Quelle que soit la vocation de l’installation dont il à la charge, l’exploitant d’un ouvrage de gestion de l’eau doit analyser celle-ci en permanence, en suivant en général plusieurs paramètres. Comment constituer un parc analytique optimisé?? Les fabricants proposent plusieurs solutions, dont certaines restent débattues. Une chose est certaine cependant?: le passage au numérique s’impose.
Comment passer d’une juxtaposition de ce type à un parc optimisé, cohérent, non redondant en limitant autant que possible la maintenance ?
La gamme de paramètres demandés, donc suivis, varie évidemment selon les secteurs. En eau potable, les besoins sont plus ou moins standardisés : pH, conductivité, turbidité, chlore (eau sortante), parfois dureté (eau entrante). Les stations d’épuration vont évidemment se préoccuper de charge organique, d’ammonium, de nitrates et selon les cas d’autres polluants, alors que les exigences des industriels sont directement fonction de leur process.
En fait, la nature des paramètres à mesurer ne pose plus véritablement de problème. Il existe sur le marché quantité de capteurs et/ou d’analyseurs performants, répondant à tous les besoins. La question est plutôt de les assembler en un parc le plus pertinent, le plus compact et le plus homogène possible. Que peuvent offrir les exploitants face à cette nécessité ?
Les sondes multiparamétriques : une bonne idée ?
De nombreux acteurs, comme Aquacontrol, Aqualabo, Bionef, Datalink instruments, EFS, Hach, Hanna Instruments, Horiba, Krohne, Metrohm, nke instrumentation, Rittmeyer, SDEC, ou S::can, proposent ainsi de telles sondes multiparamétriques.
Xylem Analytics, qui développe des solutions intégrant des capteurs provenant de différents fabricants, en propose plusieurs. « Pour les eaux usées, un exemple typique est la sonde unique donnant à la fois l’ammonium et les nitrates, explique Philippe Ribouat, Managing Director chez Xylem Analytics. De même, une sonde optique travaillant dans l’UV et/ou le visible peut aujourd’hui mesurer à la fois la DCO, la turbidité, les nitrates, les nitrites, la DBO et le COT ».
Est-ce aussi fiable qu’un ensemble de capteurs mono-paramètre ? Pour Philippe Ribouat, c’est “oui” sans hésitation. « Ça peut même être un avantage. Par exemple, la turbidité, qui perturbe la précision des sondes en UV, n’était pas prise en compte. Aujourd’hui, des sondes balayant le spectre peuvent la mesurer pour délivrer des valeurs plus fiables sur les autres paramètres. De même, notre sonde Varion, pour l’ammonium et les nitrates, comprend une sonde complémentaire pour le potassium ou les chlorures, qui sont également des perturbateurs ».
S::can, fabricant autrichien disposant d’une filiale française à Aix-en-Provence, s’appuie sur la spectrométrie dans le visible pour proposer lui aussi des sondes multiparamétriques. « Une de nos sondes peut mesurer le COT, la turbidité, l’UV 254, la couleur. Le COT, en particulier, est devenu un paramètre déterminant en eau potable. Nous pouvons le mesurer directement, par mesure spectrale indépendante dans l’UV-Vis », affirme Philippe Marinot, qui dirige la filiale française.
Jean-Pierre Molinier, spécialiste process chez Hach, doute lui-aussi de l’existence d’un “capteur miracle” capable de tout mesurer avec un seul principe de physico-chimique. « Nous préférons utiliser plusieurs capteurs à sortie numérique qui communiquent leurs données vers le même transmetteur multivoies », explique-t-il.
Même son de cloche chez Krohne : « Tout dépend de l’application considérée, des besoins de l’exploitant et de ses attentes », indique Christian Jay, Responsable Produits Analyse. L’entreprise s’attache plutôt à compléter son offre encore jeune dans le domaine de l’analyse physico-chimique et devrait présenter plusieurs nouvelles sondes au cours des prochains mois.
« La présence de plusieurs détections sur une sonde UV/visible n’est pas forcément une panacée ou quelque chose pouvant ressembler à un idéal (appareil sans encrassement, sans calibration, sans entretien, avec une mesure très fine, des corrections inter-paramètres), souligne de son côté Christian Haritchabalet chez Anhydre. Ces configurations multi-détections peuvent exiger des compromis en termes de gammes de mesure sur les différents paramètres (interaction des exigences des principes de détection), des gammes en fait trop larges pour les niveaux de détections souhaitables face à une limite légale basse. Les paramètres extrapolés (mesure non directe du paramètre, obtenue par corrélation - calcul comme DCO, COT en UV) à partir d’une mesure optique peuvent être étroitement liés à des conditions ambiantes données. Les facteurs de conversion ne tiennent que dans la mesure où ces conditions ne présentent pas de forte variabilité. En résumé, l’utilisateur doit rester vigilant quant au couple de base de toute mesure : gamme de mesure utile et précision réelle de la mesure dans les conditions du milieu ».
Chez nke instrumentation, on mise sur le multi-interfaçage. En effet, la sonde SAMBAT en sortie Modbus peut être utilisée indifféremment en mode datalogger, en mode lecture directe, ou connectée à une centrale d’acquisition.
Platines, plateformes et autres ensembles “plug and play”
Les transmetteurs SC 200 et SC 1000 de Hach peuvent ainsi recevoir jusqu’à huit capteurs. Il en va de même pour le Liquiline CM44 d’Endress+Hauser, même si, « en général, 4 ou 5 suffisent pour l’eau potable », comme le précise Aurélia Genet, Chef de marché Environnement chez Endress+Hauser.
Plusieurs spécialistes de l’analyse ont opté spécifiquement pour cette solution. C’est par exemple le cas de Swan, Proanatec, Waltron ou encore TMR. D’autres, comme Endress+Hauser, Bürkert, Hach, Xylem Analytics, EFS, Anael, Cifec, ou Comectec, ProMinent, Krohne et Lutz-Jesco proposent cette solution à la demande, lorsque le standard n’est pas le meilleur compromis.
Aquacontrol propose un panneau de contrôle du chlore en eau potable doté d’une transmission analogique 0/4-20 mA pouvant être reliée à un automate. Il intègre un nouvel analyseur avec son coffret intégré (CL6587). « L’avantage réside dans la fiabilité et la précision de la sonde potentiostatique SZ283, explique Joël Guilleray chez Aquacontrol. Celle-ci possède un double anneau platine très pur lui conférant une grande stabilité du zéro. De plus, son entretien est limité et rapide puisqu’il suffit de la tremper dans une solution de nettoyage, de la rincer et l’essuyer avec un chiffon (pas d’électrolyte, ni de membrane à changer tous les trois mois) ».
Grâce à la diversité des sondes proposées, Xylem développe également des platines cohérentes prêtes à brancher pour l’eau potable. « Nous savons désormais faire travailler ensemble les capteurs de nos fournisseurs, par exemple des sondes pH, conductivité et chlore, auxquelles on peut rajouter au besoin une sonde UV pour nitrates, ou une sonde nitrites… », précise Philippe Ribouat.
ProMinent axe également son développement sur des appareils de mesure/régulation communiquant par Webserver ou Modbus et permettant le raccordement de sondes de mesures qui ne sont pas de sa gamme. « C’est le cas de l’appareil DACb et AEGIS » précise Claude Klein.
Un saut technologique
Si les usines d’eau potable disposent en général d’assez de place pour accueillir des platines plus conventionnelles, la compacité de ce système, et sa très faible consommation d’eau, sont des atouts pour l’installation dans des regards sur un réseau de distribution, ou dans des conteneurs de traitement transportables. Au-delà du système standard de six cubes dans leur boîtier, Bürkert peut développer des panneaux sans limite de nombre de paramètres mesurables – le logiciel accepte jusqu’à 128 mesures. L’usine d’eau potable d’Oehringen (Allemagne) a ainsi remplacé son impressionnant mur d’appareils par un simple panneau Bürkert comprenant quatorze cubes d’analyse surveillant sept fluides différents, surmontés d’un écran.
Bien implanté dans l’industrie, Bürkert promeut désormais sa technologie dans le monde de l’eau en faisant tester gratuitement ses coffrets 8905 pendant six mois. « Nous avons eu des commandes grâce à ce système car, outre les économies d’eau, les exploitants constatent que nos capteurs dérivent très peu : par exemple 0,1 de pH sur un an. Cela diminue drastiquement la fréquence de calibration. Quand vous avez des sites dispersés, c’est un gros avantage », estime Olivier Bertrand. Le succès semble au rendez-vous puisque le Grand Poitiers et Eau de Paris par exemple, vont déployer des systèmes 8905 sur l’ensemble de leur réseau de distribution.
Maintenance : la vraie optimisation ?
Tous les fabricants sont conscients du problème. « Aujourd’hui, les clients nous demandent de réduire la maintenance et la fréquence de calibration car ils ont des équipes réduites, qui, en plus, sont en général des électromécaniciens, donc pas forcément des spécialistes des techniques d’analyse », constate ainsi Olivier Bertrand, chez Bürkert.
« Il faudra toujours apporter des réactifs chimiques à un analyseur. Lorsqu’on peut le remplacer par un capteur, on le fait… ou alors on réalise une analyse chimique sans réactifs. C’est ce que fait notre DCOmètre, destiné aux stations d’épuration. Il utilise le principe d’une réoxydation à 1.200 °C, sans catalyseur. C’est une vraie analyse chimique, avec dégradation des molécules à mesurer, mais sans réactif à apporter. En parallèle, nous faisons constamment évoluer nos automates chimiques pour utiliser le moins de réactifs possible » affirme Christophe Vaysse. Anael préconise également une précaution toute simple : l’installation systématique, en amont de l’analyseur, d’un débitmètre à ailettes relié à la supervision ou à l’automate. « Lorsque l’on fait un diagnostic sur un paramètre, avant de s’inquiéter d’un problème de mesure, il faut s’assurer d’avoir du débit dans l’analyseur, qui peut se boucher. Les clients demandent ce pré-dagnostic à distance », explique Christophe Vaysse.
La technologie micro-fluidique de Bürkert réduit grandement les besoins de maintenance des appareils. Il faut néanmoins toujours remplacer périodiquement les électrodes de référence pour le pH et le redox, par exemple. « Nous utilisons un bloc-gel de KCl, sous forme d’une cartouche facilement remplaçable “à chaud”, branchée à côté du cube d’analyse. Le système électronique de mesure ne bouge pas, seul le consommable est changé, en quelques secondes », affirme Olivier Bertrand. Philippe Marinot, chez S::can, souligne pour sa part l’avantage de la technologie maison : « la spectrométrie ne demande pas de maintenance puisque le système est totalement optique. Les sondes de pH ou de chlore, que l’on peut intégrer à nos stations, demandent une intervention par an ».
Pour réduire la maintenance dans les environnements industriels, Mettler Toledo compte sur le système de gestion intelligente de sondes « Intelligent Sensor Management » (ISM®). Cette technologie numérique intègre des algorithmes intelligents dans la tête des sondes qui permet l’analyse des conditions subies par la sonde dans le procédé. Parmi les nombreux avantages d’ISM figure un calcul plus précis du DLI (durée de vie restante du capteur en nombre de jours), pour une maintenance plus efficace et plus de fiabilité du procédé.
Pour limiter le ré-étalonnage périodique des capteurs, qui évoluent inévitablement avec le temps, Xylem Analytics propose de son côté une sonde optique à oxygène munie d’une double lecture. « À chaque mesure, elle fait une lecture sur l’échantillon et une sur sa référence : le vieillissement du capteur est ainsi pris en compte en continu. Et ce sans consommable puisque la référence est une couche mince de matériau réactif, déposée au bout de la sonde par un procédé breveté. Le point zéro est fait à sec, avant l’arrivée de l’eau à analyser », explique Philippe Ribouat.
« Nos sondes numériques Smartpat stockent l’historique des étalonnages au sein de l’électronique, historique qu’il est très facile de consulter grâce à un logiciel d’historisation ad’hoc, explique Christian Jay chez Krohne. Mais il est possible d’aller bien plus loin en exploitant le HART® sur le 4-20 mA qui offre une gestion par pictogramme de type Namur NE 107 et prévient l’exploitant de l’état de la sonde ». Mais peu d’exploitants du domaine de l’eau exploitant le HART®, Krohne est en train de développer un afficheur qui va alimenter la sonde en 24 volts et récupérer le HART de la sonde et ainsi exploiter les signaux 4-20 mA, voire des contacts d’alarme de l’équipement. Ce développement devrait être commercialisé dans le courant de cette année.
La mise en place de solutions sans fil pour l’exploitation des données apporte également une flexibilité nouvelle. De nombreuses mesures de pH sur des applications difficiles sont localisées sur des points éloignés ou difficiles d’accès. L’utilisation du transmetteur avancé multi-paramètres 56 d’Emerson peut être associé avec un adaptateur universel THUM pour intégration dans un réseau sans fil via le WirelessHART. La transmission de mesures, de diagnostics et de paramètres de configuration depuis et vers des instruments isolés, est ainsi aisément assurée et constitue une alternative économique et sûre au câblage des sorties analogiques ou numériques. Ce transmetteur couplé à une sonde type 3900 SMART permet de renvoyer à distance les informations mémorisées dans la sonde, telles que les paramètres des derniers étalonnages effectués et les diagnostics. Associée à la connectique VP, cette technologie rend immédiat et très sûr l’échange d’une sonde par une autre sans étalonnage sur site.
De l’appareil au parc
Les appareils individuels progressent, donc, mais la gestion d’un parc complet, dont chaque composant possède sa propre fréquence de maintenance et/ou de calibrage, demeure dans bien des cas un casse-tête. La réponse à ce problème tient en un mot : numérisation.
« La numérisation avec mémoire dans le capteur lui-même peut apporter l’interchangeabilité “à chaud”, explique Christian Haritchabalet chez Anhydre. Un capteur calibré peut être installé sur un système, être reconnu, identifié et mis en service sans aucune autre intervention de l’opérateur. Le rapport signal/bruit peut être amélioré de ce fait grâce à une très courte liaison entre détection et mise à disposition d’un signal mis en forme et donc exploitable directement. On peut en tirer une mesure améliorée et pouvoir également apporter des corrections inter-paramètres, dans la mesure où l’on n’a pas un effet d’interdépendance multiple. Si on touche à l'un, on touche à l’autre ».
Endress+Hauser intègre depuis plusieurs années déjà sa technologie Memosens sur ses capteurs numériques. Elle permet de faire remonter un grand nombre de défauts ou évolutions, par exemple un problème d’impédance du verre en mesure de pH. Cette technologie est également exploitée par Knick qui propose avec MemoRail un appareil d’analyse numérique compact et économique sans afficheur permettant la connexion de deux électrodes Memosens. Les sondes de conductivité Memosens étant pré-calibrées et nécessitant une fréquence de calibration faible ne nécessitent pas d’étalonnage lors de la mise en place. Endress+Hauser commence à équiper certains de ses capteurs d’une nouvelle technologie, appelée Heartbeat, déjà déployée sur ses débitmètres. « Elle présente les mêmes fonctionnalités que Memosens, soit l’autodiagnostic et l’affichage sur l’écran du transmetteur, mais avec une nouvelle interface. L’écran propose une vue synthétique avec une indication visuelle sous forme de smiley. Heartbeat permet aussi de réaliser des rapports de bon fonctionnement avec vérification des capteurs et du transmetteur. À noter qu’avec un module spécifique, toutes ces informations sont également disponibles à distance sur tablette ou smartphone. Heartbeat est déjà disponible sur les capteurs pH et conductivité, et sera déployée d’ici la fin de l’année sur tous les autres », précise Aurelia Genet.
Outre l’intérêt logistique évident, le fait de centraliser toutes les données de la maintenance d’un parc présente un autre avantage non négligeable : la diminution du risque d’oubli ! Un parc complet, aussi homogène soit-il, reste en effet tributaire des différents principes de mesures imposés par les paramètres (ou la réglementation). Les fréquences de maintenance varient donc de tous les mois à deux ans (pour certaines sondes d’oxygène). Autre intérêt : ces systèmes intégrés fournissent non seulement le diagnostic et le suivi de la maintenance faite ou à faire, mais également les modes opératoires. Ce qui n’est pas inutile pour des opérateurs de moins en moins spécialisés en instrumentation…
Hach a déjà déployé le système MSM dans plusieurs situations. « Une station d’eau potable, qui disposait déjà de matériel de chez nous, a voulu étendre son parc à d’autres paramètres. Sensibilisé au besoin de suivi de tous ces capteurs, l’exploitant s’est équipé de MSM. En Italie, un opérateur était confronté à un autre problème : la gestion de systèmes d’analyse installés dans des stations d’alerte réparties sur tout un réseau de distribution. Là aussi, il a fait appel à MSM et son accès unique par portail internet », explique Jean-Pierre Molinier. La société s’apprête à lancer, en avril, sa nouvelle plateforme Claros. Elle intégrera les systèmes RTC, MSM (et son module Prognosis), ainsi qu’une nouvelle fonctionnalité appelée Collect. Celle-ci rassemblera et exploitera des données disparates : autodiagnostic, suivi de maintenance, données de mesure, relevés d’intervention ou d’incidents… y compris celles que l’on note habituellement sur un cahier restant sur place dans un tiroir, par exemple…