La start-up normande Tellux caractérise les sols pollués en utilisant l'imagerie hyperspectrale et l'intelligence artificielle. La méthode vient de faire ses preuves sur le site d'une ancienne raffinerie à Dunkerque.
Quatre-vingt-dix hectares de terrain en
bord de mer, occupés durant des décennies par une succession de raffineries de
pétrole dont la dernière, opérée par la Société de la Raffinerie de Dunkerque
(SRD), a cessé ses activités en 2016. C'est ce site gigantesque, pollué aux
hydrocarbures, que la société Colas Environnement doit réhabiliter puis
remettre au Grand Port Maritime de Dunkerque. Avant toute intervention, il
importait de caractériser la pollution présente. La méthode conventionnelle
consiste à prélever de multiples échantillons du sous-sol et les envoyer à un
laboratoire d'analyse. Un processus coûteux et, surtout, très long. Qui plus
est, ce type d'analyse ne fournit que des résultats ponctuels (un par
échantillon), et non une vision continue de la pollution sur toute la
profondeur explorée. Colas Environnement a donc décidé de faire appel à la start-up Tellux qui met en œuvre une
méthode totalement originale, soumettant des carottes de sol à son
"Hyperspectral Lab". Le 12 novembre 2020, soit un mois après le début
de son intervention, Tellux remettait à Colas Environnement un état complet de
la pollution du sous-sol...
Une
analyse sur le terrain
L'Hyperspectral Lab couple une caméra
d'imagerie hyperspectrale [1]
à un logiciel d'interprétation doté de capacités d'apprentissage automatique. « Ce sont les seuls à faire ça, qui plus est
sur le terrain » souligne Pierre-Antoine Fourrier, directeur du projet
SRD chez Colas Environnement. Sitôt sortie du sol, chaque carotte de terre est analysée
sur place par la caméra hyperspectrale. Celle-ci donne, en continu sur toute la
longueur de la carotte, un spectre représentant à la fois des données
quantitatives de pollution – en termes d'hydrocarbure totaux (HCT) et de
composés volatils (COV) – et les caractéristiques lithologiques
(propriétés physiques du sol). « Nous
obtenons très rapidement – une minute pour un mètre de carotte – une
image à haute résolution qui montre les hydrocarbures à l'échelle des interstices
entre les grains du sol, ce que personne d'autre ne peut faire. Or
l'interaction sol-polluant est déterminante pour le choix des techniques de
dépollution à appliquer » souligne Antonin Van Exem, fondateur et
dirigeant de Tellux. « L'intérêt des
carottes de Tellux est qu'on voit dans l'espace où est la pollution, une
information que ne donnent pas les prélèvements ponctuels. Cela permet de mieux
cibler le traitement, donc être plus rapides, et de dimensionner au plus près
nos méthodes de dépollution. Au total, nous faisons des économies »
estime Pierre-Antoine Fourrier.
Pour tirer un renseignement pertinent d'une
image hyperspectrale, il faut un système capable de traiter une énorme quantité
de données et d'interpréter chaque spectre. C'est là qu'intervient l'autre
spécificité de la méthode Tellux : la firme utilise un logiciel doté de
capacités d'auto-apprentissage. Chaque carotte prélevée est en effet coupée en
deux dans le sens de la longueur. Une moitié est examinée sur place par la
caméra et interprétée en se référant à des modèles existants, l'autre est expédiée
– dûment bouchée et refroidie dans de la carboglace pour immobiliser les éléments
volatils – vers le laboratoire d'analyse de Tellux. Les résultats du
laboratoire enrichissent une banque de données où chaque spectre particulier rencontré
sur le terrain est associé aux résultats d'une analyse complète. « En s'appuyant sur cette banque de données,
le logiciel apprend à identifier chaque hydrocarbure, et chaque caractéristique
du sol, sur les spectres. Quand nous reviendrons faire des mesures sur d'autres
parcelles du même site, il pourra instantanément donner un résultat équivalent
à des mesures de laboratoire » explique Antonin Van Exem. Le but de
Tellux est d'accumuler les données sur différents sites pour augmenter la précision
des résultats et généraliser la méthode. « Dans quelques années, après avoir travaillé un peu partout, rencontré
différents types de sols et de pollutions, nous disposerons d'une base de
données suffisante pour que notre logiciel donne immédiatement des résultats
complets, précis et fiables sur un chantier inconnu » affirme Antonin
Van Exem. Tellux cherche donc actuellement à multiplier les interventions sur
des terrains pollués aux hydrocarbures.
Entretemps, à Dunkerque, Colas Environnement
met à profit une autre utilisation possible de la méthode : faire
rapidement le tri des terres excavées. « Désormais en phase de travaux, nous utilisons leur Hyperspectral Lab
pour trier les déblais en fonction de leur concentration en polluant et traiter
ensuite chaque lot de manière adéquate » explique Pierre-Antoine
Fourrier.
Pour Tellux, la méthode ne se limite pas
aux hydrocarbures : une R&D est en cours sur des pollutions comme les solvants
chlorés, les HAP ou les métaux. « Tout
cela est techniquement envisageable, il nous faut simplement créer les bases de
données adéquates » affirme Antonin Van Exem.
[1]
Une caméra hyperspectrale donne l'image (spectre) d'un objet dans de très
nombreuses bandes de fréquence, étroites et contigües, du domaine optique
(visible ou infrarouge).