L’efficience énergétique d’une station d’épuration à boues activées repose en grande partie sur l’optimisation de l’apport en oxygène indispensable à l’oxydation des polluants carbonés et azotés. Trois leviers permettent de l’améliorer : un choix pertinent des équipements mis en œuvre, un dimensionnement adéquat des systèmes d’aération et l’introduction de stratégies de régulation plus flexibles permettant une régulation plus fine des apports en oxygène.
Une grande diversité de besoins et de contraintes
L’aération de fond regroupe les aérateurs immergés et les systèmes de diffusion fines, moyennes ou grosses bulles. L’aération de surface rassemble les aérateurs lents à arbre vertical ou horizontal, et les aérateurs rapides, chaque catégorie regroupant elle-même plusieurs types de dispositifs capables de répondre à des objectifs et des contraintes bien différents. Dès lors, comment s’y retrouver et quel système choisir sur la base de quels critères ? « Il y a une dizaine de paramètres à prendre en compte dans le cadre d’une étude approfondie avec l’exploitant pour obtenir un maximum d’informations et parvenir à déterminer l’équipement le plus adapté à ses besoins, explique Christophe Lichtle chez Isma. Parmi les plus importants, la nature de l’effluent, sa température, la taille des ouvrages et leur forme. Le point essentiel est de toujours privilégier une parfaite adéquation entre le système préconisé et l’application envisagée ».
En France, depuis la fin des années 1980, le chenal d’aération doté de diffuseurs fines bulles tient le haut du pavé, au moins dans les grandes installations de traitement des eaux usées urbaines. « Pour les bassins relativement profonds, on a privilégié, la technologie fines bulles parce qu’elle permettait d’obtenir des rendements et des performances élevées, alors que pour des faibles ou moyennes profondeurs on est resté sur ce que l’on appelle l’aération dite mécanique, explique Wladimir Scriabine, Ingénieur Produits et Solutions chez Xylem. C’est le critère physique de la profondeur du bassin qui tend à définir l’orientation d’une solution vers une autre ». Mais la technologie fines bulles a souffert ces dernières années d’un coût jugé trop élevé, en investissement comme en exploitation, au profit des équipements d’aération de fond dopés à l’air. « La technologie fines bulles a parfois été mise en œuvre bien au-delà de ses limites maximales d’utilisation, explique Wladimir Scriabine. Pour réduire les coûts, on a parfois observé une tendance à réduire le nombre de diffuseurs en les faisant fonctionner à leur débit maximum plutôt qu’à leur débit moyen, mais cette pratique a généré des baisses de performances importantes et des coûts d’exploitation plus élevés ». On retrouve ici cette dualité propre au marché français qui oppose les intérêts des concepteurs d’ouvrages, désireux de fournir une installation le moins cher possible, et les exploitants, soucieux d’exploiter un ouvrage fiable, performant et sobre pour que le traitement soit le plus optimal et le plus économique possible sur le long terme….
« On accorde cependant aujourd’hui bien plus d’importance aux coûts d’exploitation qu’il y a quelques années, souligne toutefois Antonin Maugeri, coordinateur d’équipes chez KSB. Les cahiers des charges liés aux nouveaux marchés publics pour le renouvellement des parcs installés de grands syndicats se construisent par exemple assez largement autour des gains liés à l’efficience énergétique. Cette préoccupation concerne désormais l’ensemble des exploitants ».
Malgré leur coût, les procédés fines bulles développés par 2AVE, Aqseptence, Bibus, Europelec, Grundfos, Invent, Rehau, Sulzer, Xylem ou encore Wilo restent très prisés,
notamment pour leur rendement allant, en conditions courantes, de 2 à 3,8 kg O2/kWh. « L’innovation repose dans ce domaine sur le développement de nouvelles membranes moins sensibles aux agressions chimiques et à l’agressivité de certains effluents (polyuréthane), à l’adhésion bactérienne (silicones, téflon…) ou au colmatage », comme le souligne Cédric Malesieux, Responsable des Ventes France chez Aqseptence Group. « Les techniques avancées de micro-perforations permettent également d’obtenir une couverture très dense en fond de bassin avec un débit d’air très faible ce qui génère un transfert d’oxygène élevé avec une consommation d’énergie la plus basse possible ». Les géométries évoluent également même si les disques, tubes ou plaques restent prédominants. On voit cependant apparaître des panneaux de plus grande surface, équipés de diffuseurs de 20 cm de large mais dont la longueur peut aller jusqu’à 2 mètres. « Ce sont généralement des produits dédiés aux installations fixes en fond de radier alors que le marché français demande 9 fois sur 10 du châssis grutable », souligne Wladimir Scriabine. Xylem a cependant développé un produit spécifique sur châssis grutable équipés de ce type de diffuseurs, mais son coût reste sensiblement plus élevé qu’une solution en châssis grutable avec des tubes, solution la moins onéreuse actuellement sur le marché. En termes de mise en œuvre, les paramètres liés à une densité élevée de diffuseurs, des hauteurs d’eau suffisantes et des débits par orifice assez faibles restent essentiels.
En alternative, les aérateurs submersibles procurent des rendements de transferts en oxygène proches de ceux des diffuseurs tubulaires ou à disques. Ils ne craignent pas le colmatage et assurent un rendement constant dans le temps. Leur souplesse d’utilisation et leur facilité de maintenance leur assurent un coût d’exploitation moindre, tout en obtenant un bilan énergétique intéressant. Ces équipements immergés sont prisés pour leur robustesse et leur facilité de mise en œuvre, ainsi que pour leur capacité à associer facilement aération et brassage. C’est par exemple le cas du OKI de Sulzer, capable de fonctionner avec ou sans air. Dans le premier cas, il assurera le brassage des effluents et leur aération, dans le second cas, il se contentera de brasser. C’est également le cas du SOFIE d’Europelec, un aérateur à vitesse lente immergé assurant l’aération et/ou le brassage des eaux usées, de la gamme d’aérateurs TRN de Tsurumi, de l’Aéroxyde de R&O Dépollution ou Hyperclassic ® et Hyperdive® d’Invent ou encore de l’Oxy Amajet de KSB.
Le rendement, en termes de Kg O2/kWh consommés, est cependant pour partie affecté par l’énergie consommée par la machine pour brasser. « Ces machines ont d’abord été développées pour leur fonction première qui reste l’aération, souligne Karine Bannier, responsable aération chez Sulzer, ce ne sont pas des agitateurs et ils n’ont pas été optimisés pour cela. Mais cela ne les empêche pas de remplir avantageusement cette fonction en évitant dans bien des cas de recourir à des équipements supplémentaires. En brassage, l’efficacité de la gamme OKI est réelle sur une dizaine de mètres autour de la machine, et jusqu’à 20 ou 30 mètres pour les plus modèles les plus puissants ». La multiplication des machines au sein d’un bassin permet de satisfaire des besoins importants qu’il est possible moduler en configurant la fonction brassage sur le nombre d’équipements requis. Autre avantage lié à ces équipements alimentés par un surpresseur, il est possible de réguler les débits d’air injectés dans la machine. « Cela permet d’ajuster les transferts d’oxygène en fonction de la charge à traiter », souligne Karine Bannier. Mais leur avantage principal reste lié leur capacité à fonctionner efficacement quelle que soit la hauteur d’eau. « En France, le parc installé des aérateurs OKI avoisine les 250 machines dont certaines fonctionnent sur des hauteurs d’eau allant jusqu’à 13 mètres ».
Aération de surface : trouver le bon compromis
En aération de surface, les systèmes à vitesse lente à arbre horizontal tels que les brosses, qui balaient l’eau en la projetant en aval avec la fraction immergée de leurs pales, ont longtemps dominé le marché. « Elles restent aujourd’hui la meilleure solution pour les bassins jusqu’à 3,5 ou 4 m de profondeur », souligne Cédric Malesieux chez Aqseptence. Fiables et résistantes, elles se caractérisent par une longue durée de vie et un bon rendement énergétique. « La maintenance se limite à une vidange tous les 18 mois et au remplacement du palier tous les 5 ans, résume Cédric Malesieux. Si elle est bien faite, l’équipement peut durer jusqu’à 30 ans, voire davantage : on voit encore fonctionner des brosses posées dans les années 1960 ». C’est la raison pour laquelle à côté des systèmes fines bulles, Aqseptence commercialise sous la marque Passavant, des brosses dont les éléments cruciaux sont intégralement fabriqués par le groupe au sein de ses propres usines. « Tous les composants tels que le fût, les pales, les réducteurs ou les paliers sont spécialement développés par nos équipes, pour nos brosses, en fonction des contraintes spécifiques de chaque bassin, de manière à garantir une durée de vie très longue » indique Cédric Malesieux. En France, de grandes stations d’épuration telles que Rennes, Reims, Lannion ou encore Boulogne-sur-mer restent fidèles aux brosses, même si le marché repose surtout sur du remplacement ou des augmentations de capacité : « la plupart du temps, une turbine remplace une turbine et une brosse une brosse, il est rare qu’un exploitant change de système d’aération ou le diversifie pour ne pas alourdir les coûts de maintenance », explique Cédric Malesieux. Les brosses sont appréciées pour leur souplesse de fonctionnement (mélange homogène quel que soit le nombre d’aérateurs en service) que seuls les aérateurs horizontaux sont capables d’assurer dans le cadre de l’aération de surface. Mais elles souffrent d’un coût jugé élevé, notamment par rapport à la technologie fines bulles à laquelle elles ont longtemps été opposées. « Lorsqu’on évoque la technologie fines bulles, on a tendance à dissocier la partie immergée, c’est-à-dire les rampes, raquettes et tubes, de toute la partie alimentation en air, souligne cependant Cédric Malesieux. Mais quand on réassocie aux fines bulles l’ensemble des éléments requis tels que les surpresseurs, la fabrication d’un local insonorisé… etc, on s’aperçoit que la technologie coûte plus cher qu’une brosse, en investissement comme en exploitation ».Les équipements annexes exigés par les différents systèmes d’aération doivent être considérés dans leur globalité.
Les aérateurs de surface à axe vertical développés par Biotrade, Europelec, Isma-Fuchs, Landia, Kamps, TMI, ou Xylem ont d’abord trouvé leur place dans les stations de tailles moyennes ou petites stations ou encore en lagunage.
Mais portés par un coût d’investissement plus faible, une maintenance plus légère et une longue durée de vie, ils ont su peu à peu conquérir des ouvrages de plus en plus importants. D’autant que sur de longues périodes, certains d’entre-eux, comme par exemple les aérateurs de surface de type lents, présentent des rendements très intéressants qu’ils conjuguent avec une fiabilité élevée. À tel point que les turbines lentes (1,35 à 1,75 kg O2/kWh) sont parfois recommandées pour de grands projets épuratoires comme cela a été le cas pour certaines villes telles que Hô-Chi-Minh ville, Ryadh, ou encore Le Caire. Les aérateurs flottants des gammes AER-AS d’Aquasystems, Aquafen d’Europelec et Centrox d’Isma combinent aussi aération et brassage et peuvent être équipés de capotages pour éviter les projections d’aérosols.
« En position verticale, ils brassent en général un diamètre de 6 à 8 fois la hauteur d’eau, donc il est souvent nécessaire d’avoir un nombre important d’appareils pour brasser l’ensemble du
bassin » souligne Christophe Lichtle chez Isma.
Plusieurs fabricants tels qu’Aquago, Faivre, Isma ou Ozeau proposent des aérateurs de surface flottants capables de combiner aération et brassage. C’est par exemple le cas d’Isma dont l’aérateur à vis hélicoïdale Fuchs à rotation rapide est composé d’un moteur triphasé, refroidi par air, relié à un tube inox à l’extrémité duquel est soudée une hélice en forme de vis sans fin. « En atteignant l’hélice, l’air est transformé en fines bulles dirigées vers le fond du bassin tout en assurant un transfert d’oxygène performant rapide et efficace, explique Christophe Lichtle. Ces aérateurs sont souvent utilisés sur supports flottants en lagunage aéré mais on peut aussi les adapter à une grande diversité d’applications, par exemple en rénovation de ponts-brosse, domaine dans lequel nous comptons quelques dizaines de références en France (Voir EIN n° 400). Attention cependant à ne pas confondre ces appareils avec ceux dédiés aux applications d’aquaculture, qui sont des appareils de faible puissance ne générant que peu d’apport en oxygène ».
L’Oloïde, distribué par Ozeau, agit en complète rupture avec les autres technologies existantes. « La forme de son corps et la nature tridimensionnelle de son mouvement produisent une excellente homogénéisation de l’effluent, souligne Jean Grunenberger chez Ozeau. La vitesse lente de rotation et l’absence de force centrifuge réduisent fortement les forces de cisaillement exercées sur les flocs. L’Oloïde est avant tout un brasseur à haut rendement. À titre d’exemple, environ 0,55 kW suffisent pour brasser un bassin de boues activées de 250 à 500 m³ avec l’Oloïde type 600. Cela en fait un complément très intéressant pour les autres systèmes d’aération immergés ». En place dans les bassins de dénitrification, l’Oloïde assure une homogénéisation tout en maintenant les conditions d’anoxies nécessaires au traitement.
Autre solution, les Oxydro S 20 ou S 60. Ces aérateurs de surface sont composés d’un flotteur, d’une pompe et d’un canon qui diffuse l’air au milieu du bassin. Parmi leurs avantages, une installation est très rapide puisque l’appareil, adapté aux cas d’urgence, arrive sur le site prêt à fonctionner.
Comment déterminer la technologie la plus adaptée au cas considéré ?
Le choix repose souvent sur la capacité d’oxygénation du système et sur son rendement exprimé par l’apport spécifique brut (ASB) traduit en kg O2/kWh en eau claire désoxygénée selon EN 12255-15 (Voir tableau 1).
Certains professionnels estiment cependant que la comparaison des aérateurs en eau claire n’est pas directement représentative des performances qui sont observées en conditions réelles : le transfert de l’oxygène pourrait être influencé par la nature de l’effluent, la qualité des boues, les conditions de fonctionnement hydraulique et biologique….
La réalisation d’une étude globale est indispensable
En technologie fines bulles, les chenaux oblongs ou annulaires permettent de générer une vitesse de circulation horizontale sur les équipements d’aération, de manière à disposer de deux fonctions (agitation et aération) bien distinctes dans l’ouvrage. Le point délicat reste la définition de la vitesse horizontale à mettre en œuvre pour que la dissociation brassage-aération soit la plus optimale possible. « Nous avons développé des modèles qui nous permettent de déterminer avec précision la vitesse horizontale à mettre en œuvre en fonction du débit d’air surfacique, explique Wladimir Scriabine chez Xylem. Nous avons constaté que sur bon nombre d’installations, si la vitesse n’est pas assez importante on observe des retours de flux susceptibles de fragiliser les agitateurs ». Pour les bassins cylindriques, les choses sont plus simples. En dessous de 10 à 12 m de diamètre, seule la couverture totale donne des résultats satisfaisants (3 à 3,3 kg O2/kWh pour des hauteurs d’eau comprises entre 3 et 7 m). Le mieux est alors d’alterner les phases de brassage et d’aération. Au-dessus de 10 à 12 m de diamètre, il peut devenir intéressant d’envisager une dissociation. Pour Wladimir Scriabine, « l’agitation lente par grandes pâles de type banane permet de gagner entre 20 et 40 % d’efficacité énergétique avec une vitesse de 0,3 à 0,4 m/s de l’effluent ». Les agitateurs impulsent une vitesse horizontale qui allonge le parcours des bulles et finissent par les épuiser. C’est la puissance des outils numériques qui permet de prendre en compte l’ensemble des paramètres pour définir les conditions optimales d’injection des bulles et l’agitation. « Ces outils de sélection et de dimensionnement sont parfois complétés par des études de modélisation lorsque le besoin s’en fait sentir, complète Antonin Maugeri, KSB. Ils permettent par exemple de modéliser de vitesse dans l’ensemble d’un bassin ».
Mais comme en aération, l’équipement ne fait pas tout : l’implantation par rapport aux aérateurs et à la forme du bassin est essentielle. À défaut, l’agitateur ne délivrera pas les performances attendues, et subira des contraintes anormales susceptibles d’entraîner des contreperformances, voire même des casses.
Mais l’implantation des équipements d’agitation reste délicate. « Nous sommes fréquemment sollicités par des clients pour préconiser une implantation sur un ouvrage mais il faut bien souvent composer avec les contraintes d’un bassin qui n’a pas forcément été conçu au départ jusque dans le détail du positionnement des agitateurs, explique Antonin Maugeri chez KSB. Le fait d’associer le fournisseur plus en amont permettrait certainement d’optimiser le positionnement des équipements et donc l’efficacité du couple aération/brassage ».
Une phase clé : le dimensionnement
De son côté, Aqseptence a développé, Aqualogic®, un outil d’optimisation dynamique reposant sur l’intelligence artificielle pour ne délivrer que la quantité d’oxygène nécessaire, au moment ou elle est nécessaire. « Le but n’est pas de courir après un résultat, mais d’anticiper les charges entrantes et donc les besoins pour les satisfaire au moment ou ils s’expriment, sans majorer les consommations d’énergie », explique Cédric Malesieux. Aqualogic®, est actuellement en phase de test sur une dizaine de stations d’épuration avant un possible déploiement plus large