Oxygène dissous, deux techniques en route vers l'IoT
28 février 2020Paru dans le N°429
à la page 57 ( mots)
Rédigé par : Jacques-olivier BARUCH
Ampérométrie ou optique ? En analyse de l'oxygène dissous, deux techniques se disputent le marché. L'ampérométrie, jadis dominante, garde ses avantages sur certaines applications. Electrodes et optodes permettent de répondre à des besoins différents. Explications.
L’oxygène, c’est Janus, le dieu aux deux visages. Le gaz dioxygène dissous dans l’eau est un bienfait pour les êtres vivants qui respirent grâce à ce gaz, mais c’est aussi un poison pour les canalisations ou les chaudières du fait de sa forte corrosivité. En pisciculture, les poissons nécessitent un taux d’environ 8 mg d’O2 par litre d’eau, alors que les eaux de chaudières doivent en être au maximum dépourvues. Entre les deux, les stations d’épuration des eaux usées où les bactéries aérobies transforment les boues en présence d’oxygène dissous, en matières minérales (nutriments) et gaz. Là, les concentrations d’oxygène dissous se comptent de un à trois milligrammes par litre. Quelle que soit l’application dans le domaine de l’eau, il faut donc mesurer précisément le taux d’oxygène dissous.
« La teneur en oxygène dissous est extrêmement importante, souligne Yann Bouvier chez Trace Analysis. Un excès d'O2 peut compromettre de nombreux processus industriels ».
Mesure ampérométrique : une précision élevée
Deux techniques se disputent le marché. La plus ancienne est celle dite de Leland Clark qui l’a inventée en 1956. Il s’agit d’une mesure électrochimique ou ampérométrique qui utilise la réduction de l’oxygène sous une tension de polarisation d’environ 0,8 volt entre une anode en argent et une cathode en or ou en platine dans un bain électrolytique.
Les électrodes et l’électrolyte sont séparées du milieu analysé par une membrane perméable au dioxygène mais imperméable à l’eau et aux ions. Le dioxygène diffusant à travers la membrane est réduit en eau par les électrons libérés à la cathode et le courant qui s’établit entre les deux électrodes est proportionnel à la concentration en dioxygène dans l’électrolyte et donc dans le milieu. Le très faible courant produit est amplifié et converti en une tension proportionnelle à la concentration en dioxygène. Cette réaction dépend de la pression, de la salinité et de la température de l’eau. « Nous continuons à prôner la méthode ampérométrique, surtout sur les applicatifs eaux de chaudières avec des mesures à très faible concentration », explique Guillaume Schneider, responsable des ventes chez Swan. Leur capteur Swansensor Oxytrace G donne en effet des précisions de 0,01 partie par milliard (ppb) à 10 ppb selon la plage de mesure.
Endress+Hauser, Jumo, Xylem, Wimesure, Swan,... nombreuses sont les sociétés qui proposent des sondes électrochimiques à leur catalogue.
« YSI est le pionnier de la mesure d'oxygène dissous au travers de sa collaboration avec le créateur de la fameuse "électrode de Clark" , rappelle Christian Haritchabalet chez Anhydre. Si ces électrodes électrochimiques continuent leur chemin, YSI a par ailleurs créé des sondes optiques d'oxygène dissous sous différentes formes : mesures en ligne, mesure de terrain, intégration en sondes multi-paramètres, avec un concept de numérisation embarquée. Les sondes ont leur propre mémoire interne et peuvent passer d'un appareil à un autre sans devoir être calibrées. L'identification interne et la communication numérique sont d'ailleurs au cœur des nouvelles générations de sondes YSI, quels que soient les paramètres ».
Mesure optique : un temps de réponse rapide
L’autre méthode est optique. L’oxygène dissous est détecté sur la base de la durée et de l’intensité de l’extinction de la luminescence associée à des colorants soigneusement choisis. Lorsqu’aucun oxygène n’est présent, l’intensité du signal est à son maximum. Lorsque l’oxygène est introduit dans l’élément sensible, l’intensité de la luminescence diminue.
De nombreux fabricants proposent des sondes optiques à leur catalogue : CPS61D d’Endress+Hauser, gamme LDO chez Hach, sonde FDO 925 chez Xylem, Optisens ODO2000 de Krohne, spectro::lyser ou i::scan chez s::can, Hobo chez Prosensor, sonde Arc chez Cometec, sonde Optod chez Aqualabo, Aquaplus chez Bamo, OD d’Aquacontrol, O-DGM-LDO chez Trace Analysis, CAA2624-2626 ou encore VisiFerm DO chez Yokogawa ou RDO chez Emerson Process Management.
Les capteurs ODO 2000 de Krohne utilisent un disque luminophore comme les Orion™ RDO™ de ThermoFischer Scientific, les Seven2Go de Mettler Toledo ou les Ecoline O-DO de Jumo. Ils mesurent une atténuation d’une lumière rouge. Comme les sondes IDS-FDO-925 de WTW, une marque de Xylem Analytics. Dans les Aquaplus de Bamo, une couche luminophore est excitée par de courtes illuminations bleues. Au contact de cette couche luminophore excitée, l’oxygène dissous présent dans l’eau entraîne l’émission de photons rouges. La mesure de la fréquence et de la durée d’émission de ces photons donne la concentration d’oxygène dissous. Les sondes OD8525 et OD8325 de B&C Electronics, commercialisées par Aquacontrol, utilisent quant à elles le phénomène de fluorescence. Une impulsion lumineuse d’une longueur d’onde spécifique touche une substance spéciale déposée sur une couche transparente en contact avec l’échantillon d’eau. L’énergie lumineuse est absorbée et partiellement réémise sous forme d’impulsion lumineuse à une longueur d’onde plus grande. Les molécules d’oxygène au contact de la couche sensible atténuent la fluorescence selon leur concentration. La mesure et l’élaboration numérique de l’atténuation permettent de mesurer la concentration en oxygène.
Capex ou Opex ?
Alors, comment choisir l’une ou l’autre technique ? Premier indice, la précision de mesure. Quand il s’agit de mesurer des traces d’oxygène de l’ordre de la partie par milliard pour des eaux de chaudières, la technique ampérométrique prend l’avantage. S’il s’agit de bassins d’aération ou de pisciculture, la mesure est plus haute et la précision demandée est moindre. Il faut alors se pencher sur les coûts. « Dans le monde des eaux usées, les exploitants favorisent les dépenses d’investissement (Capex) plutôt que les dépenses de fonctionnement (Opex). L’ampérométrique, moins cher, est privilégié », remarque Mathieu Bauer, responsable environnement chez Endress+Hauser qui commercialise les deux types de capteurs, le COS61D pour l’optique, le COS51D pour l’ampérométrique. Cependant, les stations d’épuration tendent aussi à diminuer leurs coûts salariaux. Les frais de maintenance sont donc à prendre en compte et là, les capteurs optiques gagnent la bataille. « En matière de coûts d’exploitation, des économies allant jusqu'à 50 % peuvent être réalisées », assure Yann Bouvier chez Trace Analysis. En effet, il suffit de nettoyer régulièrement la membrane optique avec de l’air ou de l’eau sous pression, dispositif que la plupart des fabricants ont intégré dans leurs capteurs comme la buse autonettoyante du capteur OD8325 vendu par Aquacontrol.
Mais les sondes ampérométriques se sont améliorées. « Comme pour une sonde optique, une seule intervention annuelle est suffisante dans le cadre de la maintenance préventive, assure Guillaume Schneider. Il suffit de remplacer le “caps”, le capuchon Plug and Play qui inclut la membrane ». Pour nombre de capteurs ampérométriques, fini le remplacement des consommables (électrolyte et membrane) sensibles aux salissures et aux dépôts. Reste qu’après un arrêt de quelques jours, les sondes ampérométriques ont besoin de temps pour que l’électrolyte se stabilise.
Internet en ligne de mire
Le marché des capteurs d’oxygène dissous est aujourd’hui mature. Depuis quelques années, les évolutions technologiques sont rares. La miniaturisation a permis de rendre les capteurs plus compacts. Ainsi, depuis deux ans, Endress+Hauser a sorti son capteur optique compact COS61D comme elle avait fait le COS22D en ampérométrique auparavant. Aqualabo a sorti son capteur Optod en titane, pour les applications de pisciculture de saumons en eau de mer et prévoit une version encore plus robuste pour le marché émergent de l’aquaculture offshore.
Mais la grande révolution en cours est celle du numérique. Depuis quelques années, le stockage des données et la transmission numérique ont envahi le monde des capteurs et touchent aussi le paramètre oxygène dissous, qu’ils soient ampérométriques ou optiques, même si les signaux analogiques et les transmissions en 4-20 mA sont encore largement présents dans ce secteur très conservateur. La suite s’appelle l’IoT (Internet of Things, ou internet des objets), une transmission sûre des données numériques par radio, possibilité offerte par l’abandon des fréquences 2G par les opérateurs télécom. De nombreux fabricants mènent une réflexion et même des tests chez les clients.
« L’IoT des sondes s’est développé plus rapidement ces dernières années sur la technologie émergente des sondes optiques, estime Frédéric Connan, Chef de Produit Analyse chez Yokogawa. De plus, du fait de la numérisation et du principe de base (mesure du gaz O2) de cette mesure, un changement logiciel de ‘media’ (phase liquide -> phase gazeuse) permet l’utilisation de ce principe pour des applications dans les limites des spécifications de chaque sonde des constructeurs en phase gaz (applications process d’inertage ou contrôle de compresseurs CO, CO2...) ». Dans la gamme de sondes optiques, les derniers développements chez Yokogawa ont permis de spécialiser une sonde Visitrace très basse gamme (<2.000 ppb) et dorénavant très concurrentielle des principes galvaniques.
« Nous nous devons d’y être », reconnaît de son côté Matthieu Bauer. Endress+Hauser a ainsi entamé une réflexion nommée Netilion, faisant suite à la digitalisation de ses capteurs équipés de la technologie Memosens. Les données seront stockées soit sur le cloud maison, soit celui du client. Du côté de Hach-Lange, les capteurs optiques LDO se connectent à Claros, le Water Intelligence System créé dans l’entreprise allemande. L’application Claros Collect est accessible pour les mobiles Ios ou Android.
Aqualabo a lancé en septembre dernier un test grandeur nature de sa solution Aqua Connect chez des aquaculteurs dans la Somme et en Bretagne en partenariat avec la coopérative française de l’aquaculture (C.O.F.A). Ses capteurs communiquent entre eux et relaient les informations à une passerelle puis à un Cloud en temps réel.
Jumo développe de son côté sa nouvelle marque Jumo Safety Performance pour ses applications de sécurité et l’interconnexion des appareils connectés à Internet via des adresses IP.
Krohne développe aussi l’IoT, bien que l’entreprise sente une réticence sur le marché français. « Dans notre pays, la culture du datalogger est forte, remarque Damien Jacquier, responsable Eau chez Krohne. De plus, la plupart des lieux où nous installons des capteurs d’oxygène dissous sont câblés et ne nécessitent pas de communication radio ». La tendance s'affirme cependant. Mais quel protocole de communication prendra l’avantage sur les autres ? Nous sommes dans le même cas de figure que le choix de la technologie des cassettes vidéo des années 80 quand le VHS a pris le pas sur les autres formats pour le grand public. Qui gagnera la bataille du protocole de communication IoT ? Aqualabo a choisi le protocole LoRaWan qui nécessite un déploiement d’antennes, alors que Krohne regarde aussi bien LoRaWan que Sigfox, protocole d’origine toulousaine. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas que la ville qui devient intelligente.
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