Depuis presque deux décennies, radars et ultrasons se disputent âprement le marché de la mesure de niveau sans contact dans le domaine de l’eau. Les sauts technologiques successifs associés à de substantielles baisses de prix permettent au radar de se démocratiser. Les nouveaux capteurs radars sortis ces derniers mois élargissent un peu plus encore les champs d’applications d’une technique désormais capable de répondre à de nombreuses applications au meilleur coût. Doit-on pour autant mettre du radar partout ? Si, dans le domaine du sans contact, la technologie tend à prendre l’ascendant, l’ultrasonique conserve des avantages sur certaines applications. Explications.
Eau potable, eaux usées, eaux industrielles…. La mesure de niveau, qu’elle concerne les liquides, les pulvérulents ou les solides, est l’une des mesures les plus pratiquées.
Binaire en détection de seuil sur des cuves, silos, bassins, réservoirs de stockage ou même forages, elle permet de se protéger contre un éventuel débordement ou au contraire contre une marche à sec. Elle facilite également la gestion des stocks de produits comme la chaux ou le charbon actif en déclenchant un réapprovisionnement, ou encore la gestion des boues.
Proportionnelle en mesure continue, elle permet de disposer d’une série de mesures permettant de connaître précisément le niveau d’un produit et ainsi de surveiller ou d’optimiser le bon déroulement d’un process.
La mesure de niveau est en réalité une mesure indirecte fondée sur la distance, le niveau étant déterminé par soustraction de la distance entre le capteur et la surface du produit à mesurer au sein d’un contenant. Elle nécessite donc de connaître parfaitement la géométrie de ce contenant, ses dimensions et les propriétés du produit à mesurer pour bénéficier pleinement de la précision offerte par les instruments de mesure actuels.
Trois techniques sont particulièrement utilisées dans le domaine de l’eau : les capteurs de pression hydrostatique, les ultrasons et les radars à ondes électromagnétiques libres, ces deux dernières étant sans contact avec le produit.
Les capteurs de pression hydrostatique « qui concernent encore aujourd’hui plus de 50 % des applications » selon Raphaël Brie, Chef de marché Environnement et Energie chez Endress+Hauser, reposent sur la relation physique associant pression, hauteur et densité. La mesure de la pression détermine le niveau du liquide en fonction de sa masse volumique.
La mesure de niveau ultrasonique repose sur un principe diffèrent qui consiste à évaluer la distance par une mesure du temps nécessaire pour qu’un signal ultrasonique fasse l’aller-retour entre le capteur et la surface du produit à mesurer.
La mesure par radar à ondes électromagnétiques libres repose quant à elle sur un principe en apparence assez similaire, si ce n’est que le signal émis n’est pas un ultrason (KHz) mais une onde électromagnétique (GHz). « Le capteur, installé au-dessus du produit à mesurer, émet des signaux à micro-ondes en direction du produit qui les réfléchit. C’est le temps de parcours de ces micro-ondes qui permet au capteur de calculer le niveau du liquide ou du solide », explique Luc Heusch, Responsable des ventes France chez Vega Technique. Conséquences de ce distinguo apparemment anodin ? L’ultrason, pour se propager, s’appuie sur les molécules d’air dont il dépend directement, contrairement au radar qui s’en affranchit, devenant ainsi indépendant des caractéristiques d’un ciel gazeux. Cette particularité a très tôt placé le radar en concurrence directe avec la mesure de niveau par ultrasons sur les applications les plus exigeantes. En clair, celles rendant une mesure par ultrasons difficile ou instable : présence de turbulences en surface, mousses, vapeur, vents latéraux, gradients de températures… etc.
Mais les progrès successifs accomplis par les radars ces dernières années lui ont permis d’élargir progressivement les applications auxquels ils étaient cantonnés élargissant d’autant le champ de ses applications.
Radar : des progrès rapides qui élargissent le champ de ses applications
L’histoire démarre véritablement au début des années 1990, lorsque Krohne et Vega lancent sur le marché les tous premiers capteurs radar pour mesurer les niveaux dans les process industriels. « Les premiers Vegapuls 64FK/FV travaillent alors à une fréquence de 5,6 GHz et doivent être alimentés en tension indépendamment de la sortie 4…20 mA, explique Luc Heusch, chez Vega. À cette époque, les composants électroniques disponibles sur le marché ne permettaient pas encore de produire des appareils aussi compacts et performants que ceux d’aujourd’hui. Il était par exemple quasiment impossible de mesurer des produits dont la constante diélectrique était inférieure à 3, tels que les solvants ou les huiles ».
La technologie radar n’en est qu’à ses balbutiements mais elle progresse rapidement, poussée par Vega, Krohne, Endress+Hauser et Emerson. En 1993, les premiers appareils avec agrément Ex voient le jour ce qui leur ouvre les portes de l’industrie chimique et pétrochimique. L’année d’après, l’apparition de la première antenne tige en PTFE ouvre la voie aux applications sur les cuves de stockage de produits acides. En 1997, Vega impose à nouveau son tempo en proposant les premiers appareils pouvant être alimentés par la boucle de courant. Le Vegapuls série 50 est le premier radar à travailler en 4…20 mA Hart. Ce saut technologique important s’accompagne d’une baisse de prix. On trouve alors des appareils à partir de 2.000 € alors que les radars en 4 fils étaient proposés autour de 5.300 €. En 2000, les premiers radars capables de travailler à une fréquence de 26 GHz apparaissent. Cette augmentation de la fréquence d’émission donne un nouvel avantage aux utilisateurs en permettant une utilisation des capteurs dans des cuves étroites ou encombrées. « En effet, plus la fréquence d’émission augmente, plus l’angle d’émission et donc le diamètre de la zone mesurée diminuent, explique Luc Heusch. Avec la génération précédente qui travaillait à 6,3 GHz, l’angle d’émission était de 30°. Avec la série 40 travaillant à 26 GHz, l’angle d’émission n’est plus que de 8° pour un même diamètre d’antenne ». En 2009, Vega présente son premier radar dédié au domaine de l’eau. Plus de 700 capteurs radars seront vendus en France dès la première année dans ce secteur.
L’arrivée des radars haute fréquence
Dernier développement en date, l’arrivée de la haute fréquence qui modifie sensiblement la physionomie du marché : elle a lieu en septembre 2014 avec la présentation du Vegapuls 69 qui repose sur une fréquence de 79 GHz et dédié à la mesure des solides. Puis avec le Micropilot NMR81 de Endress+Hauser, premier radar à mesurer le niveau dans des liquides avec une fréquence d’émission de 79 GHz avec la technologie FMCW. Enfin avec le nouveau Vegapuls 64, premier capteur radar pour liquides fonctionnant à une fréquence de 80 GHz.
Quels sont les apports de cette nouvelle génération de radars haute fréquence ? La multiplication par trois de la fréquence d’émission permet de réduire d’autant l’encombrement du capteur, en particulier pour ce qui concerne la partie antenne et raccords. Il devient ainsi possible d’utiliser des raccords plus petits avec une taille d’antenne réduite, un avantage sur les petites cuves ou les installations exiguës. « Grâce à une meilleure focalisation du faisceau radar, il est désormais plus simple d’obtenir des mesures fiables même dans des conditions difficiles, par exemple en présence de serpentins de chauffe ou d’agitateurs dans les cuves, assure Luc Heusch chez Vega. Le faisceau évite facilement les obstacles et les parasites qu’il fallait auparavant éliminer n’ont désormais pratiquement plus d’influence sur la fiabilité des mesures ». De même, sur le Vegapuls 64, le passage à une fréquence de 80 GHz permet de porter la dynamique de mesure à 120 dB contre 96 dB auparavant avec le 26 GHz. Résultat, des mesures plus fiables sur les liquides à faible constante diélectrique et un radar non influencé par la condensation et capable de mesurer avec une précision de ± 2 mm à une distance maximale de 30 mètres.
Des progrès qui permettent aujourd’hui au radar de s’imposer sur un grand nombre d’applications, même en eaux industrielles.
En eau potable ou en eaux usées, la mesure de niveau ne requiert généralement pas d’exigences drastiques. Mais elle se doit d’être simple à mettre en œuvre et à utiliser et d’un bon rapport qualité/prix, deux exigences désormais remplies par la technologie radar.
Des radars simples à utiliser et d’un bon rapport qualité/prix
Tous les spécialistes en conviennent : la plupart des applications dans le domaine de l’eau restent basiques. Raison pour laquelle Endress+Hauser a choisi de présenter en 2016 deux nouveaux radars destinés aux marchés de l’eau (eau potable, eaux usées et utilités industrielles), les Micropilot FMR10 (plage de mesure de 5 m avec une précision de ±5 mm) et FMR20 (plage de mesure de 20 m avec une précision de ±2 mm) qui se caractérisent par leur simplicité d’utilisation et un rapport performances/prix très étudié. Ces radars, qui reposent sur une fréquence 26 GHz, illustrent bien les progrès réalisés ces dernières années. En matière de compacité tout d’abord grâce au développement d’un nouveau composant RF ultracompact. « Le module HF, le câble, l’antenne… tout cela est maintenant logé dans un circuit intégré qui fait office d’émetteur, explique Raphaël Brie, Chef de Marché Environnement et Energie chez Endress+Hauser. Cette innovation, brevetée, nous a permis de réduire considérablement la taille des sondes qui trouvent désormais facilement leur place dans des réseaux d’assainissement ou dans des cuves de tailles réduites tout en élargissant les possibilités de montage ». Totalement encapsulé en PVDF, l’appareil, IP68, résiste aux environnements sévères et aux produits agressifs ou corrosifs.
En matière de simplicité ensuite, puisque la mise en service du transmetteur peut se faire à distance, via un simple Smartphone, grâce à un outil de configuration reposant sur une appli téléchargeable et un Bluetooth® sécurisé. « L’accès aux différents paramètres est intuitif et optimisé pour les applications du domaine de l’eau, explique Raphaël Brie. L’affichage de la courbe écho et son enregistrement peuvent être partagés par sms, e-mail ou sur les réseaux sociaux ». La communication est totalement sécurisée grâce à une transmission cryptée et protégée par mot de passe pour qu’aucun accès non autorisé ne soit possible. Ce système simplifie l’installation dans les endroits difficiles d’accès ou en zone Ex. Mais les utilisateurs ne souhaitant pas utiliser de smartphones ou de tablette numérique peuvent toujours configurer leur appareil via la boucle 4-20 mA Hart et le logiciel DeviceCare.
De même, avec son nouveau module Plicscom Bluetooth, Vega pousse plus loin le principe de la technologie modulaire plics® qui permet de combiner librement les capteurs, raccords process, électroniques et boîtiers en fonction de ses besoins propres. Il suffit de connecter Plicscom Bluetooth dans l’appareil et de télécharger l’appli Vega Tools. L’utilisateur peut ainsi configurer et paramétrer ses capteurs plics® via un smartphone ou une tablette. Pour les utilisateurs qui souhaitent continuer à configurer leurs capteurs sans smartphone ou tablette, Vega propose un stylet magnétique qui permet d’interagir avec le capteur à travers le hublot sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir le couvercle.
Difficile de faire plus simple et plus flexible.
Mais un autre frein vient d’être levé qui va permettre de démocratiser le radar tout en répondant aux attentes du marché, celui du prix. « Pour un radar offrant un niveau de précision à ± 5 mm à des distances jusqu’à 8 mètres, nous sommes autour de 400 à 450 €, c’est-à-dire pratiquement au même niveau de prix que les sondes ultrasons, souligne Raphaël Brie. On se rapproche de plus en plus des prix des sondes de pressions hydrostatiques haut de gamme et on commence d’ailleurs à remplacer ce type de sondes par des systèmes sans contact avec le produit, plus faciles à maintenir ».
Les transmetteurs et capteurs de niveau radar sont-ils en passe de devenir la solution universelle ? Chez Vega, qui promeut le radar depuis toujours, on n’en doute pas et on compte autant sur le Vegapuls 64 que sur le Vegapuls WL S 61, le dernier né dédié à la mesure de niveau en eau propre et eaux usées qui se caractérise par son aspect économique et ses nombreuses possibilités de montage. Chez Endress+Hauser, on reconnaît que « l’industriel a un réel intérêt à miser, sur un même site, sur une seule et même technologie. Celle qui pourrait se standardiser le plus facilement, c’est plutôt la sonde radar. Mais en matière de technologies sans contact, les ultrasons gardent leur pertinence dans certains cas ». Krohne, qui a joué un rôle précurseur pour les appareils radar fonctionnant selon le principe à impulsions électromagnétiques guidées TDR (Time Domain Reflectometry), doit présenter une nouvelle gamme à ondes libres dans les tous prochains mois. Siemens, Emerson Process Management, Kobold, Tecfluid, Bürkert, Magnetrol, Hitec, Proanatec, C2Plus ou encore Citec et Wika proposent de leur côté une gamme complète au sein de laquelle radars et ultrasons coexistent, à côté des sondes hydrostatiques, lames vibrantes, etc.…
Les ultrasons font de la résistance
« Sur des applications de type mesure de débit en canal ouvert ou déversoir, la technologie à ultrasons permet de mieux travailler quand le niveau approche de la zone proche de l’antenne, souligne Raphaël Brie chez Endress+Hauser. La technologie radar souffre encore d’une vraie zone de non-linéarité sur les 500 premiers millimètres qui n’existe pas sur les ultrasons. Nous avons développé une sonde à ultrasons dont la zone morte, réduite à 7 cm, permet un positionnement au plus près du liquide à mesurer et donc de s’affranchir des influences extérieures. Avec ce type de sondes, les critiques qui s’expriment sur la précision des ultrasons n’ont pas lieu d’être ».
La technologie à ultrasons permet également de déporter des sondes à 300 mètres d’un transmetteur, voire de relier plusieurs sondes à un seul et même transmetteur plus simple et plus rapide à configurer. Sur ce type d’applications, la mesure sans contact historique qu’est la mesure de niveau par ultrasons aurait donc de beaux jours devant elle. « D’autant que pour un technicien, et malgré les progrès accomplis par la technologie radar sur la mise en service, l’ultrason reste plus simple » assure Raphaël Brie qui reconnaît cependant un élargissement régulier du champ d’applications et une démocratisation de la technologie radar. « Notre stratégie ne consiste pas à pousser telle ou telle technologie sans que des raisons précises ne le justifient. Nous mettons un point d’honneur à conseiller le client et à lui proposer les solutions technico-économiques qui lui conviendront le mieux. D’autant que dans bien des cas, c’est aussi l’installation qui décide de la technologie ».
La mesure de niveau par radar va donc probablement continuer à gagner du terrain au fur à mesure qu’elle se banalisera. Mais les autres techniques sans contact devraient encore subsister de longues années, ne serait-ce que sur des installations spécifiques ou sur des applications sur lesquelles elles continuent à donner pleine satisfaction.