Les solutions de télérelève des compteurs qui permettent aux distributeurs de rendre un réseau d’eau plus intelligent tout en gérant leurs actifs et la préservation des ressources par le bais d’un système flexible, fiable et ouvert sont nombreuses et diverses. Où en sommes-nous en France aujourd’hui en termes de déploiement de ces solutions ? Quels sont les avantages de ces dispositifs et les freins à leur mise en place ?
Les collectivités s’orientent de plus en plus vers le développement de villes intelligentes (smart cities), pour optimiser les consommations, faciliter les suivis, et améliorer in fine les conditions de vie des citadins. Les nouvelles technologies développées par le biais des objets connectés permettent d’envisager des dispositifs urbains plus écologiques, pour optimiser les consommations d’énergie, la gestion des déchets, les déplacements… Dans ce contexte, la mise en place de la télérelève pour les consommations d’énergie est aujourd’hui une tendance globale. C’est le cas pour l’électricité avec la mise en place des compteurs Linky, et bientôt pour le gaz avec les compteurs Gazpar.
Pour l’eau, les déploiements se multiplient mais à des échelles différentes. Des systèmes de relève mobile via des agents ou des véhicules circulants en ville existent depuis plusieurs années. Elles sont développées par Diehl Metering, Sensus, Itron, Honeywell ou Kamstrup pour faciliter la collecte des indices de consommation. Mais les collectivités envisagent de plus en plus souvent de mettre en place la télérelève, avec des compteurs communicants capables de transmettre directement et automatiquement les données via un réseau de télécommunication. Les données sont ensuite stockées sur des serveurs, avant d’être traitées et analysées.
Reste qu’aujourd’hui, les agglomérations qui disposent de la télérelève restent minoritaires. En 2013, sur les 16 millions de compteurs gérés par les entreprises de l’eau, 10 % étaient télérelevés (rapport BIPE, octobre 2015 : « Les services publics d’eau et d’assainissement en France »). Aujourd’hui la télérelève est principalement déployée dans les grandes métropoles, comme Paris, Lyon, ou encore Toulouse.
Des systèmes initialement proposés par les délégataires
La mise en place de la télérelève présuppose de mettre en place une infrastructure, notamment un réseau, pour rapatrier les données régulièrement et de manière automatique. Michel Jacquet, directeur de Sensus France, précise que ces dispositifs « Étaient initialement l’apanage des grands distributeurs d’eau comme Veolia, Suez ou Saur, qui ont chacun développé leurs propres systèmes ».
« Souvent, les collectivités se retrouvaient en fin de contrat avec la nécessité de devoir continuer à exploiter, ou de faire exploiter par un autre délégataire, le système propriétaire du délégataire de service public précédent, explique Frédéric Brunner, Responsable télérelève chez Saur. Dans le cas contraire, la collectivité devait payer un surcoût important pour pouvoir remplacer le système en place ». Saur a décidé en 2015 de proposer une solution en 169 MHz ouverte, normée et interopérable qui permet à une collectivité d’exploiter elle-même l’infrastructure réseau en fin de contrat, ou la faire exploiter par un prestataire tiers. Ainsi, la collectivité est en mesure d’interpréter les données qui sont issues du réseau de télérelève, car le langage utilisé est décrit dans un guide normatif (Afnor). C’est une demande forte des collectivités dans les contrats de délégation actuels, mais il ne s’agit pas de galvauder cette notion d’interopérabilité qui est parfois mal utilisée ou mal interprétée.
Les collectivités travaillant en régie préfèrent quant à elles éviter d’adopter les systèmes de ces délégataires de service public en raison de l’incertitude concernant le traitement ou l’accès aux données. Ces dernières souhaitent parfois disposer de leurs propres systèmes d’information, pour être en mesure de le maîtriser entièrement.
En outre, la mise en place d’un réseau de télécommunication, nécessite de déployer des moyens conséquents, parfois difficilement justifiables, à moins de mutualiser le télérelevé de différentes informations de consommation. Pour Loïc Charron, co-fondateur de Smarteo Water, « Jusqu’à présent, les offres disponibles sur le marché pour la télérelève de l’eau ne permettaient pas d’agglomérer d’autres données, comme sur le gaz, la gestion des déchets ou autres. Aujourd’hui, les collectivités ont la volonté d’aller vers des systèmes mutualisés permettant de relever l’ensemble des consommations ».
Des technologies qui évoluent : vers une ouverture des systèmes
Face à ce double constat, de nouvelles solutions, plus ouvertes, font leur apparition sur le marché. Ces solutions globales sont développées par des acteurs tels que Sensus, Diehl Metering, Smarteo Water, Hydreka et permettent aux villes de monter un réseau télécom, et de connecter n’importe quel capteur au système : compteurs d’eau, capteurs pour les déchets ménagers… C’est le cas par exemple avec les solutions développées par Orange (LoRa) ou Sigfox. Celles-ci permettent de mutualiser les moyens, d’optimiser les coûts de mise en place et d’exploitation, et donc d’adopter un schéma économique plus rentable.
Smarteo Water met notamment en place ce genre de solutions. L’entreprise gère le déploiement de capteurs communicants, et passe par un opérateur pour la partie réseau. « Pour la ville d’Apt, dans le sud-ouest de la France, nous déployons actuellement 10.000 compteurs communicants pour la télérelève de l’eau, et nous utilisons le réseau de Bouygues Télécom pour la transmission des informations », explique Loïc Charron. Avec les solutions proposées par Smarteo Water, les villes peuvent même aller plus loin, en achetant leurs propres antennes, leur propre réseau, ce qui leur garantit une certaine indépendance et une grande autonomie.
Smarteo Water figure parmi les pionniers en France pour ce genre de solutions. Loïc Charron précise, « Au-delà de l’infrastructure, les acteurs publics veulent également avoir entièrement la main sur les données et mutualiser les outils de traitement des data. Elles ne veulent pas développer des outils conséquents simplement pour traiter les compteurs d’eau, elles veulent une installation plus globale permettant d’intégrer plus d’informations ». Ces systèmes permettent donc d’agglomérer les informations provenant d’un ensemble de capteurs. « Par exemple, si la ville d’Apt décidait demain de gérer ses déchets avec des bennes à ordures communicantes, il serait possible d’utiliser le même système d’information que pour l’eau, de façon à mutualiser l’infrastructure, et les frais de gestion des données. Et les data pourraient être regroupées dans le même outil mais avec un traitement distinct ».
Chez Sensus, Sensus RF est un système de communication radio optimisé et exempt de licence pour les terminaux alimentés par batterie. Il permet de récupérer les données auprès des terminaux de comptage et de les transmettre pour qu’elles soient traitées et analysées, afin de créer des informations pour la facturation et la gestion du réseau. Il fournit une solution pour passer d’une lecture mobile via un système mobile walk-by (à pied)/ drive-by (en voiture) à une infrastructure fixe pour la lecture à distance des terminaux, sans apporter de modifications aux terminaux. Le système propose deux modes de communication. Il fournit les informations essentielles de manière rapide et fiable, à l’aide d’un paquet de données unidirectionnelles Bubble UP (BUP), qui fournit la lecture du compteur et les informations liées aux alarmes. Á la demande, il peut fournir des ensembles de données élargis avec le mode bidirectionnel. Grâce aux communications bidirectionnelles, il est possible de récupérer certaines données, notamment un historique complet de l’enregistreur de données. Cette capacité permet une configuration à distance des niveaux d’alarme, des réinitialisations des alarmes et d’autres paramètres.
D’autres acteurs comme Adeunis RF, ATIM, Connit, Dioptase, eWON, FluxiTech, Ixel, Mios ou Nogema développent des systèmes de relève multi-protocoles, permettant aux exploitants de compléter ou de s’affranchir des systèmes propriétaires en développant des solutions adaptées aux besoins de certaines collectivités.
Quels freins au déploiement de la télérelève ?
La mise en place de la télérelève fait cependant face aujourd’hui à certaines limites techniques et économiques. Pour une ville dont la densité d’habitants reste faible notamment, l’infrastructure à déployer sera conséquente, et coûteuse. Et il n’existe pas aujourd’hui de possibilités pour relever les compteurs à plus d’1,5 km de distance. Les réseaux cellulaires des opérateurs de téléphonie mobile peuvent, dans certains cas, pallier ce problème. Les contraintes de limitations géographiques sont en effet éludées si le compteur est couvert par le réseau, de type 2G/3G/4G. Il est possible de s’appuyer sur une infrastructure existante (les antennes relais sont déjà en place). Un usage de type “télérelève de compteurs” ne consomme que peu de données (selon la fréquence des relevés). Les opérateurs de téléphonie proposent des offres dites “M2M” relativement accessibles. Quelques méga-octets de données via 3G ou 4G représentent quelques euros par mois par exemple. Un routeur industriel de type eWON Flexy 205 doté d’une carte 4G pourra, grâce à son architecture ouverte (DLMS/COSEM, M-bus, RTU, etc...), s’acquitter de la télérelève de n’importe quel compteur.
Si la zone n’est pas couverte par un réseau de type 2G/3G/4G, un système de relève mobile peut alors représenter une solution alternative intéressante pour faciliter la collecte des données.
Pour Michel Jacquet, Sensus France, « La télérelève n’est pas forcément la panacée. Pour les collectivités très étalées, en milieu rural ou semi-urbain, la relève mobile peut s’avérer plus intéressante. Il ne sera pas possible de faire une collecte des données en temps réel, mais cela n’est pas forcément problématique. Dans certaines communes par exemple, la relève mobile permet de récolter les informations de chaque compteur deux fois par semaine. Cette fréquence est largement suffisante pour faire un bon suivi, et identifier les fuites. Il faut adapter l’outil au besoin ».
Cependant, Loïc Charron, chez Smarteo Water, regrette que « quand les collectivités passent au télérelevé, elles ne conçoivent pas forcément le niveau auquel elles vont pouvoir exploiter l’information ». La télérelève « n’est pas uniquement de la relève de compteur, c’est vraiment un outil d’aide à la décision. Avec une perception plus globale et à long terme, la télérelève peut être très avantageuse pour aller plus loin dans la gestion du réseau d’eau. Le but est d’avoir une approche basée sur l’exploitation du réseau : on peut comparer tous les jours les volumes d’eau mis en distribution, ceux qui sont consommés, on peut identifier les fuites, on a de l’information en continu. Et l’équation technico-économique devient très intéressante pour la collectivité ».
Un choix doit donc être opéré pour savoir si les investissements consacrés correspondent aux besoins de l’agglomération.
La télérelève sera toujours plus onéreuse que la relève mobile à mettre en place, mais elle offre des avantages technico-économiques qui peuvent justifier les investissements sur le long terme.
Pour Emmanuel Argouges, Directeur des ventes France de Diehl Metering, « Il faut avoir bien identifié les besoins. S’il s’agit uniquement de faire de la facturation, le coût de cette technologie peut être trop important par rapport aux gains potentiellement réalisables. Si, en revanche, il y a une volonté de proposer par exemple un suivi des fuites aux abonnés, ou de mener des analyses particulières, la télérelève se justifie. Et il faut également pouvoir mutualiser les informations avec d’autres sources, comme l’énergie thermique, la consommation de gaz, etc ».
Vers des systèmes multi-énergie
Pour Loïc Charron, Smarteo Water, « La ville intelligente est une tendance de fond aujourd’hui. Nous sommes dans une optique d’optimiser les services actuels et d’en offrir de nouveaux, dans le but d’améliorer la condition urbaine des citoyens ».
Et la législation va dans ce sens. La RT 2012 (loi de réglementation thermique) impose aujourd’hui le télérelevé pour les nouveaux bâtiments, et ce sera bientôt le cas pour les travaux de rénovation.
Une possibilité qui se dessine pour les années à venir est le comptage multi-énergie, comme l’explique Xavier Bon chez Mios : « Tous les fournisseurs d’énergie essayent aujourd’hui de proposer des systèmes de comptage multi-énergie. Quand on va faire une télérelève pour l’électricité, le gaz, on va également faire l’eau, cela fait partie d’un ensemble, c’est une tendance de rénovation globale ».
Une autre tendance repose sur la possibilité de recourir à des systèmes hybrides, mêlant la télérelève avec d’autres dispositifs.
« On peut couvrir très facilement les zones urbaines denses, mais il est plus difficile de couvrir les parties périphériques avec moins d’habitants, explique Emmanuel Argouges chez Diehl Metering. Il peut donc être intéressant d’associer différentes approches, en utilisant des solutions de relève mobile pour ces zones moins peuplées. Par exemple, en tirant profit des camions à ordures pour faire les relevés, comme cela a déjà été réalisé ».
« La complexité du déploiement de la télérelève sur les périmètres plus ruraux est souvent liée à l’éloignement des habitations, abonde Frédéric Brunner chez Saur. Ainsi, le déploiement d’un réseau de concentrateurs sur l’ensemble du périmètre d’une collectivité rurale représente des investissements conséquents, car il faut parfois déployer un concentrateur pour quelques habitations éparses, et des difficultés à trouver des sites d’hébergement. Dans ce cas, l’intérêt est de disposer d’un module intelligent qui peut fonctionner en relève mobile, dans les zones où il n’est pas possible de déployer de concentrateurs, ou en réseau fixe. Ainsi, on peut passer d’un mode à l’autre sans avoir à remplacer le module ».
L’association de ce type de systèmes avec la télérelève permet d’optimiser les coûts, l’infrastructure mise en œuvre, et d’assurer une bonne couverture du territoire en termes de remontée d’informations et de collecte de données.
La télérelève des compteurs d’eau s’inscrit donc aujourd’hui dans une tendance globale de smart cities, et les nouvelles technologies permettent maintenant d’intégrer ces dispositifs dans la démarche globale de rénovation des villes. Mais les avantages qu’elle offre dépendent encore largement des cadres technique et économique des collectivités qui souhaitent la mettre en place.