En France, la majorité des boues de STEP retourne au sol. Moins coûteuse que l’enfouissement ou l’incinération, et environnementalement plus sensée, cette forme de valorisation soulève néanmoins la question de l’hygiénisation en cours de pandémie.
Et de fait, l’enfouissement en décharge contrôlée revient à 100-150 euros/tonne, le compostage à 50 euros voire plus. L’épandage direct est moins cher, même si son coût varie selon que l’on déshydrate et/ou chaule la boue ou qu’on l’épand directement à l’état liquide, ce qui revient tout de même encore à quelques euros/m³ (stockage, épandage per se, ...). La « valorisation » des boues consiste donc, essentiellement, à trouver une utilité collective à ces matières. « Le retour des boues au sol, ce n’est pas une valorisation pour nous mais pour les terres agricoles » souligne ainsi Jean-Pierre Mignot chef du service assainissement de la Communauté de Communes Anjou Loir et Sarthe, qui regroupe neuf collectivités au Nord du Maine-et-Loir.
Le « retour au sol », spécificité française
Reste que ces boues ne sont pas un produit anodin : elles peuvent contenir des germes pathogènes et des micropolluants. La crise du coronavirus SARS-CoV-22 l’a bien montré, avec les arrêtés d’avril 2020 interdisant tout épandage de boue non hygiénisée. Un arrêté du 8 janvier 19983 précise ce que les autorités entendent par boue hygiénisée. Dès lors, quelles sont les différentes manières d’hygiéniser une boue ? Grosses et petites STEP sont-elles logées à la même enseigne ? L’actuelle pandémie, elle-même loin d’être terminée, va-t-elle modifier durablement les pratiques ?
Trois procédés d’hygiénisation se détachent : le conditionnement thermique (séchage, hydrolyse, carbonisation hydrothermale), le compostage et le chaulage. La méthanisation thermophile est également considérée comme un moyen d’hygiéniser les boues, moyennant un fonctionnement en batch et non en continu, mais elle reste très minoritaire en France.
Adapter le chaulage
Certaines des grosses STEP utilisent aujourd’hui un pré-chaulage avec de la chaux vive à réactivitée retardée, en poudre, au lieu du traditionnel lait de chaux, avant leur filtre-presse. « On peut l’introduire avant l’outil de déshydratation, ce qui permet une meilleure homogénéité, sans ajout d’eau. Elle réagira après la déshydratation ce qui finira d’assécher les boues car la réaction est exothermique » explique Marc Gombart, ingénieur conseil qui a développé et breveté l'utilisation de cette chaux (Codecal®) avec Carmeuse. Pour répondre aux exigences de l’arrêté de 1998, il faut en général augmenter les doses de chaux habituellement utilisées. Sodimate, entre autres, construit des systèmes capables de mélanger intimement la poudre avec la boue, encore liquide à ce stade de la filière. Les STEP moins importantes sont obligées, si elles veulent hygiéniser, de faire du post-chaulage après la déshydratation.
La société a installé des solutions de chaulage-hygiénisation dans des STEP comme celle de Loches (avec Veolia).
« Une boue hygiénisée par chaulage devient un produit, et non plus un déchet4 soumis à un plan d’épandage, que si elle est normalisée », prévient Pamela Macquet (Saur). Il existe en effet un autre « stade » de traitement des boues, porté par la norme NF U 44-003. Problème : cette norme exige l’absence totale de polymères depuis le clarificateur, un préchaulage et une déshydratation par média filtrant sous pression (filtre presse). Autant dire que cela revient cher et ne peut techniquement concerner que certaines grosses STEP. Dans les faits, très peu d’opérateurs « norment » leurs boues : le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Le compostage gagne du terrain
Comme l’explique Julien Blanvillain, directeur de Semeo, qui gère une plateforme de compostage dans la Vienne, « tout repose sur l’autocontrôle, même s’il arrive qu’un inspecteur de la DREAL vienne vérifier. Nous devons assurer la traçabilité des flux, l’analyse de conformité, la pesée, la localisation de l’épandage... ». Saur Valorisation opère 25 sites de compostage en France. « Nous faisons payer l’apporteur de boue à la tonne à des tarifs variables selon les territoires » expose Pamela Macquet. C’est cette redevance à l’entrée qui finance le compostage, et non la vente du compost normé à quelques euros la tonne. Suez dispose pour sa part d’une cinquantaine de plateformes en France. Aqualter pratique également le compostage, que ce soit sur plateforme ou directement sur le site de grandes STEP.
SEDE, filiale de Veolia dispose d'un réseau de plus de 60 sites de compostage en propre et partenaires pour valoriser les boues, en toute traçabilité. En 2020, l'outil de gestion des filières d'épandage, Suivra est passé au cloud et au digital avec l'univers de mySuivra Hub. Fort de ses 12.300 exploitations agricoles, de ses 4.000.000 tonnes de déchets traités annuellement ou valorisés et de ses 120.000 ordres de transport émis chaque année, mySuivra opère ainsi une révolution digitale. La plateforme sécurisée communique avec l'ensemble des protocoles numériques des professionnels des filières de l'économie circulaire et des services administratifs, permettant ainsi une dématérialisation complète des échanges en temps réel. MySuivra Hub sera déployé au 1er trimestre 2021.
Sécher pour épandre ?
C’est pour cela qu’Aqualter a développé le procédé Tersolyge®. Fonctionnant avec une boue en entrée à 50 ou 60 % de siccité, donc en sortie de séchage, il est constitué d’une vis sans âme en inox, chauffée électriquement par effet Joule. Elle porte la boue jusqu’à 95 °C (la température est réglable) pendant 6 heures. « Nous avons prouvé que la boue est hygiénisée à la sortie » affirme Vincent Darras. Elle remplit en effet tous les critères de l’arrêté de 1998 en termes de taux de salmonelles, œufs d’helmintes, et d’entérovirus. Après un essai grandeur nature à Thoiry, la première unité opérationnelle a été installée en 2016 à Papeete (Polynésie française), où la boue résultante est utilisée comme fertilisant dans les jardins publics. Une deuxième unité d’un sécheur solaire Tersolair® est installée à Artenay (Loiret).
Même option chez Huber Technology qui propose le procédé de séchage solaire SOLSTICE® avec plancher chauffant pour permettre le retour au sol hygiénisé de la matière organique et des éléments fertilisants. « Il y a 15 ans, nous avons fait le choix du séchage solaire pour l’élimination des boues d’épuration et mis notre savoir-faire de concepteur et fabricant de solutions de dégrillage innovantes au service des acteurs qui participent au développement des territoires, notamment les collectivités, et les agriculteurs. Le principe de base du procédé, consiste à faire sécher des boues dans une serre en utilisant l’énergie solaire qui y pénètre. Comme nous sommes dépendants de l’énergie solaire disponible, le procédé comble le déficit hivernal en énergie solaire en récupérant les calories contenues dans l’effluent en sortie de station d’épuration. L’usage d’une pompe à chaleur spécifique avec échangeur « eau-eau » permet le transfert de l’énergie complémentaire nécessaire à travers un plancher chauffant », résume Régis Ertz, directeur d’Huber Technology France. L’évacuation de la boue séchée se fait de manière automatique dans une fosse de stockage placée en bout de serre ou dans un container à l’aide d’un convoyeur à vis. Sur une quarantaine d’installations déployées en France, 4 disposent de la presse à vis Q-PRESS® Huber permettant ainsi aux stations d’épuration d’intégrer un dispositif d’hygiénisation des boues à des couts maitrisés.
Suez a choisi une autre voie. Le Dehydris® Ultra promet en effet une « ultra déshydratation ». Procédé breveté, il est en fait constitué du couplage d’un conditionnement thermique peu gourmand en énergie (carbonisation hydrothermale) avec une presse à piston Bucher Unipektin. « L’ensemble permet de réduire de 75 % le volume de boues, consomme 3 à 4 fois moins qu’un sécheur thermique classique et produit un biochar à 65 % de siccité, hygiénisé au sens réglementaire et sans polymères, qui peut être épandu, composté ou incinéré » énumère Christelle Métral. Après avoir opéré un démonstrateur pendant un an en Chine, Suez s'apprête à déployer le procédé en France sur des STEP de grandes collectivités. Par ailleurs, Suez s’est vue attribué dans le cadre de la joint-venture formée avec John Holland et Beca outh East Water, le contrat de modernisation de l’usine de traitement et de recyclage des eaux usées de Boneo, située dans la péninsule de Mornington (Etat du Victoria). Le contrat qui prévoit la conception et la construction de l’extension de l’usine ainsi que son exploitation pour une durée de 10 ans, déploie toute une gamme de technologies destinées à réduire les consommations énergétiques, et notamment l’atelier de déshydratation poussée (Dehydris™ Twist) intégrant les presses à piston HPS de Bucher Unipektin, en remplacement des 2 centrifugeuses existantes. Les travaux qui ont débuté en février 2019 permettront d’atteindre une capacité de 31.200 m³ d’eaux usées par jour (contre 14.300 m³/jour) et les eaux usées traitées seront recyclées pour garantir l’irrigation des terres agricoles.
En plus d’offrir des avantages sérieux en termes de déshydratation mécanique des boues, la presse Bucher HPS, peut comme un filtre presse, être associée à un conditionnement FeCl3-Chaux permettant de garantir hygiénisation et stabilisation des boues conformément à l’ordonnance du 8 janvier 1998 et se conformer à la norme NF U 44-033 sans équipement complémentaire.
OTV, filiale de Veolia Eau Solutions & Technologies propose de son côté Solia™+. Fondé sur la combinaison du séchage solaire et du bioséchage, Solia™+ sèche et stocke les boues dans une serre de type horticole soumise à une circulation continue d’air sec provenant de l’extérieur. Afin d’optimiser la performance énergétique de la serre, le système de contrôle commande ACoDry, par l’analyse et l’adaptation à des paramètres clés de l’installation divise par deux la consommation électrique pour une même performance de séchage. Le procédé Solia™+ revendique des siccités au-delà de 90 %, et est applicable à tous les modes d’élimination : valorisation agricole, compostage, enfouissement, incinération et co-incinération.
Le cas des petites STEP
Adequatec pionnier et spécialiste de l’épaississement et la déshydratation par presse à vis, a enregistré depuis le début de l’été une explosion des demandes sur ses presses à vis Adequaress H, de la gamme d’ADEQUAPRESS®, capable à la fois d’épaissir et/ou de déshydrater les boues biologiques. « Nous avons même reçu des demandes de certains de nos clients qui souhaitent transformer leurs ADEQUAPRESS TH, dédiés à l’épaississement, en ADEQUAPRESS Hybrides afin de pouvoir diriger leurs boues en filières de compostage ou d’avoir simplement la possibilité de les chauler à moindre coûts. C’est probablement la conséquence la plus marquante de l’incertitude qu’a générée le COVID19 sur la pérennité des filières d’évacuation des boues biologiques. Pour le coup, nous sommes contents de pouvoir offrir aux exploitants cette gamme de presse à vis éco-conçues et sobres, qui leur permet à la fois de s’adapter à toutes les situations et de pérenniser leurs Investissements » se félicite Alexandre Olivry, ingénieur réalisation et SAV.
Pour la déshydratation, ce sont des fabricants ou prestataires de service comme Adequatec, Altantique Industie, Centri-Boet, MPO Environnement, Semeo qui envoient des unités mobiles, autrement dit des filtres à bande, presses à vis ou centrifugeuses montés sur camion.
Malgré un parc de machines de déshydratation mobile conséquent (17 centrifugeuses, 5 filtres-presses, 5 filtres à bandes, unités de pré-traitement de dégrillage et de dessablage...), SEDE complète son offre avec des presses à vis plus adaptées pour ces petites collectivités. Cette solution est simple d'utilisation, offre des coûts de maintenance relativement réduits et une qualité de boues compatible avec un compostage.
Avec parfois quelques difficultés car l’accès peut être délicat dans certaines petites STEP, qui par ailleurs ne sont pas toujours en mesure d’absorber de grandes quantités centrats ou filtrats repartant en tête de traitement, ce qui oblige à fractionner les interventions. Ainsi épaissies, les boues sont envoyées en plateforme de compostage. « Nous sommes intervenus à Craon, à Besançon et dans diverses STEP de l’Ouest opérées par des groupes comme Suez ou Saur, qui disposent de plateformes de compostage mais pas d’unités mobiles de déshydratation », précise Julien Blanvillain (Semeo).
C’est aussi cette solution qu’a choisie la Communauté de Communes Anjou Loir et Sarthe sur ses cinq STEP à boues activées. « Nous avons fait venir des centrifugeuses sur semi-remorque. Le centrat est retourné en tête de station et les boues, qui ressemblent alors à du terreau, sont parties vers un compostage » rapporte Jean-Pierre Mignot. Coût de l’opération : de 40 à 67 euros le m³ selon la siccité. Même avec l’aide de l’Agence de l’eau Loire Bretagne, il a fallu augmenter le tarif d’assainissement pour les abonnés... « Le compost n’a pas la même consistance que les boues liquides, donc ne demande pas le même matériel d’épandage, ce qui peut poser des problèmes aux agriculteurs ayant un contrat avec certaines collectivités » ajoute Denis Rousset.
Adequatec propose des unités mobiles moins puissantes et très compactes, de capacités comprises entre 20 et 200 kg MS/h, équipées de la nouvelle génération d’Adequapress® connectées. Ces unités mobiles, disponibles sur remorques ou en containers maritimes 10 ou 20 pieds, peuvent être installées partout et se branchent le plus souvent sur le réseau électrique de la STEP évitant ainsi le recours à un groupe électrogène. Conçues pour fonctionner en toute autonomie sous la surveillance de l’exploitant, elles permettent le suivi à distance par le prestataire via une tablette ou un PC. « Le choix de la capacité est un compromis entre le temps disponible pour le traitement du gisement de boues et la capacité hydraulique de la station. En effet, la déshydratation par unité mobile se déroule souvent en opération commando. La STEP subit un à-coup hydraulique, ce qui lessive les ouvrages et perturbe durablement son fonctionnement. Les unités mobiles d’Adequatec permettent d'éviter ces problèmes. Elles réduisent les coûts à la fois pour le client final et pour le prestataire qui n’a plus à immobiliser son personnel sur site » résume Alexandre Olivry.
Pour des besoins ponctuels en substitution ou en complément de traitement des boues, Faure Equipements conçoit et construit des unités mobiles de déshydratation par filtre presse dont les tailles de ces filtres presses varient ainsi de 250 à 6 000 litres de gâteaux par cycle, ce qui représente environ de 100 à 4 500 kg de matières sèches pour des siccités pouvant atteindre 30 à 80 % selon le type de boue (organique ou minérale). Les unités intègrent tout type de filtres presses – chambrés ou Mixed Pack – ainsi que tous les éléments nécessaires au conditionnement et convoyage des gâteaux.Spécialiste des solutions techniques d'épaississement et de déshydratation, Atlantique Industrie propose des skids en location courte, moyenne ou longue durée et des installations clef en main pour la déshydratation des boues.
Très actif aussi sur le marché français de la presse à vis, EMO passe le cap des 50 installations d'unités de traitement de boues fixes (en bâtiment ou modul’bloc) ou mobiles (sur remorque ou conteneur). De conception simple et robuste, EMO offre tous les types de modèles avec une capacité de traitement pouvant aller jusqu'à 1.000 kg MS/h. Chaque machine est équipée d'une grille de filtration démontable pour faciliter le remplacement du joint de raclage et permettre une installation sur un espace réduit (unité mobile, container, bâti existant).
Pour une semaine, un mois, un an ou plus, la presse à vis proposée par MPO démontre des performances comparables aux centrifugeuses et affiche un ratio capacité/performances élevé. Reconnue comme moins énergivore et offrant une siccité comprise entre 15 et 35 % selon la nature des boues, ses principaux avantages résident dans son faible encombrement : 6 m x 2,50 m, le débit des retours en tête limité, la consommation électrique de l’ordre de 3 kW.
L’autre solution consiste à hygiéniser ces boues liquides avec du lait de chaux concentré, ce qui suppose un système de brassage. Cette méthode un peu expérimentale demande un bon suivi du pH pour s’assurer qu’il dépasse bien 12. « Au départ, l’Anses était très réservée sur l’efficacité de cette hygiénisation des boues liquides, et a privilégié l’approche déshydratation-compostage » se souvient Pamela Macquet. Saur a donc travaillé sur un pilote de post chaulage des boues liquides, démontré l’efficacité du procédé durant l’été 2020 et le proposera au printemps 2021. « Nous avons déja mis en oeuvre cette filière d'hygiénisation avant épandage sur 15 STEP en septembre 2020 suite à la validation du respect des exigences réglementaires sur 3 pilotes aux configurations de stockage et d'agitation variables. Nous allons étendre cette filière en 2021. Cela convient uniquement aux STEP ayant un agitateur dans leur silo. Nous avons cependant fait des essais directement dans des fosses déportées, en faisant venir un brasseur agricole » ajoute Pamela Macquet, qui précise que le procédé de chaulage revient à 10-15 euros/m³. Sodimate est également « intervenu dans ce domaine », précise Nicolas Ligouzat.
Un avenir pour la boue non hygiénisée ?
Pour Pamela Macquet, « la crise aura forcément un impact, d’autant que rien ne dit qu’il n’y aura pas d’autres pandémies. La réglementation de l’épandage, qui date de 1998, est d’ores et déjà en révision ». Elle souligne également le fait que les épandages sont déjà très contrôlés sur les quantités de métaux et micropolluants organiques épandus. « Les paramètres et les seuils vont probablement évoluer à la lumière des nouvelles connaissances sur, par exemple, les résidus médicamenteux » ajoute-t-elle. « Les acteurs doutent d’un retour en arrière, d’autant que l’épandage est mal accepté en Europe. Il y a de plus en plus de restrictions et la filière a besoin d’une stratégie globale » plaide de son côté Julien Blanvillain, qui considère le chaulage comme une méthode provisoire en attendant la généralisation du compostage.
1. voir https://fp2e.org/flowpaper/BIPE-2019/#page=1
2 l'agent de la Covid-19
3 Arrêté du 8 janvier 1998 fixant les prescriptions techniques applicables aux épandages de boues sur les sols agricoles pris en application du décret n° 97-1133 du 8 décembre 1997 relatif à l'épandage des boues issues du traitement des eaux usées. Voir https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000570287/2020-09-12/>
4. https://www.vie-publique.fr/consultations/21598-projet-darrete-fixant-les-criteres-de-sortie-du-statut-de-dechet-pour-l