Les techniques de potabilisation à travers les siècles ne sauraient se détacher des progrès de l’hydraulique, depuis l’antiquité jusqu’à l’époque moderne. A l’aube de l’époque contemporaine, avec la révolution industrielle (vapeur, puis électricité), et le grand mouvement hygiéniste pasteurien concomitant, suivent les avancées en termes de traitement physico-chimique et microbiologique de l’eau. La fin du XXème siècle s’accompagne d’une accélération des transferts de technologies (par exemple membranaires), et le début du XXIème siècle adapte les traitements aux contraintes environnementales, ainsi qu’aux réglementations sanitaires plus drastiques (cf. progrès analytiques, études épidémiologiques…). L’évolution des technologies de traitement d’eau suit donc la frise chronologique, et s’attache à l’histoire des civilisations - tant sur le plan sociétal qu’économique, accélérée par la mise en place progressive de l’eau courante (celle-ci étant de fait très récente, à partir de la fin des années 1800).
AFFINAGE ET TRAITEMENTS SPÉCIFIQUES
Aujourd’hui, les stratégies de traitement de l’eau doivent faire face à plusieurs défis (Figure 26). Défis sanitaires ; les pollutions se complexifiant (d’origine agricole, industrielle, ou médicale même). Les capacités de détection de particules s’accroissent aussi, ouvrant le champ à de nouveaux axes de traitabilité. Et défis environnementaux et climatiques; notamment en termes de quantité, mais aussi de qualité lors des épisodes de sécheresse p.ex. (foisonnement d’algues, concentration en matières dissoutes). L’eau devient plus difficile à traiter et le renforcement des étapes de traitement devient nécessaire.
Les traiteurs d’eau sont ainsi confrontés à la présence de produits organiques de faible taille qui n’étaient pas éliminés – ni par la filtration physique, ni par les traitements chimiques. C’est le cas notamment des pesticides. L’argile très fine, la silice, l’alumine activée et le charbon sont des substance adsorbantes communes. C’est dans l’Egypte ancienne que l’on retrouve les premières preuves de l’utilisation de charbon végétal comme matériau de filtration. C’est principalement à partir du XVIIème siècle que l’utilisation du charbon se répand; en 1704, la technique de cuisson en vase clos – sans air- (inventée pour produire le charbon de Garasi, ou fusain) devient la base du procédé (Figure 27) encore utilisé actuellement pour permettre son activation. Cette technique novatrice augmente considérablement le nombre et la surface développée des pores durant le processus de cuisson (entre 700 et 100°C, grâce aussi à l’adjonction de gaz minéral – lignite ou autre).
Le chimiste K.W. Scheele examina, vers 1773, les propriétés d’adsorption de gaz sur le charbon de bois ; outre l’élimination des odeurs, ses propriétés décolorantes furent utilisées aussi en sucrerie et huilerie. Les premiers essais empiriques sur la neutralisation de toxines furent menés en laboratoire; on cite l’expérience menée en 1831 par le pharmacien P-F. Touéry à l’académie française de médecine, en avalant de la strychnine (noix vomitique) avec du charbon animal – et sans manifester de trouble de santé. On sait depuis que le charbon actif est particulièrement efficace contre les métaux lourds, bactéries et une majorité de polluants (les pétroliers, pharmaceutiques.). De nos jours, la filtration biologique sur charbon actif est placée généralement après une étape d’ozonation –oxydation de la matière organique augmentant sa biodégradabilité. Le charbon se comporte comme un réacteur biologique dont l’efficacité dépend de la température et du temps de contact surtout.
Le charbon est aussi un matériau adsorbant qui peut éliminer la fraction organique réfractaire à la biodégradation; à cet effet il peut être utilisé sous forme de poudre (CAP) en amont de la décantation et sous forme de grains (CAG) dans les filtres. L’efficacité de celui-ci pour l’élimination des micropolluants est définie par sa capacité d’adsorption, celle-ci étant fortement influencée par les caractéristiques du charbon (nature et granulométrie) et les caractéristiques de l’eau (concentration en MO et concentration initiale en micropolluants). Enfin, le charbon saturé pourra être renouvelé ou régénéré thermiquement avant réutilisation. Les isothermes d’adsorption ont été modélisé par la loi de H.Freundlich (Figure 27B); cette loi empirique joue sensiblement le même rôle en ce qui concerne l’adsorption que la loi de Henry pour la diffusion gazeuse. Elle définitle poids de substance adsorbée en fonction de la concentration de celle-ci dans l’eau. Les usines de traitement d’eau connaissent d’importantes évolutions ; au départ exclusivement chimiques, puis physicochimiques, elles intègrent dans les années 1980 les traitements biologiques – la désinfection placée en tête de process étant reportée à la fin de celui-ci pour laisser se développer la vie bactérienne dans la filière.
Parallèlement, divers traitements spécifiques ont été mis au point pour éliminer notamment l’ammoniaque, le fer, le manganèse et les nitrates – paramètres fréquemment retrouvés en eau souterraine et de surface. Ces traitements sont souvent de nature biologique avec un regain d’intérêt pour les procédés «naturels», en maitrisant mieux les cinétiques microbiennes dans les réacteurs industriels. L’équation de Jacques Monod (Figure 28) est un modèle mathématique utilisé pour définir la croissance de biomasse microbienne en milieu aqueux, selon la concentration en nutriments (facteur limitant). Celle-ci ressemble aux équations de Michaelis-Menten, mais en diffère par son approche empirique (méthode expérimentale) tandis que ces dernières sont basées sur des considérations théoriques. Elle est par ailleurs couramment utilisée dans l’ingénierie de l’épuration des eaux, notamment le calcul de croissance des boues activées dans le traitement des eaux usées.
Mais à la suite des nouveaux procédés – notamment d’oxydation avancée (p.ex. peroxone = couplage ozone et eau
oxygénée), s’est posé le problème de la
formation de sous-produits. C’est le cas
des bromates avec l’ozone, des THM
avec le chlore… Il en est de même avec
les phytosanitaires (Figure 28B); leur
élimination se fait par destruction de
molécules au profit d’autres - les métabolites - dont on suppose leurs effets
sur la santé au moins équivalents.
Une réponse à ce souci nouveau est
apportée par la très grande avancée technologique en fin de XXème S.
qui est l’utilisation des membranes
(Figure 29). De très nombreuses technologies de membranes existent – tant
en terme de matériau (minéral, organique) que d’agencement( fibres creuses,
membranes plates, enroulement spiral). Plus la taille des pores est faible,
plus l’énergie à mobiliser (pression) est
importante !
La correction de l’équilibre calco- carbonique de l’eau est un traitement ancien, notamment par la neutralisation d’eau agressive - voire sa reminéralisation ; initialement réalisé sur du calcaire marin (Figure30), elle a évolué vers des solutions de traitement plus chimiques (adjonction de soude ou chaux et injection de gaz carbonique). Aux calculs par abaques – méthode Hallopeau Dubin (Figure 31) ont succédé les méthodes plus élaborées (Legrand-Poirier) dont la diffusion/utilisation via des logiciels de simulation été rendue possible par l’usage de l’informatique.
Les techniques d’élimination des
nitrates peuvent être classées en deux
catégories ;
Tout d'abord, procédés physico
chimiques ; traitement par électrodialyse, osmose inverse ou résines échangeuse d’ions (REI). Ces dernières sont
à ce jour considérées comme les plus économiques. Leur utilisation s’est élargie en fonction de la spécificité des groupements fonctionnels basiques et acides
qui peuvent être échangés ; pour le traitement de la dureté (adoucissement),
des sulfates… Les échangeurs d’ions ont
été d’abord des terres naturelles, puis
des composés synthétiques, minéraux
(silices, alginates) et organiques ces
derniers couramment employés sous le
nom générique de résines.
D'autre part, procédés biologiques ; mise
en œuvre des bactéries qui en absence
d’oxygène utilise l’ion nitrate comme
accepteur final d’électron. La dénitrification se fait alors en général à l’aide de
bactéries fixées, en lit immergé ou fluidisé. Le carbone organique total contenu
dans l’eau n’étant pas suffisant pour la
croissance des microorganismes, il faut
ajouter une source carbonée (éthanol ou
acide acétique).
Le recours de plus en plus fréquent à
des eaux superficielles amène à subir
parfois de fortes croissances d’algues
- en particulier dans les réservoirs et lacs, ce qui entraine des difficultés de
traitement. La flottation semble le procédé le plus approprié, et combinée à
l’ozone elle renforce son action grâce au
pouvoir algicide de l’ozone. Elle permet
de se passer des traitements chimiques
anciens comme le sulfate de cuivre ou
le permanganate de potassium.
Pour poursuivre l’aventure, le recyclage moderne des eaux usées ou
REUTE, notamment pour faire face à
un stress hydrique très sévère qui est
maintenant une réalité dans certaines
régions. Les technologies sont matures
etles traitements efficaces, combinaison
plus ou moins poussée des opérations
unitaires déjà utilisées tant en production AEP que dépollution des EU, avec
une attention et vigilance stricte sur
la qualité microbiologique finale (traitements membranaires, désinfection
UV…). Recycler les eaux usées en eau
potable ; la boucle est bouclée!