En matière d’assainissement, la durabilité des réseaux reste l’enjeu. Encore faut-il avoir fait le bon choix du matériau et poser le réseau dans les règles de l’art afin de mettre à profit toutes les qualités du tuyau. Mais à l’heure où les paramètres économiques, techniques et environnementaux s’immiscent de plus en plus dans le débat, quel matériau choisir pour construire son réseau?? À chacun ses arguments dans ce paysage d’industriels.
Béton, fonte, grès, PRV, PVC, PE ou PP, les matériaux disponibles pour l’assainissement sont variés et revendiquent tous une solution durable. Si l’on veut se faire une idée de quel type de tuyau pour quel type de chantier, le choix est souvent lié à des habitudes, des cultures, aux préconisations des fournisseurs et marchands de matériaux, mais aussi à la géologie du terrain, à la disponibilité des tailles et accessoires, et bien sûr, au coût, lui aussi très variable.
Comme
beaucoup de matériaux de construction touchés par les hausses du prix
de l’énergie et des matières premières, les tuyaux coûtent plus cher tout comme
leur transport, leur stockage et leur mise
en œuvre sur les chantiers. Des paramètres économiques aux enjeux environnementaux, d’autres défis attendent
aussi les industriels.
L’AVANTAGE DE L’ÂGE
La fonte ductile est un matériau historique, incontournable des réseaux d’eau potable. Pour autant Saint Gobain Pam Canalisations, présent depuis 170 ans, met en avant la rigidité des tuyaux en fonte pour l’assainissement.
«En assainissement gravitaire, la fonte ductile, matériau à très forte rigidité annulaire, garantir une rectitude sur la longueur du tuyau, jusqu’à 6 m, et cela même si le lit de pose n’est pas absolument parfait, explique Laurent Cordobes, responsable marketing du marché assainissement chez Saint-Gobain Pam Canalisations. La fonte a depuis longtemps prouvé sa durabilité, ce qui la rend rentable sur le long terme», assure-t-il. Du côté de son confrère Electrosteel, Cyrille Hahang, Directeur Général délégué affirme que «la fonte reste un challenger sur un marché de l’assainissement finalement «récent», où l’efficacité du traitement des eaux usées repose sur une maîtrise des réseaux fuyards et la non-surcharge des stations d’épuration.»
Aujourd’hui, ces deux industriels
offrent un large panel d’applications et
de diamètres, du DN80 au DN2000 mm
dont la résistance mécanique n’est plus
à démontrer. «Dans le temps, le tuyau,
lourd et rigide, restera bien en place. Avec
des tuyaux en fonte ductile dont le revêtement extérieur est en mortier de ciment
fibré (FZMU), pas besoin d’enrobage particulier, ni d’apport de remblais lors de la
pose dans la tranchée, ce qui décarbone
aussi les chantiers en réutilisant sans
problème le sol natif», explique le dirigeant d’Electrosteel dont le siège européen est installé en France, son principal
marché avec 50% de son CA.
NATUREL ET ÉCOLOGIQUE
Le grès, par nature résistant, se compose d’argile, d’eau et chamotte, un
mélange de céramique cuite recyclée
qui lui confère sa structure. Un tuyau
donc complètement inerte et écologique. «De la terre à la terre, souligne
Jean-Marie Le Bronec, directeur commercial France de Steinzeug-Keramo.
Recyclables à 100% et conformes à la
norme NF, ces tuyaux disponibles du
diam. DN 100 au DN 1000 avec tous les
accessoires, ont l’avantage d’être disponibles en 2,50 m de longueur, soit la
même longueur qu’un blindage.
RACCORDS, JOINTS ET HOMOGÉNÉITÉ DU RÉSEAU
Le choix du matériau est une chose, mais
le respect des règles de pose définies
dans le fascicule 70 reste indispensable
pour assurer la pérennité du réseau. «Le
label qualité NF pour l’assainissement
délivré par le CSTB impose des règles
supplémentaires, notamment l’utilisation de bagues de joint en Nitrile qui
résistent mieux que l’EPDM (caoutchouc)
aux eaux chimiques les plus chargées»
ajoute Cyrille Hahang (Electrosteel).
Alors que le joint est souvent accusé
d’être le point faible dans les réseaux
gravitaires, pour Cyrille Hahang,
Electrosteel, la faiblesse se situera plutôt au niveau des raccords. Pour cela,
il préconise l’homogénéité complète du
réseau. «Nous proposons une gamme
complète de raccords et coudes en fonte
avec un revêtement époxy de 250 microns.
Pour l’assainissement, des raccords spécifiques comme les culottes de branchement ou les piquages orientables ont été
développés», ajoute-t-il.
POIDS LOURD VS POIDS PLUME
Afin de compenser le poids, les industriels dans la préfabrication béton développent de nouvelles solutions pour faciliter et sécuriser les manipulations des tuyaux sur le chantier. Plus courts, équipés de crochets de manutention pour faciliter l’emboitement et joints intégrés lors de la fabrication, «ils sont testés avant d’être livrés, la fabrication est très rarement remise en cause, explique Laurent Colin, directeur adjoint Action Régionale et Formation & délégué AURA & Corse au Centre d’Études et de Recherche de l’Industrie du Béton (CERIB).
Le problème pourrait se situer au niveau des branchements ou de joints mal emboîtés si des essais de réception conformes au Fascicule 70 ne sont pas réalisés.» En réseau sous pression, on est plutôt sur des petits diamètres, en dessous du DN200/300. «A partir des diamètres DN500/600, en gravitaire, pluvial ou eaux usées, le béton est plus avantageux, juge Jacques Plattard, président du conseil de surveillance du groupe Plattard. Sans oublier que le matériau est très populaire pour les regards quelles que soient les canalisations qui y sont raccordées.» Choisir le PRV, c’est choisir la légèreté.
«Conditionnés en barres jusqu’à 12 m de longueur, les cadences de pose sont inégalables. Et plus on monte en diamètre, plus le PRV devient compétitif», explique Frédéric Nicolle, directeur des ventes France chez Future Pipe Industries, spécialiste de tuyauterie en matériau composite du diam. DN150 au diam. DN4000, permettant de réaliser des réseaux d’assainissement entièrement en PRV.
«Le PRV est à la fois rigide mais reste déformable, avec une ovalisation maximum de 5% autorisée à long terme. Il est aussi extrêmement lisse et doté d’une capacité d’auto curage importante», explique le responsable. System Group France propose pour sa part des tuyaux annelés en PEHD, avec les avantages de ce matériau, en particulier la flexibilité qui permet de résister aux mouvements du sol. Issus de la catégorie des composites, les tubes PRV d’Hydro Pipes Solutions (HPS) sont insensibles à toute forme de corrosion chimique, et notamment à l’H2 S en présence d’eaux usées chargées, à la pollution des sols ou encore aux courants vagabonds. «Certes, il n’est pas le moins cher sur le marché des tubes, explique Alexandre Lapeyre, d’HPS, mais sa durée de vie, évaluée à 150 ans, est l’assurance pour les collectivités, dans le cadre d’une gestion patrimoniale des réseaux, d’investir pour longtemps.» La firme espagnole Molécor propose pour sa part une gamme complète de tubes en PVC et accessoires destinés à l’assainissement, sous le nom de Sanecor.
QUEL THERMOPLASTIQUE POUR QUELLE APPLICATION ?
Faciles à mettre en œuvre, d’un rapport qualité/prix intéressant et d’une durabilité annoncée de 100 ans, les tubes polyéthylène (PE), polypropylène (PP) et polychlorure de vinyle (PVC), sont largement utilisés en assainissement. «Alors qu’un réseau est souvent remanié au bout de 30/ 40 ans, endommagé (glissements de terrain), ou redimensionné (population), le choix du PVC reste très populaire», explique Marc Touret, président de la section Assainissement du syndicat des tubes et raccords en polyéthylène et polypropylène (STRPEPP).
Acteur majeur dans le secteur de l’assainissement depuis plus de 60 ans, Dyka
fabrique en France toute une gamme
de produits en PVC, PP et PE, couvrant ainsi l’ensemble du petit cycle
de l’eau. «Le PVC permettra de couvrir la grande majorité des besoins en assainissement avec les tubes CR8 (Classe de
Rigidité 8). Pour les sections de réseaux
où les tuyaux passeront à faible profondeur sous des charges roulantes, ou à de
très fortes profondeurs, il faudra privilégier du PVC CR16 (parfois aussi connu
comme SN16). Sa meilleure résistance à
l’écrasement lui permettra de résister
aux contraintes plus importantes imposées par les sols ou les fortes charges»,
explique François De Gersigny, responsable marketing France Dyka.
DES SOLUTIONS ÉCOLOGIQUEMENT MOINS IMPACTANTES
«Pour le béton, lors de la prise du ciment, la réaction chimique s’accompagne d’un fort dégagement de chaleur qui permet le séchage des produits sans alourdir la consommation d’énergie. Par contre, le ciment a subi des taxations environnementales et le prix de l’acier a flambé, ce qui nous a amenés à optimiser son utilisation pour les mêmes garanties de résultat», explique Jacques Plattard. Particulièrement impactés, les industriels de la fonte ont eux aussi poussé la réflexion sur les coûts énergétiques mais aussi le recyclage sachant que le matériau est recyclable à l’infini.
Electrosteel prépare ainsi son projet de site de production de tuyaux à partir de matière première recyclée en France, équipé de fours électriques. De son côté, Saint Gobain Pam, qui vise la neutralité carbone à 2025, a mis en service en 2022 le four électrique Thor, le plus grand en Europe pour la fonte ductile, et deux autres suivront en 2025. «Nous développons par ailleurs une offre de produits en fonte autour de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT)», explique Laurent Cordobes, Pam.
Quant aux tubes thermoplastiques, ils
revendiquent une faible consommation
en énergie par des procédés d’extrusion à des températures relativement
basses (220°C). «Pour Dyka, reprend
François De Gersigny, l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 passe par une
optimisation des procédés de production
basses émissions accompagnés d’initiatives environnementales inscrites dans
un programme complet de développement durable.»
DÉFIS CARBONE ET RÉDUCTION DES GES
Souvent attaqué sur son bilan carbone, l’empreinte environnementale du béton est un sujet central pour le CERIB, «même si, dans la composition du tuyau, le ciment ne représente que 10 à 12%», pointe Laurent Colin, CERIB.
Autre levier : le transport car la préfabrication en béton reste un modèle de production locale. Depuis février 2024, Hydro Pipe Solutions est être le premier fabricant de tuyaux PRV sur le marché français à obtenir le certificat RSE, avec une médaille de bronze EcoVadis. Une démarche qui lui a permis de quantifier les émissions de GES au niveau scope 1 et 2, et bientôt, l’évaluation scope 3. «Grâce à notre nouvelle plateforme logistique située à Lyon, nous pourrons stocker en grande quantité les tuyaux fabriqués en Turquie et ainsi réduire les émissions du transport de 5 à 10%», souligne Alexandre Lapeyre, d’HPS.
En comparant les DEP (déclaration environnementale de produit) des différents
fournisseurs de matériaux, Future Pipe
Industries a pu analyser le cycle de vie
des produits, incluant les étapes de
production et de transport, et constater ainsi que les matériaux composites,
affichent un meilleur bilan carbone que
de nombreux matériaux traditionnels.
100 % RECYCLABLE
Le matériau béton est 100% recyclable
et à l’infini. Aujourd’hui, les industriels
s’orientent vers une incorporation
d’au maximum 30% de granulats recyclés dans les tuyaux. «Mais cette limite
pourrait évoluer, car la demande pour
avoir des bétons plus verts, décarbonés, est là», rappelle Laurent Colin, CERIB.
Les thermoplastiques utilisés en assainissement sont également recyclables à
100%. «Depuis déjà plus de 20 ans, Dyka
intègre un taux minimum garanti de PVC
recyclé allant jusqu’à 40%, certifié par
le LNE et qui nous a permis de devenir
le seul fabricant de tube bénéficiant de
cette certification», reprend François De
Gersigny. Dans le cas du PP, chez Dyka,
c’est principalement dans la production
de caissons de rétention des eaux pluviales que le recyclé sera utilisé.
QUELS ENJEUX POUR LE MARCHÉ DE L’ASSAINISSEMENT ?
Le secteur de l’assainissement doit lui
aussi entrer dans la même démarche de
pérennité que l’eau potable. «Les réseaux
d’assainissement ont aussi besoin d’être
renouvelés. Sans oublier d’autres problématiques comme celle de l’eau qui se
fera de plus en plus rare, et qu’il faudra
apprendre à économiser et à gérer» assure
Jacques Plattard. «C’est là où il faut parler
de rentabilité du réseau, explique JeanMarie Le Bronec, Steinzeug-Keramo. Car
un chantier renouvelé à 30 ans n’aura pas
la même rentabilité que s’il est renouvelé
à 60 ans, le rapport entre le coût brut du
matériau et la durée du réseau ne sera
pas le même.»
DEMAIN, QUELLES ÉVOLUTIONS TECHNIQUES ?
Les bétons d’hier ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui, ni les mêmes que demain. «D’ailleurs, souligne Laurent Colin, CERIB, il est plus correct de parler «des» bétons plutôt que «du» béton, car en fonction du lieu de pose du tuyau, la formulation du béton peut être adaptée. D’où la nécessité de préparer le chantier en amont afin de proposer le meilleur produit.»
Le secteur des tubes en PRV bénéficie
d’une dynamique en R&D constante portée par des secteurs très consommateurs en fibre de verre et résine. «Dans
cette quête de transition écologique, nous
n’en sommes qu’aux balbutiements avec
une filière recyclage qui n’est pas encore
mature», rappelle encore Alexandre
Lapeyre, d’HPS.
Également, président de la FIB pour la
région centre-est, l’avenir des réseaux
d’assainissement est tout aussi prometteur selon Jacques Plattard: «je pense
que demain notre métier continuera
à évoluer, avec peut-être plus de surveillance et de gestion des données des
réseaux, grâce à des systèmes de puces
ou de capteurs qui localiseront les fuites
ou mesureront le taux d’H2
S. On continuera à décarboner, et si on décarbone,
on va préfabriquer davantage j’en suis
certain.»