et SDI-12. Au besoin la CT2X comporte également une mesure du niveau d'eau de la nappe, notons que le câble peut être remplacé par l'utilisateur en cas d'imprévu ou d'accident.
« Pour la surveillance des eaux douces brutes, nous proposons une gamme de capteurs conductifs à deux membranes de graphite. Il est aussi possible d’utiliser nos débitmètres, qui fonctionnent avec des électrodes mesurant la conductivité, pour obtenir ce renseignement en entrée d’usine ou sur le réseau de distribution. Cela permet de suivre un éventuel retour d’effluents marins dans le réseau » explique Matthieu Bauer, responsable Marketing Environnement/Energie chez Endress+Hauser. « Nous proposons les capteurs de température et de conductivité de notre gamme WTW pour ce type de problématique. Ils fournissent une alarme au point de pompage pour éviter d’avoir à potabiliser une eau saumâtre, ce qui coûte très cher en énergie » affirme pour sa part Julien Garrigues, Ingénieur Technico-Commercial Process et Responsable Milieux Environnement, Hydrologie, Côtiers & Océanographie chez Xylem.
Prévenir plutôt que guérir
Dans les zones sensibles, la surveillance fonctionnelle, par les exploitants, de la qualité de l’eau au point de captage, est donc inscrite dans un suivi plus ample de l’évolution de l’aquifère dans son ensemble, grâce à un réseau de piézomètres instrumentés. Au suivi du niveau, indication cruciale puisque l’épaisseur d’eau douce est déterminante pour la dynamique de salinisation, on peut ajouter, là encore, la mesure de la conductivité ou des chlorures. « Lorsqu’il existe un risque d’intrusion dans la ressource, nous réalisons une étude hydrogéologique pour comprendre le fonctionnement de la nappe. Les modèles ne suffisent cependant pas : il peut être nécessaire de faire des sondages et installer des piézomètres puis mettre en place un suivi, parfois continu, par des conductimètres placés tant dans la nappe qu’au niveau du forage d’exploitation. Cette auto-surveillance nous incite parfois à arrêter le prélèvement et à basculer sur une autre ressource » expose Boris David (Veolia). Régies et opérateurs font en général appel à des bureaux d’études spécialisés en hydrogéologie, capables de déployer un réseau de piézomètres, d’interpréter les résultats et, éventuellement, de modéliser le comportement de la nappe. Les noms ne manquent pas : AT Eau, BRL Ingenierie, Hydro Invest, Imageau etc. En ce qui concerne la technique de mesure employée, « plusieurs options de suivi sont possibles : mesures ponctuelles en continu de la conductivité électrique, mesures périodiques sur des profils verticaux ou encore mesures en continu de la conductivité électrique sur une verticale à partir d’observatoires géophysiques développés récemment », explique l’Onema. Xylem, avec sa marque YSI, propose la sonde multiparamètre ProSwap Logger permettant de suivre en temps réel la conductivité, la salinité, la température et la profondeur. Les données sont transmises en temps réel via une sortie ModBus ou SDI-12. « Cette sonde, installée sur un piezomètre est très pratique pour suivre la qualité de l'eau dans les puits, nappes, eaux souterraines… », précise Julien Garrigues de Xylem Analytics France.
Une autre manière de prévenir la salinisation consiste à recharger les nappes pendant l’hiver, en injectant de l’eau de pluie ou de rivière de bonne qualité dans des forages ou des bassins d’infiltration. « Cela reconstitue une barrière hydraulique pour contenir le biseau salé. À Fréjus, pour le compte du Seve (Syndicat de l’Eau du Var Est), nous injectons de l’eau de surface clarifiée » explique ainsi Boris David. Veolia poursuit même une R&D en vue de réinjecter des eaux usées traitées - comme cela se fait déjà en Espagne par exemple. Jean-Christophe Maréchal évoque pour sa part l’opération Aquarenova, dans la plaine du Gapeau près de Toulon. Il s’agit d’un bassin d’infiltration destiné à sécuriser les captages alimentant les agglomérations d’Hyères et Toulon.
Des connaissances à approfondir
En fait, outre les exploitants qui suivent “leur” propre ressource, des acteurs comme les collectivités ou les syndicats de nappe peuvent d’ores et déjà déployer des réseaux de surveillance à plus vaste échelle, dans des régions sensibles comme par exemple la plaine du Roussillon ou la Crau. Les organismes publics comme le BRGM apportent leur pierre car les connaissances générales sur le phénomène restent parcellaires.
Une opération (Simba) a ainsi été menée dans la Basse Crau. « Nous avons deux gros projets en cours. L’un, près de Perpignan, concerne un aquifère stratégique, exploité à hauteur d’environ 80 millions de m3 par an pour l’irrigation et les activités touristiques. L’autre étudie un phénomène particulier dans l’étang de Thau. Au large de Balaruc-les-Bains, une source karstique sous-marine d’eau douce qui alimente d’ordinaire la lagune subit parfois une inversion de flux : de l’eau salée s’infiltre alors dans l’aquifère. Cela s’est produit plusieurs fois ces dernières années, et une nouvelle inversion est en cours depuis fin novembre 2020 » révèle Jean-Christophe Maréchal. Pour la recherche, un des grands enjeux du futur est de mieux prévoir les intrusions salines, afin de prendre des mesures compensatrices tant qu’il est encore temps.