Pour pallier les limitations de la méthode de référence (la DBO5), les fabricants ont développé différentes méthodes alternatives pour la mesure de la demande biochimique en oxygène (DBO), telles que les biocapteurs, la respirométrie, l’ATPmétrie, ou la mesure de fluorescence. Mais tant que la réglementation et les normes n’évolueront pas pour prendre en compte ces méthodes alternatives, leur déploiement restera limité.
Avec, notamment, les différents épisodes de sécheresse, d’inondations ou de crues qui se multiplient et s’intensifient ces dernières années, les ressources naturelles subissent des contraintes toujours plus fortes, ce qui peut expliquer le déclin des espèces un recul de 73% des espèces de vertébrés entre 1970 et 2020, voire même un recul de 85% pour les espèces d’eau douce, selon le rapport Planète vivante 2024 du WWF. Forts d’une réelle prise de conscience et de l’évolution des réglementations, les acteurs du domaine de l’eau mettent désormais en œuvre des solutions afin de surveiller le milieu naturel et d’optimiser leurs installations.
Parmi l’éventail des solutions disponibles, «la demande biochimique en oxygène (DBO) et la demande chimique en oxygène (DCO; voir encadré page 31) jouent un rôle crucial dans la gestion de la qualité de l’eau et de l’environnement. Ces deux paramètres permettent d’évaluer l’impact des rejets sur les milieux aquatiques, et de surveiller les charges entrantes et l’efficacité des stations de traitement», indique Jean-Michel Monier, expert technique chez Hydreka.
Ce que confirme Jérôme Porquez, directeur commercial de Macherey Nagel France : «La DBO est une mesure de la quantité d’oxygène dissous (OD) nécessaire pour que les micro-organismes (principalement des bactéries) décomposent la matière organique présente dans l’eau. La DCO, elle, est une mesure de la quantité totale d’oxygène nécessaire pour oxyder chimiquement toute la matière organique, qu’elle soit biodégradable ou non biodégradable».
LA DBO POUR DIMENSIONNER PUIS GÉRER LES STEP
En d’autres termes, la DBO reflète le degré de pollution organique biodégradable d’un échantillon d’eau et la DCO, la charge organique totale. Un écart important entre les deux paramètres suggère donc la présence de substances organiques non biodégradables. L’oxydation par voie biologique étant plus lente que par voie chimique, ce paramètre permet de connaître la biodégradabilité d’un échantillon: plus le rapport entre DCO et DBO se rapproche de 1, plus l’échantillon sera biodégradable et, donc, plus facile à traiter et acceptable par l’environnement.
La mesure de DBO est utilisée, évoqué précédemment, pour mesurer les niveaux de pollution organique dans les milieux aquatiques naturels (rivières, lacs, océans) et dans les eaux usées provenant des industries ou des stations d’épuration (STEP). «En plus de la surveillance de la qualité de l’eau, la DBO permet également d’évaluer l’impact environnemental. Une valeur de DBO élevée signale une grande quantité de matière organique susceptible de consommer de l’oxygène, ce qui peut entraîner une baisse des niveaux d’oxygène dissous et affecter la faune aquatique», précise Arnaud Chiquart, chef de produits pour l’analyse de l’eau chez Humeau.
En permettant d’estimer, puis de connaître la charge organique que les micro-organismes devront décomposer, la mesure de DBO intervient donc dans le dimensionnement des STEP lors de leur conception, puis dans la gestion, voire l’optimisation de leurs performances. «Dans le traitement des eaux usées, la DBO est souvent utilisée pour évaluer l’efficacité des systèmes biologiques de traitement et la DCO, pour fournir une estimation plus complète de la pollution organique», rappelle Jérôme Porquez (Macherey Nagel France). Les autorités environnementales se servent quant à elles de la demande biochimique en oxygène pour définir des standards de qualité de l’eau et surveiller les rejets polluants des industries.
LA NORME DE RÉFÉRENCE NF EN ISO 5815
«La DBO est obtenue par la mesure de la quantité d’oxygène dissous consommée par les micro-organismes présents dans un échantillon d’eau à une température de +20 °C et dans des conditions d’obscurité, mesures faites au départ et après une période de cinq jours d’où la dénomination DBO5 par différence», résume Hervé Bonin, directeur commercial d’EFS (Études Fabrications Services).
La procédure pour la DBO5 est toutefois légèrement plus complexe. Un échantillon d’eau est prélevé dans des conditions contrôlées afin d’éviter toute contamination. L’échantillon est placé dans un récipient fermé et la quantité d’oxygène dissous est mesurée avant que les micro-organismes ne commencent leur activité de dégradation.
L’échantillon est ensuite incubé à une température de +20 °C pendant cinq jours dans des conditions anaérobies (absence d’oxygène externe), ce qui permet aux micro-organismes de dégrader la matière organique. «Après la période d’incubation, l’oxygène dissous restant est mesuré. La valeur de DBO5 est alors calculée en soustrayant l’oxygène dissous final de l’oxygène dissous initial, ce qui donne la quantité d’oxygène consommée par les micro-organismes pour dégrader la matière organique biodégradable pendant les cinq jours», ajoute Arnaud Chiquart (Humeau). La valeur de DBO est normalement exprimée en milligramme par litre (mg/l) de dioxygène (O2 ).
«Si les quantités de matières à oxyder sont importantes, il sera nécessaire de diluer les échantillons avant l’incubation, d’où le nom de méthode des dilutions. Pour mettre en œuvre cette méthode de référence, les utilisateurs ont besoin d’un oxymètre, d’un incubateur et de quoi préparer l’eau de dilution. Nous proposons une mesure de O2 avec une sonde optique IntelliCAL LBOD dédiée à la mesure de DBO. La sonde, dont la forme est adaptée au col des bouteilles, est équipée d’un agitateur pour respecter la norme et peut être couplée à un oxymètre HQ ou HQd pour disposer d’une solution pratique», indique Dominique Conjard, spécialiste Produits et Applications gamme laboratoire chez Hach France.
Les normes NF EN ISO 5815 (internationales) et Afnor NF T 90-103 (française) sont les méthodes de référence les plus largement reconnues pour la mesure de la DBO5 et garantissent des résultats standardisés. Il s’agit, plus précisément, des normes NF EN ISO 5815-1 «Qualité de l’eau – Détermination de la demande biochimique en oxygène après 5 jours (DBO5) – Partie 1: Méthode sans dilution» et NF EN ISO 5815-2 «Qualité de l’eau – Détermination de la demande biochimique en oxygène après 5 jours (DBO5) – Partie 2: Méthode avec dilution et inhibition de la nitrification». «Nous continuons d’utiliser les méthodes de référence avec calcul de la DBO par différence de l’oxygène dissous à J0 et J5 après incubation à 20°C.
En tant que laboratoires agréés, nous ne pouvons pas exploiter les nouvelles méthodes car elles ne respectent pas les normes réglementaires et les habitudes de nos principaux clients (Agence des eaux, SATESE, gestionnaire de STEPs…). De plus, ces alternatives restent chères, elles auront forcément un impact sur le coût de l’analyse pour le client. L’équation délais/prix se pose. L’intérêt de méthodes alternatives serait surtout pour nos clients afin d’avoir un suivi plus fin et plus rapide de la DBO5 de leurs échantillons et pouvoir intervenir ou adapter leur process», ajoute Aurélien Desaunay, Directeur développement Eau et Environnement chez Terana.
LES (NOMBREUSES) LIMITES DE LA MÉTHODE DE RÉFÉRENCE
La méthode de référence DBO5 présente plusieurs avantages, tels que la relative simplicité de réalisation aucun équipement complexe n’est nécessaire et un faible coût, la possibilité de comparer les résultats entre différents échantillons et/ou différents laboratoires c’est une méthode bien établie et normalisée, et la fourniture directe d’un indicateur de la pollution organique biodégradable. Camille Triffaux, responsable de l’activité Expertise environnementale chez Hydreka, pointe toutefois plusieurs limites à la méthode DBO5, à commencer par «la longue durée de l’analyse (incubation de cinq jours), ainsi que la répétabilité de la mesure, une limite de quantification assez haute, des résultats de mesure influencés par l’activité biologique (densité, présence de micro-organismes photosynthétiques…), l’incapacité de mesurer la totalité de la matière organique et les substances toxiques ou encore l’inadaptation aux eaux très propres ou très polluées».
La méthode est donc peu adaptée lorsque des réponses rapides sont requises, comme dans le contrôle des rejets industriels, et peut sous-estimer la pollution totale de l’échantillon. À cette liste déjà longue, Arnaud Chiquart (Humeau) ajoute encore «l’influence des conditions environnementales (température, pH et concentration en nutriments) sur les mesures, ce qui peut compliquer l’interprétation dans certains cas, et la présence de certains composés chimiques présents dans l’échantillon pouvant inhiber l’activité des micro-organismes, faussant alors les valeurs de DBO». Certains fabricants ont développé des solutions se caractérisant par une plus grande facilité d’utilisation.
«Nous commercialisons les kits de mesure NANOCOLOR DBO5. Les tubes sont prêts à l’emploi, les sels nutritifs et les réactifs d’inhibition de la nitrification étant déjà contenus dans le tube. La mise en œuvre du test est simplifiée et accessible à tous les profils d’utilisateurs. La principale différence avec la norme NF EN ISO 5815-2 en vigueur réside dans la détermination de la concentration d’oxygène par colorimétrie et non par sonde électrochimique ou titrimétrie. Cette méthode alternative est largement utilisée dans les laboratoires de stations de traitement des eaux industrielles ou collectives, même si le temps d’incubation et l’investissement dans une étuve peuvent limiter son accès», regrette Jérôme Porquez (Macherey Nagel France).
De son côté, Dominique Conjard (Hach France) met en avant le fait qu’«avec la mesure par colorimétrie de le O2 la méthode est toujours la méthode par dilution, mais l’oxygène est révélé par colorimétrie après l’incubation, les utilisateurs de la DBO sont généralement déjà équipés d’un spectrophotomètre pour mesurer des paramètres comme la DCO. Nous proposons donc une méthode par test en cuve prêt à l’emploi. Cette technique évite de préparer d’énorme quantité d’eau de dilution nécessaire dans la méthode traditionnelle et permet de mutualiser le spectrophotomètre pour plusieurs paramètres et, donc, de limiter les investissements».
BIOCAPTEURS ET RESPIROMÉTRIE COMME ALTERNATIVES
D’autres méthodes, dites alternatives, ont vu le jour ces dernières années, avec l’objectif de répondre aux limites les plus contraignantes de la méthode de référence, à savoir la facilité d’utilisation et, surtout, le temps de réponse. «La plupart de ces méthodes alternatives visent à évaluer l’activité microbienne par l’établissement de corrélations entre les deux mesures. Mais toutes ces méthodes ne sont ni normées, ni exploitées à grande échelle, c’est leurs principales limitations», constate Jean-Michel Monier (Hydreka).
Parmi les méthodes alternatives identifiées, le fabricant cite les biocapteurs qui mesurent l’activité microbienne en continu et en ligne (estimation de la DBO par corrélation), la DBO respirométrique c’est la méthode la plus proche de celle de référence, la mesure en continu de la consommation en O2 dans un flacon, l’oxymétrie miniaturisée ou mesure de l’oxygène dissous en continu par une sonde, l’ATPmétrie (kits de mesure des teneurs en ATP et corrélation avec la mesure de DBO) et la mesure d’absorbance ou de fluorescence (mesure en ligne, estimation de la DBO par corrélation).
«Notre biocapteur basé sur la technologie NODE, qui surveille l’activité de bactéries sensibles aux différents polluants et qui est corrélable à la DBO, permet d’identifier très rapidement les événements pouvant affecter les performances de stations de traitements ou polluer le milieu naturel.
Depuis 2019, les performances de notre technologie n’ont cessé de s’améliorer et, dans l’optique d’un capteur sans entretien, nous portons une attention particulière à sa tenue à l’encrassement et à la résistance à la dérive inhérents à l’instrumentation en assainissement.
Ces deux axes permettent à nos clients de limiter drastiquement leurs interventions sur site, rendant ainsi la solution rentable et déployable à grande échelle», affirme Camille Triffaux (Hydreka).
La méthode respirométrique consiste à mesurer directement la consommation d’oxygène par les micro-organismes sans nécessiter une incubation de cinq jours. «L’oxygène consommé vient de l’air, et non plus uniquement de l’eau comme pour la méthode des dilutions. La respirométrie consiste à mettre une quantité d’échantillon, plus ou moins importante, dans une bouteille sur laquelle sera visée une tête équipée d’un manomètre. Les bouteilles sont placées, sous agitation, à +20 °C et à l’abri de la lumière. L’activité bactérienne dégradant l’échantillon va consommer l’oxygène présent dans la bouteille et faire diminuer la pression que l’on mesure en continue. On peut ainsi en déduire une DBO5 si on laisse le système fonctionner pendant cinq jours. L’intérêt de la respirométrie est d’être simple à mettre en œuvre (ni eau de dilution à fabriquer, ni mesure d’oxygène)», explique Dominique Conjard (Hach France).
L’INTÉRÊT DES MÉTHODES SPECTROSCOPIQUES
Avec cette méthode alternative, les résultats sont obtenus en quelques heures seulement et la mesure directe de l’oxygène consommé est généralement plus précise et moins sujette aux erreurs humaines. Ces systèmes sont souvent automatisés, réduisant ainsi les interventions manuelles et le risque d’erreur. La société Humeau propose la série WTW Oxitop de systèmes de mesure respirométrique de la DBO de Xylem ou des dispositifs similaires permettant de mesurer, en temps réel, la consommation d’oxygène dissous et, ainsi, d’estimer la DBO. Du côté des limitations, ces dispositifs sont généralement plus coûteux que ceux des méthodes classiques en raison de leur technologie spécialisée, et ils peuvent ne pas être adaptés aux échantillons contenant des inhibiteurs ou des substances non biodégradables.
«La simplicité de la respirométrie a amené les utilisateurs à mettre en œuvre ce principe, mais le législateur est parfois réticent car il juge que la méthode par dilution et la respirométrie ne donnent pas toujours les mêmes résultats, d’où, parfois, des difficultés de comparaison. Cela est d’autant plus difficile que la DBO, quel que soit la technique, est un paramètre dont l’incertitude de mesure est plus importante que celle de la DCO, par exemple», ajoute Dominique Conjard. Dans le domaine de la spectroscopie UV/ visible, certaines méthodes colorimétriques utilisent des réactifs chimiques pour estimer indirectement la DBO, en mesurant la consommation d’oxygène à travers des réactions chimiques spécifiques.
Les avantages de ces kits de test utilisant des réactifs pour déterminer la demande en oxygène dans les échantillons d’eau sont la facilité d’utilisation, car ils ne nécessitent souvent que peu d’équipement complexe, la rapidité d’obtention des résultats (en moins de 30 minutes) et un prix inférieur à celui des systèmes électroniques comme les Oxitop. En revanche, ces méthodes sont souvent moins précises que la mesure directe de l’oxygène en raison d’interférences par d’autres substances dans l’échantillon. Les échantillons riches en substances organiques non biodégradables peuvent fausser les résultats, rendant cette méthode moins fiable dans certains cas.
Endress+Hauser propose également des capteurs de mesure par spectrométrie UV (mono paramètre CAS51D ou multi paramètres CAS80E) qui mesurent le coefficient d’absorption spectrale (CAS). La valeur du CAS peut être considérée comme un indicateur de tendance de la charge organique dans un liquide. Elle peut être convertie en DCO, COT, DCO ou DBO à l’aide de facteurs ajustables prédéfinis ou corrélée à des mesures de laboratoire.
Pour Hervé Bonin (EFS), «la mesure par fluorescence est plus rapide, tout comme la mesure de COT [carbone organique total, NDR]. Nous fabriquons depuis dix ans la sonde UV-Probe 254+ pour la mesure et l’analyse en continu des paramètres physico-chimiques tels que la DBO, la DCO, la COT, les matières en suspension (MES) et les coefficients d’absorption spectrale (C.A.S. 254 et C.A.S. 560). Mais il reste à corréler les mesures obtenues par cette sonde avec des mesures de laboratoire pour l’étalonnage. Et les capteurs de mesure en continu par fluorescence doivent encore faire leur preuve du côté de la maintenance».
UNE DÉMOCRATISATION LIÉE À L’ÉVOLUTION RÉGLEMENTAIRE
«Les méthodes alternatives à la DBO, bien que prometteuses en termes de rapidité, de simplicité et, parfois, de coût à long terme, ne se sont pas entièrement démocratisées en raison de freins liés à la réglementation, à la validité des résultats, à la nécessité d’une formation spécialisée», constate Arnaud Chiquart (Humeau). Ce que confirme Jean-Michel Monier (Hydreka) en ajoutant qu’«en raison des faibles volumes de vente, les coûts de production restent encore élevés, rendant les prix de vente peu compétitifs et que les coûts importants associés à ces solutions ne permettent pas, pour l’instant, d’obtenir le retour sur investissement attendu par les utilisateurs. La nouvelle directive relative au traitement des eaux résiduaires urbaines, dite DERU, va renforcer la demande de suivi de la qualité des eaux rejetées au milieu naturel. Les techniques traditionnelles ne seront alors plus suffisantes et bien trop coûteuses pour respecter les contraintes réglementaires».
La révision des normes réglementaires et la validation de ces méthodes par des organismes de normalisation pourraient être des leviers pour une adoption plus large, mais cela prendra du temps. «Mais pour qu’une démocratisation des méthodes alternatives à la DBO5 se produise, il est essentiel que des évolutions réglementaires aient lieu aux niveaux national et européen. Ces évolutions pourraient inclure des révisions des normes de qualité de l’eau, une plus grande acceptation des méthodes rapides et automatisées dans les procédures de contrôle environnemental, ainsi que la promotion de technologies plus écologiques et rentables. La clé de cette transformation réside dans la validation scientifique de ces méthodes et dans leur intégration progressive dans les systèmes réglementaires et de normalisation», conclut Arnaud Chiquart (Humeau).